Pièce 1 - Compte rendu du procès d’une escroquerie organisée depuis le pénitencier militaire de Saint-Germain-en-Laye

Zone d'identification

Cote

1

Titre

Compte rendu du procès d’une escroquerie organisée depuis le pénitencier militaire de Saint-Germain-en-Laye

Date(s)

  • 27 décembre 1837 (Production)

Niveau de description

Pièce

Étendue matérielle et support

1 document

Zone du contexte

Nom du producteur

(1825 - 1955)

Histoire archivistique

Source immédiate d'acquisition ou de transfert

Zone du contenu et de la structure

Portée et contenu

« IIe conseil de guerre de Paris
(Présidence de M. Michel, colonel du 29e régiment de ligne)
Audience du 27 décembre 1837
Une intrigue amoureuse en prison
En entrant dans la salle d'audience, on est frappé d’une odeur de musc et d'ambre répandue dans le prétoire, et bientôt on voit sur le bureau des sachets d'odeurs, des papiers à vignettes parfumés, des écritoires de petite maîtresse, des papeteries parfumées, des albums, des pupitres de lecture et mille autres objets de luxe et d’élégance, étalés devant le conseil comme pièces de conviction. Le bureau de M. le président Michel ressemble beaucoup à l’une de ces jolies boutiques du Palais-Royal offrant au public mille objets d’étrennes. Au milieu de tous ces objets de luxe se trouve un fort joli petit poignard à manche d'ivoire et gracieusement orné d’une statuette.
Une foule inaccoutumée se presse dans l'enceinte. Au banc des avocats prennent place Mes Philippe Dupin et Joffrès, défenseurs des deux prévenus qui vont être amenés devant le Conseil.
A l'ouverture de l'audience, M. le président ordonne au greffier de faire lecture de toutes les pièces de la procédure.
Il résulte de ces pièces et de l’information que les nommés Louis Moreau-Duplanty et Grandry , le premier détenu du pénitencier militaire de Saint-Germain, et le second gardien, employé dans cette maison, étaient prévenus de complicité d'une escroquerie commise au préjudice du sieur Marion, papetier à Paris, de faux en écriture privée et de corruption d’agent de l’autorité.
Charles-Louis Moreau-Duplanty, âgé de dix-neuf ans, quitta l’étude d'un notaire pour entrer, il y a deux ans, dans le 5e léger. Doué d’une grande intelligence et d’une certaine finesse d’esprit, il ne tarda pas à captiver la bienveillance de ses chefs, qui, aussitôt que les réglemens le permirent, lui donnèrent le grade de sous-officier ; mais à peine quelques mois furent-ils écoulés, qu’il se rendit coupable d'une soustraction de 200 rations de pain en altérant des chiffres portés sur les bons de la compagnie. Moreau-Duplanty fut pour ce fait condamné à trois ans de prison, que, depuis le mois de février dernier, il subissait au pénitencier de Saint-
Germain.
Arrivé au pénitencier, Moreau-Duplanty obtint d'être employé aux écritures dans le bureau do l’adjudant-chef de la prison ; à ce titre, Moreau jouissait d'un peu de liberté dans l’intérieur de la maison, et avait une cellule mieux située que celle de ses co-détenus. De cette cellule, on avait vue sur la place d’Armes de Saint-Germain et sur les maisons voisines. Dans l’une de ces maisons habite une jeune personne servant à titre de dame de compagnie chez une parente de l’un de nos maréchaux de France. Moreau la remarqua et parvint à fixer ses regards ; bientôt s’échangèrent de part et d'autre des signes d’intelligence qui témoignaient d'une affection naissante et réciproque. Au langage des yeux et des mains succéda une correspondance sentimentale que la surveillance des gardiens de la prison saisit plus d'une fois au passage ; mais les sollicitations pressantes du prisonnier, fortifiées par les pleurs de la jeune personne, attendrirent les cerbères, qui, dès ce moment facilitèrent leurs relations amoureuses. De plus en plus pressans, les deux amans obtinrent des entrevues plus rapprochées, ils purent échanger quelques paroles ; et cependant ils n’étaient heureux qu'à demi.
La porte principale du château de Saint-Germain était confiée à Grandry, ancien militaire ; Moreau flatta son amour-propre, et par son intermédiaire, il parvint à faire franchir à Mlle Clémentine le fossé de 30 pieds de large et de 60 pieds de haut qui sépare le château de la place d'Armes.
Depuis quelques semaines cette intrigue amoureuse se continuait, lorsque M. Marion, marchand de papier à Paris, reçut une lettre signée Gustave Moreau, vicomte de Plancy, qui le priait de lui envoyer quelques cahiers de papiers à lettre glacés et parfumés, avec vignettes, et estampés à la couronne de vicomte. Ce premier envoi fut exactement payé par un mandat de 10 fr. sur la poste. Puis eut lieu une seconde commande de la valeur de 15 fr. qui fut payée de la même manière. Ces objets, comme on le pense bien, étaient destinés à être offerts en cadeau à Mlle Clémentine et devaient principalement servir à alimenter la correspondance des deux amans. Mais ce n'était pas assez ; Moreau avait reçu quelques cadeaux de sa sensible amie, et en échange il voulut lui offrir quelques objets qui fussent dignes d'elle et de son amour ; en conséquence il songea aux moyens de s’en procurer. Voici ce qu’il écrivit à M. Marion :
« Château de Saint-Germain, le 13 août 1837
Monsieur,
J'ai reçu hier matin votre petit paquet renfermant une foule de petits objets charmans quoiqu'un peu chers. Il a été ouvert devant plusieurs jolies dames qui toutes ont voulu des sachets et du joli papier, de sorte que tout ce j’avais demandé pour moi m’a été enlevé. Je viens donc vous prier de m'adresser pour demain ou après-demain sans faute :
6 cahiers de papier comme celui-ci avec le chiffre G. P., et la couronne comme celui que j'ai reçu hier ;
6 cahiers de main et avec 3 G. P. couronnés et 3 S. D. (timbre-cachet).
Je désirerais avoir un album bien relié et composé de dessins des meilleurs artistes, tels que jolis sujets de femme, sujets gais et voluptueux sans être triviaux. Si vous en avez de plusieurs genres envoyez m’en un de chaque genre, je choisirai et je vous renverrai ceux que je ne voudrai pas. Mais si je les reçois comme votre paquet au milieu d’une foule de dames plus charmantes les unes que les autres, je cours grand risque de ne rien vous renvoyer du tout.
Vous m’annoncez 3 cahiers de papier, ornement en or ; tâchez de m’adresser en même temps que le papier, des albums de premier choix, de plus 12 enveloppes décorées en or.
J'ai l'honneur, etc.,
Gustave Moreau, vicomte de Plancy »
M. Marion, au reçu de cette lettre, croyant avoir affaire à un grand seigneur, s’empressa d’expédier les marchandises. Bientôt M. Marion reçut une nouvelle lettre par laquelle M. le vicomte de Plancy demandait quelques autres objets. Elle était ainsi conçue :
« Monsieur,
J’ai reçu seulement aujourd’hui votre lettre d'hier, mais elle ne répond pas à toutes les demandes que je vous ai faites ; vous ne me dites pas si vous pourrez m’estamper du papier au chiffre que je vous ai envoyé, et que je joins encore ici. Remarquez la forme de la couronne. Veuillez me répondre à ce sujet, en m’envoyant les objets ci-après :
1° Deux sachets de la même odeur que le papier sur lequel je vous écris aujourd'hui : ce parfum est délicieux ;
2° Un petit flacon, si vous en avez, d’extrait de rose.
Deux bâtons de cire rouge, et deux de cire noire, première qualité.
Deux cahiers de papier à filet d’or, et vignettes représentant de jolis dessins.
Une petite boîte de pains transparens de toutes couleurs, mais pas de jaunes, car, dans ma campagne, les dames n’en veulent pas user.
Une petite boîte de plusieurs genres de pains à devise ; plusieurs de chaque devise, toutes ayant trait à des sentimens amoureux.
Je vais samedi à une campagne à deux lieues de la mienne, je désire avoir ces objets pour vendredi soir, afin de pouvoir les emporter. Joignez-y quelques modèles de papier si vous en avez que je ne connaisse pas ; c'est pour montrer à une jeune dame, afin qu’elle choisisse ; et à mon retour, qui aura lieu avant la fin de la semaine prochaine, je vous ferai une forte demande, tant pour moi que pour cette dame, qui est fort délicate dans ses goûts.
Vous estamperez tous ces papiers à mon chiffre G. P.
Et vous les parfumerez, mais je désirerais que la couronne soit au-dessus des chiffres et non au-dessus de l’encadrement; c'est plus original et d’un genre plus distingué ; qu'en pensez-vous ? Du reste, je vous déclare que s’il n'y avait pas d’encadrement, cela me serait bien égal.
Lisez bien ma lettre, et surtout n’oubliez rien pour vendredi soir, car les jolies femmes que je dois recevoir ne me pardonneraient jamais.
J’ai l'honneur, etc.
Gustave M..., vicomte de Plancy »
Le lendemain avant que l’envoi fût expédié pour Saint-Germain, M. Marion reçut par la poste un petit billet ainsi conçu :
« Monsieur, je vous écris à la hâte pour vous dire de joindre à votre envoi de demain une de ces jolies boîtes à mettre la cire à cacheter, le papier, etc., que j'ai vues chez vous, ce que vous aurez de plus joli. Faites-moi une petite caisse de plusieurs albums et plusieurs boîtes, et envoyez-moi cela pour demain. Tâchez le mettre cela à la voiture de midi ou une heure, afin que cela arrive à ma campagne pour cinq heures et demie, heure à laquelle tout le monde sera réuni pour le dîner.
Joignez-y aussi quelques jolies plumes peintes et quelques autres objets de fantaisie, selon votre bon goût, et je suis sûr que le tout sera joli. Je voudrais avoir quelques tablettes de bal, ornées d'or. »
Lorsque le moment du paiement arriva, le prétendu vicomte de Plancy écrivit une lettre annonçant qu'il partait pour Cherbourg et priait M. Marion de lui envoyer sa facture, poste restante, avec quelques cahiers de papiers dont il aurait besoin dans son voyage, et
Qu’il serait de retour à une certaine époque.
Le jour de l'ouverture du chemin de fer, M. Marion fut du nombre des Parisiens qui se précipitèrent dans les wagons ; arrivé au Pec, il contempla le château et se voyant si près de son client, il eut idée d’aller le visiter. Quelle fut la surprise de l’honnête marchand, lorsqu’en débouchant sur la magnifique pelouse de la terrasse et après avoir rajusté sa toilette et redressé sa cravate, il se présenta timidement au concierge du château, demandant à parler à M. le vicomte. Mais la tenue militaire du concierge et l’inscription en majuscules : Pénitencier placée sur le fronton du château, lui inspirèrent tout-à-coup une certaine appréhension. Il questionna le gardien Grandry, qui, ainsi que nous l’avons vu, favorisait si complaisamment les amours de son prisonnier. Poussant jusqu'au bout son rôle de complaisance, il fit croire à M. Marion que le vicomte Duplanty avait sa campagne à quelques lieues de Saint-Germain. Enfin, de informations plus claires ayant été prises, Moreau-Duplanty fut mis dans une des cellules destinées aux hommes punis, en attendant qu’il fût donné suite à la plainte.
[p. 217] Les papiers de ce jeune homme furent saisis par l’adjudant-chef du pénitencier. Avant de les inventorier, il voulut lire la correspondance avec Mlle Clémentine ; mais, ô malheureuse idée ! les lettres tremblent dans ses mains à la lecture de certains passages dans lesquels s’exhalent les soupçons jaloux de Mlle Clémentine… Et quel est l’objet de ces soupçons ? ... Quel nom frappe les yeux de l’adjudant ? Quel nom a frappé ses yeux ? Hélas ! c'est celui… de sa femme !
Malgré ses transports de fièvre et de colère, l’adjudant-chef eut ]e courage de dévorer la lecture de cent dix lettres qu’il avait entre les mains. Dans cette position assez difficile, le malheureux fonctionnaire n’eut pas le courage d’obéir à ses instructions et de mettre sous le scellé cette malencontreuse correspondance. Il déchira ces lettres maudites et en livra les débris aux flammes... Depuis il avoua à ses supérieurs ce premier mouvement de rage : et ses torts, bien pardonnables d'ailleurs, furent d’autant mieux oubliés qu’il avait eu la précaution de garder les lettes les plus nécessaires à la constatation du délit imputé à Moreau-Duplanty, et à Grandry, son complice.
A l'audience d’aujourd'hui ces faits ont été renouvelés par les dépositions aussi bien que par l’interrogatoire des prévenus.
Après avoir entendu M. Brès, gouverneur supérieur du pénitencier, et l'adjudant-chef de cette prison, on appelle la jeune personne dont nous avons parlé. Tous les yeux se fixent sur le témoin, qui s'avance vers le Conseil. Un voile noir dérobe ses traits aux regards curieux du public.
M. le président : Quel est votre âge, votre profession ?
Mlle Clémentine, d’une voix douce : Bientôt trente ans ; je suis dame de compagnie de Mme la comtesse de…
M. le président : Je ne veux point entrer dans des questions qui puissent vous blesser : cependant je suis obligé de vous demander comment vous avez fait connaissance avec Moreau-Duplanty.
Mlle Clémentine : Il était prisonnier ; il avait l’air si malheureux, le visage collé contre les gros barreaux de la prison, et puis il me regardait d’un air si tendre que je me surpris moi-même à le regarder avec tendresse. Un jour je reçus une lettre de ce jeune homme qui me peignait sa douleur ; je lui répondis pour lui donner du courage afin de supporter sa captivité avec résignation. Il me vint une autre lettre, puis une troisième, auxquelles je répondis ainsi de suite, et voilà comment nous nous sommes connus.
M. le président : Vous avez obtenu l'entrée du Pénitencier ?
Mlle Clémentine : Oui, M. le président ; il désirait me parler de vive voix ; il disait qu'il voulait me parler de mariage ; un gardien a été assez bon et assez sensible à notre peine pour nous mettre en présence quand les supérieurs du Pénitencier étaient absens.
M. le président : N’avez-vous pas reçu beaucoup de cadeaux de Moreau du Planty, et ne sont-ce pas les objets de luxe que vous voyez étalés sur le bureau ?
Mlle Clémentine : Oui, Monsieur, mais je lui ai fait des cadeaux et des prêts d'argent qui valent plus que tous ces objets et que je lui ai donnés de bien bon coeur. Je savais qu’il appartenait à une bonne famille, et que la faute qu’il avait commise n’était qu’une étourderie.
M. le président : Ne vous a-t-il pas parlé d'un projet d'évasion, et pour y parvenir ne s’était-il pas procuré un poignard ?
Mlle Clémentine : Il m'avait parlé en effet d'un projet semblable ; mais le poignard n’avait rien à faire avec ce projet. Il s'était procuré cet instrument pour tuer, me disait-il, ceux qui lui parleraient mal de moi, et qui lui diraient que je faisais mauvais usage de mon état de liberté. Un jour il me le montra par la croisée en me faisant signe qu’il voulait s’en servir ; alors je lui écrivis que je voulais avoir ce poignard chez moi, et qu’il eût à me le faire remettre sur-le-champ. Une demi-heure après ma lettre reçue j’eus le poignard chez moi. Je lui en fis mon compliment.
M. le président : Moreau n'a-t-il pas cherché à vous emprunter une somme de 500 fr. pour payer ces objets ?
Mlle Clémentine : Oui, Monsieur, cela est très vrai. Je les aurais prêtés si je les avais eus en mon pouvoir dans ce moment-là.
M. le président : N’a-t-il pas voulu vous faire donation d’une somme importante ?
Mlle Clémentine : Il m'a envoyé cette donation, pour la signer à titre d'acceptation ; mais lorsque j’ai su ce dont il s'agissait j'ai renvoyé cette pièce sans la signer, et je lui ai déclaré que je ne voulais riens de ses biens qu’après la conclusion du mariage.
Les dépositions des autres témoins confirment les faits que nous avons exposés.
M. Mévil, commandant-rapporteur, soutient la triple prévention de faux, d’escroquerie et de corruption envers un fonctionnaire, contre Moreau-Duplanty et abandonne la prévention, en ce qui touche Grandry, à la sagesse du Conseil.
Me Dupin présente la défense du jeune Moreau-Duplanty, et démontre que les faits qui lui sont imputés ne constituent pas les délits prévus par la législation. Il termine en donnant à son jeune client une vive admonition, et l’engageant à avoir une meilleur conduite à l'avenir.
Me Joffrès présente la défense de Grandry, qui, après avoir servi honorablement dans les rangs de l’armée, avait trouvé une retraite au château de Saint-Germain.
Le Conseil, après quelques instans de délibération, prononce l’acquittement des deux prévenus. »

Évaluation, élimination et calendrier de conservation

Accroissements

Mode de classement

Zone des conditions d'accès et d'utilisation

Conditions d’accès

Conditions de reproduction

Langue des documents

Écriture des documents

Notes sur la langue et l'écriture

Caractéristiques matérielle et contraintes techniques

Instruments de recherche

Instrument de recherche

Zone des sources complémentaires

Existence et lieu de conservation des originaux

Existence et lieu de conservation des copies

Unités de description associées

Descriptions associées

Note de publication

Gazette des tribunaux, journal de jurisprudence et des débats judiciaires, édition de Paris, treizième année, numéro 3838, 28 décembre 1837, p. 216-217.

Zone des notes

Identifiant(s) alternatif(s)

Mots-clés

Mots-clés - Sujets

Mots-clés - Lieux

Mots-clés - Noms

Mots-clés - Genre

Zone du contrôle de la description

Identifiant de la description

Identifiant du service d'archives

Règles et/ou conventions utilisées

Statut

Niveau de détail

Dates de production, de révision, de suppression

Langue(s)

Écriture(s)

Sources

Zone des entrées

Sujets associés

Personnes et organismes associés

Genres associés

Lieux associés