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Louis XIII Saint-Germain-en-Laye
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Récit de la mort de Louis XIII au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 341] Relation de ce qui s’est passé jusques à present de plus memorable en la maladie du Roy
Ce poete qui appeloit nostre monarque « la merveille des rois et le roy des merveilles » n’en disoit pas assez : sa vie est une suite de miracles, desquels attendant la continuation, l’honneur que Sa Majesté m’a fait de me commettre la plume publique pour declarer à ses peuples, voire à tout le monde, ses belles actions fait autant reconnoistre mes forces inegales à une charge si importance et qui regarde la chose la plus delicate qui se puisse rencontrer dans le commerce des hommes, qui est leur reputation, comme il m’oblige à faire mes petits efforts pour eviter au moins le reproche d’avoir laissé ensevelir dans l’oubli les beaux exemples que fournissent à tout le monde ces royales et chrestiennes actions, qui seront autant de precieuses reliques aux siecles à venir. Dans lesquels, entre les autres vertus qui font admirer ce grand prince, sa foy, par un effet contraire à sa nature, fera des mecreans, aucun ne pouvant croire ce qui s’en dira, ce que feroyent encor beaucoup moins ceux qui ne le verroyent point consigné dans nos memoires, d’autant plus croyables qu’ils sont mis au jour en mesme temps que les choses dont ils traitent. Tout ainsi donc que les peintres s’efforcent à l’envi les uns des autres de representer naifvement les traits de l’auguste visage de ce monarque sans pareil, voyez ici [p. 342] depeints ceux de son esprit, qui vous apprendront que ce grand prince est encor plus grand par ses propres vertus que par la dignité qu’il possede du premier roy du monde et par la haute reputation de tant de conquestes.
Le Roy tomba malade le 21 fevrier dernier et bien que quelques bons intervalles, joints aux grand desir que nous avons de sa guerison, nous l’eussent fait croire, si est ce que son mal s’augmenta le dix neufieme de ce mois, de telle sorte que sa pieté le convia de penser à la fragilité de la vie humaine, pour laquelle ayant fait plusieurs excellentes meditations sur le sujet de sa mort, il fit ouvrir les fenestres de sa chambre du chasteau neuf de Saint Germain en Laye, où il est à present, et voyant par là l’eglise de Saint Denys : « voilà (dit il en la montrant) ma derniere maison, où je me prepare pour aller gayement ». Le soir du mesme jour, au lieu de la vie des saints qu’il se faisoit lire les jours precedents par l’un des secretaires de son cabinet, il lui commanda de lire le 17 chapitre de l’evangile selon saint Jean, où est ce passage : « ego te clarificavi in terra : nunc igitur clarifica me Pater ». Puis, il lui fit prendre l’Introduction à la vie devote et lire le chapitre « Du mespris de ce monde », et ensuite lui commanda de prendre le livre de Kempis, lequel ce secretaire voulant lire par ordre des chapitres, Sa Majesté lui mit la main sur celui « De la meditation de la mort ».
Le 20, le Roy fit sa declaration pour la regence de la Reine et le gouvernement de ses estats, dont vous avez ouy une partie, sur laquelle declaration il donna à entendre sa volonté [p. 343] avec un visage qui tesmoignoit grande satisfaction. Sa Majesté, entre les autres seigneurs et dames qui le vinrent visiter, receut ce jour là le duc de Vandosme.
Le 21, la princesse de Condé et le cardinal Mazarin eurent l’honneur de tenir sur les fonts monseigneur le Daufin, qui fut nommé Louis, selon la volonté du Roy, et le mareschal de Bassompierre fut receu à baiser les mains de Sa Majesté.
Le 22, le Roy se trouvant affoibli par la grandeur et continuation de sa maladie, à la premiere mention qui lui en fut faite, dist au père Dinet, jesuite : « Je suis ravi d’aller à Fieu, allons, mon pere, confessez moy », et recita le pseaume « Laetatus sum in his quae sunt mihi ». ce fait, il delibera de communier pour le viatic, en laquelle action il ne montra pas moins de prudence qu’en toutes les autres de sa vie, car Sa Majesté, prevoyant les differens qui pourroyent arriver entre plusieurs seigneurs presens, à qui tiendroit la nape de communion, dont les deux coins plus pres du Roy ont accoustumé d’estre tenus par les deux seigneurs plus qualifiez et les deux autres par deux aumosniers de Sa Majesté, Elle avoit dit à l’evesque de Meaux, son premier aumosnier, qu’il ne mist point de nape et n’estendit qu’un voile sur le lit de Sa Majesté, qu’elle seule tiendroit. Ce qu’on alloit faire, lorsque Monsieur, frere unique du Roy, et le prince de Condé arriverent en la chambre de Sa Majesté, laquelle, selon la presence de son esprit, dist à l’evesque de Meaux, lorsqu’il lui alla donner de l’eau benite à son ordinaire avant que de la communier, que ces deux princes ayans par leur arrivée terminé [p. 344] le different que l’on aprehendoit, il pouvoit faire mettre la nape sur son lit, ce qui fut fait, et le coin de la main droite du Roy tenu par Monsieur et l’autre par le prince de Condé, les deux autres coins furent tenus par les sieurs de Lesseville et Hyacinte, aumosniers du Roy estans de present en quartier. Ledit evesque de Meaux ayant auparavant dit la messe « pro infirmo » dans la chambre du Roy sur un autel à ce preparé, et ayant communiqué, le Roy et toute l’assistance reciterent tout haut le Confiteor. Puis l’evesque officiant donna l’absolution deprecatoire et presenta ensuite la sainte hostie au Roy, qui la receut dans son lit, tous les rideaux ouverts, avec des tesmoignages de pieté qui ne seroyent pas imaginables en un autre. Et la messe estant achevée, chacun se retira en grande tristesse, tous pleurans excepté le Roy, lequel affrontant la mort d’une contenance hardie, confirma par effet la creance qu’on a tousjours eue de la grandeur de son courage, et donna des preuves certaines de sa magnanimité et veritable force d’esprit, ce qui ne consiste pas à mespriser les perils, comme plusieurs font, quand ils en sont loin, mais bien à les braver en leur presence et surtout, disent les philosophes, ceux qui sont les plus grands, comme est la mort, qu’ils appellent à ce sujet le terrible des terribles, de l’apprehension de laquelle tous estoyent effrayez, mais non pas lui, leur trouble estant grandement accreu par les larmes de la Reine. Cette incomparable princesse, qui ne perdoit point le Roy de veue, [p. 345] avoit assité à la messe et à la communion de Sa Majesté ; pres de laquelle se tenant lors à genoux, tousjours fondante en pleurs, apres que le Roy lui eut tesmoigné par sa bouche les ressentimens qu’il avoit de sa vertueuse conduite, elle receut la benediction de Sa Majesté, comme aussi messeigneurs leurs enfans. Ensuite de quoy, le Roy demanda l’extreme onction. Mais la grande affection de tous les assistans faisoit qu’on ne vouloit desesperer que le plus tard qu’on pourroit de sa guerison, et par ce moyen se laissans doucement entrainer à l’usage qui a fait degenerer ce remede de la primitive Eglise, institué pour la convalescence des malades, en un dernier azole de ceux dont la santé est deseperée. Cette sainte onction fut differée jusques sur les quatre heures apres midi du mesme jour, et de cette heure là encores jusqu’au jeudi suivent. La piété de ce prince estoit telle qu’il en voulut etendre les effets jusqu’aux seigneurs qui le venoyent visiter. Entre lesquels il usa de ces mots au mareschal de La Firce : Je vous connois, lui dist il, pour un des plus honnestes, sages et vaillans gentilshommes de mes Estats ; mais me jugeant prest d’aller rendre compte à Dieu, je suis obligé de vous dire que je croi qu’il vous a laissé vivre un si grand aage pour vous donner temps de penser à votre conversion, et vous faire enfin reconnoistre qu’il n’y a qu’une religion en laquelle on puisse estre sauvé, qui est la catholique, apostolique et romaine, que je professe. Il incita aussi le mareschal [p 346] de Chastillon à en faire autant. L’après dinée, le duc de Vendôme s’estant mis à genoux près du Roy, comme la pluspart des autres seigneurs et dames luy venoient baiser la main en cette posture, il receut la bénédiction de Sa Majesté.
Le Roy receut le mesme jour la duchesse d’Elboeuf et ses enfans, et voulut voir le sieur de Gandelu, nagueres retourné de Flandres, où il estoit prisonnier de guerre. Puis, Sa Majesté s’estant enquise si, selon l’apparence, Elle pourroit passer la nuit, sur ce qu’on lui repartit que ses prieres et celles de ses sujets presentoyent à Dieu pour sa santé la sortiroyent de ce danger, Elle repartit ne demander pas absolument à Dieu d’en eschaper, estant entierement resignée à sa volonté, mais pour ce que les vendredis lui avoyent tousjours esté heureux, qu’Elle esperoit vivre au moins jusqu’au Vendredi suivant, pour recevoir lors le plus grand heur qui lui soit jamais arrivé. Pour cet effet, Elle ne voulut pas qu’on attendist jusqu’à ce jour là à lui donner l’Extreme Onction, qu’elle receut le jeudi 23 dudit mois à 9 heures et demie du matin, avec la plus grande résolution qui ne scauroit jamais croire, respondant à l’evesque de Meaux, qui lui donna ce dernier sacrement, à tous les pseaumes et litanies, et tesmoignant un courage plus qu’humain en une rencontre où l’humanité ne trouve que matière de desespoir. Mais il faloit que cet acte de la vie d’un si grand prince respondit à tous les precedens et qu’il servist comme de seau pour confirmer un chacun dans la haute estime en laquelle tout le monde le doit avoir, [p. 347] telle que tout ce que nous lisons de la fin des grands rois, empereurs et personnes plus illustres n’a rien qu’on puisse egaler à cette ci, que j’appelle fin non à nostre regard, puisque la France est encor’ si heureuse que de jouir de sa presence tant desirée et d’avoir ce grand Roy vivant, que Dieu lui conservera, s’il lui plaist, encor longues années ; mais fin à son égard puisque, l’ayant creue telle, il est d’autant plus à admirer qu’il la hardiment envisagée d’un esprit sain et vigoureux, et avec des forces qui manquent aux hommes mourans, lesquels cessent ordinairement plustost par foiblesse que par resolution de luiter contre les loix de la nature et de son autheur. Ce jour là, le mareschal de Vitri fut aussi receu du Roy, comme l’avoit esté auparavant le mareschal d’Estrée, et chacun lui baisant la main en pleurant, Sa Majesté, à l’objet de tant de visages baignez de larmes, en eut de la compassion qu’Elle tesmoigna proceder de la pitié qu’Elle avoit de leur tristesse, disant toutefois n’estre pas faschée qu’on la pleurast, puisque c’estoit une preuve certaine de l’affection que luy portoyent tous ses bons sujets, lesquels il n’aimoit pas moins qu’il estoit aimé d’eux. Sa Majesté donna charge ensuite au prince de Condé de faire entendre au duc de Chevreuse, aussi présent, qu’Elle ne lui vouloit point de mal. La Reine avoit fait apporter son lit du vieil chasteau dans le nouveau, près de la chambre du Roy, et s’estant mise à genoux au chevet de Sa Majesté, mais fondant toute en larmes, le Roy après un long entretien la pria de se consoler et se retirer [p. 348] un peu à l’écart de peur de l’affliger par sa tristesse. Il passa le reste de la journée en prieres et meditations pleines de transports qu’il faisoit eclorre par des paroles toutes divines et ravissantes. Il eut meilleure la nuit du 23 au 24, que l’on craignoit le plus.
Le 24, il fut exempt de l’accez ou redoublement qui lui estoit arrivé les jours precedens sur les dix à unze heures du matin, et se trouva si bien l’apres dinée qu’il commanda au sieur de Nielle, premier valet de sa garderobe, d’en remercier Dieu, comme il fit, chantant sur l’air que Sa Majesté lui avoit autrefois Elle mesme donné, cette paraphrase du sieur Godeau, qui commance Seigneur, à qui seul je veux plaire, et lui aida, et aux sieurs Campefort et Saint Martin, à faire un concert en sa ruelle sur de pareils cantiques.
Le 25, l’amandement de la maladie du Roy continuant, Sa Majesté fit faire collation de ses confitures de Versailles à la Reine, à la princesse de Condé, aux duchesses de Lorraine, de Longueville, de Vandosme et autres dames ; et la Reine, Monsieur, le prince de Condé, le cardinal Mazarin, les ministres d’Estat et autres officiers de Sa Majesté, qui luy ont rendu pendant toute sa maladie des preuves indubitables qu’ils continuent de leur affection, toute la Cour en un mot, commança de mieux espérer, comme elle fait encor à présent ; et cette convalescence, nonobstant les apprehensions, continue de bien en mieux, Dieux exauçant visiblement les prieres de plus de quarante millions d’ames.
A Paris, du bureau d’adresse, le 30 avril 1643.
[…]
[p. 359] De Saint Germain en Laye, le 1 may 1643
Ne vous pouvant donner de nouvelles plus importantes à cet estat et au bien de la chrestienté que celles de la santé du Roy, puisque vous avez eu la relation de sa maladie jusques au 25 du passé, je vous la continueray. Le vingt sixiesme ensuivant, Sa Majesté se porta encor un peu mieux. Mais le 27, nostre joye fut troublée par une nouvelle apprehension de fievre accompagnée des mesmes accidens que par le passé. Toutesfois, ils furent de peu de durée car, par la grace de Dieu, qui protege ouvertement la personne de Sa Majesté, tous ces accidens se diminuerent d’eux mesmes le lendemain 28, et tout alla de bien en miaux, avec un tel progrez que le 29, Sa Majesté se trouva en beaucoup meilleur estat qu’Elle n’avoit fait depuis longtemps. Cet amandement s’accreut encor le jour d’hier, de quoi chacun pouvoit assez juger par la gayeté peinte sur les visages de toute la cour, lequel amandement tous attribuoient aux ardentes prieres et saintes devotions de la Reine et à celles des sujets du Roy, à son exemple. Cette pieuse Reine ne s’estant pas contentée de l’assiduité qu’elle rend jour et nuit au chevet de Sa Majesté depuis le commancement de sa maladie, mais continuant depuis ce temps là ses prieres [p. 360] en particulier à toutes heures, comme elle les fait ici en public tous les jours à six heures du soir, dans la chapelle du vieil chasteau, où se trouvent souvent les princes, princesses, ministres d’Estat et autres seigneurs et dames. Dans laquelle les evesques, qui sont ici en grand nombre, et les aumosnier de Leurs Majestez, et autres ecclésiastiques, se relevent d’heure à autre pour continuer leurs devotions devant le saint sacrement qui y est exposé, la Musique du Roy y chantant plusieurs motets apres les litaniers et excitant le zele d’un chacun pour flechir d’autant plustost le Ciel à nos prieres. Mais ce que je ne puis taire, et qui ne paroistra pas le moins admirable en cette maladie, est qu’elle n’a pu empescher le Roy de donner tous les jours les ordres necessaires aux affaires de son Estat. Jusques là que le jour que Sa Majesté receut l’extreme onction, Elle disposa des seances que chacun devoit avoir dans le Conseil qu’Elle voulut estre tenu ce jour là par la Reine, suivant sa declaration testamentaire. Ce qui n’empescha pas toutefois que Sad. Majesté ne voulust que la Reine lui en fist le rapport à l’issue dudit Conseil. Aussi rien n’a t il empesché le Roy qu’il ne vacast tous les jours à la reception des seigneurs et dames qui venoyent visiter Sa Majesté, entre lesquels la duchesse de Guise, sa fille et ses deux fils, nagueres arrivez avec elle d’Italie, furent receuz de Sa Majesté le 29 du passé, qui vid aussi le mesme jour les sieurs de Manicamp et de Beringhen. Ce jourd’hui est encor arrivé pres de la personne du Roy le duc de Bellegarde.
[…]
[p. 401] La France en deuil
Le Roy est mort. Ne m’appellez plus l’agreable, appellez moi la desolée et pleine d’amertume, dit aujourd’hui la France apres la belle mere de Ruth dans l’histoire sacrée.
Dieu a t il donc repoussé les vœux de tant de personnes de toutes conditions, sexes et aages ? Ou nostre zele relasché et nos mains appesanties ne nous ont elles point arresté et suspendu les faveurs d’en haut ? Ou plustost l’extreme pieté de nostre bon Roy, qui demandoit pour lui le Ciel avec tant d’instance, n’a t elle point surmonté la nostre qui le vouloit retenir en terre ? Quoy qu’il en soit, nostre tristesse est arrivée à son dernier point par la perte du meillur, du plus juste et du plus victorieux monarque qui ait régi la France depuis plusieurs siècles. Et pour ce que nous trouvons quelque soulagement dans la connoissance des moyens qui ont contribué à notre perte, comme il elle en estoit moindre, voici la continuation du recit de la maladie du Roy, depuis le 30 du passé.
Les cinq jours suivans diminuerent beaucoup de la joye que l’amandement des precedens nous avoit fait concevoir. Car encor que le Roy eut quelques notables relasches, si est ce que le redoublement de sa fievre lui arrivant tous les jours et les autres accidens de sa maladie [p. 402] perseverans la rendoyent grandement perilleuse. Mais sa violence n’interrompit jamais les elancemens de son ame vers le Ciel, entre lesquels il tesmoignoit porter envie aux saints martyrs, dont il se faisoit lire la vie toutes les nuits qu’il passoit sans dormir. Et bien que ses veilles et le peu d’aliment qu’il prenoit lui deussent naturellement causer quelque resverie, il en a esté exempt comme par une grace speciale, la force de son esprit ne s’estant jamais relaschée, mesmes aux moindres choses : sa resignation a tousjours esté telle qu’ayant eu en suite quelque petite relasche qui relevoit l’espérance abbatue de quelques uns des assistans, il leur dist qu’il vouloit tenir tousjours son esprit dans l’indifference de mourir ou de vivre, selon qu’il plairoit à Dieu d’en ordonner, desirant neantmoins plustost le premier que le dernier, comme il montroit repetant souvent ces mots : Taedet animam meam vitae meae, ou s’il desiroit de vivre, il y ajoutoit incontinent que ce n’estoit que pour faire penitence au monde, y faire regner de plus en plus la pieté et la justice, et y procurer surtout une paix glorieuse à son estat, laquelle si Dieu ne lui permettoit pas de pouvoir faire tandis qu’il seroit sur la terre, son ame se prosterneroit incessamment devant Dieu pour l’impetrer de sa misericorde.
Mais ce qui ne doit pas estre de peu de consideration, comme il n’est pas un petit exemple à ceux qui gouvernent, Sa Majesté n’a jamais cessé durant toute sa maladie de donner ordre aux affaires de son Estat, dont elle entretenoit tous les jours la Reine, monseigneur le duc [p. 403] d’Orléans son frere, le prince de Condé, le cardinal Mazarin, son chancelier, le surintendant de ses finances et le sieur de Chavigni, avec une singuliere confiance.
Elle avoit le 5 de ce mois donné la coadjutorerie de l’archevesché d’Arles à l’evesque de aint. Pol, premier suffragant dudit archevesché, et l’evesché de Saint Pol à l’abbé de Grignan, frere dudit evesque de Saint Pol, et avant ce temps là et depuis receut humainement tous les princes, princesses, seigneurs et dames qui le venoyent visiter et compatir à son mal, tous lesquels comme il me seroit malaisé de vous nommer, ainsi ne vous puis je taire, sans oublier les principaux traits de l’esprit de Sa Majesté, les entretiens qu’Elle eut avec quelques uns de ceux qui sont venus à ma connoissance. Elle tesmoigna au duc de Vendosme un grand contentement de le voir de retour, comme Elle avoit receu un sensible deplaisir à son absence, ce qu’Elle lui feroit connoistre par tous les effets possibles et le regret qu’Elle avoit du passé. Elle en dist autant à la duchesse de Guise. Le duc d’Engoulesme s’estant approché de son lit, le Roy lui montra son estomac amaigri par la longueur de sa maladie, lui faisant remarquer comme la qualité de roy n’exemptoit aucun des infirmitez attachées à la condition humaire. Et montrant au sieur de Liencour ses bras decharnez, lui dist cette belle sentence : Memento homo quia cinis et et in cinerem reverteris. Aussi possédoit il tellement tous les passages sacrez qu’on ne lui avoit pas plustost [p. 404] commancé le verset d’un pseaume qu’il l’achevoit. Il estoit si bien instruit en tous les points de l’escriture qu’au lieu que les autres entendent les choses par les mots, il entendoit les mots par les choses mesmes, dont l’usage lui avoit rendu la langue latine aussi familiere que la nostre. Le sieur de Ventadour l’aisné, ecclesiastique, estant venu coucher en son antichambre le huitieme de ce mois pour l’entretenir de discours de devotion quand il ne faisoit plus lire dans les livres sacrez, il se plaignit souvent à lui de son mal, non pour autre raison, disoit-il, sinon qu’il l’empeschoit de prier Dieu aussi librement comme il le desiroit. Il ne pouvoit ouir parler d’aucune matiere de devotion qu’il n’y respondist de parole ou de geste. Et quand la force de son mal eut abatu celle de son corps, voire estant mesme proche de sa fin et un peu devant sa mort, à chaque mention qu’il entendoit faire de Dieu et des choses saintes, il levoit incontinent les yeux au Ciel, tendoit les bras et remuoit les levres, tesmoignant par là les saints mouvemens de son ame.
Mais pourquoi viens je si tost à cette mort et à cette fin ? Pleust à Dieu que quelqu’autre de cœur plus dur et qui seroit moins touché du sentiment de la perte d’un si bon prince vous pust achever le reste. C’est ici où les plus scavans trouveront à apprendre, les gens de bien à se consoler, et les meschans à craindre. Hommes, voici cette catastrophe de la comedie que nous jouons tous, et ce masque levé où il n’y a plus moyen de se deguiser, mais où il faut paroistre tels que nous sommes.
C’est là où nostre second saint Louis, apres le flux [p. 405] et reflux des agitations diverses que le monde lui a données trouve le port de son salut tant desiré.
Chacun avoit encore la mémoire toute recente de sa confession, de sa communion et des autres actes d’un roy veritablement tres chretien : il n’y a que lui qui en trouve la repetition necessaire. Ayant donc demandé instamment la communion le douziesme dudit mois et lui ayant esté accordée, Sa Majesté, qui s’estoit confessée tous les jours de la derniere semaine de sa maladie, se reconcilia encor le matin de ce jour là, et le pere Dinet, jesuite, son confesseur, lui ayant donné l’absolution, il communia par les mains de l’evesque de Meaux, son premier aumosnier, avec son zele ordinaire. La Reine s’approchant du chevet du Roy, Sa Majesté prit sa main et celle de monseigneur le duc d’Orleans, son frere unique, et les joignit ensemble, leur faisant derechef promettre entre ses mains une bonne union et concorde, et qu’ils auroyent soin des enfans de Leurs Majestez. En mesme temps, le Roy appella l’evesque de Lizieux d’entre les autres prelats, lui communiqua durant quatre ou cinq heures tout ce qui regardoit sa conscience, et lui marqua l’endroit où sont les prieres pour les agonizans, afin qu’on les lui dist lorsqu’il seroit en cet estat.
Le 13, à la premiere mention que lui fit son confesseur de se preparer à bien mourir, il l’embrassa, recitant le Te Deum, pour la joye que lui donnoit l’esperance d’estre bientost joint à son createur, et fit appeler l’evesque de Meaux pour reciter les prieres de la recommandation de l’ame, ce qui donna sujet au bruit de sa mort qui courut ensuite, [p. 406] mais lui estant arrivé quelque petit soulagement, ces prieres furent differées jusqu’au lendemain 14.
Auquel jour, ledit evesque de Meaux disant la messe dans la chapelle du chasteau neuf sur les 7 à 8 heures du matin, le Roy le manda derechef pour faire lesdites prieres. A cette fin, il entra dans la chambre du Roy revestu de son rochet, camail et estole violette, où il trouva l’evesque de Lisieux que Sa Majesté avoit envoyé querir, et où estoit aussi l’evesque de Beauvais et son confesseur avec le pere Vincent, superieur de la Mission, ledit sieur de Ventadour et les aumosniers de Sa Majesté, qui firent ladite recommandation de l’ame, le Roy leur respondant avec son zele accoustumé, comme faisoyent aussi la Reine, les princes, princesses, ducs et pairs, mareschaux de France et autres seigneurs et dames là presens. Et apres que ledit evesque de Lizieux, auquel Sa Majesté avoit donné charge de ne l’abandonner point, lui eut fait former des actes de foy, d’esperance, de charité et de contrition qui lui estoyent fort familiers, Elle l’embrassa et le baisa, l’apelant son père. La parole lui manqua à une heure et demie apres midi, depuis lequel temps les evesques de Lizieux et de Meaux lui continuans des admonitions chrestiennes, que le Roy tesmoignoit par signes bien entendre un quart d’heure durant. Il demeura encor demie heure avant que d’expirer, comme il fit fort doucement entre les bas desdits evesques de Lizieux et de Meaux, de son pere confesseur et du pere Vincent, tres saintement et comme il appartenoit au fils aisné de l’Eglise, ayant contenté ces deux prelats et ces ecclesiastiques sur tous les sujets qui regardoyent sa conscience, et ayant rendu la Reine, tant en [p. 407] sa presence qu’en son absence, tous les tesmoignages d’une sainte amitié conjugale, apres avoir accompagné leur dernier adieu de larmes reciproques. Ainsi expira ce bon prince sur les deux heures et un quart apres midi du 14 jour de may, l’an 43 de ce siecle et 42 de son age non encor revolu, apres avoir regne justement 33 ans, et, ce qui ne se peut concevoir sans merveille, le mesme jour du mesme mois, la mesme apres disnee et environ la mesme heure que mourut Henry le Grand, son pere, tous deux d’eternelle memoire. Jour que cette double perte nous feroit appeler malheureux si nostre Sauveur ne l’avoit choisi cette année pour son ascension, et pour celle de cette ame bien heureuse qui loge maintenant dans le Ciel. L’evesque de Meaux ayant dit ensuite les prieres de l’absoute des morts, l’evesque de Lizieux et lui fermerent les yeux du Roy et l’evesque de Meaux, lui ayant baisé la main et fait une grande reverence, donna les ordres necessaires pour accompagner le corps d’ecclesiastiques.
Nostre grande Reine ne s’est jamais montrée plus grande qu’en ce rencontre, où Sa Majesté a fait douter laquelle de toutes ses perfections s’est trouvée en un plus haut degré, ou son assiduité autour de la personne du Roy defunt, qu’elle n’a jamais abandonné durant les longueurs de cette fascheuse maladie, ou sa pieté, qui a servi d’exemple à tout le monde pour extorquer du Ciel la santé de ce cher espoux s’il eust esté possible, ou sa présence d’esprit qui a desjà paru dans les conseils et qui se fait admirer dans la conduite des affaires, ou sa constance qui lui fait si dignement conjoindre les interests de vefve à ceux de mere [p. 408] d’un grand Roy et regente d’un grand royaume, ou cette bonté sans pareille qui lui gaigne les cœurs de tout le monde et l’eust faite reine d’election quand elle ne l’eust point esté de naissance.
Si tost que le Roy fut decedé, la Reine regente, accompagnée de monseigneur le duc d’Orleans, du prince de Condé et des autres princes, princesses, ministres, ducs et pairs, mareschaux de France et autres officiers de la Couronne en grand nombre, fut conduite du chasteau neuf de Saint Germain dans le vieil, en passant par la chapelle où elle et toute la cour, fondans en larmes, firent leurs prieres pour le repos de l’ame du defunt, et se rendit en son ancien appartement où se trouva le Roy à present regnant, entre les mains duquel, la Reine regente sa mere presente, le prince de Condé presta le serment de grand maistre de France, qui fut leu par le sieur de Guenegaud, secretaire d’Estat ayant le departement de la Maison du Roy, avec ordre audit grand maistre d’ordonner de tout ce qui concernera la pompe funebre du Roy defunt, dont vous aurez le recit au premier jour. Et enfin, nos larmes essuyées par le contentement que nous promettent cette heureuse regence et l’estroite union de tous les seigneurs de son conseil, que la mémoire de nostre prince mourant va rendre eternelle, persuaderont aisement à nos ennemis de faire la paix avec une Couronne qui abreuve ses chevaux en mesme temps dans le Po, dans le Rhin et dans l’Ebre, chez qui les accidens communs à tous les hommes ne rebatent rien de la valeur propre à sa nation, qui leur fera tousjours voir que le Roy n’est pas mort.
A Paris, du bureau d’adresse, le 16 may 1643. »

Acte du serment prêté par le duc de Lorraine au roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le mardy 2 jour d’avril 1641, en la presence de tres haut, tres excellent et tres puissant prince Louys, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, estant en la chapelle de son chasteau et maison royale de Saint Germain en Laye, apres les vespres de Sa Majesté solennellement dites, nous, Charles, par la grace de Dieu duc de Lorraine, marchis, duc de calabre, Bar, Gueldres etc., jurons et promettons en foy et parole de prince, sur les sainctes evangiles de Dieu et canon de la messe, pour ce par nous touchez, que nous observerons et accomplirons, ferons observer et accomplir pleinement, reellement et de bonne foy tous et chacuns les poincts et articles accordez et portez par le traité conclu et arresté à Paris le 29 mars dernier, ensemble les articles secrets, aussi conclus et arrestez le mesme jour entre le cardinal duc de Richelieu, pair de France, au nom de tres haut, tres excellent et tres puissant prince Louys, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, et nous, sans jamais y contrevenir directement ou indirectement, ny permettre qu’il y soit contrevenu de nostre part en aucune maniere que ce soit ; ainsi Dieu nous soit en ayde. En temoin de quoy nous avons signé ces presentes de nostre propre main, et y fait apposer nostre seel en la chapelle du chasteau et maison royale de Saint Germain en Laye le 2 jour d’avril 1641. A laquelle prestation de serment estoit presente tres haute, tres excellente et tres puissante princesse Anne, par la grace de Dieu reyne de France et de Navarre, epouse de Sa Majesté, comme aussi estoient presens le cardinal duc de Richelieu, les ducs de Longueville et de Chevreuse, nostre cousin, le sieur Seguier, chancelier de France, les ducs d’Usez, de Ventadour, de Montbazon et de La Force, de Chastillon, mareschal de France, de Cinq Mars, Grand Escuyer, Bouthillier, surintendant des Finances, Phelipeaux de La Vrilliere, Bouthillier de Chavigny et Sublet de Noyers, secretaires d’Estat, l’evesque de Meaux, premier aumosnier de Sa Majesté, tenant le livre des saincts Evangiles et canon de la messe sur lequel nous avions les mains posées ; presens les sieurs de Saint Belmont, Sivry, le comte de Ligneville et Berup, colonels de nos troupes. Pour temoignage de quoy nous avons signé ces presentes de nostre main, et à icelles fait apposer nostre scel les an et jour que dessus.
Ainsi signé : Charles, et plus bas I. Le Moleur, et seellé en placard des armes dudit duc. »

Récit du baptême de Louis XIV dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« Les ceremonies du baptesme de monseigneur le Dauphin, à present Louys XIV, à Sainct Germain en Laye le 21 avril 1643
Le feu roy Louis XIII ayant fait ondoyer monseigneur le Dauphin son fils des le jour de sa naissance par monsieur Dominique Seguier, evesque de Meaux et son premier aumosnier, comme a esté remarqué cy dessus à la page 214 de ce livre, Sa Majesté avoit toujours differé la ceremonie du baptesme de ce sien fils aisné jusques au vingt unieme du mois d’avril mil six cens quarante trois, auquel estant indisposée, Elle voulut que l’on baptisast ce prince, et pour ce sujet choisit monsieur le cardinal Jules Mazarin pour parain et madame Charlote Marguerite de Montmorency, femme de feu monseigneur le prince de Condé, pour maraine de Son Altesse royale. Ainsi plusieurs de nos roys ont choisi des ecclesiastiques pour estre les parains de leurs fils aisnez, entre autres saint Louys fit le choix d’Odon ou Eude III, abbé de Saint Denys, pour estre le parain de son fils aisné Louys de France.
Ce fut sur les quatre ou cinq heures du soir du mesme jour que se fit [p. 246] cette royale et saincte ceremonie dans la belle chapelle du vieil chasteau de Sainct Germain en Laye, en cet ordre :
Monseigneur le Dauphin vestu, par dessus son habit ordinaire, d’une robbe de taffetas d’argent, marchoit devant la Reyne et la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante, derriere Son Altesse royale. Apres la Reyne suivoient la susnommée Charlote Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, madame Anne de Montafié, comtesse de Soissons, madame Anne de Bourbon, duchesse de Longueville, et les autres princesses et dames de la cour.
La Reyne et monseigneur le Dauphin estans arrivez en cette royale chapelle, dont le chœur et la nef, le jubé et les galeries et tribunes estans remplis de plusieurs seigneurs et dames qui estoient venues pour voir cette auguste ceremonie, la musique du Roy chanta un motet ravissant, pendant lequel, la Reyne s’estant mise de genoux sur son prié Dieu garny de son drap de pied et carreaux de veloux rouge cramoisy à franges d’or, et monseigneur le Dauphin aussi à genoux aupres de Sa Majesté et à sa droite, la princesse de Condé se tenant aussi à genoux à sa gauche, le susnommé evesque de Meaux, vestu de ses habits et ornemens pontificaux, accompagné de quatre aumosniers de Sadite Majesté, en presence de ces six prelats, tous en rochet et camail, monsieur l’evesque et comte de Beauvais, pair de France et premier aumosnier de la Reyne, de la maison de Potier, monsieur l’evesque de Viviers, de l’illustre maison des comtes de Suze ou de la Baume en Dauphiné, monsieur l’evesque de Riés de la maison de Doni assez conneue à Florence et à Avignon, monsieur l’evesque de Sainct Paul de l’illustre maison d’Ademar de Monteil et comtes de Grignan en Provence, monsieur l’evesque de Coutances de la maison de Matignon, et de monsieur l’evesque du Puy de la maison de Maupas ou des barons du Tour en Champagne, et de plusieurs abbez et de tout le clergé de la chapelle du Roy, sortit de la sacristie et, apres avoir adoré le tres sainct sacrement qui estoit exposé sur l’autel orné de tres riches paremens, il s’approcha du prié Dieu de la Reyne, laquelle luy presenta monseigneur le Dauphin, qui fut ensuite eslevé par la marquise de Lansac sur l’appuy ou acoudoir dudit prié Dieu. Puis le cardinal Mazarin, qui avoit accompagné la Reyne depuis son departement jusques à cette chapelle, passa à la main droite de monseigneur le Dauphin et la princesse de Condé de l’autre costé, selon l’ordre observé en l’Eglise entre les parains et maraines, de laquelle dignité il a plu au Roy de les honorer, Sa Majesté leur ayant temoigné de sa propre bouche que c’estoit pour obligé encore plus estroitement le prince de Condé et Son Eminence à son service et à celuy de monseigneur le Dauphin son fils qu’Elle leur faisoit cet honneur, qui est le plus grand qu’eux ny autres pouvoient jamais recevoir.
Alors la Reyne, tenant par derriere mondit seigneur le Dauphin, qui parut beau comme un ange et fit voit en toute cette saincte action une modestie et retenue extraordinaire à ceux de son age, l’evesque [p. 247] de Meaux, qui l’avoit ondoyé comme a esté rapporté cy dessus, ayant salué Sa Majesté la mitre en teste, demanda ausdits parain et maraine le nom que l’on vouloit donner à ce prince. La princesse de Condé, ayant fait grand compliment à Son Eminence, puis une reverence à la Reyne, le nomma Louys, suivant l’intention de Sa Majesté. En suite de quoy l’evesque continua l’office selon le rituel romain, suivant lequel il exorciza, benit le sel et en mit dans la bouche de ce prince, dix neufieme dauphin de Viennois, Louys de France, quatrieme du nom, qui le receut fort pieusement, et avec une humilité qui ravit toute l’assistance en admiration. Puis, la Reyne luy ayant, ainsi qu’il se pratique en telles ceremonies, decouvert la poitrine et les epaules, l’evesque officiant luy appliqua les sainctes huiles des catechumenes, et à toutes les fois que ce prelat luy dit : Ludovice abrenuncias Sathanae, pompis et operibus ejus ?, il repondit luy mesme autant de fois : Abrenuncio, comme aussi aux trois interrogations qu’il luy fit sur sa creance, selon les termes du mesme rituel, il repondit hardiment autant de fois : Credo. Alors l’evesque luy declara qu’il estoit introduit dans l’Eglise, et tant les parain et maraine que ce prelat et tous les assistans reciterent avec Son Altesse royale à haute voix le symbole des apostres et l’oraison dominicale. Puis l’evesque, obmettant l’infusion de l’eau (qui avoit esté faite à ce prince des le jour de sa naissance le dimanche cinquieme de septembre mil six cens trente huit et qui ne se reitere jamais), la Reyne luy decouvrant la teste, l’evesque luy en oignit le sommet avec le sainct cresme. Ce fait, il luy mit sur la teste le cresmeau, recitant aussi les mots du rituel sur ce sujet, et luy presenta le cierge allumé, que Son Altesse prit elle mesme à deux mains et le tint seule durant le reste de la ceremonie. A la fin de laquelle l’evesque officiant monta à l’autel et donna la benediction solennelle, que toute l’assistance receut à genoux, et la musique du Roy chnta encore ensuite le Regina caeli etc. Puis chacun s’en retourna, merveilleusement satisfait d’avoir assisté à cette saincte et auguste ceremonie, laquelle fut fermée par un remerciement que ce prince vint faire jusque dans la sacristie à l’evesque qui l’avoit baptisé.
Ce dix neufieme dauphin Louys de France, quatrieme du nom, par cette action donna des indices de sa future bonté et pieté, et des asseurances que quand Son Altesse royale seroit plus avancée en age, elle suivroit les vertus de tant de roys et de princes ses ancestres, desquels le nom et la mémoire est en benediction pour leur affection, leur respect et leur sainct zele vers l’Eglise, unique espouse du fils unique de Dieu. La premiere action royale que Son Altesse royale fit des le jeudy Sainct le onzieme de ce mesme mois d’avril en la ceremonie de la Cene, lavant les pieds aux pauvres, ne put estre que de bon augure, estant pareillement de pieté, et un presage qu’il imiteroit le Roy son père, qui avoit fait autrefois une pareille action. »

Récit des retrouvailles de Louis XIII et de son frère à Saint-Germain-en-Laye

« Le XXI du mesme mois, Monsieur arriva à Sainct Germain en Laye, entre une et deux heures apres midy, le Roy ayant desjà disné, ne croyant pas (encore que mondit seigneur en eut donné advis à Sa Majesté) qu’il deut arriver de ce jour là, à cause qu’il faisoit un vent tres fascheux. Le sieur de Sainct Simon, premier escuyer de Sa Majesté, l’alla recevoir à la premiere cour, et le Roy sortit de son cabinet pour l’accueillir en sa chambre, accompagné du comte de Soissons, des ducs de Longueville, de Monbazon et de Chaune, des mareschaux de Chastillon, d’Estrées et de Brezé, du garde des sceaux, du sieur de La Meilleraye, grand maistre de l’artillerie, des surintendans des Finances, secretaires d’Estat, capitaines des gardes du corps et autres seigneurs, gentilhommes et personnes de condition, que la curiosité de cette entreveue tant desirée avoit attirés de Paris en si grand nombre que l’escalier et la sale en estant pleins, Monsieur en penetra la presse avec beaucoup de peine en un quart d’heure.
Rencontrant le Roy, qui l’attendoit prez de la porte de sa chambre, il s’inclina fort bas en luy disant ce peu de mots : Monsieur, je ne scay si c’est la crainte ou la joye qui m’a interdit la parole, il m’en reste pourtant encore pour vous demander le pardon du passé. Sa Majesté, le relevant et l’embrassant, luy repartit : Mon frere, ne parlons pas du passé, mais seulement de nous resjouir de ce que Dieu nous a fait la grace de nous reunir ici, dont je sens une grande joye. Et cela dit, ils s’embrasserent encore [p. 698] deux fois avec de grandes tendresses et tesmoignages d’une affection fraternelle. Le sieur de Puylaurens, se jettant aux piés du Roy, pour luy demander aussi pardon du passé, Sa Majesté le releva et luy dit : Que les bons services qu’il luy avoit rendu nagueres en la personne de son frere luy faisoit oublier toutes les autres choses passées.
Apres ces complimens, le Roy mena Monsieur en son cabinet, où les susdits princes, seigneurs et officiers les suyvirent. Ainsi qu’ils s’entretenoient, le cardinal duc arrivant de Ruel y entra, et salua Monsieur, qui l’embrassa et luy tesmoigna beaucoup d’affection, dont Sa Majesté, recevant un singulier contentement, dit à Monsieur : Mon frere, je vous prie d’aymer monsieur le cardinal, et Monsieur respondit : Monsieur, je l’aimeray comme moy mesme et suis resolu d’en suyvre ses conseils. Les autres gentilshommes qui avoient accompagné mondit seigneur furent appellés au cabinet, et par luy presentés pour faire aussi leurs submissions à Sa Majesté, qui les receut tous favorablement.
Ces actions de reconciliation et de joye estoient si agreables à tous les assistans que desjà deux heures s’estoient passés sans ennuy lorsqu’aucuns, considerans que Monsieur n’avoit pas encore disné, luy dirent qu’il estoit bien temps de disner. A quoy il repartit : Il y a quatre ans que je disne tous les jours sans voir le Roy, je ne puis moins faire que de preferer aujourd’huy ce contentement à mon disner. Mais le Roy mesme luy ayant dit qu’il falloit disner, il s’alla mettre à table en la seconde chambre, où il fut servir par les officiers de Sa Majesté.
La Royne estant arrivée de Paris ce mesme jour à Sainct Germain, Monsieur la salua, et tous deux se rendirent de grands tesmoignages d’affection, de contentement et de joye.
Monsieur, estant rentré au cabinet du Roy pour s’entretenir avec Sa Majesté et la trouvant occupée à ouir des ambassadeurs extraordinaires des Suedois et d’Alemagne, passa le retse de l’apres disnée avec les seigneurs de la Cour, qui luy tesmoignerent tous une extreme resjouissance de son retour. Le soir, il soupa à la table de Sa Majesté et s’entretint apres souper avec Elle.
Le lendemain, mondit seigneur fut regalé à Ruel par le cardinal duc, avec autant d’alegresse que de magnificence, qui se termina par un parfait contentement et satisfaction reciproque, ce qui fit esperer aux assistans que cette reconciliation s’affermiroit tousjours de plus en plus, l’un estant lassé de suyvre des mauvais conseils, et l’autre ne pouvant se lasser d’en bonner de bons, pour le bien de l’Estat et pour la gloire de la France.
Mondit seigneur retourna dez le soir mesme à Sainct Germain, pour prendre congé du Roy et s’en aller à son duché d’Orleans. »

Dupleix, Scipion

Mention des travaux réalisés à Saint-Germain-en-Laye sous le contrôle de François Sublet de Noyers

Parmi les réalisations de François Sublet de Noyers, surintendant des Bâtiments, l’auteur signale :
« Les chasteaux de Saint Germain et de Versailles, qui estoient alors et la demeure ordinaire et les delices du Roy, portent aussi quelques marques de la mesme main ; le premier par la construction du plus beau manege qui soit en France, avec plusieurs autres commoditez necessaires au logement d’une cour royale, et l’autre d’une terrasse de gresserie qui est un tres rare ouvrage de cette espece, avec un rondeau de soixante toises de diametre. »

Fréart de Chambray, Roland

Description par Giovanni Francesco Rucellai des châteaux de Saint-Germain-en-Laye et récit des moments suivant la mort de Louis XIII

« [p. 122] San Germano en l’Aye
Villa Regia con un bellissimo parco, e grandi stradoni, e lungo giuoco di maglio, et un serraglio pieno di tutte le sorte d’animali il castello che chiamano vecchio è assai comodo con un bel cortile di mattoni con loggie, et una bella cappella di li si passa al castel nuovo per un gran prato quale è fabbrica bassa assai, ma però comoda di habitatione con un cortile ovato, e di là dalla sala appuntellata nella prima camera grande fu posto il corpo del Re morto in un letto di velluto rosso trinato d’oro vestito di una camiciuola lina e quattro guardie attorno, e sacerdoti che salmeggiavano, e dirimpetto al letto erono posti tre altari dove la mattina si celebravono messe. Il posto di questo nuovo castello cominciato dalla Reg. Caterina e poi finito da Enrico 4. è bellissimo facendo una superba vista per venir da Parigi perchè dalle [p. 123] radici della collina che è assai bene alta sino al' estremitâ dove egli è posto sono scalinate, ringhiere, e grotte con nicchie di pietre, pilastri, e cornicioni diversi, che pare tutta una facciata seguita ; sotto le scale sono quantità di scherzi di acqua, e fra un piano, e l’altro bellissimi parterri, e spartimenti e da lontano come dissi apparisce una vastissima mole : si esce dalla porta S. Honorato, e si passa tre volte la Senna sopra tre gran ponti, et il primo si chiama il ponte a Nouilli, et è lontano dalla città cinque leghe.
[…]
[p. 188] Il Re morto esposto a S. Germano
Dicono nel havere sparato il Re haver ritrovato lo stomaco pieno di vermi, e fra l’altre uno grandissimo che l’attraversava tutto che per ciò sentiva in vita grandissimi dolori. Fu sempre in questa malattia, come si è detto, devotissimo e faceva ogni mattina dire la messa in camera sua, e si comunicava.
Il Lunedi 18 di Maggio sentendo che ancora a S. Germano stava esposto il corpo del Re per la moltitudine del popolo che andava a vederlo si risolse il sig. Amb. con le ssig. Camerate trasferirvisi, dove arrivato, e passato per il Castello vecchio, nel quale S. M. era stata lungo tempo malata, e dal quale un mese avanti la morte era uscito, e fattosi portare nel Castello nuovo. Un tiro di archibuso lontano dal vecchio, [p. 189] dove passata la sala del puntello nella quale erono alcune guardie si entrava in una gran camera parata di bellissimi arazi d' oro, e seta, dove era il corpo di S. M. posto in un gran letto di velluto rosso trinato d’oro, il quale stava a diacere tenendo sotto il capo due gran cuscini coperto con le lenzuola come se fussi stato malato ; ma però scoperto dalla cintura in su, e vestito d’una camicivola bianca, et un berrettino da notte in capo bianco con giglietti, e con un Crocifisso fra le mani, e per essere egli nella lunga malattia assai estenuato li havevano dipinto il viso che pareva sano con le basette aricciate, e la sua zazzera molto bene accomodata ; il letto era tutto aperto per lasciare libera la vista al popolo che numeroso da Parigi, e d’altrove concorreva e non volle il Re essere trattato come è di costume dei Re e persone grandi della Francia prohibendolo espressamente per suo testamento cioè di tenere il corpo del Re morto, o l’effigie sua al naturale, in un simile letto con gran pompa per spatio di 40 giorni continui, servendolo a tavola, e di tutti gli altri ministerij come si fussi vivo, come seguì pochi mesi sono al cadavero del Cardle di Richelieu. Volse dunque il Re esser trattato privatamente e nè meno esser vestito col manto Reale, nè con Corona, o scettro. A piedi del letto era una gran Croce d’oro ritta, con 12 candellieri similmente d’oro con candele accese, et a i quattro angoli del letto erono da capo due guardie scozese dette del corpo, con la loro sopra veste ricamata, coperta [p. 190] di velo nero, con le loro partigiane, e da piedi due Araldi d’arme con le loro sopra veste di velluto con gigli d’oro coperta del medesimo velo nero, si come una maza ancora d’argento che tengono in mano, erano a dirimpetto al letto tre Altari, dove continuamente la mattina si celebravano messe, et intorno al letto erano accomodate alcune panche per comodità di molti Padri di diverse Religioni che salmeggiavano assistendovi ancora alcuni Vescovi, e Prelati.
Allato a questa camera ne era un altra non troppo grande, dove mori S. M. Si riscontrorono nel ritorno per la strada molte compagnie di cavalli che andavano a S. Germano per accompagnare il cadavero del Re a S. Dionigi il giorno seguente, come segui accompagnato ancora da fanteria in sul farsi notte con solo trecento torcie e privatamente. »

Rucellai, Giovanni Francesco

Récit par la Grande Mademoiselle de séjours de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 11] Vers la fin de l’hiver [décembre 1637], la Reine devint grosse ; elle desira que j’allasse demeurer à Saint Germain. Durant sa grossesse, dont l’on fit beaucoup de mystere, le cardinal de Richelieu, qui n’aimoit point Monsieur, n’etoit pas bien aise que personne qui lui appartient fut auprès de Leurs Majestés ; et quoiqu’il m’eut tenue sur les fonts de bapteme avec la Reine, quoiqu’il me dit, toutes les fois qu’il me voyoit, que cette alliance spirituelle l’obligeoit à prendre soin de moi et qu’il me marieroit, discours qu’il me tenoit ainsi qu’aux enfans, à qui on redit incessamment la meme chose, quoiqu’il temoignat avoir beaucoup d’amitié pour moi, l’on eut néanmoins bien de la peine à lever tous les scrupules que sa mefiance lui faisoit avoir. Quand il eut consenti à mon voyage, j’allai à Saint Germain avec une joie infinie : j’etois si innocente que j’en avois de voir la Reine dans cet etat, et que je ne faisois pas la moindre reflexion sur le prejudice que cela faisoit à Monsieur, qui avoit une amitié si cordiale pour elle et pour le Roi qu’il ne laissa pas d’en etre aise et de le temoigner. L’assiduité que j’avois auprès de la Reine m’en faisoit recevoir beaucoup de marques de bonté et elle me disoit toujours : « Vous serez ma belle fille », mais je n’ecoutois de tout ce que l’on me disoit que ce qui etoit de la portée de mon age.
La cour etoit fort agreable alors : les amours du Roi pour madame de Hautefort, qu’il tachoit de divertir tous les jours, y contribuoient beaucoup. La chasse etoit un des plus grands plaisirs du Roi ; nous y allions souvent avec lui : madame de Beaufort, Chemeraut et Saint Louis, filles de la Reine, d’Escars, sœur de madame de Hautefort, et Beaumont, venoient avec moi. Nous etions toutes vetues de couleur, sur de belles haquenées richement caparaçonnées, et pour se garantir du soleil, chacune avoit un chapeau garni de quantité de plumes. L’on disposoit toujours la chasse du coté de quelques belles maisons, où l’on trouvoit de grandes collations, et au retour le Roi se mettoit dans mon carrosse entre madame de Hautefort et moi. Quand il etoit de belle humeur, il nous entretenoir fort agreablement de toutes choses. Il souffroit dans ce temps là qu’on lui parlat avec assez de liberté du cardinal de Richelieu, et une marque que cela ne lui deplaisoit pas, c’est qu’il en parloit lui meme ainsi. Sitot que l’on etoit revenu, on alloit chez la Reine ; je prenois plaisir à la servir à son souper, et ses filles portoient les plats. L’on avoit, reglement trois fois la semaine, le divertissement de la musique, que celle de la chambre du Roi venoit donner, et la plupart des airs qu’on y chantoit etoient de sa composition ; il en faisoit meme les paroles, et le sujet n’etoit jamais que madame de Hautefort. Le Roi etoit quelquefois dans une si galante humeur qu’aux collations qu’il nous donnoit à la campagne, il ne se mettoit point à table, et nous servoit presque toutes, quoique sa civilité n’eut qu’un seul objet. Il mangeoit après nous et sembloit n’affecter pas plus de complaisances pour madame de Hautefort que pour les autres, tant il avoit peur que quelqu’une s’aperçut de sa galanterie. S’il arrivoit quelque brouillerie entre eux, tous les divertissemens etoient sursis ; et si le Roi venoit dans ce temps là chez la Reine, il ne parloit à personne et personne aussi n’osoit lui parler ; il s’asseyoit dans un coin, où le plus souvent il bailloit et s’endormoit. C’etoit une melancolie qui refroidissoit tout le monde, et pendant ce chagrin il passoit la plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avoit dit à madame de Hautefort et ce qu’elle lui avoit répondu : chose si veritable qu’après sa mort l’on a trouvé dans sa cassette de grands procès verbaux de tous les demelés qu’il avoit eus avec ses maitresses, à la louange desquelles l’on peut dire, aussi bien qu’à la sienne, qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses.
[1638] Sur la fin de la grossesse de la Reine, madame la Princesse et madame de Vendôme vinrent à Saint Germain et y amenerent mesdemoiselles leurs filles. Ce me fut une compagnie nouvelle : elles venoient se promener avec moi, et le Roi s’en trouva fort embarrassé ; il perdoit contenance quand il voyoit quelqu’un à qui il n’etoit pas accoutumé, comme un simple gentilhomme qui seroit venu de la campagne à la cour. C’est une assez mauvaise qualité pour un grand roi, et particulièrement en France, où il se doit souvent faire voir à ses sujets, dont l’affection se concilie plutot par le bon accueil et la familiarité, que par l’austere gravité dont ceux de la maison d’Autriche ne sortent jamais. Monsieur vint aussi à la cour, et peu après la Reine accoucha d’un fils. La naissance de monseigneur le Dauphin me donna une occupation nouvelle : je l’allois voir tous les jours [p. 12] et je l’appelois mon petit mari ; le Roi s’en divertissoit et trouvoit bon tout ce que je faisois. Le cardinal de Richelieu, qui ne vouloit pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumat à moi, me fit ordonner de retourner à Paris. La Reine et madame de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le Roi et la Reine ; Leurs Majestés me temoignerent beaucoup de sentimens d’amitié, et surtout la Reine, qui me fit connoitre une tendresse particuliere en cette occasion. Après ce deplaisir, il m’en fallut essuyer encore un autre. L’on me fit passer par Ruel pour voir le cardinal, qui y faisoit sa demeure ordinaire quand le Roi etoit à Saint Germain.
[…]
[p. 14] Le Roi partit de Paris pour le voyage de Roussillon au mois de fevrier de l’année 1642 ; il laissa la Reine et ses deux enfans à Saint Germain en Laye, après avoir donné tous les ordres et pris toutes les precautions possibles pour leur sureté. Ces deux princes etoient sous la charge de madame de Lansac, en qualité de leur gouvernante ; et pour leur garde ils n’eurent qu’une compagnie du regiment des gardes françoises, dont le bonhomme Montigny etoit capitaine, le plus ancien de tout le regiment. Ces deux personnes là eurent chacun un ordre particulier : celui qu’eut madame de Lansac etoit qu’en cas que Monsieur, qui demeuroit à Paris le premier après le Roi, vint voir la Reine, de dire aux officiers de la compagnie de demeurer auprès de monseigneur le Dauphin et de ne pas laisser entrer Monsieur, s’il venoit, accompagner de plus de trois personnes. Quant à Montigny, le Roi lui donna une moitié d’ecu d’or, dont il garda l’autre, avec commandement exprès de ne point abandonner la personne des deux princes qu’il gardoit ; et s’il arrivoit qu’il reçut ordre de les transferer ou de les remettre en les mains de quelque autre, il lui défendit d’y obeir, quand meme il le verroit ecrit de la main de Sa Majesté, si ce n’etoit que celui qui le lui rendroit lui presentat en meme temps l’autre moitié de l’ecu d’or qu’il retenoit.
[…]
[p. 19] Peu après que l’on eut mis madame la comtesse de Fiesque auprès de moi, le Roi tomba malade de la maladie qu’il avoit eue devant le voyage de Perpignon. Cela m’obligeoit à lui rendre mes devoirs, et j’allois souvent [à] Saint Germain. Le Roi prenoit plaisir à mes visites, et me faisoit toujours fort bonne mine ; aussi n’en revenois je jamais que vivement touché de son mal, dont chacun auguroit que la suite seroit funeste. En effet, au commencement du mois d’avril suivant, peu après la disgrâce du sieur des Noyers dont j’ay parlé, il commença à empirer, et ne fit que languir et souffrir jusqu’au [p. 20] quatorzième jour de mai, qui fut celui de son décès. Si le pitoyable état où la maladie avoit réduit son corps donnoit de la compassion, les pieux et généreux sentimens de son ame donnoient de l’edification : il s’entretenoit de la mort avec une résolution toute chretienne ; il s’y etoit si bien preparé, qu’à la vue de Saint Denis par les fenetres de la chambre du chateau neuf de Saint Germain, où il s’etoit mis pour etre en plus bel air qu’au vieux, il montroit le chemin de Saint Denis, par lequel on meneroit son corps ; il faisoit remarquer un endroit où il y avoit un mauvais pas, qu’il recommandoit qu’on evitat, de peur que le chariot ne s’embourbat. J’ai meme ouï dire que durant sa maladie il avoit mis en musique le De profundis qui fut chanté dans sa chambre incontinent après sa mort, comme c’est la coutume de faire aussitot que les rois sont decedés. Il ordonna avec la meme tranquilité d’esprit ce qui seroit à faire pour le bien de l’administration de son royaume quand il seroit mort.
[…]
[p. 47] Peu après, Leurs Majestés sortirent de Paris sous pretexte de faire nettoyer le Palais Royal, et allerent à Ruel. Le chateau de Saint Germain etoit occupé par la reine d’Angleterre, dont le fils, M. le prince de Galles, etoit allé en Hollande. […]
Pendant que la cour etoit à Ruel, le parlement s’assembloit tous les jours pour le meme sujet qu’il avoit commencé : c’etoit pour la révocation de la paulette, et il continuoit à fronder M. le cardinal ; ce qui avoit plus contribué à faire aller la cour à Ruel que le nettoiement du Palais Royal. L’absence du Roi augmenta beaucoup la licence et la liberté avec laquelle l’on parloit dans Paris et le parlement. Ce corps fit meme quelques demarches qui deplurent à la cour ; de sorte qu’elle fut obligée d’aller à Saint Germain, d’où la reine d’Angleterre delogea et vint à Paris. Monsieur, qui couchoit quelquefois à Ruel, y etoit pendant ce temps là et manda à Madame de quitter Paris et d’emmener avec elle ses deux filles, qui etoient très petites, ma sœur d’Orleans et ma sœur d’Alençon. Madame la Princesse manda M. le duc d’Enghien, son petit fils ; et je me trouvai assez embarrassée d’etre la seule de la maison royale à Paris à laquelle on ne mandoit rien. Comme l’on ne doit jamais balancer à faire son devoir, quoique notre inclination ne nous y porte pas, je m’en allai à Ruel, et j’arrivai comme la Reine alloit partir pour Saint Germain. Elle me demanda d’où je venois : je lui dis que je venois de Paris et que, sur le bruit de son départ, je m’etois rendue auprès d’elle pour avoir l’honneur de l’accompagner, et que, quoiqu’elle ne m’eut pas fait l’honneur de me le commander, il m’avoir semblé que je ne pouvois manquer à faire ce à quoi j’etois obligée, et que j’esperois qu’elle auroit assez de bonté pour l’avoir agreable. Elle me repondit par un sourire que ce que j’avois fait ne lui deplaisoit pas, et que c’etoit beaucoup pour moi, après la maniere dont on m’avoit traitée, de voir que l’on me souffroit. Quoique mon procedé meritat bien qu’ils en eussent un obligeant pour moi pour reparer le passé, je temoignai à Monsieur et à l’abbé de La Rivière que je n’etois pas contente que l’on eut envoyé querir jusques aux petits enfans, et qu’à moi l’on ne m’eut dit mot. La reponse ne fut que de gens fort embarrassés. Quand l’on manque envers des personnes qui ne manquent jamais, leur conduite nous coute beaucoup de confusion, et pour l’ordinaire, dans cet etat, l’on tient des discours meilleurs à etre oubliés qu’à etre retenus. Pendant ce voyage, je ne fis ma cour que par la nécessité qui m’y obligeoit. J’etois logée dans la meme maison que la Reine : je ne pouvois manquer de la voir tous les jours ; ce n’etoit pas avec le meme soin et la meme assiduité que j’avois fait depuis la regence : aussi n’y avois-je pas les memes agremens. […]
[p. 48] Pendant que la cour etoit à Saint Germain, on fit force allées et venues pour s’accommoder avec le parlement. Ils envoyerent des deputés qui confererent avec M. le cardinal, en vertu d’une declaration que le Roi donna. Elle est si celebre que, quand il n’y auroit que les registres du parlement qui en feroient mention, ce seroit assez pour m’en dispenser d’en dire davantage. L’on disoit alors (et je l’ai encore oui dire depuis) qu’elle auroit eté fort utile pour le bien de l’Etat et le repos public, si elle fut demeurée en son entier. Il est à croire qu’elle n’est pas tout à fait conforme à l’autorité du Roi, puisqu’il [p. 49] sembloit qu’elle avoit eté obtenue quasi par force, et donnée à dessein d’apaiser les troubles dont l’on etoit menacé si on l’eut refusée. Les connoisseurs et les politiques jugeront mieux que je ne pourrois faire si on a eu raison de l’enfreindre.
Madame accoucha, pendant le séjour de Saint Germain, d’une fille que l’on appela mademoiselle de Valois ; comme elle est délicate, elle ne put venir à Paris avec la Cour, qui partit la veille de la Toussaint pour s’y rendre.
[…]
[p. 49] Pendant que la Cour fut à Paris, elle n’y eut pas tout le contentement qu’elle pouvoit desirer ; cela obligea M. le cardinal de conseiller d’en sortir : ce qui etoit un dessein un peu hardi lorsqu’on consideroit l’incertitude de l’evenement. Comme Monsieur et M. le Prince etoient les gens les plus interessés au bien de l’Etat, il voyoit que selon toute vraisemblance ils en devoient etre les maîtres, et que ce qui pourroit arriver de ce conseil tomberoit plutôt sur eux que sur lui. La suite a fait voir que l’on eut pu se passer de ce voyage, qui a eté cause de tous les facheux troubles qui ont suivi, et de l’absence de M. le Prince, qui est à compter pour beaucoup. Monsieur et M. le Prince disoient que le cardinal eut beaucoup de peine à les faire consentir à ce dessein ; ils y consentirent enfin, et ils disent aussi s’en etre bien repentis depuis : ils l’ont dû faire, ils en ont bien pati tous deux. Monsieur avoir la goutte depuis quelque temps, et deux jours avant le départ la Reine alla tenir conseil chez lui ; ce fut là que la dernière résolution de ce voyage se prit. L’on trouva que la nuit du jour des Rois etoit propre pour ce dessein, pendant que tout le monde seroit en débauche, afin d’etre à Saint Germain avant que personne s’en aperçût. J’avois soupé ce jour là chez Madame, et toute la soirée j’avois eté dans la chambre de Monsieur, où quelqu’un de [p. 50] ses gens me vint dire en grand secret que l’on partoit le lendemain, ce que je ne pouvois croire à cause de l’etat où Monsieur etoit. Je lui allai debiter cette nouvelle par raillerie ; le silence qu’il garda là dessus me donna lieu de soupçonner la verité du voyage. Il me donna le bonsoir un moment après, sans avoir rien répondu. Je m’en allai dans la chambre de Madame ; nous parlames longtemps là dessus : elle etoit de la meme opinion que moi, que le silence de Monsieur marquoit la verité de ce voyage. Je m’en allai à mon logis assez tard.
Entre trois et quatre heures du matin, j’entendis heurter fortement à la porte de ma chambre ; je me doutai bien de ce que c’etoit : j’éveillai mes femmes et envoyai ouvrir ma porte. Je vis entrer M. de Comminges ; je lui demandai : « Ne faut il pas s’en aller ? » Il me repondit : « Oui, Mademoiselle ; le Roi, la Reine et Monsieur vous attendent dans le Cours, et voilà une lettre de Monsieur ». Je la pris, la mis sous mon chevet et lui dis : « Aux ordres du Roi et de la Reine, il n’est pas necessaire d’en joindre de Monsieur pour me faire obeir ». Il me pressa de la lire ; elle contenoit seulement que j’obeisse avec diligence. La Reine avoit désiré que Monsieur me donnat cet ordre, dans l’opinion que je n’obeirois pas au sien et que j’aurois été ravie de demeurer à Paris pour me mettre d’un parti contre elle ; car contre le Roi, je ne vis jamais personne qui avouat d’en avoit eté, c’est toujours contre quelque autre personnage que le Roi. Si elle ne s’etoit pas plus trompée en tout ce qu’elle auroit pu prevoir qu’en cette crainte, elle auroit eté plus heureuse et auroit eu moins de chagrin. Jamais rien ne fut si vrai que ce que j’ai pensé cent fois depuis.
Au moment que M. de Comminges me parla, j’etois toute troublée de joie de voir qu’ils alloient faire une faute, et d’etre spectatrice des miseres qu’elle leur causeroit : cela me vengeoit un peu des persécutions que j’avois souffertes. Je ne prevoyois pas alors que je me trouverois dans un parti considerable, où je pourrois faire mon devoir et me venger en meme temps : cependant, en exerçant ces sortes de vengeances, l’on se venge bien contre soi-meme. Je me levai avec toute la diligence possible, et je m’en allai dans le carrosse de Comminges ; le mien n’etoit pas pret, ni celui de la comtesse de Fiesque. La lune finissoit, et le jour ne paroissoit pas encore ; je recommandai à la comtesse de Fiesque de m’amener au plus tot mon équipage. Lorsque je montai dans le carrosse de la Reine, je dis : « Je veux etre au devant ou au derriere du carrosse, je n’aime pas le froid et je veux etre à mon aise ». C’etoit en intention d’en faire ôter madame la Princesse, qui avoit accoutumé d’etre en l’une des deux places. La Reine me répondit : « Le Roi mon fils et moi nous y sommes, et madame la Princesse la mere ». Je repondis : « Il l’y faut laisser, les jeunes gens doivent les bonnes places aux vieux ». Je demeurai à la portiere avec M. le prince de Conti ; à l’autre etoit madame la Princesse la fille et madame de Seneçay. La Reine me demanda si je n’avois pas eté bien surprise ; je lui dis que non, et que Monsieur me l’avoit dit, quoiqu’il n’en fut rien. Elle me pensa surprendre en cette menterie, parce qu’elle me demanda : « Comment vous etes vous couchée ? » Je lui repondis : « J’ai eté bien aise de faire provision de sommeil, dans l’incertitude si j’aurois mon lit cette nuit ». Jamais je n’ai vu une creature si gaie qu’elle etoit ; quand elle auroit gagné une bataille, pris Paris, et fait pendre tous ceux qui lui auroient deplu, elle ne l’auroit pas plus eté, et cependant elle etoit bien eloignée de tout cela.
Comme l’on fut arrivé à Saint Germain (c’etoit le jour des Rois), l’on descendit droit à la chapelle pour entendre la messe, et tout le reste de la journée se passa à questionner tous ceux qui arrivoient, sur ce que l’on disoit et faisoit à Paris. Chacun en parloit à sa mode, et tout le monde etoit d’accord que personne ne temoignoit de deplaisir du depart du Roi. L’on battoit le tambour par toute la ville, et chacun prit les armes. J’etois en grande inquiétude de mon equipage ; je connoissois madame la comtesse de Fiesque d’une humeur timide mal à propos, et dont je craignois de patir, comme je fis : elle ne voulut point sortir de Paris dans la rumeur, ni faire passer mon équipage : ce qui m’etoit le plus necessaire ; quant à elle, je m’en serois bien passée. Elle m’envoya un carrosse, qui passa parmi les plus mutins sans qu’on lui dit rien ; le reste auroit passé de meme. Ceux qui etoient dedans reçurent toutes sortes de civilités, quoique ce fut de la part de gens qui n’en font guère ; et cela me fut rapporté. Elle m’envoya dans ce carrosse un matelas et un peu de linge. Comme je me vis en si mauvais équipage, je m’en allai chercher secours au chateau neuf, où logeoient Monsieur et Madame, qui me preta deux de ses femmes de chambre : comme elle n’avoit pas toutes ses hardes non plus que moi, le tout alla plaisamment. Je me couchai dans une fort belle chambre en galetas, bien peinte, bien dorée et grande, avec peu de feu, et point de [p. 51] vitres ni de fenetres, ce qui n’est pas agreable au mois de janvier. Mes matelas etoient par terre, et ma sœur, qui n’avoit point de lit, coucha avec moi. Il falloit chanter pour l’endormir, et son somme ne duroit pas longtemps ; elle troubla fort le mien ; elle se tournoit, me sentoit auprès d’elle, se reveilloit et crioit qu’elle voyoit la bete ; de sorte que l’on chantoit de nouveau pour l’endormir, et la nuit se passa ainsi. Jugez si j’etois agréablement pour un personne qui avoit peu dormi l’autre nuit, et qui avoit eté malade tout l’hiver de maux de gorge et d’un rhume violent ! Cependant toute cette fatigue me guerit. Heureusement pour moi les lits de Monsieur et de Madame vinrent : Monsieur eut la bonté de me donner sa chambre, il avoit couché dans un lit que M. le Prince lui avoit prêté. Comme j’etois dans la chambre de Monsieur, où l’on ne savoit point que je logeasse, je me reveillai par le bruit que j’entendis ; j’ouvris mon rideau : je fus fort étonnée de voir ma chambre toute pleine de gens à grands collets de buffle, qui furent fort étonné de me voir, et que je connoissois aussi peu qu’ils me connoissoient. Je n’avois point de linge à changer, et l’on blanchissoit ma chemise de nuit pendant le jour, et ma chemise de jour pendant la nuit ; je n’avois point mes femmes pour me coiffer et habiller, ce qui est très incommode ; je mangeois avec Monsieur, qui fait très mauvaise chère. Je ne laissois pas pour cela d’etre gaie, et Monsieur admiroit que je ne me plaignois de rien. Pour Madame, elle n’etoit pas de meme : aussi suis je une créature qui ne m’incommode de rien, et fort au dessus des bagatelles. Je demeurai ainsi dix jours chez Madame, au bout desquels mon equipage arriva, et je fus fort aise d’avoir toute mes commodités. Je m’en allai loger au chateau vieux, où etoit la Reine ; j’etois resolue, si mon equipage ne fut venu, d’envoyer à Rouen me faire faire des hardes et un lit : et pour cela je demandai de l’argent au tresorier de Monsieur, et l’on m’en pouvoit bien donner, puisque l’on jouissoit de mon bien ; si l’on m’en eut refusé, je n’aurois pas laissé de trouver qui m’en eut preté. […]
Les occasions de combat ne furent pas frequentes pendant cette guerre : elle dura peu, et l’on fut longtemps à Saint Germain sans que les troupes qui devoient assiéger Paris fussent venues. L’on n’eut jamais dessein de l’assieger dans les formes ; la circonvallation eut été un peu trop grande, et l’armée trop petite. L’on se contenta de la separer en deux quartiers, l’un à Saint Cloud et l’autre à Saint Denis : c’etoit celui de Monsieur, et l’autre de M. le Prince. L’on prenoit quelquefois des charrettes de pain de Gonesse et quelques bœufs, et l’on venoit le dire en grande hate à Saint Germain : l’on faisoit des prisonniers, et c’etoient gens peu considerables. La grande occasion fut à Charenton, que l’on prit en deux heures ; Monsieur et M. le Prince y etoient en personne : ils y assistèrent tous deux à leur ordinaire, et celui qui le defendoit s’appeloit Clanleu. Il avoit eté à Monsieur, et l’avoit quitté : il ne vouloit point de quartier. M. de Châtillon y fut blessé, et mourut le lendemain au bois de Vincennes, [p. 52] et M. de Saligny, tous deux de la maison de Coligny. Il arriva une aventure assez remarquable, et qui paroît plutôt un roman qu’une vérité. Le marquis de Cugniac, petit fils du vieux marechal de La Force, qui etoit dedans, voulut se sauver et se jeter sur un bateau ; la riviere etoit gelée et un glaçon le porta de l’autre côté de l’eau, et meme plusieurs ont dit qu’il le porta jusqu’à Paris.
Après cet exploit, les deux armées furent assez longtemps en bataille entre le bois de Vincennes et Piquepus, et personne ne se battit. L’on eut une grande joie à Saint Germain de cette expedition : il n’y eut que madame de Châtillon qui fut affligée. Son affliction fut moderée par l’amitié que son mari avoit pour mademoiselle de Guerchy, et meme dans le combat il y avoit une de ses jarretieres nouée à son bras : comme elle etoit bleue, cela la fait remarquer, et en ce temps là l’on n’avoit pas encore vu d’écharpe de cette couleur. La magnificence n’etoit pas grande à Saint Germain : personne n’avoit tout son équipage ; ceux qui avoient des lits n’avoient point de tapisseries, et ceux qui avoient des tapisseries n’avoient point d’habits, et l’on y etoit très pauvrement. Le Roi et la Reine furent longtemps à n’avoir que des meubles de M. le cardinal. Dans la crainte que l’on avoit à Paris de laisser sortir les effets du cardinal sous pretexte que ce fussent ceux du Roi et de la Reine, ils ne vouloient rien laisser sortir, tant l’aversion etoit grande. Cela n’est pas sans exemple que les peuples soient capables de haïr et d’aimer les memes gens en peu de temps, et surtout les François. Le Roi et la Reine manquoient de tout, et moi j’avois tout ce qu’il me plaisoit, et ne manquois de rien. Pour tout ce que j’envoyois quérir à Paris, l’on donnoit des passeports, on l’escortoit ; rien n’etoit égal aux civilités que l’on me faisoit.
La Reine me pria d’envoyer un chariot pour emmener de ses hardes ; je l’envoyai avec joie, et l’on en a assez d’etre en état de rendre service à de telles gens, et de voir que l’on est en quelque consideration. Parmi les hardes que la Reine fit venir, il y avoit un coffre de gants d’Espagne ; comme on les visitoit, les bourgeois commis pour cette visite, qui n’etoient pas accoutumés à de si fortes senteurs, eternuerent beaucoup, à ce que rapporta le page que j’avois envoyé, et qui etoit mon ambassadeur ordinaire. La Reine, Monsieur et M. le cardinal rirent fort à l’endroit de cette relation, qui etoit sur les honneurs qu’il avoit reçus à Paris. Il etoit entré au parlement à la grand’chambre, où il avoit dit que je l’envoyois pour apporter des hardes que j’avois laissées à Paris ; on lui dit que je n’avois qu’à témoigner tout ce que je desirerois, que je trouverois la compagnie toujours pleine de tout le respect qu’elle me devoit, et enfin ils lui firent mille honnetetés pour moi. Mon page disoit aussi qu’en son particulier on lui en avoit beaucoup fait. Il ne fut point etonné de parler devant la Reine et M. le cardinal ; pour Monsieur, il l’avoit vu souvent, et lui alloit parler de ma part. Il eut une longue audience, il fut fort questionné : il avoit vu tout ce qui se passoit à Paris, où je ne doute pas qu’on ne l’eût aussi beaucoup questionné ; et pour un garçon de quatorze ou quinze ans, il se demela fort bien de cette commission. Depuis, Monsieur et toute la cour ne l’appeloient plus que l’ambassadeur ; et quand je fus à Paris, il alloit voir tous ces messieurs, et etoit si connu dans le parlement qu’il y recommandoit avec succès les affaires de ses amis. […]
[p. 53] La Reine alloit tous les jours aux litanies à la chapelle, et elle se mettoit dans un petit oratoire au bout de la tribune où les autres demeuroient ; et comme la Reine demeuroit longtemps après qu’elles etoient dites, celles qui n’avoient pas tant de dévotion s’amusoient à causer, et l’on observa que M. de Saint Mesgrin parloit à madame la Princesse. Pour moi, je n’en voyois rien : j’etois dans l’oratoire avec la Reine, où le plus souvent je m’endormois, parce que je n’etois pas une demoiselle à si longues prières ni à méditations. […]
Quand l’on parla de paix, je m’en souciois peu : je ne songeois en ce temps là qu’à mes divertissemens. Je me plaisois fort à Saint Germain, et j’aurois souhaité y pouvoir passer toute ma vie. Le bien public n’etoit pas alors trop connu de moi non plus que celui de l’Etat, quoique par ma naissance on y ait assez d’intérêt ; mais quand on est fort jeune et fort inapliquée, on a pour but que le plaisir de son âge. Il y eut plusieurs conferences à Ruel avec M. le Prince et le cardinal Mazarin : comme le detail en est su de tout le monde, je ne m’embarquerai ici en aucune affaire, parce que je n’en ai pas une parfaite connoissance ; et pour ne m’en pas donner la peine, je dirai seulement que je ne crois pas qu’elle fut fort avantageuse au Roi. Je fus des premieres qui allai à Paris dès que la paix fut faite ; je demandai congé à la Reine et à Monsieur d’y aller ; madame de Carignan y vint avec moi. Comme je n’y avois aucune affaire, je n’aurois pas demandé congé si je n’avois eu un beau prétexte, savoir de visiter la reine d’Angleterre sur la mort du roi, son mari, auquel le parlement d’Angleterre avoit fait couper la cour il n’y avoit que deux mois. L’on n’en porta point le deuil à la Cour, c’est à dire comme on l’auroit dû ; il n’y eut que les personnes et point les équipages, faute d’argent : la raison est bien [p. 54] pauvre. Quand j’ai parlé ci devant de la miserable situation où l’on etoit, j’avois oublié de dire que nous etions à Saint Germain en l’etat où nous voulions mettre Paris : l’intention etoit de l’affamer, et néanmoins les habitans y avoient tout en abondance, et à Saint Germain l’on manquoit souvent de vivres ; les troupes qui etoient aux environs prenoient tout ce qu’on y apportoit. Ainsi l’on etoit quasi affamé : ce qui faisoit souvent dire que M. le cardinal ne prenoit pas bien ses mesures, et que c’etoit ce qui empêchoit les affaires de bien réussir.
[…]
[p. 60] Le roi d’Angleterre, qui ne devoit etre que quinze jours en France, y fut trois mois. Comme la cour etoit à Paris, et lui avec la reine, sa mere, à Saint Germain, on les voyoit peu. Lorsque je suis qu’il etoit sur son départ, j’allai rendre mes devoirs à la reine, sa mere, et prendre congé de lui. La reine d’Angleterre me dit : « Il faut se réjouir avec vous de la mort de l’imperatrice : il y a apparence que si cette affaire a manqué autrefois, elle ne manquera pas celle ci ». Je lui répondis que c’etoit à quoi je ne songeois pas. Elle poursuivit ce discours, et me dit : « Voici un homme qui est persuadé qu’un roi de dix huit ans vaut mieux qu’un empereur qui en a cinquante, et quatre enfans ». Cela dura longtemps en manière de picoterie, et elle disoit : « Mon fils est trop gueux et trop miserable pour vous ». Puis elle se radoucit et me montra une dame angloise dont son fils etoit amoureux, et me dit : « Il apprehende tout à fait que vous ne le sachiez, voyez la honte qu’il a de la voir où vous etes, dans la crainte que je ne vous le dise ». Il s’en alla. Ensuite, la reine me dit : « Venez dans mon cabinet ». Comme nous y fumes, elle ferma la porte et me dit : « Le roi, mon fils m’a priée de vous demander pardon si la proposition que l’on vous a faite à Compiègne vous a deplu : il en est au desespoir, c’est une pensée qu’il a toujours et de laquelle il ne peut se defaire ; pour moi, je ne voulois pas me charger de cette commission ; il m’en a priée si instamment que je n’ai jamais pu m’en défendre. Je suis de votre avis : vous auriez été miserable avec lui, et je vous aime trop pour l’avoir pu souhaiter, quoique ce fut son bien que vous aussiez été compagne de sa mauvaise fortune. Tout ce que je puis souhaiter, est que son voyage soit heureux, et qu’après vous veuillez bien de lui ». Je lui fis là dessus mes complimens le miex qu’il me fut possible. »
[…]
[p. 375] [1662] Le Roi se promenoit souvent pendant l’hiver avec la Reine : il avoit eté avec elle deux ou trois fois à Saint Germain, et l’on disoit qu’il avoit regardé La Motte Houdancourt, une des filles de la Reine, et que La Valliere en etoit jalouse.
[…]
[p. 392] [1665] La Cour alla à Saint Germain et faisoit souvent des voyages à Versailles. Madame s’y blessa et y accoucha d’une fille qui etoit morte il y avoit dejà dix ou douze jours ; elle etoit quasi pourrie ; ce fut une femme de Saint Cloud qui la servir : l’on n’eut pas le temps d’aller à Paris en chercher une. On eveilla le Roi et l’on fit chercher le curé de Versailles, pour voir si cette fille etoit en état d’etre baptisée. Madame de Thianges lui dit de prendre garde à ce qu’il feroit : qu’on ne refusoit jamais le bapteme aux enfans de cette qualité. Monsieur, à la persuasion de l’eveque de Valence, vouloit qu’on l’enterrat à Saint Denis. J’etois à Paris ; j’allai droit à Versailles pour rendre ma visite à Madame. Dès le meme soir, Monsieur alla coucher à Saint Germain, où je trouvai la Reine affligée de ce que cette fille n’avoit pas eté baptisée, et blamoit Madame d’en etre cause par toutes les courses qu’elle avoit faites sans songer qu’elle etoit grosse. Madame disoit qu’elle ne s’etoit blessée que de l’inquietude qu’elle avoit eue que le duc d’York n’eut été tué, parce qu’on lui avoit parlé d’une bataille qu’il venoit de donner sur mer, sans lui dire s’il en etoit revenu.
On laissa Madame dès le meme jour de ses couches, parce que la reine mère d’Angleterre arrivoit et qu’on vouloit lui laisser le logement de Versailles : elle venoit de voir son fils. Le Roi alla au devant d’elle jusqu’à Pontoise dans l’abbaye de Saint Martin, dont Edme de Montaigu etoit abbé. La reine mère d’Angleterre, arrivée comme je le viens de dire, ne paroissoit pas satisfaite de la beauté de sa belle fille ; elle etoit charmée de sa pieté et disoit qu’elle n’avoit jamais tant vu prier Dieu ni de si bonne foi qu’elle le faisoit.
Je ne fus pas longtemps à la cour, parce que la saison de prendre les eaux de Forges venoit. Je m’y en allai ; j’avois dejà commencé à boire qu’il vint un courrier m’avertir que la Reine mere se mouroit. Je partis en relais de carrosse, j’arrivais à dix heures du roi à Pontoise, où l’assemblée du clergé se tenoit. J’y trouvai M. l’archeveque de Paris, qui l’etoit en ce temps là de Rouen, qui me dit que la Reine mère se portoit mieux. Je m’en allai coucher aux Carmelites : le lendemain, j’allais diner à Saint Germain, où le Roi, la Reine et la Reine mere me temoignèrent mille amitiés sur l’empressement avec lequel j’etois venue. Je vis que la maladie n’etoit plus dangeureuse : je m’en retournai continuer de prendre les eaux.
[…]
[p. 394] [20 janvier 1666] J’entendis sonner la grosse clocher de Notre-Dame : comme on ne le fait jamais que dans de grandes occasions, je dis : « L’on croit la Reine morte ». Un moment après Monsieur fit un grand cri ; le medecin entra, le Roi lui dit : « Elle est donc [p. 395] morte ! » Il lui dit : « Oui, Sire ». Il me dit à pleurer comme un homme penetré de douleur. Madame de Fleix porta ses clefs au Roi ; l’on alla dans son cabinet chercher son testament, qui fut lu devant toute la parenté, à la reserve de Monsieur, qui ne voulut pas y demeurer. Après que M. Le Tellier eut achevé la lecture, le Roi monta en carrosse pour s’en aller, et je m’en allai chez moi me coucher.
Le lendemain et les deux jours suivans, je fus extremement visité de toutes les dames qui alloient à Saint Germain avec leurs mantes : elles vinrent chez moi avec le meme habit. J’allai conduire le chœur au Val de Grâce. […] Le lendemain, j’allai diner à Saint Germain, pour recevoir les ordres du Roi pour conduire le corps à Saint-Denis. Il etoit au conseil, où j’allai lui parler devant les ministres.
[…]
[p. 398] [1666] Le Roi fit tendre ses tentes dans la garenne de Saint Germain ; elles etoient très belles : il y avoit des appartemens complets comme dans une maison. Le Roi y donna une grande fete ; madame de Montausier y tint une petite table, où j’envoyai Châtillon et Créqui, et je n’en gardai qu’une pour etre à celle de la Reine. Madame de Montausier avoit la sienne dans le meme lieu ; toutes les personnes qu’elle y fit mettre etoient ou devoient etre de celles qui peuvent manger avec la Reine.
[…]
[p. 402] [1668] Le Roi s’en alla au mois de janvier à Saint Germain pour y mener la Reine et M. le Dauphin, d’où il partit pour s’en aller en Franche Comté. M. le Prince y etoit, avec des troupes qu’il avoit feint de tenir auprès de lui pour y tenir les Etats.
[…]
[p. 407] [1669] Après avoir appris toutes ces nouvelles, je m’en allai à Saint Germain, où je passai l’hiver sans faire de voyages à Paris comme j’avois acccoutumé de faire ; c’est à dire qu’avant cela j’y demeurois quinze jours et cinq ou six jours à la Cour. Cet hiver, sans savoir quasi pourquoi, je ne pouvois souffrir Paris ni sortir de Saint Germain. Lorsque j’y etois, une de mes filles eut la petite verole ; cet accident m’empecha d’aller à la Cour pendant quatre ou cinq jours ; je les passai à Paris avec beaucoup de langueur ; je me souviens que je fus très aise lorsqu’on me fit savoir que je pouvois retourner à la Cour. Je voyois M. de Lauzun chez la Reine, avec qui je prenois un très grand plaisir de causer ; je lui trouvois sous les jours plus d’esprit et plus d’agrement à ce qu’il disoit qu’à toute autre personne du monde. Il se tenoit toujours réservé dans les termes de soumission et de respect que les autres gens ne peuvent imiter.
[…]
[p. 408] M. le chevalier de Lorraine fut arreté au chateau neuf, lorsqu’il etoit dans une chambre renfermé avec Monsieur. Le comte d’Ayen le fit demander pour lui parler ; il vint et M. d’Ayen l’arreta. Le chevalier de La Hillière, qui etoit avec lui, dit à M. le comte d’Ayen de lui faire rendre son épée : ce qu’il fit ; et après ils le menerent dans la chambre du capitaine des gardes du corps dans le Louvre et ensuite coucher dans une maison dans le bourg. Il fut conduit à Lyon.
[…]
[p. 409] Monsieur et Madame revinrent de Villers Cotterets ; elle avoit un grand appartement de plain pied à celui du Roi ; et quoiqu’elle logeat avec Monsieur au chateau neuf, lorsqu’elle en etoit sortie le matin, elle passoit les après dinées au vieux chateau, où le Roi lui parloit plus aisement des affaires qu’elle negocioit avec le roi d’Angleterre, son frere. Depuis la disgrâce du chevalier de Lorraine, elle s’etoit accoutumée à me parler.
[…]
[p. 411] [1670] Il vint un bruit que le Roi rendoit la Lorraine, et qu’on me devoit marier au prince Charles ; je crus que c’etoit une heureuse occasion pour mettre M. de Lauzun en etat et aux termes de pressentir la situation où je me trouvois, et de me parler du sien. Je l’envoyai prier de me venir trouver à ma chambre, qui n’etoit pas bien loin de la sienne ; il me falloit meme passer devant sa porte lorsque j’allois chez la Reine. L’on me vint dire qu’il n’etoit pas dans sa chambre. Il etoit grand ami de Guitry, et il etoit souvent avec lui dans un appartement extraordinaire qu’il s’etoit fait accommoder : je me servis du prétexte de ma curiosité à le vouloir voir ; je ne doutai pas que je n’y trouvasse M. de Lauzun avec lui ; je m’etois trompée. Lorsque je descendis chez la Reine, je le vis qui parloit à la comtesse de Guiche.
[…]
[p. 422] [1670] Lorsque j’arrivai à Saint-Germain, je trouvai qu’on avoit mis les maçons dans ma chambre, qui ne pouvoient avoir fini leur travail de huit jours. Malgré ma repugnance et mon degout d’etre à Paris, il me fallut de necessité y aller. Je m’y serois ennuyée à la mort, sans que le Roi alla passer quelques jours à Versailles ; j’y courus avec beaucoup de diligence. »

Anne-Marie-Louise d’Orléans

Mentions de Saint-Germain-en-Laye dans les mémoires de madame de Motteville

« [p. 32] Apres toutes les persecutions qui furent faites à plusieurs particuliers, le Roi, suivant son naturel, s’abandonna tout entier au pouvoir de son favori. Il se vit reduit à la vie la plus melancolique et la plus miserable du monde, sans suite, sans Cour, sans pouvoir, et par consequent sans plaisir et sans honneur. Ainsi se sont passées quelques années de sa vie à Saint Germain, où il vivoit comme un particulier, et pendant que ses armées prenoient des villes et gagnoient des batailles, il s’amusoit à prendre des oiseaux. Ce prince etoit malheureux de toutes les manieres, car il n’aimoit point la Reine et avoit pour elle de la froideur, et il etoit le martyr de madame de Hautefort, qu’il aimoit malgré lui et qu’il ne pouvoit se resoudre de chasser de la Cour, l’accusant de se moquer de lui avec la Reine. […] Enfin, lassé de tant souffrir, il chassa, comme je l’ai déjà dit, mademoiselle de Hautefort, et son inclination se tourna vers un objet nouveau dont la beauté brune n’etoit pas si eclatante, mais qui, avec de beaux traits de visage et beaucoup d’agremens, avoit aussi de la douceur et de la fermeté dans l’esprit. La Fayette, fille d’honneur de la Reine, aimable et fiere tout ensemble, fut celle qu’il aima. […] [p. 33] Madame de Hautefort ne fut pas fachée de sa retraite : elle n’avoit pas de honte qu’on la crut sa rivale ; et il n’y avoit point de prude qui n’aspirat à la gloire d’etre aimée du Roi comme l’etoit La Fayette, tout le monde etant persuadé que la passion qu’elle avoit pour lui n’etoit point incompatible avec sa vertu. Quand elle se separa de lui, elle lui parla longtemps devant tout le monde chez la Reine, où elle monta aussitot apres avoir eu son congé. Il ne parut aucune alteration sur son visage : elle eut la force de ne pas donner une de ses larmes à celles que ce prince repandit publiquement. Apres l’avoir quitté, elle prit congé de la Reine, qui ne la pouvoit aimer ; ce qu’elle fit avec cette douceur et cette satisfaction que doit avoir une chretienne qui cherche Dieu, et qui ne veut plus aimer que lui sur la terre, et ne desire que l’eternité. Elle ne fit pas neanmoins toutes ces choses sans beaucoup souffrir. J’ai su depuis de la comtesse de Flex, fille de la marquise de Senecé, et par consequent parente de La Fayette, qu’au sortir de la chambre du Roi, où elle avoit dit adieu à ce prince, elle descendit dans son appartement dont les fenetres donnoient sur la cour du chateau, et que cette aimable et vertueuse fille ayant entendu le carrosse du Roi, qu’il avoit fait venir pour dissiper le chagrin où il etoit, pressée de la tendresse qu’elle avoit pour lui, elle courut le voir au travers des vitres. Quand il fut entré, et qu’elle l’eut vu partir, elle se trouva vers la comtesse de Flex, qui etoit encore fille, et lui dit, touchée de douleur : « Helas ! je ne le verrai plus ».
[…]
[p. 45] [1643] Le lendemain de la mort du roi Louis XIII, le roi Louis XIV, la Reine, Monsieur, duc d’Anjou, le duc d’Orleans et le prince de Condé partirent de Saint Germain pour venir à Paris, et le corps du feu Roi demeura seul à Saint Germain, sans autre presse que celle du peuple, qui courut le voir par curiosité plutot que par tendresse. Le duc de Vendome y resta pour faire les honneurs, et le marquis de Souvré, gentilhomme de la chambre en année, pour y faire sa charge. De tant de gens de qualité qui lui avoient faire la cour la veille, personne ne demeura pour rendre ses devoirs à sa memoire : tous coururent à la regente.
Pendant les derniers jours de la maladie du feu Roi, le duc d’Orleans et le prince de Condé se regarderent avec defiance l’un de l’autre. On vit beaucoup de visages nouveaux, et chacun avoit plus de suite qu’à l’ordinaire. La Reine ne manqua pas de faire doubler ses gardes, et de prendre ses precautions contre les princes du sang, quoique ses soupçons fussent mal fondés.
[…]
[p. 84] [1644] La reine d’Angleterre vint à Paris à peu pres dans ce meme temps. Il y avoit trois ou quatre mois qu’elle etoit à Bourbon. La Reine la fut recevoir avec le Roi et le duc d’Anjou, le veritable Monsieur, jusque hors de la ville. Ces deux grandes princesses s’embrasserent avec tendresse et amitié, et se firent mille compliments qui ne tenoient rien du compliment. On la mena loger au Louvre, qui pour lors etoit abandonné, et pour maison de campagne on lui donna Saint Germain. Comme les affaires du Roi etoient en bon etat, et que la guerre n’avoit point encore ruiné les finances royales, on lui donna ensuite une pension de dix ou douze mille ecus par mois, et en toutes choses elle eut grand sujet de se louer de la Reine.
[…]
[p. 162] [1648] Le 3 juin, la Reine alla visiter la reine d’Angleterre, qui, de Saint Germain, etoit venue à Paris passer quinze jours en intention de gagner le jubilé.
[…]
[p. 200] Le 12 de septembre, […] la Reine dit tout haut qu’elle vouloit aller faire un petit voyage à Ruel, seulement pour faire nettoyer le Palais Royal, qui avoit besoin d’etre purifié. Le peuple avoit montré tant d’aversion à laisser sortir le Roi de Paris qu’on avoit cru cette apparente promenade trop difficile à faire pour oser la publier beaucoup de temps avant l’execution. Le cardinal, contre qui le peuple avoit vomi tant d’imprecations, etoit reduit à cette extremité de ne pouvoir sortir de la maison du Roi. Il craignoit toujours les suites de la rebellion, qui lui pouvoient estre pernicieuses. La Reine ne laissoit pas de sortir, mais la mauvaise disposition des esprits lui donnoit lieu de craindre toutes choses. Ainsi l’air de la campagne, qui semble annoncer la liberté et l’innocence, etoit un preservatif necessaire contre la corruption des ames, comme il le devoit aussi etre des corps. La saleté du Palais Royal fut donc un pretexte plausible pour mettre fin à certains desseins qui etoient enfermés dans le cœur du ministre, et qui etoient assez de consequence pour l’obliger à prendre toutes les precautions necessaires pour les bien executer.
Le lendemain 13 de septembre, sans en faire plus de bruit que le discours que la Reine avoit fait de ce voyage le jour precedent, le Roi, accompagné du cardinal Mazarin, de peu de personnes et de peu de gardes, partit à six heures du matin ; et, par cette promptitude, il ota au [p. 201] parlement et aux bourgeois le moyen de s’opposer à son dessein. La Reine seule demeura comme la plus vaillante pour favoriser cette retraite ; et comme son confesseur etoit malade, elle voulut aller le trouver aux Cordeliers pour se confesser, et dire adieu à ces bonnes filles du Val de Grace, qu’elle honoroit d’une tres particuliere amitié. […]
[p. 207] Les affaires etant en l’etat où elles etoient, la Reine se resolut de tirer Monsieur de Paris, où il etoit resté malade de sa petite verole ; mais pour attraper les Parisiens, qui etoient tous ravis d’avoir ce precieux gage entre leurs mains, elle donna ordre à Beringhen, premier ecuyer, d’aller modestement faire cette conquete sur eux. Il part de Ruel et vient à Paris, comme tous ceux de la Cour y venoient tous les jours. Etant arrivé, il prend un carrosse à deux chevaux, et va au Palais Royal faire visite à ce petit prince. Il le prit entre ses bras, le cacha dans le derriere de son carrosse, et le mena jusqu’à Longchamp. Il le mit ensuite dans un bateau pour le passer à l’autre bord de la riviere, où un carrosse du Roi l’attendoit, qui le mena à Boisenval, proche de Ruel. La Reine alla le voir le lendemain, et le ramena avec elle aupres du Roi, avec intention de changer bientôt de demeure, et d’aller à Saint Germain où la Cour se trouveroit separée de Paris par trois bras de riviere, et dans une assez raisonnable distance pour pouvoir travailler plus commodement qu’à Fontainebleau aux affaires que le parlement lui suscitoit tous les jours. On fit garder le pont de Neuilly jusqu’au depart du Roi, parce que l’on craignoit quelque inondation du peuple de Paris, et quelques mauvais effets de sa rage. […]
[p. 208] Le 29, les deputés allerent à Saint Germain, où la Reine etoit arrivée le 24. Ils y furent remplis de presomption et d’orgueil, et firent leur conference chez le duc d’Orleans, dont le ministre fut exclus à leur priere. […] [p. 209] En cette conference, les deux partis furent à demi satisfaits les uns des autres, et les deputés demeurerent d’accord de revenir à Saint Germain une seconde fois. […]
Un Espagnol nommé Galarette, passant alors de Flandre, où il avoit servi de secretaire d’Etat, pour aller en Espagne, demeura quelques jours à Saint Germain, où il eut de grandes conferences avec le cardinal sur tous les articles de la paix. Le ministre l’auroit peut etre alors desirée tout de bon, afin d’avoir des troupes toutes libres [p. 210] et de l’argent, pour chatier ceux qui le vouloient attaquer. Comme la haine des peuples n’avoit pas de plus legitime pretexte de murmurer contre lui que celui de le soupçonner de n’avoir pas voulu la paix, la Reine fit remarquer avec soin au public cet entretien particulier, disant souvent qu’elle et le cardinal Mazarin ne desiroient rien si fortement que ce bonheur, et que si le Roi son frere y vouloit consentir, elle se feroit assurement.
On fit voir le Roi à cet Espagnol, se promenant dans le parc. Il le trouva bien fait et fort aimable. La Reine ne le vit point, par une gravité qui lui fut inspirée par le ministre, quoiqu’elle l’eut connu autrefois aupres du marquis de Mirabel, dernier ambassadeur d’Espagne en France. […]
Le 1er du mois d’octobre ayant eté pris pour recommencer la conference à Saint Germain, les deputés y arriverent chargés de nouvelles propositions et de vingt cinq articles qui furent proposés par eux ; tous furent octroyés, hormis les deux que j’ai dejà marqués touchant la liberté des prisonniers et le privilege que le parlement demandoit d’en pouvoir prendre connoissance vingt quatre heures apres qu’ils seroient arretés. Il fut meme conclu qu’ils reviendroient dans deux jours pour achever entierement cette negociation. Le cardinal Mazarin n’assistoit à aucune de ces conferences, et le chancelier en avoit eté exclus par ordre de la Reine, pour tenir compagnie au ministre. Il fut neanmoins renvoyé à celle ci, comme necessaire au service du Roi, pour y maintenir ses interets et les faire voir aux princes qui ne pouvoient pas entendre les chicanes du parlement. […]
Le 3 du mois, les deputés retournerent à Saint Germain, selon la resolution qui en avoit eté prise. D’abord, les princes leur firent de grands reproches de leur arret donné contre le service du Roi, à la veille d’un accommodement. Ils leur dirent que ce procedé marquoit visiblement leurs mauvaises intentions, et qu’ils n’avoient pas de veritables desirs pour la paix. Ils repondirent, pour leur justification, que cet impot [p. 211] jusqu’alors n’avoit point eté levé, que les buchers s’etoient toujours defendus vigoureusement, que les partisans qui en avoient traité avec le Roi confessoient eux-mêmes n’en avoir rien reçu, et que, cela etant, ils avoient cru, sans prejudice du service du Roi, le pouvoir defendre et donner ce contentement au peuple. […]
Enfin, la conference ayant duré jusques au soir fort tard, les affaires ne purent se decider, à cause que les deputés vouloient absolument ce que la Reine ne vouloit point du tout leur accorder. Les princes les quitterent et vinrent prendre le cardinal dans son appartement. Ils allerent tous ensemble trouver la Reine dans le parc, où elle etoit allée faire un tour de promenade, attendant le succes de leur longue negociation. Le conseil fut tenu dans le propre carrosse de la Reine, sur ce qu’ils avoient à faire. Le chancelier exposa le fait, et l’obstination des deputés à vouloir la sureté des prisonniers, les retirant de la puissance des rois pour les faire juger juridiquement et hors de la domination des favoris, qu’ils disoient etre quelquefois injustes. La Reine, entendant parler de l’opiniatreté de ceux du parlement, interrompit le chancelier pour dire que son avis etoit de leur refuser constamment ce qu’ils demandoienrt, et de les chatier de leur entreprise sans plus ecouter aucune proposition de paix. […]
[p. 212] La Reine, les princes et le ministre se quitterent tous dans la grande place qui separe les deux chateaux. Les princes retournerent trouver les deputés, qui les attendoient au chateau neuf où logeoit le duc d’Orleans, et le cardinal s’en retourna dans son appartement. Il fut suivi à l’ordinaire d’un grand nombre de courtisans, qui, tout maltraité qu’il etoit des peuples et du parlement, ne l’abandonnoient pas, parce qu’il etoit toujours le maitre de leur fortune.
Les princes dirent aux deputés que, pour ce jour, ils n’avoient rien pu gagner sur l’esprit de la Reine ; mais ils leur promirent de faire encore de nouveaux efforts pour vaincre sa fermeté. […]
La Reine, etant de retour de la promenade, où sans doute elle s’etoit mal divertie, elle vint s’asseoir à son cercle, où je vis dans son visage et dans ses yeux que les affaires n’alloient pas selon son goût. Peu après, les princes arriverent, qui la firent quitter cette place pour aller au Conseil. Avant que d’y entrer, elle tira le marechal de Villeroy contre une fenetre, pour lui faire part de ses peines. Elle ne se plaignoit pas du cardinal, quoiqu’il fut d’avis contraire au sien ; elle comprenoit bien qu’il ne pouvoit pas faire autrement, et qu’il falloit qu’il fit semblant de vouloir la paix, pour ne point attirer la haine du parlement qu’il n’avoit dejà que trop. […] Je ne sais ce que le gouverneur du Roi lui repondit mais, apres cette conversation, elle entra dans son cabinet où se devoit tenir le Conseil. Avant qu’il fut commencé et que nous en fussions sortis, je remarquai que M. le Prince s’approcha de la Reine pour lui parler en faveur du parlement. […]
[p. 213] Enfin, les portes du cabinet s’ouvrirent avant le temps. Le cardinal Mazarin, qui avoit accoutumé de demeurer après la fin du Conseil avec la Reine, sortit le premier, et à l’air de son visage il sembloit qu’il etoit en mauvaise humeur. Le prince de Condé le suivit, et le duc d’Orleans demeura avec la Reine, pour tacher d’adoucir son ressentiment et sa peine. L’abbé de La Riviere alors fut appelé par son maitre pour faire le tiers dans cette conversation où la Reine seule avoit le cœur rempli d’amertume et de douleur. Une demi heure apres, le duc d’Orleans s’en retourna chez lui tout pensif.
M. le Prince vint un moment après trouver la Reine : il fit officieusement deux voyages vers elle, pour lui faire voir l’innocence du cardinal et pour le mettre bien dans son esprit. Nous vimes aussitôt, parmi toutes ces choses, qu’il y avoit quelque inquietude nouvelle dans le cabinet, et que les affaires n’alloient pas bien. En mon particulier, je ne fus pas longtemps dans cette inquietude, car la Reine, peu apres, etant demeuré seule, comme elle voulut entrer dans son oratoire pour prier Dieu, je lui demandai la cause de ce que je voyois ; et, la plaignant de toutes ses souffrances, je la suppliai de m’apprendre ce que M. le cardinal disoit sur tout cela. […]
[p. 214] Le soir de ce jour, avant qu’elle s’endormit, le secretaire du cardinal, nommé de Lyonne, vint la trouver deux fois, et eut d’assez longues conferences avec elle de la part de son maitre ; puis le lendemain, au sortir de la messe, Le Tellier, secretaire d’Etat, y vint aussi, qui acheva de la resoudre d’accorder aux deputés ce qu’ils desiroient, à condition qu’au lieu de trois mois qu’ils demandoient en faveur des prisonniers pour etre renvoyés à leurs juges naturels, elle en demanda six avant que le Roi fut obligé de les rendre. […]
Ensuite de cette resolution, les deputés, arrivant à Saint Germain, trouverent leurs affaires faites, et n’eurent rien de plus difficile à executer qu’à remercier la Reine et les princes.
[…]
[p. 216] Le 15 d’octobre, les gens du Roi arriverent à Saint Germain, qui venoient demander à la Reine les deux millions, et protester de leur innocence et bonnes intentions. Ils trouverent la Reine prete à partir pour aller visiter les carmelites de Pontoise, à cause qu’il etoit le jour de Sainte Therese. Son voyage fut cause qu’ils differerent leur deputation jusques à son retour au soir. La Reine, revenue de son petit voyage, s’enferma au Conseil, où dejà les princes et le cardinal, attendant son retour, avoient commencé à traiter de quelques affaires. Ils avoient resolu d’accorder les deux millions.
[…]
[p. 217] Le 24, le premier president apporta à la Reine la declaration de la part de sa compagnie, qui avoit eté dressée par eux memes, où toutes leurs demandes etoient pleinement expliquées, et où il etoit facile de remarquer qu’ils avoient eté trop insatiables pour de sages senateurs qui sont destinés à moderer les exces des autres. On tint Conseil là dessus, et comme il falloit en ce jour recevoir la paix pour tacher d’eviter la guerre, les differens sentimens causerent beaucooup de disputes et de raisonnemens dans le cabinet.
[…]
[p. 218] Le 28 au matin, le marechal d’Estrées et le marquis de Seneterre vont trouver l’abbé de La Riviere pour lui annoncer de la part de la Reine et du ministre que M. le Prince demande le chapeau de cardinal pour le prince de Conti son frere, et que la nomination dejà faite en faveur de cet abbé soit revoquée, afin qu’elle puisse etre donnée à ce prince. […] [p. 219] Au sortir de la messe de la Reine, le duc d’Orleans la vint trouver. Il lui demanda une audience, où il ne voulut point d’autre temoin qu’elle seule. La Reine aussitôt nous commanda de sortir de son cabinet ; et, faisant fermer les portes, elle livra ses oreilles à toutes les plaintes que ce prince lui voulut faire. […]
La ville de la fete de tous les saints, la Reine partit de Saint Germain pour revenir à Paris jouir du repos qu’il sembloit que cette derniere declaration lui devoit faire esperer. Avant que de quitter ce lieu, elle alla visiter madame la duchesse d’Orleans, qui etoit en couche. Cette princesse haissoit le favori de Monsieur ; mais, pour plusieurs raisons, elle avoit voulu prendre hautement son parti : si bien que la Reine venant la voir, elle lui temoigna prendre beaucoup de part à l’offense que Monsieur croyoit lui avoir eté faite. […] [p. 220] Ainsi la visite de la Reine se passa froidement, et finit sans que le duc d’Orleans, qui vint dans la meme chambre, s’approcha d’elle, ce qui fut desapprouvé des personnes les plus interessées ; car les hommes, en general, ne sauroient jamais trop rendre de civilités aux dames, et ce prince en devoit beaucoup en son particulier à la Reine qui, en grandeur, n’avoit point d’egale en toute la terre. Monsieur, etant dans la chambre de Madame en presence de la Reine, parla toujours à Mademoiselle, sa fille, qui par mille autres raisons etoit, aussi bien que Madame, sa belle mere, dans une joie extreme de la colere de ce prince. […]
Le cardinal Mazarin alla aussi prendre congé de Madame, que sa couche devoit retenir encore quelque temps à Saint Germain ; et de son appartement passant à celui de M. le duc d’Orleans, il fut reçu de ce prince froidement. Il lui dit, parlant de l’affaire presente, qu’il n’etoit pas en volonté de souffrir cet affront. Ce fut le meme terme dont il se servit pour exprimer son ressentiment ; et cela fut cause que le ministre ne put pas retourner à Paris jouir de la paix qu’il avait achetée si cherement, sans craindre de nouvelles inquietudes. Ce même jour, le Roi et la Reine, le prince de Condé et toute la Cour se rendirent dans cette celebre ville, où, selon la legereté ordinaire des peuples, la Reine fut reçue avec des temoignages extremes d’une grande joie.
[…]
[p. 221] Le 4 du mois de novembre, le duc d’Orleans alla voir Madame à Saint Germain ; et ce meme jour, il y eut comedie au Palais Royal, pour montrer à ce prince que son mecontentement et son absence ne donnoient pas de grandes inquietudes à la Reine. Il n’y eut que ceux de la cabale du prince de Condé et les courtisans ordinaires qui prirent leur part de ce plaisir. Les autres, voulant montrer cette partialité au duc d’Orleans, n’y parurent point. Il revint le lendemain, et fut au Conseil avec un visage rempli de chagrin.
[…]
[p. 229] [1649] Le prince de Condé s’etoit attiré la haine du parlement par la reponse ferme et severe qu’il avoit faite depuis peu à Viole dans la grand’chambre : il avoit d’ailleurs pris une liaison assez forte avec le duc d’Orleans par son favori pour esperer, par l’appat du chapeau, d’en disposer à son gré. Il avoit des desirs dereglés, ou du moins ambitieux : de grands princes tels que lui n’en manquent pas. Il crut par cette voie reussir dans ses desseins, sans y trouver l’opposition qu’il devoit toujours craindre du coté de ce prince, qui lui etoit superieur. Il voulut aussi s’acquerir envers la Reine et son ministre du mepris que ses sujets faisoient de son autorité. Pour cet effet, il s’offre à la Reine, il l’assure de sa fidelité pour le dessein qu’elle avoit dans le cœur ; il fait plus : il la persuade de la facilité de l’entreprise, et lui dit qu’avec lui et les bons soldats qui sont dans ses armées, elle ne peut qu’elle ne voie dans peu de temps les Parisiens et le parlement à ses pieds. la Reine goute cette douce harangue avec joie : elle veut tout hasarder pour retablir la puissance royale qui paroissoit mourante, et dont le mauvais etat demandoit les extremes remedes. Avec un protecteur tel que M. le Prince, le ministre ose tout entreprendre, et conseille la Reine de l’ecouter. Cette princesse, se voyant secourue et consolée, bien contente de pouvoir esperer une fin à sa peine, fait un complot entre elle, le prince de Condé et son ministre, de sortir de Paris secretement, pour le chatier par les voies les plus fortes, et se determine de ne plus parler à ses peuples que par la bouche de ses canons. M. le Prince, qui pretendoit etre le maitre dans sa famill, offrant à la Reine sa personne, ses services et son gouvernement de Bourgogne, l’assure aussi de celui de Normandie, dont le duc de Longueville, son beau frere, etoit gouverneur. Selon ces suretés, la Reine fit dessein, sortant de Paris, d’aller etablir le camp de l’armée à Saint Germain, d’où elle pouvoit faire la guerre aux rebelles, et recevoir de Normandie tout le secours dont elle pourroit avoir besoin. Elle crut aussi qu’elle pourroit en faire un lieu de retraite, au cas qu’elle ne put pas, aussi facilement qu’elle l’esperoit, reduire Paris et ce qui etoit dans ses murailles dans une entiere obeissance.
Pour la perfection de ce dessin, il falloit gagner le duc d’Orleans, et l’obliger à se mettre de la partie. Il etoit difficile de l’esperer, car n’etant point l’auteur de cette pensée, il ne pouvoit y donner son approbation. […] La Reine l’allant voir au Luxembourg, comme il avoit encore un peu la goutte, lui temoigna un grand desir de le voir prendre part à sa destinée. Elle l’en prie, l’en presse et l’en conjure, par cette amitié qui avoit toujours tenu quelque place dans le cœur de l’un et de l’autre. Ensuite de ses prieres, elle lui temoigna hardiment que quand meme il seroit capable de l’abandonner en cette occasion, elle ne laissera pas d’achever son entreprise, et lui dit qu’elle etoit resolue de se confier à M. le Prince plutôt que de demeurer plus longtemps [p. 230] en un lieu où l’autorité royale n’etoit plus considerée, où sa personne etoit tous les jours offensée, et où celle de son ministre etoit menacée des derniers outrages. Elle lui dit qu’elle croyoit le devoir soutenir, pour ne pas accoutumer les parlemens et les peuples à vouloir se meler du gouvernement ; et qu’il savoit bien que lui-même lui avoit toujours conseillé de le faire. Elle l’assura de plus que s’il desiroit pour sa satisfaction qu’elle allat à Orleans pour se mettre entre ses mains, elle le feroit volontiers, ne pouvant manquer de confiance pour une personne qui jusques alors ne lui avoit donné aucun veritable sujet de se plaindre de lui. Le duc d’Orleans, qui etoit naturellement bon, et qui avoit un favori qui avoit interet de le voir toujours content et à la Cour, se voyant pressé par la Reine d’une maniere si obligeante, ne la put refuser ; et la resolution fut prise entre la Reine, lui, le prince de Condé et le ministre d’executer cette grande action avec toutes les precautions qui en devoient etre les suites necessaires. Les ordres furent donnés et le jour arreté pour sortir de Paris ; et ceux qui avoient en depot le secret royal furent entierement fideles à le garder. Le duc d’Orleans ne le dit point à Madame ni à Mademoiselle ; et M. le Prince le cacha soigneusement à madame la Princesse sa mere, et à madame de Longueville, cette illustre sœur avec qui il croyoit etre si bien.
Malgré ce secret, un certain bruit se repandt par Paris que la Reine avoit quelque dessein. Le parlement avoit peur ; tout le monde parloit de ce qu’il ne savoit point, chacun se demandoit l’un à l’autre ce que c’etoit : nul ne le pouvoit dire. Mais, par un pressentiment ecrit dans la nature, la verité, quoique cachée, ne laissoit pas d’etre sue. Toute la Cour etoit en alarme ; et tous ceux qui ont accoutumé de raisonner sur les affaires d’Etat, et qui veulent etre ministres malgré les rois, avoient de grandes occupations.
Le 5 janvier, la veille des Rois, ce jour si celebre, et dont on parlera sans doute dans les siecles à venir, j’allai le soir chez la Reine, où j’avois accoutumé de passer la plus grande partie de ma vie. […] La Reine nous avoua depuis, par l’execution de cette grande aventure, qu’elle eut alors de la peine à s’empecher de rire ; et qu’ensuite elle eut quelque bonté pour nous, et quelque compassion de nous laisser dans une ville qu’elle quittoit [p. 231] avec dessein de l’assieger. Mais nous lui avons toujours maintenu qu’elle ne fut point alors susceptible d’aucun sentiment de pitié, et que la vengeance et la joie occuperent entierement son cœur. […]
Aussitôt que nous fumes parties, les portes du Palais Royal se fermerent, avec commandement de ne les plus ouvrir. La Reine se releva pour penser à ses affaires, et ne fit part de son secret qu’à sa premiere femme de chambre, qui couchoit aupres d’elle. On donna les ordres necessaires aux capitaines des gardes que nous avions laissés dans la chambre de la Reine pas plus savans que nous. Le marechal de Villeroy, à qui on donna la connoissance de cette resolution quand il fut necessaire qu’il la sut, laissa dormir le Roi jusqu’à trois heures du matin, puis le fit lever, lui et Monsieur, pour les faire monter dans le carrosse qui les attendoit à la porte du jardin du Palais Royal. La Reine se joignit au Roi et à Monsieur. Ces trois personnes royales furent suivies du marechal de Villeroy, de Villequier et de Guitaut, capitaines des gardes de Leurs Majestés, de Comminges, lieutenant des gardes de la Reine, et de madame de Beauvais, sa premiere femme de chambre. Ils descendirent par un petit escalier derobé qui de l’appartement de la Reine alloit dans le petit jardin, et sortant par une petite porte qui est par dela le rondeau, monterent dans les carrosses qui les attendoient. La Reine etant au Cours, qui etoit le lieu du rendez vous, s’y arreta pour attendre que le duc d’Orleans, M. le Prince et toute la Maison royale fut venue la joindre.
Apres le soupé et le jeu, qui finit chez le maréchal de Gramont plus tot qu’à l’ordinaire, le duc d’Orléans et M. le prince de Condé s’en allerent chacun chez eux pour donner ordre à leurs affaires domestiques, et faire sortir de Paris leurs familles. Le ministre demeura où il etoit, s’amusant à jouer pendant que ses confidens firent emporter ce qu’il avoit de plus precieux, et sortir ses nieces, qui etoient encore aupres de madame de Seneçay. L’heure du rendez vous le pressant de partir, il se mit dans un carrosse avec quelques uns de ses amis, qu’il avertit alors de ce qui se passit, et s’en alla trouver la Reine qui l’attendoit dejà dans le Cours. Là se trouverent les personnes les plus considerables de la Cour, qui ne furent averties qu’à l’instant de sa sortie, dont furent sa dame d’honneur, ses filles et beaucoup d’autres. Chacun allant chercher son ami l’emmenoit avec lui pour se sauver ensemble et quitter cette ville qui alloit etre l’objet de la colere de son Roi ; et tous ceux qui purent prendre la fuite le firent avec empressement. Les domestiques du ministre, qui voyoient que leur maitre avoit une grande part au succes de ce voyage, furent les plus diligens à faire leur retraite ; et jamais nuit sans assaut et sans guerre ne fut remplie de tant d’horreur et de trouble.
[p. 232] Je fus avertie, comme les autres, à l’heure que la Reine partit ; et un de mes amis, domestique du cardinal Mazarin, vint heurter à ma porte avec un carrosse à six chevaux, pour me convier à suivre la Reine ; mais je ne le voulus pas faire pour plusieurs raisons, qui toutes regardoient ma commodité et mon repos. Le duc d’Orleans, etant arrivé au Luxembourg, fit eveiller Madame, qui se leva toute troublée de cette nouvelle : il fit aussi lever mesdemoiselles ses filles, et toutes ensemble s’en allerent où la Reine les attendoit. Mademoiselle, fille ainée du duc d’Orleans, avoit eté avertie par la Reine meme, qui lui avoit envoyé Comminges aussitôt apres que nous l’eumes quittée ; et cette princesse, avec la meme surprise que les autres, alla se joindre, selon l’ordre qu’elle en avoit reçu, avec la famille royal. Le prince de Condé en fit autant dans sa maison. Madame la Princesse sa mere, qui pretendoit que M. le Prince ne devoit point avoir de secret pour elle, fut surprise de voir qu’il lui en avoit cachée un si grand. Elle en fut touchée, mais comme il n’etoit pas temps de gronder, elle prit madame la Princesse sa belle fille, et le petit duc d’Enghien son petit fils encore au maillot, et vint de meme grossir la troupe du Cours.
Madame de Longueville, qui etoit demeurée à coucher à l’hotel de Condé à cause du jour des Rois, fut avertie et sollicitée par madame la Princesse sa mere de sortir avec elle ; mais cette princesse, qui avoit l’esprit rempli de beaucoup de grands desseins, s’excusa sur ce qu’elle etoit grosse. […] Le prince de Conti fut de la partie. Et toute la Maison royale etant assemblée, elle prit le chemin de Saint Germain en Laye. Le Roi, la Reine et toute la Cour se trouverent en ce lieu sans lit, sans officiers, sans meubles, sans linge, et sans rien de tout ce qui etoit necessaire au service des personnes royales et de toutes les autres qui les avoient suivies. La Reine, etant arrivée, coucha dans un petit lit que le cardinal Mazarin avoit fait sortir de Paris quelques jours auparavant, à cette intention. Il avoit de meme pourvu à la necessité du Roi, et il se trouva aussi deux autres lits de camp, dont l’un servit à Monsieur, et l’autre demeura pour lui. Madame la duchesse d’Orleans coucha une nuit sur la paille, et Mademoiselle aussi. Tous ceux qui avoient suivi la Cour eurent la meme destinée ; et en peu d’heures la paille devint si chere à Saint Germain, qu’on ne pouvoit pas en trouver pour de l’argent.
Lorsqu’on sut dans Paris le depart du Roi, de la Reine et de toute la Cour, le desespoir s’empara de tous les esprits, et la confusion commença avec le jour des les cinq à six heures du matin. Les cris furent grands dans les rues, et l’emotion s’y rendit universelle. Les premiers qui apprirent cette nouvelle l’envoyoient dire à leurs amis, et beaucoup de personnes de qualité se sauverent à Saint Germain, pour s’attacher à leur devoir. […]
[p. 236] Ne pouvant plus vivre en repos chez moi, je fus supplier la reine d’Angleterre de me recevoir sous sa protection au Louvre, ce qu’elle fit quelques jours apres avec beaucoup de bonté, me faisant donner deux belles chambres meublées des meubles de la Couronne, dont elle et toute sa Cour se servoit. […]
[p. 237] Madame de Longueville, apres avoir fait son plan, et connu qu’il etoit temps de se declarer contre la Cour, manda au prince de Conti son frere, qui etoit à Saint Gremain, et au duc de Longueville son mari, qu’il falloit quitter la Cour, et que l’ambition les appeloit ailleurs. Ces deux princes, persuadés par differents motifs, suivant aveuglement les avis d’une princesse qui ne marchoit que dans les tenebres, se derobent de Saint Germain la nuit du 10 de janvier, et paroissent à la porte de Paris avant le retour du soleil. […] La Reine m’a depuis fait l’honneur de me conter que le soir precedent de leur fuite à Saint Germain, le prince de Conti avoit fait la meilleure mine du monde, qu’il n’avoit de sa vie paru plus gai, et qu’il etoit de tous qui menaçoit le plus hardiment les Parisiens ; que le duc de Longueville n’avoit pas eté de meme, et qu’elle l’avoit trouvé si sombre et si visiblement interdit, qu’elle et son ministre s’en etoient aperçus, et sans en deviner la cause en avoient eu de l’etonnement. […]
[p. 238] Pendant que nous souffrions dans Paris, l’armée du Roi bloqua la ville, et se saisit de tous les passages des vivres. […] Beaucoup de personnes de qualité, pour se retirer de ce desordre, se voulurent sauver deguisées, et particulierement des femmes ; mais elles eurent quasi toutes de mauvaises aventures à conter à Saint Germain quand elles y arriverent, et il eut mieux valu pour elles qu’elles fussent demeurées exposées à la famine et à la guerre que de se trouver le sujet de la gaieté des honnetes bouffons de la Cour, qui faisoient de facheuses histoires, devant le Roi et la Reine, des accidens survenus aux dames qui sortoient de Paris.
Parmi cette raillerie, la misere des habitans de Saint Germain tenoit sa place. Ils n’avoient point d’argent, ni de meubles que ceux que les soldats leur vendoient à bon marché, quand ils avoient pillé ces beaux villages qui environnent Paris. […] La Reine ne rioit pas toujours : ses affaires alloient mal, et le parti contraire s’augmentoit. […] Quoique l’armée du Roi ne fut pas grande, les troupes de Paris ne lui auroient pas fait peur, sans qu’on jugea à Saint Germain que tant de braves gens en feroient assez pour les faire subsister longtemps, de sorte que cette entreprise parut à la Cour en mauvais etat. M. le Prince etoit au desespoiur de l’outrage qu’il croyoit avoir reçu par le prince de Conti son frere, et par madame de Longueville sa sœur, et ce qui d’abord n’etoit en lui qu’un desir d’obliger la Reine devint un veritable desir de se venger de sa famille, qui s’etoit separée de lui. […]
[p. 241] [21 janvier] Les inutiles, qui s’amusoient à crier, s’opposoient à la sortie de ceux qui vouloient aller à Saint Germain ou dans leurs maisons de campagne, et leur faisoient mille outrages. Les propres meubles du Roi et de la Reine, ses habits et son linge qu’elle avoit voulu ravoir, avoient eté pillés, et le nom du Roi devint si odieux à ses sujets que ses pages et valets de pied etoient courus dans les rues comme des criminels et des ennemis. […]
[p. 243] Pendant que les calamités augmentent à Paris, les conseils redoublent à Saint Germain, où l’inquietude etoit proportionnée au mauvais etat des affaires du Roi. Des deux cotés on souffroit.
[…]
[p. 253] [20 février] Ma sœur et moi, accompagnées de notre petit domestique, partimes de Paris, escortées d’une troupe de cavalerie du regiment du prince de Conti que commandoit Barriere, ce gentilhomme dont j’ai parlé ailleurs, qui etoit attaché à ce prince et qui par consequent avoit le malheur d’etre compté au nombre des ennemis de la Reine, apres avoir eté un de ses plus fideles serviteurs. Nous fumes reçues à Saint Denis par le comte du Plessis, qui commandoit à la place du marechal du Plessis son pere. Il nous donna un bon repas et de bons lits, et le lendemain nous arrivames heureusement à Saint Germain. Il nous fallut prendre un grand detour, et nous passames par plusieurs villages, où nous remarquames une desolation effroyable. Ils etoient abandonnés de leurs habitans : les maisons etoient brulées et abattues, les eglises pillées, et l’image des horreurs de la guerre y etoit depeinte au naturel. Je trouvai la Reine dans son cabinet, accompagné du duc d’Orleans, du prince de Condé, de la princesse de Carignan et d’une grande presse. La Cour etoit alors fort grosse, parce que tous ceux qui n’etoient point de la Fronde s’etoient rendus aupres du Roi. L’appartement de la Reine, outre les personnes de la premiere qualité qui composoient la Cour, etoit rempli d’une grande quantité de gens de guerre, et je ne vis jamais tant de visages inconnus.
La Reine etoit au milieu de ce grand monde, qui paroissoit gaie et tranquille ; elle ne paroissoit point apprehender les malheurs dont elle etoit menacée par les gens de bon sens, et qui jugeoient de l’avenir par les choses passées et presentes. Il ne falloit pas mettre de ce nombre les mauvaises propheties de ceux qui vouloient decrier sa conduite, et qui pretendoient, en l’intimidant, l’obliger de chasser son ministre ; ils ne meritoient pas d’etre ecoutés, et l’apparente gaieté de la Reine avoit pour but de les faire taire. On ne peut pas en douter, car, en l’etat où elle se voyoit, il etoit difficile qu’ayant autant de sagesse et de raison qu’elle en avoit, elle put avoir un gaieté veritable.
Quand je partis de Paris, j’avois le cœur rempli de tout ce que l’on m’avoit dit dans cette ville. Je croyois que la Reine etoit menacée de perdre sa couronne, ou tout au moins la regence ; mais, etant à Saint Germain, je fus surprise quand j’entendis les railleries qui se faisoient contre les Parisiens et les frondeurs, et contre ceux qui lamentoient sur les miseres publiques. Je ne trouvai point qu’on eut peur de ce grand parti qui paroissoit si redoutable à toute l’Europe ; et, pour n’etre pas moquée, il me fallut faire bonne figure avec ceux qui traduisoient en ridicule les choses les plus serieuses, et qui, se moquant des deux partis, n’avoient aucun dessein que de profiter de ces desordres.
Le soir, apres que la Reine fut retirée, elle me commanda de lui dire tout ce que je savois de l’etat de Paris et de celui des esprits. […] [p. 254] Je la trouvai un peu etonnée de cet envoyé de l’archiduc, dont elle ne savoit point encore la fausseté, et, assez touchée de la mort du roi d’Angleterre, elle me dit elle-même que c’etoit un coup qui devoit faire trembler les rois, mais à son égard, etant persuadée qu’elle faisoit ce qu’elle devoit et ce qu’elle n’avoit pu eviter de faire, son esprit demeuroit tranquille au milieu de tant d’orages. En effet, son humeur toujours egale, fortifiée d’une ame qui ne se laissoit pas troubler aisement, la faisoit paroitre à Saint Germain, environnée de ses armées, avec le meme repos que parmi les dames qui formoient son cercle à Paris.
Le 22 ou 23 février, le nonce et l’ambassadeur de Venise vinrent trouver la Reine, l’un de la part du pape, et l’autre de sa république. Dans leur audience, ils l’exhorterent fort à la paix, et toucherent à son avis, un peu trop fortement à ce qui paroissoit etre le sujet de la guerre. Elle s’en facha, et, les interrompant, elle leur dit qu’elle trouvoit bien des gens qui lui disoient qu’il falloit faire la paix et qu’il falloit pardonner, mais que personne ne lui parloit de retablir l’autorité du Roi son fils, qui s’en alloit detruite, si elle ne travailloit à la reveler en chatiant les rebelles, et les forçant à se remettre à leur devoir. […]
Le 25 fevrier, les deputés de Paris arriverent, et le premier president, qui suivit l’exemple du nonce, fut traité de meme maniere.
[…]
[p. 259] Ces memes jours, on arreté à Saint Germain le marechal de Rantzau. Il fut soupçonné de favoriser le parti parisien ; et comme il etoit gouverneur de Gravelines, le ministre crut qu’il ne pouvoit prendre trop de precautions pour se garantir des maux qui pouvoient arriver de la mauvaise volonté de ce marechal.
[…]
Le deuxieme jour du mois de mars, les gens du Roi vinrent à Saint Germain trouver la Reine pour lui dire la deputation ordonnée par le parlement. Ils lui demanderent des passeports, et la supplierent d’ordonner du lieu de leur conference. Ils firent aussi quelques instances de la part des ducs de Beaufort et de Bouillon pour y etre admis, mais ayant eté bien reçus à leur egard, ils furent refusés sur l’article des autres. On choisit pour le lieu de la conference le chateau de Ruel, comme etant à moitié chemin de Paris et de Saint Germain ; et les generaux, qui en particulier redoublerent leurs instances, n’y furent point admis.
[…]
[p. 260] Le 6, le cardinal vint faire un petit voyage à Saint Germain pour instruire la Reine de tout ce qui se passoit. Le soir, apres qu’il l’eut quittée, comme ceux qui l’environnoient etoient curieux d’apprendre des nouvelles, la Reine nous dit, à M. le Premier et à moi, qu’il n’y avoit encore rien d’avancé, ni aucune solide esperance d’obtenir ce qu’on desiroit, qui etoit que le parlement s’humiliat ; puis nous dit qu’à la fin pourtant elle croyoit que tout iroit bien.
[…]
[p. 265] Les deputés des generaux viennent à Saint Germain : ils font leur remontrance à la Reine, qui fut humble et courte, mais les difficultés qu’ils faisoient sur les principaux articles de la paix dejà signée montroient assez qu’elle etoit reculée. Les generaux s’etoient rendus les maires de Paris, et ils se trouverent en etat de pouvoir contraindre les plus sages à ne rien faire de tout ce que leur devoir leur imposait. Comme ils n’avoient pas de confiance à la deputation du parlement, ils firent supplier la Reine et le ministre qu’il leur fut permis d’envoyer des deputés de leur part. Cela leur ayant eté accordé, ils nommerent le duc de Brissac, Barriere et Creci pour venir traiter de leurs demandes et pretentions. Ils arriverent à Saint Germain le 18 mars, et par leurs cahiers ils demandoient toute la France.
[…]
[p. 267] Les conferences qui se faisoient à Saint Germain sur leurs pretentions furent interrompues par l’entrée de l’archiduc en France. […] Les generaux, voyant que l’approche de l’armée des Espagnols etoit plus capable, en l’etat des choses, de leur faire perdre le peu de credit qui leur restoit que de l’augmenter, pour tirer du ministre ce qu’ils pourroient, fire donner un arret par lequel on ordonna que la vente de ses meubles seroit continuée. Cela lui fit beaucoup de peine, car il aimoit ce qui etoit à lui, et particulierement ce qu’il avoit fait venir des pays etrangers avec tant de soin. Sa maison etoit magnifiquement meublée : il y avoit de belles tapisseries, des statues, des tableaux. Cette perte fut cause que ses ennemis gagnerent beaucoup avec lui, qu’il leur accorda la paix avec la plus grande partie de toutes leurs demandes, et que les conferences redoublerent matin et soir chez le chancelier à Saint Germain.
[…]
[p. 269] Le 20 au matin, comme je sortois de la messe de la Reine, un de mes amis vint me dire à l’oreille que tout etoit rompu ; puis le soir, au sortir de la conference, la meme personne me dit que toutes les contestations etoient accomodées. Les deputés du parlement de Normandie, qui etoient venus à Saint Germain au nombre de quinze conseillers et d’un president, obtinrent aussi en ce jour là la revocation du semestre que le feu Roi, ou plutot le cardinal de Richelieu, leur avoit créé malgré eux. […] Les generaux entrerent en de grandes defiances les uns des autres, et à leurs insatiables desirs se joignit la jalousie. Ils avoient chacun dans Saint Germain des deputés à basses notes, qui traitoient pour eux, et qui tyrannisoient celui qui souhaitoit de les tyranniser à son tour.
[…]
[p. 270] Les deputés du parlement arriverent à Paris remplis de joie des honorables conditions qu’ils rapportoient de Saint Germain ; car, comme je l’ai remarqué, ils avoient obtenu de la Reine, par leur habileté et par les differentes causes qui faisoient agir les principaux acteurs, d’etre dechargés des articles qu’on leur avoit imposés au premier traité. On se relacha de l’obligation qu’ils avoient de venir à Saint Germain, où etoit le Roi pour tenir son lit de justice, on leur permit encore de s’assembler quand bon leur sembleroit, et ils reçurent encore quelques autres gratifications touchant les finances, toutes en faveur du peuple. Ils firent assembler le parlement pour rendre compte de leur heureux voyage. Le prince de Conti ne s’y trouva point : il parut malade, expres pour donner ce reste de temps aux negociateurs d’achever leur accommodement à la Cour. Mais enfin le mercredi saint, la Reine etant aux tenebres dans la chapelle du chateau [p. 271] de Saint Germain, il arriva un courrier de Paris, que Le Tellier amena, qui apporta la paix entierement reçue par le parlement, les generaux et le peuple, tous montrant d’en etre fort contens. […]
Les devotions de la semaine sainte se passerent dans la chapelle de Saint Germain, où la veritable pieté de la Reine et d’une petite nombre de bonnes ames fut melée avec la galanterie et l’indevotion de toutes les autres personnes qui composent la Cour, et qui font gloire pour l’ordinaire de n’estimer que la vanité, l’ambition, l’interet et la volupté.
La fete de Pâques estant passée, les deputés du parlement de Paris et de Normandie vinrent remercier la Reine de la paix qu’elle leur avoit donnée. Le clergé y vint, toutes les autres compagnies de la ville, les corps des marchands et des metiers, chacun selon leur ordre, tous avec des visages contens, et tous demandant avec ardeur le retour du Roi dans sa bonne ville de Paris. la Reine n’avoit pas sujet de l’estimer si bonne qu’elle eut un grand desir d’y retourner. Elle savoit que le peuple parloit encore avec insolence, qu’il disoit publiquement qu’il ne falloit rien payer au Roi s’il ne revenoit bientoit, et qu’il y avoit de la canaille assez hardie pour dire tout haut dans les rues qu’ils ne vouloient point de Mazarin. Ces esprits farouches etoient si accoutumés à la rebellion et au desordre qu’il etoit difficile, sans quelque chatiment exemplaire, qu’ils pussent reprendre la coutume de respecter la puissance legitime.
La Reine, pour donner le temps aux Parisiens d’eteindre ce reste de feu qui allumoit encore quelquesfois leurs esprits, et laisser evaporer la chaleur et la fumée qui en restoit, se resolut de n’y pas retourner sitot : elle forma le dessein, apres qu’elle auroit vu tous ses ennemis reconciliés, d’aller passer quelque temps à Compiegne.
[…]
[p. 272] Le prince de Conti fut le premier qui sortit de Paris pour venir saluer la Reine. Il fut presenté par M. le Prince, et reçu en presence de ceux du Conseil. Apres les complimens ordinaires, M. le Prince lui fit embrasser le cardinal Mazarin, et rechauffa leur conversation autant qu’il lui fut possible. Le prince de Conti ne l’alla point voir chez lui pour cette premiere fois, afin de garder quelque mesure entre la guerre et l’accommodement, et M. le Prince le fit trouver bon à la Reine.
Monsieur, oncle du Roi, presenta le duc d’Elbeuf. Et le prince de Conti, apres avoir satisfait pour lui, fut celui qui presenta les autres à son tour, qui furent le duc de Bouillon, le prince de Marsillac, le comte de Maure et beaucoup d’autres. La Reine les reçut assez froidement. Le ministre, tout au contraire, ne manqua pas de jouer son personnage ordinaire de temperance et de douceur, leur disant lui-même qu’il croyoit avoir eu tort envers eux, et qu’ils etoient excusables d’en avoir eu du ressentiment.
Ce meme jour arriva à Paris madame de Chevreuse. […] Cette princesse, etant donc arrivée de Bruxelles à Paris, envoya aussitôt negocier avec le ministre, qui à son ordinaire ne la rebuta point : il voulut seulement par quelque delai la mortifier un peu. La Reine, par son avis, refusa le duc de Chevreuse, qui vint à Saint Germain lui demander pour sa femme la permission de demeurer à Paris.
[…]
[p. 273] Le coadjuteur se tint dans sa forteresse, et ne voulut point venir à Saint Germain comme les autres ; mais trouvant à propos de paroitre de loin, il pria le duc de Liancourt de faire ses complimens à la Reine, l’assurer qu’en son particulier il etoit son tres fidele serviteur, et qu’il la reconnoitroit toujours pour a bienfaitrice et sa maitresse. Mais la Reine les reçut avec mepris, et ordonna à son ambassadeur de lui dire qu’elle ne le considereroit jamais pour tel que premierement il ne fut ami du cardinal Mazarin ; qu’il etoit son ministre, qu’elle vouloit que ceux qui lui avoient de l’obligation comme lui suivissent en cela ses memes sentimens. Cependant le coadjuteur, comme j’ai deja dit, traitoit avec le ministre, dont il avoit reçu beaucoup de graces pour ses amis et des promesses à son egard qui dans le temps eurent leur effet.
Le duc de Longueville arriva de Normandie avec une grande suite. Il vint saluer la Reine, qui le reçut gravement. Je remarquai que ce prince en parut interdit, et qu’il ne put jamais lui dire une parole de bon sens. C’etoit un homme de grande consideration : il voyoit qu’il lui etoit honteux d’avoir fait cette faute contre le service du Roi et de la Reine, dont il n’avoit nul sujet de se plaindre, et qu’il etoit tombé dans ce malheur plutôt par legereté que par raison. Quand il arriva, chacun se pressa autour de cette princesse pour entendre ce qu’il lui diroit, car il est difficile de bien defendre une mauvaise cause ; mais il n’eut jamais la hardiesse de parler : il palit, puis il devint rouge, et ce fut toute sa harangue. Apres cet eloquent repentir, il salua le cardinal Mazarin, et un moment apres ils se retirerent aupres d’une fenetre, se parlent longtemps, et ensuite se visiterent reciproquement et demeurerent amis en apparence.
Le comte d’Harcourt vint à la Cour comme les autres. Il fut reçu differemment selon les apparences et les caresses, mais differemment aussi pour les recompenses : car elles ne furent pas si grandes pour lui que pour ceux qui avoient eté contre le service du Roi. Il avoit manqué de conduite pour se saisir de la ville de Rouen, mais il avoit bien servi, ayant toujours occupé un poste en Normandie qui servoit de barriere contre [p. 274] les attaques des ennemis, et mettoit le Roi en sureté contre ce que le duc de Longueville auroit pu faire avec peu de troupes et moins d’argent. Il avoit enfin donné le moyen au Roi de demeurer en sureté à Saint Germain, ce qui n’etoit pas un petit service. On lui donna ensuite le gouvernement d’Alsace, et une abbaye pour un de ses enfans.
Ce meme jour, le duc d’Yorck vint aussi à la Cour. Il n’avoit point encore vu le Roi ni la Reine, à cause qu’il etoit arrivé à Paris pendant le siege de cette ville, où les visites n’etoient guere de saison. Il etoit demeuré aupres de la Reine sa mere pendant cette mauvaise constellation contre les rois, qui l’avoit privé d’un pere et avoit donné beaucoup d’affaires au notre. La Reine lui fit de grands honneurs, et lui donna une chaire à bras, de meme que le duc d’Orleans en avoit obteni une de la reine d’Angleterre sa sœur. Cette belle foule fut augmentée par la venue de madame de Longueville et de mademoiselle de Longueville sa belle fille, qui aussi bien que les autres avoit eté une grande frondeuse. Elle avoit de la vertu et beaucoup d’esprit, et il lui etoit pardonnable d’avoir suivi les sentimens de son pere. Quand ces princesses arriverent, la Reine etoit au lit pour se reposer de toutes ses fatigues. J’avois l’honneur d’etre seule aupres d’elle, et dans cet instant elle me faisoit l’honneur de me parler de l’embarras qu’avoit eu le duc de Longueville en la saluant. Comme je sus que madame de Longueville alloit venir, je me levai, car j’etois à genoux devant son lit, et me mis aupres de la Reine, resolue de n’en point sortir et d’ecouter de pres si cette princesse si spirituelle seroit plus eloquente que le prince son mari. Comme elle etoit naturellement timide et sujette à rougir, toute sa capacité ne la sauva pas de l’embarras qu’elle avoit eu en abordant la Reine. Je me penchai assez bas entre ces deux illustres personnes pour savoir ce qu’elles diroient, mais je n’entendis rien que : « Madame », et quelques mots qu’elle prononça si bas que la Reine, qui ecoutoit avec application ce qu’elle lui diroit, ne put jamais y rien comprendre. Mademoiselle de Longueville, apres la reverence de sa belle mere, se contenta de baiser le drap de la Reine sans ouvrir la bouche ; puis, se mettant toutes deux sur les sieges qu’on leur apporta, elles furent fort heureuses de ce que je commençai la conversation, en demandant à madame de Longueville à quelle heure elle etoit partie de Paris, parce qu’il n’etoit pas deux heures apres midi ; et, pour les soulager de la confusion qu’elles avoient qui les incommodoient beaucoup, j’exagerai leur diligence.
[…]
[p. 275] Je finirai les aventures de Saint Germain par l’arrivée du marquis de Vitri, du marquis de Noirmoutiers et de Laigues. Le premier avoit du merite et de la qualité. Sur quelques degouts que j’ignore, il etoit entré dans ce parti, etant actuellement attaché au service de la Reine, en quoi sa faute etoit plus grande et moins pardonnable. Pour les deux autres, l’un avoit beaucoup de naissance, tous deux etoient honnetes gens, et tous deux avoient eté grands frondeurs, et avoient, comme je l’ai deja dit, traité publiquement avec le roi d’Espagne. Ils vinrent donc sous la foi publique saluer la Reine avec la meme hardiesse que s’ils eussent travaillé à sauver l’Etat ; et, comme les autres, ils en furent quittes pour un peu de froideur et de mauvais visages. Ils etoient de ma connoissance, et, dans le moment que je fus aperçue d’eux, ils vinrent me temoigner beaucoup de joie de me rencontrer. Je leur dis tout bas que j’etois fort aise de les voir, mais qu’en cette occasion je les priois de ne m’aimer pas tant, vu que l’amitié de telles gens n’etoit nullement de bon augure dans la chambre de la Reine. Comme je raillois avec eux, Monsieur passa, qui leur fit mille caresses. En me retirant, je lui dis que je croyois avoir merité la corde par la bonté que j’avois eue de les souffrir, et que j’en avois du scrupule. Je les laissai, et lui dis encore que pour lui qui etoit le maitre et qui n’avoit rien à craindre, il pouvoit leur faire grace et les bien traiter, mais que, pour moi, je croyois en devoir user autrement. Monsieur me repondit que j’etois bien sage, et que, pour m’empecher d’aller à la Greve, il alloit les emmener. Il les prit en effet, et, les poussant dans une fenetre, il demeura quelque temps à les entretenir.
[…]
En ce meme temps [le 13 mars], la Reine partit pour aller à Compiegne.
[…]
[p. 284] Le roi d’Angleterre alors vint en France, apres avoir eté reconnu roi par elle. Il revenoit de Hollande pour voir la Reine sa mere, qu’il n’avoit point vu depuis leur malheur. Il logea à Saint Germain, que la Reine lui avoit envoyé offrir à Peronne par le duc de Vendome, pour y demeurer tant qu’il lui plairoit d’etre en France. Il l’accepta volontiers, car dans l’etat où il etoit, chargé d’un deuil aussi doublement funeste qu’etoit le sien, il devoit desirer de n’etre pas à Paris.
Quand il arriva, le duc de Vendome lui mena les carrosses du Roi. Il s’arreta à Compiegne, où il vit le Roi qui alla au devant de lui à une [p. 285] demi lieue, et fut reçu de lui et de la Reine avec toutes les marques d’affection que Leurs Majestés devoient à un si grand prince. Le Roi lui donna un diner veritablement royal, mais ce fut plutôt par les personnes royales qui s’y trouverent que par l’appareil et la magnificence. […]
Cette Cour anglaise demeura quelque temps à Saint Germain, où elle fut peu frequentée de nos Français ; quasi personne n’alloit visiter ni la reine d’Angleterre ni le roi son fils. Il y avoit de grands seigneurs anglais qui avoient suivi la destinée de leur prince et qui composoient cette Cour. Il ne faut pas s’etonner de leur solitude : le malheur etoit de la partie ; ils n’avoient pas de grace à faire : ils avoient des couronnes sans puissance, qui ne leur donnoient point les moyens d’elever les hommes et de leur faire du bien. Leur suite avoit eté grande, quand les richesses, la grandeur et les dignités etoient en leur possessions, car ils avoient de la foule autour de leurs personnes. Cette reine malheureuse avoit eu de la joie, et j’ai oui dire à madame de Chevreuse, et à beaucoup d’autres qui l’avoient vue dans sa splendeur, que la Cour de France n’avoit pas alors la beauté de la sienne ; mais sa joie n’etoit plus que le sujet de son desespoir, et ses richesses passées lui faisoient sentir davantage sa pauvreté presente.
[…]
[p. 291] Les fatigues des premiers jours s’etant passés, la Reine alla visiter la reine d’Angleterre à Saint Germain. Elle y trouva le roi d’Angleterre son fils, qui attendoit aupres de la reine sa mere quelque favorable occasion pour retourner en son pays faire la guerre à ses rebelles sujets. Ces deux princesses ne s’etoient point vues depuis la deplorable mort du roi d’Angleterre, que toutes les deux devoient pleurer, l’une comme sa femme bien aimée, l’autre comme son amie ; mais la Reine evita de parler à la reine d’Angleterre de son malheur, pour ne pas renouveler ses larmes ; et, apres les premieres paroles de douleur que l’occasion les força de dire l’une à l’autre, la civilité ordinaire et les discours communs firent leur entretien.
[…]
[p. 292] Le roi d’Angleterre sut alors que quelques troupes, qui tenoient encore pour lui en Angleterre, avoient eté defaites, ce qui l’affligea beaucoup, et, voyant toutes ses esperances presque detruites, il se resolut d’aller aux iles de Jersey et de Guernesey, dont milord Germain, attaché au service de la Reine sa mere, etoit gouverneur. Il voulut aller en Irlande voir si la fortune lui ouvriroit quelque voie pour rentrer dans son royaume. Ce lord lui ayant conseillé de ne se pas hater d’y aller dans le temps de cette deroute, il lui repondit qu’il falloit donc y aller pour mourir, puisqu’il etoit honteux à un prince comme lui de vivre ailleurs.
[…]
[p. 374] [1651] Le cardinal etant donc resolu à partir, il vint chez la Reine le soir de ce jour 6 fevrier ; elle lui parla longtemps devant tout le monde, dans [p. 375] la creance que vraisemblablement ce seroit la derniere fois qu’elle le verroit. […] Quand il fut dans son appartement, il se vetit d’une casaque rouge, prit un chapeau avec des plumes, et sortit à pied du Palais Royaln suivi de deux de ses gentilshommes : il alla par la porte de Richelieu, où il trouva des gens qui l’attendoient avec des chevaux ; de là, il alla passer la nuit à Saint Germain. Son premier dessein fut de sortir par la porte de la Conference, mais il eut avos qu’on avoit voulu tuer de ses domestiques devant le logis de Mademoiselle, qui logeoit aux Tuileries, et cette rumeur l’obligea à fuir par le plus court chemin. […] [p. 376] Quand on sut dans Paris que le ministre etoit parti, qu’il etoit à Saint Germain, et qu’il pouvoit aller au Havre où etoient les princes, l’inquietude fut grande dans tous les partis.
[…]
[p. 432] [1652] On donna avis à Paris à M. le Prince que Miossens et le marquis de Saint Mesgrin, lieutenans generaux, marchoient de Saint Germain à Saint Cloud avec deux canons, à dessein de [p. 433] chasser cent hommes du regiment de Condé qui s’etoient retranchés sur le pont et qui en avoient rompu une arche. […]
M. le Prince consentit à laisser aller à Saint Germain, où etoit la Cour, le duc de Rohan, Chavigny et Goulas, tous trois chargés des interets du duc d’Orleans et des siens.
[…]
[p. 527] [1662] Le cœur du Roi etoit rempli de ces miseres humaines qui font dans la jeunesse le faux bonheur de tous les honnetes gens. Il se laissoit conduire doucement à ses passions, et vouloit les satisfaire. Il etoit alors à Saint Germain, et avoit pris la coutume d’aller à l’appartement des filles de la Reine. Comme l’entrée de leur chambre lui etoit defendue par la severité de la dame d’honneur, il entretenoit souvent mademoiselle de La Motte Houdencourt par un trou qui etoit à une cloison d’ais de sapin, qui pouvoit lui en donner le moyen. Jusque là neanmoins ce grand prince, agissant comme s’il eut eté un particulier, avoit souffert tous ces obstacles sans faire des coups de maitre ; mais sa passion devenant plus forte, elle avoit aussi augmenté les inquietudes de la duchesse de Navailles, qui, avec les seules forces des lois de l’honneur et de la vertu, avoit osé lui resister. Elle suivit un jour la Reine mere, qui, de Saint Germain, vint au Val de Grace faire ses devotions, et fit ce voyage à dessein de consulter un des plus celebres docteurs qui fut alors dans Paris, sur ce qui se passoit à l’appartement des filles de la Reine. Elle comprenoit qu’il falloit deplaire au Roi, et sacrifier entierement sa fortune à sa conscience, ou la trahir pour conserver les biens et les dignités qu’elle et son mari possedoient : et comme elle n’etoit pas insensible aux avantages qu’ils possedoient à la Cour, elle sentoit sur cela tout ce que la nature lui pouvoit faire sentir. J’etois alors à Paris, et j’allais au Val de Grace rendre mes devoirs à la Reine. J’y vis mon amie, et j’y vis son inquietude. Elle me dit l’etat où la mettoit le Roi par les empressemens qu’il avoit pour cette fille, et m’apprit qu’elle venoit de consulter sur ce sujet un homme pieux et savant, dont la reponse avoit eté decisive. Il lui avoit dit qu’elle etoit obligée de perdre tous ses etablissemens, plutot que de manquer à son [p. 528] devoir par aucune complaisance criminelle. Elle me parut resolue de suivre ce conseil, mais ce ne fut pas sans jeter une grande abondance de larmes, et sans ressentir la douleur où la mettoient ces deux grandes extremités, où necessairement il falloit prendre son parti sur les deux volontés de l’homme, toujours si contraires l’une à l’autre, c’est à dire ce qui le porte, selon la qualité de chretien, à desirer les richesses eternelles, ou, selon la nature, à vouloir celles dont on jouit dans le temps. […]
A son retour à Saint Germain, elle sut par ses espions que des hommes de bonne mine avoient eté vus sur les gouttieres, et dans des cheminées qui, du toit, pouvoient conduire les aventuriers dans la chambre des filles de la Reine. Le zele de la duchesse de Navailles fut alors si grand que, sans se retenir ni chercher les moyens d’empecher avec moins de bruit ce qu’elle craignoit, elle fit aussitôt fermer ces passages par de petites grilles de fer qu’elle y fit mettre, et par cette action elle prefera son devoir à sa fortune, et la crainte d’offenser Dieu l’emporta sur le plaisir d’etre agreable au Roi, qui sans doute, à l’egard des gens du grand monde, se doit mettre au rang des plaisirs les plus sensibles que l’on puisse gouter à la Cour, quand on le peut faire innocemment. […]
Pendant que le Roi se laissoit aller où ses désirs [p. 529] le menoient, la Reine souffroit beaucoup. Elle ne savoit rien de ce qui se passoit ; on lui cachoit, par ordre de la Reine mere, toutes les galanteries du Roi. Sa dame d’honneur, qui etoit fidele au Roi et à elle, se contentoit de faire son devoir de tous cotés, et ne lui disoit rien qui la put affliger ; mais le cœur, qui ne se trompe point et que la verité instruit, lui faisoit tellement connoitre, sans le savoir precisement, que mademoiselle de La Valliere, que le Roi aimoit alors uniquement, etoit la cause de sa souffrance, qu’il etoit impossible de lui cacher son malheur.
A mon retour d’un petit voyage que je fis en ce temps là en Normandie, je trouvai la Reine en couche de madame Anne Elisabeth de France. Un soir, comme j’avois l’honneur d’etre aupres d’elle à la ruelle de son lit, elle me fit un signe de l’œil ; et m’ayant montré mademoiselle de La Valliere qui passoit par sa chambre pour aller souper chez la comtesse de Soissons, avec qui elle avoit repris quelque liaiso

Motteville, Françoise (de)

Récit par Dubois, valet de chambre du roi, de la mort de Louis XIII à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 523] Le samedi vingt unieme de fevrier 1643, le Roi est tombé malade d’une longue et mortelle maladie, qui paroissoit comme flux hépatique (les autres la nommerent fievre etique), laquelle ensuite causa des abscès dans le corps et pourtant donnoit toujours quelque esperance de guerison. Et pour marque de cela, le premier jour d’avril que nous commençames le quartier, le Roi se leva et fut quasi tout le jour hors du lit, et travailla fort longtemps à peindre certains grotesques, à quoi il se divertissoit ordinairement.
Le 2 avril, il se leva encore comme les autres jours et se divertit à l’ordinaire.
Le 3, il se leva et voulut faire un tour de gallerie. J’avois l’honneur de lui porter sa chaise pour se reposer ; il la demandoit souvent et ne faisoit pas vingt pas qu’il ne la lui fallut donner, quoique messieurs de Souvré et de Charost, l’un premier gentilhomme de la chambre en année, le second capitaine des gardes de quartier, l’aidassent en le soutenant par-dessous les bras. Ce fut la derniere promenade que fit Sa Majesté. Apres, Elle se leva de fois à autre mais ne s’habilla plus et alla toujours souffrant et s’affoiblissant jusqu’au dimanche 19 avril, qu’il dit avoir tres mal passé la nuit, et sur les huit heures du matin il dit ces memes paroles : « Je me sens bien et vois mes forces qui commencent à diminuer ; j’ai demandé à Dieu cette nuit que, si c’etoit sa volonté de disposer de moi, je suppliois sa divine majesté d’abreger la longueur de ma maladie ». Et alors, s’adressant à M. Bouvard, son premier medecin, il lui dit : « Vous savez qu’il y a longtemps que j’ai mauvaise opinion de cette maladie ci et que je vous ai prié et meme pressé de m’en dire votre sentiment ». Ce que M. Bouvard avoua, disant : « Il est vrai, Sire ». Le Roi reprit la parole et dit : « Je vois bien qu’il faut mourir, je m’en suis aperçu dès ce matin, puisque j’ai demandé à M. de Meaux (qui etoit son premier aumonier) et à mon confesseur les sacremens qu’ils m’ont differés jusqu’à présent » ; et continua son discours par les plus beaux termes du monde, qui faisoient voir qu’il étoit fort preparé à mourir. Ces paroles furent si essentielles qu’elles nous tirerent des larmes en abondance. Mais l’après dinée, sur les deux heures, il nous confirma bien plus fortement dans la croyance qu’il en avoit. S’etant levé et mis dans sa grande chaise à la romaine, où l’on se peut coucher tout de son long, ou bien souvent il se reposoit et faisoit de longs sommeils, particulierement les soirs, et dans laquelle il se soulageoit un peu de la lassitude son lit, étant donc assis dedans, la tete haute, il nous commanda d’ouvrir les fenetres afin qu’il vit, nous dit il, sa derniere demeure. Ce fut une pensée qui nous troubla et nous toucha vivement, puisqu’etant logé au chateau neuf de Saint Germain en Laye, il avoit fait sa [p. 524] chambre du cabinet de la Reine, duquel on a la plus belle vue du monde, particulierement celle de Saint Denis qui se decouvre fort à plein, et c’etoit la demeure qu’il entendoit et nous aussi.
Tous les soirs, il se faisoit lire la vie des saints ou quelques autres livres de devotion par M. Lucas, secretaire du cabinet, et quelquefois par M. Chicot, son medecin.
Le soir du meme jour, il demanda au sieur Lucas de prendre un petit livre du Nouveau Testament et de lire en Saint Jean, chap. 17 : Pater meus, clarifica me, chapitre qu’il lui remarqua positivement, qui sont les meditations de la mort que fit Jesus Christ avant de passer le torrent de Cedron, et la priere qu’il fit à Dieu, son père, sur le meme sujet, qui est ravissante.
Le Roi, ayant fait un assez long sommeil dans sa chaise et n’ayant plus envie de dormir, fit lire dans l’Introduction à la vie devote, par le bienheureux François de Salles. Ayant commandé au sieur Lucas de lire les chapitres de la meditation de la mort, Sa Majesté voyant que ledit sieur Lucas ne les trouvoit pas assez tot, prit le livre, à l’ouverture duquel il trouva les meditations qu’il cherchoit, et lui dit : « Lisez cela » ; ce qui fut fait jusqu’à minuit, apres quoi le Roi nous commanda de nous retirer.
Le lundi vingtieme, il fit la plus haute action qui se pouvoit faire en semblable occasion. Il declara la Reine regente apres sa mort. Il fit cette action avec un visage gai et satisfait, en presence de la Reine, de M. le duc d’Orleans, de M. le Prince et de tout ce qu’il y avoit de Grands à la Cour. MM. les ministres d’Etat y etoient presens. Le Roi nous ordonna d’ouvrir les rideaux de son lit et, apres avoir entretenu la Reine, monsieur son frere et M. le Prince, il haussa le ton de sa voix et fit un tres beau discours à toute l’assemblée, puis il commanda à M. de La Vrilliere, secretaire d’Etat, qui etoit lors en mois, de lire tout haut la regence de la Reine, afin que tout le monde scut sa derniere volonté.
M. de La Vrilliere, touché d’une semblable action, qui donnoit une marque evidente de la mort prochaine du Roi, fit cette lecture au pied du lit de Sa Majesté. Les larmes qui couloient de ses yeux en abondance etoient des preuves authentiques de sa douleur. La Reine etoit au pied du lit du Roi, assise dans une chaise que j’avois eu l’honneur de lui presenter ; elle fondoit aussi en larmes. Tout le monde pleuroit aussi. Apres la lecture faite, le Roi s’adressa à la Reine, à monsieur son frere et à M. le Prince, et ensuite à MM du parlement, qui etoient aussi presents, auxquels il dit des choses si touchantes qu’ils ne pouvoient tous se consoler. Le Roi, qui paroissoit ce jour là avec un visage vermeil, content et sans inquietude, marquoit bien qu’il n’avoit nulle apprehension de la mort. Tout le monde voyoit le plus grand roi de la terre, chargé de conquetes et de victoires, quitter son sceptre et sa couronne avec aussi peu de regret que s’il n’eut laissé qu’une botte de foin pourri. Il sembloit que Dieu lui eut donné plus de force ce jour là que les precedens, pour donner lieu de faire voir en lui une plus grande et plus genereuse action que toutes celles qu’il avoit jamais faites.
Tout le monde se retira en pleurs. Apres, le Roi fut assez longtemps avec M. de Meaux et son pere confesseur. Le soir, il se fit lire la Vie des saints.
Le mardi 21, le Roi dit qu’il avoit bien mal passé la nuit et qu’il se trouvoit foible des grandes evacuations qu’il avoit faites et faisoit encore. Apres une où je me trouvai seul aupres du chevet de son lit, luy ayant presenté son linge pour se nettoyer, et lui soutenant un peu haut son drap et sa couverture, il se regardoit le corps. Apres se l’etre consideré un espace de temps, il dit, levant les yeux au ciel : « Mon Dieu, que je suis maigre ! » comme, en effet, on ne pouvoit pas l’etre davantage. Il n’avoit plus que les os et la peau. On lui voyoit les cuisses et les jambes si menues du haut en bas qu’il n’y avoit que les genoux qui faisoient remarquer un peu de grosseur en cet endroit ; le reste sembloit un squelette.
Le reste de ce jour fut employé comme les autres à prier Dieu, ce que faisoit continuellement Sa Majesté avec des elevations d’esprit très grandes ; et on lui voyoit presque toujours les yeux ouverts au ciel comme s’il eût parlé à Dieu, cœur à cœur. Aux heures accoutumées de ses prieres, nous lui portions au chevet de son lit un petit pupitre d’ebene, où il mettoit son livre de service divin, que lui meme avoit composé, intitulé : Parva christianae pietatis officia per christianum regem Ludovicum XIII ordinata. Le Roi savoit presque tous les offices par cœur. Tous ceux de chaque jour de la semaine etaient dans ce livre ainsi que ceux de toutes les fetes de l’année, beaucoup d’autres de devotion et particulierement de votifs pour demander à Dieu la grace de bien mourir, que [p. 525] Sa Majesté avoit faits pour elle particulierement, et qu’Elle recitoit sans y manquer tous les lundi ; et toutes ses prieres reglées ne l’empechoient pas d’agir à son conseil, quasi le tiers du jour, avec MM. les ministres, avec lesquels il agissoit comme s’il se fut bien porté, et aussi etoit il très sain de l’esprit.
Ce meme jour, monsieur le Dauphin fut baptisé sur les cinq heures du soir dans la chapelle du vieux chateau de Saint Germain, et son parrain fut monseigneur le cardinal de Mazarin et sa marraine fut madame la Princesse, et fut nommé Louis, le tout en presence de la Reine et sans ceremonie, à cause de la maladie du Roi. Je voulus voir cette action là, et, de retour l’un des premiers aupres de Sa Majesté, Elle me demanda ce qui s’y etoit passé, ce que j’eus l’honneur de lui raconter. Le Roi, apres avoir entendu le recit que je lui en ai fait, en loua Dieu ; il hausse les yeux au ciel et fut assez longtemps en cette action. La Reine, monsieur le cardinal et toute la Cour y arriverent un peu de temps apres, qui entretinrent le Roi de la sagesse de monsieur le Dauphin et de tout le reste.
Le mercredi 22, il se trouva fort mal, il avoit mal passé la nuit. Messieurs les medecins trouverent à propos qu’il communiat. L’on en avertit la Reine, afin qu’elle y vint, et qu’il falloit aussi qu’elle amenat messeigneurs ses enfans, pour recevoir la benediction du Roi.
Tout le monde se desesperoit : M. de Souvré me commanda d’aller attendre la Reine à la porte de la salle des gardes, afin de lui donner avis qu’elle entrat par le cabinet. Ce jour là, il faisoit grand froid et un temps fort rude. La Reine vint : je m’adressai à madame de La Flotte et lui dis le commandement que j’avois eu de monsieur de Souvré. Elle voulut bien le dire à la Reine, qui dit aussitôt : « Je l’ai bien entendu ». La foule du monde etoit si prodigieuse qu’elle causoit une grande confusion. Les seigneurs qui etoient là prirent l’un monsieur le Dauphin, l’autre monsieur d’Anjou, et se pousserent dans la presse, de sorte que la Reine demeura seule en son carrosse avec madame de La Flotte. Sa Majesté crioit : « N’y a t il là personne qui m’aide, me laissera t on seule ? » Moi, qui n’etois pas assez osé pour lui presenter la main, je m’avançai dans la presse et fis en sorte de lui amener M. le duc d’Uzes, son chevalier d’honneur, qui la conduisit par le cabinet. Arrivant dans la chambre du Roi, elle va droit au chevet de son lit et se jetta à genoux, fondant en larmes. Elle fut longtemps dans le particulier, où le Roi faisoit voir qu’il lui parloit avec affection.
Madame la duchesse de Vendome avoit entre ses bras monsieur d’Anjou, qui crioit desesperement à cause qu’il n’avoit pas une de ses femmes avec lui, elle n’avoit pu entrer à cause de la quantité du monde. Elle me le donna pour l’oter de là et m’en aider comme je pourrois ; tellement que je le portai dans le cabinet du Roi, l’assis sur la table et lui fis croire que le Roi avoit un petit cheval d’or et de diamans, et qu’il le vouloit donner à l’un des deux qui seroit le plus sage, tellement que, grace à Dieu, je l’appaisai fort bien et le remis quelque temps apres entre les mains de madame de Folaine, sa gouvernante.
Dans ce temps là, la conference de Leurs Majestés finit et la ceremonie s’acheva, et la Reine presenta au Roi ses deux enfans à genoux, et elle aussi, lesquels reçurent la benediction de Sa Majesté. Et apres ces choses faites, tout le monde se retira de là un peu de temps. Le Roi demanda à M. Bouvard si c’etoit pour la nuit ensuivante ; sa reponse fut que ce n’etoit pas sa croyance, s’il n’arrivoit quelque accident.
Sur le soir, messieurs les marechaux de La Force et de Chatillon vinrent voir Sa Majesté, qui les exhorta avec amour de quitter leur religion. Que veritablement, selon le monde, ils etoient de fort braves gens, mais, selon Dieu, qu’il n’en etoit pas de meme, et qu’il n’y avoit pas deux voies pour aller au ciel, que hors de l’eglise catholique, apostolique et romaine il n’y avoit point de salut, et les convia, par de fort beaux termes, d’y penser. Ce meme jour, il reçut madame d’Elbeuf et mademoiselle sa fille.
Le jeudi 23, il reçut l’extreme onction et repondit à tous les pesaumes et les litanies ; et lorsqu’il lui fallut toucher les saintes huiles, je me trouvai avec Laplanche, un de mes compagnons, les plus pres du pied de son lit, ce [p. 526] fut à moi lui decouvrir les pieds. je ne fus jamais si pressé de douleur que de voir mon maitre en cet etat là, et qu’il fallut lui rendre un semblable service. A la fin de la ceremonie, monsieur de Vantadour, chanoine de Notre Dame, s’approcha du Roi et lui parla assez longtemps et en sortit avec larmes, ce qui obligea le Roi à dire : « Je ne trouve pas mauvais que vous pleuriez, c’est une marque que vous m’aimez, mais cela me donne de la tendresse, car Dieu scait si je ne suis pas ravi d’aller à lui ». Continuant de parler de Dieu, il avoit toujours grand monde qui l’etouffoit. Desirant voir par les fenetres de sa chambre, il fit, en faisant signe que l’on se rangeat : « Hé, Messieurs, donnez moi la vie ». En meme temps tous ceux qui n’avoient que faire sortirent.
Le vendredi 24, il ne voulut pas prendre une prise de rhubarde, qu’il refusa aux prieres de Monsieur, son frere, de monsieur le Prince et à celles de messieurs les ministres, ce qui faisoit desesperer tout le monde de sa santé. Neanmoins, il se porta si bien l’apres dinée qu’il commanda à M. de Niert, premier valet de garde robe, d’aller prendre son luth, et il chanta des louanges à Dieu, comme Lauda anima mea Dominum, et fit aussi chanter Savi, Martin, Campfort et Fordonant, qui chanterent en partie des airs que le Roi avoit faits sur les paraphrases de David par monsieur Godeau, et ne fut chanté que des airs de devotion, et meme le Roi chanta quelques unes des basses avec monsieur le marechal de Schomberg, ce qui nous causa de tres grandes joies, mais non pas de durée.
La Reine, qui avait de coutume de venir tous les jours à pareille heure, fut fort surprise de joie d’entendre cette musique, et ravie de voir le Roi mieux. Le reste du jour se passa de meme. Et sur ce que le monde disoit au Roi qu’il etoit gueri, il dit tout haut : « Que si c’etoit la volonté de Dieu qu’il revint au monde, il lui plut lui faire la grace de donner la paix à toute l’Europe ».
Le samedi 25, les forces sembloient bien augmenter. Le Roi passa bien le jour, toujours dans les prieres comme à l’accoutumée.
Le dimanche 26, il se porta bien. L’apres dinée, il me demanda ceux qui etoient dans l’antichambre. Lui ayant nommé monsieur de Guitaud, il commanda qu’on le fit entrer, et fut assez longtemps dans la ruelle de son lit à l’entretenir.
Le lundi 27, il reçut monsieur de Beringhen, premier valet de chambre, qui revenoit des occasions de Hollande, où il s’etoit signalé par ses belles actions.
Le mardi 28, il ne se passa pas bien la nuit et fut mal.
Le mercredi 29, il se porta mieux, et ce meme jour il reçut madame de Guise et messieurs ses enfans.
Le jeudi 30, il fut assez bien et passa assez bien la journée.
Le vendredi, premier jour de mai, il se trouva mal pour n’avoir pas bien passé la nuit.
Le samedi 2, il ne se trouva pas mieux, et ce meme jour il reçut monsieur de Bellegarde.
Le dimanche 3, il se trouva mal.
Le lundi 4, il reçut monsieur Le Tellier, secretaire d’Etat ayant la commission de la Guerre, à la place de monsieur Desnoyers.
Le mardi 5 et le mercredi 6, mauvais.
Le jeudi 7, il se trouva fort mal, et dit à monsieur Chicot, l’un de ses medecins : Quand me donnera t on les bonnes nouvelles qu’il faille partir pour aller à Dieu ?
Ce meme jour, la Reine fit dresser une chambre au chateau neuf, fut fort tard dans la chambre du Roi, et y envoyoit à tout moment de la nuit.
Le vendredi 8, il fut tres mal et eut beaucoup de peine à prendre des alimens, et pria qu’on le laissat mourit en patience. J’avois accoutumé de demeurer tous les jours dans la chambre de Sa Majesté, jusqu’à ce que monsieur de Souvré, qui y couchoit, me commandat de me retirer. Mais ce soir, le Roi, voyant que messieurs d’Archambault, Forest et Bontems, premiers valets de chambre, etoient sur les dents, Sa Majesté commanda que Desnoyers, barbier, et moi, demeurassions au coucher pour soulager les susdits nommés jusqu’à la mort de notre tres cher maitre. Et le meme soir, le Roi vomit des eaux, où j’eus l’honneur de lui tenir la tete.
Le samedi 9, il fut tres mal tout le jour. Le soir, sur les neuf heures, il lui prit un grand assoupissement. Messieurs les medecins n’en etoient pas bien satisfaits. Ils firent beaucoup [f. 527] de bruit pour l’eveiller. Ils lui tatoient le pouls et ne l’eveilloient point. Ils jugerent enfin qu’il etoit à propos de l’eveiller et en donnerent la commission au pere Dinet, confesseur de Sa Majesté, qui s’approcha d’Elle, lui cria assez haut par trois fois : « Sire, Votre Majesté m’entend Elle bien ? Qu’Elle se reveille, s’il lui plait, il y a si longtemps qu’Elle n’a pris d’alimens que l’on a peur que ce grand sommeil ne l’affoiblisse trop ». Le Roi se reveilla et lui dit d’un esprit present : « Je vous entends fort bien, mon pere, et ne trouve point mauvais ce que vous faites, mais bien ceux qui vous le font faire. Ils scavent que je ne repose point les nuits, et à present que j’ai un peu de repos, ils me reveillent ». Et s’adressant à son premier medecin, il lui dit beaucoup de choses que je laisse au bout de la plume. Et apres lui avoir parlé si aigrement, il changea de discours et dit : « Est-ce que vous voulez voir si j’apprehende la mort ? ne le croyez pas, s’il faut partir à cette heure, je suis prêt ». « Mon pere, dit il à son confesseur, est ce qu’il faut aller ? Allons, confessez moi et recommandez mon ame si les choses pressent ». Ce que l’on lui assura que non, mais que la grande delibilité de sa personne et le besoin qu’il avoit de prendre des alimens avoient fait qu’on l’avoit eveillé. Et toute cette nuit fut tres mauvaise.
Le dimanche 10, le Roi fut tres mal. Et lorsqu’on le voulut presser des alimens, qui etoit une gelée fondue dans un certain verre qui avoit un grand bec courbé, de façon qu’il pouvoit prendre de la nourriture sans qu’il fallut lui lever la tete, tout le monde le pressoit d’en prendre pour prolonger sa vie et pour esperer toujours quelque soulagement. Et il leur disoit : « Hé ! obligez moi de me laisser mourir en patience ».
L’apres dinée, sur les quatre heures, monsieur le Dauphin vint voir le Roy. Les rideaux du lit etoient ouverts, et le Roi dormoit, mais avec la bouche ouverte et les yeux tournés ; ce qui donnoit des marques de sa mort prochaine. Je m’approchai de monsieur le Dauphin, aupres duquel j’etois lors assez bien pour m’etre attaché aupres de sa personne dans une maladie qu’il eut, où je passai plusieurs nuits entieres à le chanter et à la bercer avec sa remueuse. Monsieur le comte de Vivonne etoit lors aupres de lui. Je leur dis à tous deux : « Considerez, je vous prie, le Roi qui dort, comme il est et de quelle façon, afin qu’il vous en souvienne lorsque vous serez grands ». Ce que firent ces deux enfans avec attention. De là, un peu de temps apres, j’entrai dans la galerie où etoit monsieur le Dauphin, lequel, apres s’etre joué, s’etoit assis sur une paillasse aupres de madame de Lanzacq, sa gouvernante, et monsieur de Vivonne aupres de lui. Je leur demandai à tous deux : « Avez vous bien remarqué de quelle sorte le Roi dort, afin qu’il vous en souvienne ? » Ils repondirent qu’oui, qu’ils avoient bien remarqué et qu’il tenoit la bouche et les yeux ouverts et tout tournés, particulierement le gauche, et qu’ils s’en souviendroient bien.
Dupont, huissier de la chambre de Sa Majesté, qui etoit de garde aupres de monsieur le Dauphin, prit la parole et dit : « Monsieur, voudriez vous bien etre roi ? » Monsieur le Dauphin repondit : « Non ». Dupont reprit : « Et si votre papa mouroit ? » Monsieur le Dauphin dit de son propre mouvement, la larme à l’œil, ce que j’ai jugé très remarquable : « Si mon papa mouroit, je me jetterois dans le fossé ». Ce qui nous surprit tous, voyant qu’il ne pouvoit exprimer sa douleur par d’autres termes. Madame de Lanzacq prit la parole, et dit : « Ne lui en parlons plus, il a déjà dit cela deux fois ; si ce malheur nous arrivoit, il y faudroit prendre garde bien exactement, quoiqu’il ne sort jamais qu’on ne le tienne par les cordons ».
Sur les six heures du soir, le Roi, sommeillant, s’eveille en sursaut, s’adresse à monsieur le Prince, qui etoit lors dans la ruelle, et lui dit : « Je revois que votre fils, le duc d’Anguien, etoit venu aux mains avec les ennemis, que le combat etoit fort rude et opiniatre, et que la victoire a longtemps balancé, mais qu’apres un rude combat elle est demeurée aux notres, qui sont restés maitres de la bataille ».
C’est la prophetie du gain de la bataille de Rocroy, qui se fit dans le meme temps, ayant entendu ces paroles de la bouche du Roi.
Sur les dix heures du soir, le Roi etoit assoupi. Les medecins le trouverent froid et quelques uns d’entre eux crurent que c’etoit le froid de la mort, ce qui donna frayeur à tout le monde. La Reine, qui etoit toujours aupres du Roi, se trouva fort etonnée de cet accident, et vouloit passer la nuit dans la chambre de Sa Majesté, sans que monsieur de Souvré, par [p. 528] ses prieres, l’obligea d’en sortir à deux heures apres minuit. Il la reconduisit dans sa chambre, et j’eus l’honneur de l’eclairer. Sa chambre etoit fort proche, il n’y avoit que l’antichambre à passer. De là, quelque temps apres, la Reine envoya mademoiselle Filandre, sa premiere fille de chambre, pour sçavoir des nouvelles du Roi. Elle marchoit fort bellement, de peur d’eveiller Sa Majesté, qu’elle croyoit endormie. J’etois lors seul dans la ruelle et proche du Roi, qui ne dormoit pas. Je me donnai l’honneur de lui dire : « Sire, il me semble que la Reine soit en peine de la santé de Votre Majesté : voila mademoiselle Filandre ». Le Roi dit : « Faites la venir ». Il lui parla, et elle fut rendre reponse à la Reine.
Sur les trois à quatre heures apres minuit, il se plaignit d’une douleur de coté gauche. Elle etoit si violente qu’il dit : « Si j’avois ma toux ordinaire avec cette douleur, je mourrois tout presentement, n’ayant pas la force de supporter les deux ; mais c’est Dieu qui ne le veut pas ». Il etoit sujet à une certaine toux seche qui le tourmentoit beaucoup.
Nous fimes chauffer du lait et le mimes dans des vessies de porc, et le posions sur sa douleur. Apres, il dit que cette douleur s’elargissoit, et continuoit de s’en plaindre. Il lui prit ensuite un vomissement, où j’eus l’honneur de lui tenir la tete, comme m’etant trouvé le plus pres de sa personne. Je courois à la partie la plus pressée. Le reste du jour fut tres difficile et tres mauvais. Le Roi, neanmoins, prioit toujours Dieu et travailloit avec ses ministres. Il fit longtemps ecrire sous lui monsieur de Chavigny.
Le lundi 11, il fut desesperé de tous les hommes. Il sentoit de grandes douleurs et ne pouvoit rien prendre. Il passa ainsi le jour, chacun pleuroit et se plaignoit les uns aux autres. Enfin, il prit son orge mondée, qui pourtant ne lui ota pas la toux. De là, à deux heures, il prit son petit lait qui la lui ota et le fit un peu dormir. Mais bientot apres ses douleurs de ventre lui redoublerent, et nous lui appliquames des vessies de porc avec le lait. Tout ce jour fut tres mauvais.
Le mardi 12 fut tres mauvais, et on croyoit qu’il ne passeroit pas la nuit. Ceux qui etoient aupres de lui le prierent instamment de vouloir prendre des alimens, entre autres le sieur Bontemps se mit à genoux, les larmes aux yeux, pria Sa Majesté instamment de prendre un bouillon. Il le refusa, et leur dit : « Mes amis, c’en est fait, il faut mourir ! » et se tourna la vue de l’autre coté. Sur les sept heures du soir, l’on lui apporta le saint viatique, croyant qu’il devoit mourir. Je l’observai dans cette action, comme j’avois fait ci devant plusieurs fois. Je voyois de grosses larmes qui lui tomboient des yeux, avec des elevations d’esprit continuelles, qui faisoient connoitre evidemment un commerce d’amour entre Leurs Majestés divine et humaine.
La Reine demeura dans la chambre du Roi jusqu’à trois heures apres minuit, et monsieur le duc de Beaufort y passa la nuit tout entiere sur la paillasse, aupres de monsieur de Souvré.
Le mercredi 13 fut mauvais. Le Roi ne pouvoit prendre d’alimens. Tout le jour se passa dans les meditations et pensées de la mort. Il se faisoit entretenir, il y avoit dejà quelques jours, par messieurs les eveques de Meaux et de Lisieux, et par les peres de Vantadour, Dinet et Vincent, qui l’assisterent jusqu’à la mort. Quelques fois il leur disoit : « Faites moi un discours du mepris du monde », d’autres fis « des merveilles de Dieu », et d’autres « du purgatoire ». Il me souvient que le pere Dinet lui disoit, à propos des longues malades : « Que Dieu nous les envoye pour nous faire eviter les peines du purgatoire, et que Sa Majesté pouvoit esperer la meme grace ». Le Roi lui repondit : « Mon pere, je n’ai pas une semblable pensée ; au contraire, si Dieu ne me laissoit que cent ans dans le purgatoire, je croirois qu’il me feroit une grande grace ». La Reine ne bougea du chevet de son lit, et elle ne s’en eloignoit que lorsqu’il falloit changer de bassin au Roi, qui en gardoit toujours sous lui. Nous lui avions fait un trou au premier des matelas, de la grandeur d’un bassin, avec un bourlet fort large, de sorte que cela ne l’incommodoit point. Il y avoit dans les selles force pus de lait qu’il avoit dans le corps, et tout faisoit une puanteur si horrible que cela faisoit quasi mal au cœur. Et ce qui m’etonnoit le plus, c’est que la Reine ne bougeoit du chevet de son lit, duquel il sortoit des exhalaisons tres mauvaises. Mais sa vertu etoit si grande, ainsi que l’affection qu’elle avoit pour le Roi, qu’elle n’en temoignoit rien du tout, quoiqu’elle soit une des plus propres personnes qui ait jamais eté au monde. Le Roi, qui etoit aussi fort propre, lui disoit fort souvent : « Madame, n’approchez pas si pres [p. 529] de moi, il sent trop mauvais dans mon lit ».
Je me servis de l’occasion de presenter à la Reine une petite fiole de menteca, pleine d’essence de jasmin, que j’avois encore gardée des liberalités que m’avoit faites Madame Royale, ma bonne maitresse, lorsque j’etois à Turin la derniere fois, et la Reine, apres s’en etre servie, dit tout haut « qu’elle n’avoit jamais rien senti de si bon », et il fallut qu’elle scut d’où venoit cette precieuse liqueur.
Le soir, le Roi fit lire la vie de Jesus Christ, mise en françois par le père Bernardin de Montreuse, de la compagnie de Jesus, et il ne tarda guere à etre assoupi. Il revoit dans son sommeil, et parloit dans ses reveries par des mots interrompus, dont j’entendis quelques uns, entre autres de M. de Souvré, et souvent de ses medecins. Il avoit tout à fait dans l’esprit qu’il avoit dit quelque chose à monsieur Vautier, l’un d’eux, et apres ses reveries et son sommeil passé, il me demanda où il etoit. Je lui dis : « Sire, il n’ose se montrer : il a peut que Votre Majesté ne soit en colere contre lui ». Alors le Roi dit : « Faites le moi venir ». Sitot qu’il le vit, il lui tendit la main et lui parla. Il avoit peur de l’avoir faché. Comme sa maladie etoit longue, il disoit quelquefois quelque chose qui fachoit ; mais un quart d’heure apres il vous faisoit revenir, vous faisant voir qu’il n’avoit pas eu dessein de vous choquer, et vous disoit quelques paroles obligeantes.
Comme il etoit inquiet de l’affliction de la Reine, il demanda au sieur Bontemps qui est ce qui etoit aupres d’elle. Il lui dit que c’etoit madame de Vendome. « Je l’ai cru aussi, dit le Roi, elle lit un livre de la Passion ; dites à monsieur de Souvré qu’il vous donne le mien de la Resurrection et de l’Ascension qui est demain, et portez le lui de ma part ».
Sur les deux heures apres minuit, il retomba dans son assoupissement et dans ses reveries. Il avoit sous lui force oreillers, dont il y en avoit qui etoient pleins de paille d’avoine, pour etre plus frais, et cela lui tenoit la tete haute et les reins. Il se mit par trois fois sur le coté gauche, la tete et les epaules tout à fait fors de ses oreillers, et la pesanteur de son corps et sa foiblesse l’eveilloient, de sorte qu’il me commandoit de lui aider. Nous avions eloigné son lit de la muraille, en façon qu’on pouvoit tourner autour. Je me mettois derriere son chevet, je le prenois par dessous les bras et le relevois doucement sur les oreillers, ce que je fis cette nuit là deux fois. La troisieme, il tendit le bras droit à l’un de ses medecins, nommé Courat, et lui dit : « Tirez à vous », et depuis il ne s’en ota plus. Il demanda vingt fois quelle heure il etoit et s’il feroit bientôt jour. Enfin, je lui dis que le point du jour commençoit à paraitre. Il me commanda d’ouvrir ses rideaux et ses fenetres. Comme le jour s’augmenta, on vit que sa vue paroissoit egarée, ce qui fit croire qu’il ne vivroit plus guere. Il commanda de presser la masse, à laquelle il se trouva fort peu de monde. Apres la messe, il se fit lire la passion de Jesus Christ par son confesseur, mais il ne le laissa pas lire longtemps ; il lui dit : « Mon pere, quittez cette lecture là, donnez la à un autre, et allez manger pendant que vous avez le temps, vous aurez assez d’autres affaires ».
Le Roi fut pressé par ceux qui etoient aupres de lui pour l’obliger à prendre son petit lait dans un verre fait expres. Il voulut pourtant qu’on le soulevat un peu de dessus ses oreillers, ce que nous fimes Desnoyers et moi ; et comme il fut un peu contraint, il perdit l’haleine et pensa rendre l’esprit entre nos bras. Nous en etant apperçus, nous le remimes en diligence et en douceur sur ses oreillers. Il y fut longtemps sans pouvoir parler, et puis il fit : « S’ils ne m’eussent bientôt remis, je rendois l’esprit ». Et alors il appela ses medecins et leur demanda s’ils croyoient qu’il put encore aller jusqu’au lendemain, disant que le vendredi lui avoit toujours eté heureux, qu’il avoit ce jour là entrepris des attaques qu’il avoit emportées, qu’il avoit meme ce jour là gagné des batailles, que ç’avoit eté son jour heureux, et qu’il avoit toujours cru mourir ce meme jour là.
Les medecins, apres l’avoir fort consideré et touché, lui dirent qu’ils n’etoient pas assurés qu’il put aller jusqu’au lendemain, en ce que son redoublement avoit coutume de venir sur les deux heures apres midi, et que s’il etoit grand, il l’emporteroit, et qu’il n’avoit pas assez de force pour y resister.
Alors le Roi leva les yeux au ciel et pria longtemps Dieu avec ferveur. Puis il dit tout haut : « Dieu soit loué », et reprit avec vigueur : « Mon Dieu, votre volonté soit faite », et appela monsieur de Meaux, et lui dit : « Il est temps de faire mes adieux », et commença par la Reine, qu’il embrassa tendrement, et à qui il dit beaucoup de choses que personne n’entendit qu’elle. En parlant, ils s’entremouilloient leurs visages de leurs larmes, et la Reine pensa suffoquer tant elle etoit penetrée de douleur et de deplaisir. Il continua ses adieux à monsieur [p. 530] le Dauphin, à monsieur le duc d’Anjou, à Monsieur, son frere, à monsieur le Prince et à plusieurs autres qui etoient dans sa chambre. Et apres il demanda à faire de l’eau : il ne pouvoit plus se servir de ses mains, la chaleur commençoit à se retirer, tellement que j’eus l’honneur de le servir et de lui en faire faire dans un certain verre fait expres, qui est un peu gros et comme une bouteille platte par en bas, et un col un peu gros et large courbé, de sorte que l’on peut faire de l’eau sans se hausser ni remuer. Ce fut le Roi lui meme qui s’avisa de cette commodité, et de celle des biguiers avec lesquels il prenoit de la nourriture.
Un peu de temps apres, il voulut dire adieu à monsieur de Souvré et à ses premiers valets de chambre ci dessus nommés, et à Desnoyers, et me fit aussi l’honneur de me donner sa main, que je mouillai de larmes. Il me fit la garde de me serrer la main pour dernier marque de sa bonne volonté, ce qui me toucha tellement que, me voulant lever pour faire placer à mes autres camarades qui esperoient la meme grace, je tombai sur les mains quasi evanoui et me traina à quatre pieds. Tous les autres officiers de sa chambre se preparoient à cet adieu mais le Roi, qui se sentit touché de voir les siens si affligés, retira sa main et ne parla plus que de Dieu.
Alors, messieurs les eveques de Meaux et de Lisieux, et les peres de Vantadour, Dinet et Vincent, entrerent tous en la ruelle du lit, et n’en partirent plus qu’apres la mort du Roi, qui entretint fort son confesseur, et apres monsieur l’eveque de Lisieux, qui etoient tous à genoux priant Dieu. Le Roi appela monsieur Bouvard, et lui dit : « Touchez moi et me dites votre sentiment », ce que fit monsieur Bouvard, les larmes aux yeux. Il lui dit ces memes paroles : « Sire, je crois que ce sera bientôt que Dieu delivrera Votre Majesté : je ne trouve plus de poulx ».
Le Roi leva les yeux au ciel et dit tout haut : « Mon Dieu, recevez moi à misericorde », et s’adressant à tous, il reprit : « Prions Dieu », et regardant monsieur de Meaux, il lui dit : « Vous verrez bien lorsqu’il faudra lire les prieres de l’agonie, je les ai toutes marquées ». C’etoit un grand livre dans lequel monsieur de Meaux lisoit les prieres. Tout le monde prioit et pleuroit. La Reine et toute la Cour etoient dans la chambre du Roi. Les rideaux de son lit etoient ouverts et la chambre etoit si pleine qu’on s’y etouffoit, et hors les officiers de la chambre les autres etoient tous des personnes de qualité, princes, princesses, chevaliers de l’ordre et grands seigneurs. J’etois placé entre le lit du Roi et la muraille derriere sa tete. Il avoit les bras hors du lit. Nous lui avions chauffé des linges pour les lui couvrir et pour lui tenir un peu de chaleur, et comme il les remuoit il se les decouvroit. J’etois derriere et je les lui recouvrois de temps en temps, tant qu’il ne put plus remuer, et tout cela en presence de la Reine et de toute la Cour. Les prieres de l’agonie se recitoient ensuite des autres qui avoient dejà eté dites. Le Roi dit au pere Dinet : « Il me vient des pensées qui me tourmentent ». « Sire, lui dit ce pere, il faut resister, vous etes au fort du combat, il faut combattre genereusement, afin de remporter la victoire ; meprisez vos ennemis, ils ne vous pourront faire de mal, vous voyez que tout le monde vous aide par ses prieres ». Aussi tout le monde toit à genoux. Il parla encore deux ou trois fois à monsieur de Lisieux, mais avec peine. A un moment de là, ne pouvant plus parler, il regarda le père Dinet et mit son doigt sur sa bouche. Je n’entendois pas ce signer. Le pere Dinet m’a dit depuis que c’etoit à l’occasion d’une vision d’une maison qu’il avoit eue et qu’il avoit reçue comme des arrhes de son salut, et pour une marque de la misericorde que Dieu lui faisoit ; et par ce doigt qu’il mettoit sur sa bouche, il lui disoit qu’il n’en falloit pas parler. Apres cela, perdant peu à peu la parole, il perdit aussi l’ouïe et n’entendit plus.
Monsieur le duc d’Orleans et monsieur le Prince conduisirent la Reine dans sa chambre. Et outée de douleur elle sortit, à leur priere, de celle du Roi.
Le Roi etoit dans l’agonie. Il ne parloit ni n’entendoit. Tout le monde etoit en prieres, et nous voyions peu à peu les esprits de la vie se retirer. Il commença à ne plus remuer les bras ni les jambes, et on ne vit plus remuer le petit ventre. Toutes ses parties se mouroient les unes apres les autres, et le Roi agonisoit doucement. J’etois tellement touché qu’il m’en prit une foiblesse, et par hasard on m’avoit donné à tenir l’eau benite du Roi : j’en pris avec la main que je me jetai sur le visage. Le bon M. de Lisieux, me voyant dans cet etat, me dit ces memes paroles : « Mon ami, consolez vous ».
Le Roi diminuoit à vue et ses hoquets etoient de loin à loin les uns des autres, de sorte qu’on le croyoit passé, lorsque, quelque peu de temps apres, il jeta le dernier à deux heures trois [p. 531] quarts apres midi, le jeudi quatorzieme mai 1643, jour de l’Ascension, au bout de trente trois ans de son regne, à une heure pres.
Monsieur de Lisieux lui donna de l’eau benite et lui ferma les yeux, qui etoient demeurés fixes dans le ciel.
Messieurs les aumoniers et les religieux continuerent leurs prieres, et tout le monde lui jeta de l’eau benite.
Monsieur de Souvré etoit sorti pour aller donner ordre à beaucoup de choses necessaires.
Monsieur de Liancourt, son compagnon, etoit là present, auquel je m’adressai et lui dis que, s’il trouvoit à propos que tout le monde se retirat pou un moment, nous oterions un bassin qui etoit sous le Roi, dans lequel il y avoit de la matiere si acre et si mauvaise qu’elle ne tarderoit pas à corrompre la chair du Roi, que de plus nous racommoderions le lit et le mettrions plus proprement ; qu’il avoit commandé, durant sa maladie, qu’on ne le laissat pas salement apres sa mort.
Monsieur de Liancourt trouva fort à propos ce que je disois : il commanda aussitôt que l’on se retirat pour un temps. Mes compagnons et moi lui raccommodames son lit et le remimes fort proprement dessus, couvert de son drap et de sa couverture, le visage decouvert. Nous lui otames le mouchoir dont nous lui avions bandé la tete et le menton pour lui faire tenir la bouche fermée, et nous lui croisames les bras sur son estomac et lui remimes un petit crucifix de cuivre fort bien fait, monté sur une petite croix d’ebene, que mademoiselle Filandre avoit preté. Le Roi le tenoit dans sa main droite.
Messieurs les aumoniers et les religieux reprirerent leurs places, et un valet de chambre de chaque côté du chevet, qui furent toujours de garde jour et nuit et accompagnerent le Roi jusqu’à Saint Denis.
Le lendemain, sur les neuf heures du matin, on ouvrit le corps du Roi, ce que je n’avois point de curiosité de voir. Mais un garçon de la chambre me dit que monsieur de Souvré me demandoit. Il etoit present à l’ouverture, de sorte que je jetai la vue sur ce triste spectacle. Je vis le corps du Roi, qui m’avoit eté si precieux, etendu sur la table, en la gallerie, le coffre tout ouvert ; et proche de là, sur un billard, dans des bassins, les entrailles, les boyaux dans l’un, le foye, la ratte et le cœur dans l’autre. Je vis un de ses boyaux percé, le bas mésenterre quasi pourri, dans le haut mésenterre un ulcere et quantité de verre qu’on lui avoit aussi trouvés ; le foye assez beau, pourtant un peu pale ; la ratte belle et les poulmons assez sains et le cœur fort beau. Je vis dans ce corps qu’il y venoit encore un ver dans les reins. Dans ce temps, monsieur de Souvré m’appela et me commanda d’aller aupres du Roi d’à present pour le suivre et le servir, comme j’ai fait depuis.
Voilà les remarques veritables que j’ai faites, et les assure telles pour avoir vu les choses de mes yeux et entendu de mes oreilles. »

Dubois, Marie

Récit de l’assemblée réglant la régence tenue par Louis XIII dans sa chambre à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 313] L’assamblée faite à Saint Germain de la Reine, des princes du sang, des ministres de Sa Majesté, du parlement et des autres principaux officiers de ce royaume le 20 d’avril 1643 pour entendre la declaration de Sa Majesté sur le gouvernement de ses estats
Que Dieu aime la France et qu’il lui donne de preuves certaines de sa protection continuelle ! La guerre, qui n’a servi jusques ici qu’à matter ses ennemis, lui a esté partout avantageuse. Si elle doit perdre un ministre, sa mort n’arrive qu’au bout d’une glorieuse campagne, afin que dans l’intervalle d’une autre elle se puisse mieux accoustumer au changement par lequel cette perte se trouve heureusement reparée. Mais il n’y a rien [p. 314] dont cet Estat soit plus redevable à Dieu que de lui avoir donné un si bon Roy et qui aime tant ses peuples qu’il ne se contente pas d’avoir prodigué sa santé pour leur defense et pour la dignité de sa couronne : imitant la providence divine, il porte ses soins jusques dans l’avenir pour lui establir un repos asseuré et une fermeté qui ne puisse jamais estre ebranlée. […]
[p. 318] Le vingtiesme de ce mois d’avril 1643, sur les deux heures apres midy, le Roy estant dans son chasteau neuf de Saint Germain en Laye, fit assambler dans sa chambre, en presence de la Reine, des Enfans de France, de Monsieur son frere, du prince de Condé, tous les ducs et pairs, mareschaux de France et autres officiers de la Couronne et principaux seigneurs qui se trouverent lors à la Cour, en fort grand nombre, entre lesquels estoyent le cardinal Mazarin, le chancelier de France, le surintendant des Finances et le sieur de Chavigni, secretaire d’Estat, devant tous lesquels le sieur de La Vrilliere, aussi secretaire d’Estat, fit lecture, par commandement de Sa Majesté, de sa declaration par laquelle le Roy declare qu’à l’exemple des bons rois ses predecesseurs, qui avoyent aimé l’Estat, et estant travaillé depuis longtemps de plusieurs incommoditez [p. 319] et presentement d’une fascheuse maladie, desirant pourvoir à la seureté, bien et repos de son Estat, il entend que lorsqu’il aura pleu à Dieu disposer de lui, la Reine soit regente de ses royaumes pendant la minorité de monseigneur le Dauphin, que sous son authorité Monsieur, frere unique de Sa Majesté, soit lieutenant general du Roy, mineur, en toutes les provinces de sesdits royaumes et chef du Conseil, et le prince de Condé, le cardinal Mazarin, le chancelier de France, le surintendant des Finances et ledit sieur de Chavigni, ministres d’Estat, pour tenir avec la Reine et Monsieur ledit Conseil, duquel en l’absence de Monsieur seront chefs lesdits prince de Condé et cardinal Mazarin. Ce sont là les points principaux de cette declaration, dont vous aurez cy apres le detail.
Le Roy la fit signer ensuite à la Reine et à Monsieur, et les fit jurer d’entretenir et observer le contenu en icelle.
Puis le Parlement, qui avoit esté mandé le jour precedent et estoit representé par le premier president, les presidens au mortier et deux conseillers de chacune chambre avec les gens du Roy, entra dans ladite chambre de Sa Majesté, qui lui fit entendre qu’elle avoit fait cette declaration et donna charge à Monsieur, au prince de Condé et audit chancelier [p. 320] d’entrer le lendemain 21 dans son parlement et la faire enregistrer, comme elle le fut hier. »

Récit par son confesseur des derniers jours de Louis XIII à Saint-Germain-en-Laye

« [f. 1] Au Roy
Sire,
Les royaumes ne sont jamais plus heureux, ny les Estats plus florissans, que lorsqu’ils sont pour appuy la pieté et la justice, comme deux fortes et [f. 1v] fermes colonnes, pour les soutenir contre les attaques qui secouvent, et mesmes ebranlent souvent les empires. Le pieté, Sire, fait rendre à Dieu ce qui luy est deu, et la justice fait rendre aux hommes ce qui leur appartient, et lorsqu’on s’acquitte de ces deux obligations, que Dieu etend egalement à tout le monde, on accomplit tous les devoirs de le pieté et de la justice chrestienne. Il est vray, Sire, que ces deux vertus sont comme hereditaires [f. 2] dans la maison et dans la famille royale. Mais si c’est une grande gloire aux enfans de ressembler à leurs peres, je puis dire que Votre Majesté fait bien paraitre par les genereuses actions de sa vie, et par les louables inclinations de son naturel, qu’elle n’herite pas moins de la pieté et de la justice, que du sceptre et de la couronne du glorieux saint Louis son ayeul, qui a merité des autels, et de Louis le Juste son pere, de triomphante mémoire, de qui je presente [f. 2v] à Votre Majesté le fin heureuse, sous le titre de l’Idée d’une belle mort, qui a esté comme le fruit des merites d’une vie parfaite et innocente qu’il a passée dans l’exercice continuel des actes, de ces deux illustres vertus. Ces vertus, Sire, l’ont fait triompher durant sa vie, soit des rebelles ennemis de sa religion, soit des autres ennemis jaloux de la grandeur de son Estat, et apres sa mort, le bruit commun porte qu’elles luy ont fait visiblement donner courage [f. 3] à vos legions qui combattoient dans les plains de Rocroy pour la defense de vostre Couronne et gaigner une victoire dont les fruits ont esté si doux que nous les avons goutez longtemps, par les merveilleux avantages que vos armes victorieuses ont remporté sur vos ennemis. Ce seront aussi les mesmes vertus qui maintiendront, Sire, tousjours vostre Estat en cette haute reputation où nous le voyons aujourd’huy, et dans [f. 3v] ce grand eclat de gloire, où vos alliez l’admirent et vos ennemis le redoutent. C’est enfin, Sire, le motif des vœux de celuy qui est autant par inclination que par devoir,
De Votre Majesté,
Le tres humble, tres fidelle et tres obeyssant serviteur et sujet,
Antoine Girard, de la compagnie de Jesus
[f. 4] Avis au lecteur
Vous devez scavoir, mon cher lecteur, que ce recit de la fin heureuse de Louis XIII et des grands actes de vertu qu’il a prattiquez avant son heureux trepas est tiré d’un œuvre posthume, ou de quelques memoires du feu pere Jacques Dinet, qui est d’autant plus croyable en toutes les circonstances qu’il en rapporte, qu’alors il estoit present à tout, comme celuy qui avoit l’honneur d’estre confesseur de Sa Majesté et qui, apres M. l’evesque de Meaux, son premier aumonier, a beaucoup servy à la gloire et à l’heureux succes d’une action si importante. C’est pourquoy il parle luy mesme en tout ce recit, mais il ne parle que de plusieurs bons sentimens que ce grand Roy eut en sa derniere maladie et à sa mort, sans toucher aux autres belles actions de sa vie, ny à tant de rares vertus qu’il a tousjours si heureusement pratiquées, comme lorsqu’avec une particuliere confiance en Dieu et une merveilleuse fermeté d’esprit, il fit mander à la feue Reyne sa mere, durant la grande maladie qu’il eut à Lion et dont il ne releva que par miracle, qu’elle pouvoit venir voir son fils, qui estoit malade à la mort, et neantmoins qui n’avoit point peu de la mort. Comme encore lorsque, par une pieté et une devotion extraordinaire envers [f. 4v] le saint sacrement de l’autel, il dit une parole digne d’un Roy Tres Chrestien ; car, suivant un jour à pied le dais sous lequel estoit le saint sacrement, dans une procession qu’on faisoit à Chartres durant les plus grandes chaleurs de l’esté, et M. de Chartres priant ce grand prince de se mettre à l’ombre sous le dais, où il luy montroit de la place, il fit refus de s’y mettre et en donna la raison, disant que Dieu n’avoit point de compagnon. Comme aussi lorsque par un grand zele de justice, il fit response à quelques personnes des plus considerables de la cour qui le sollicitoient puissamment de quelque faveur et de quelque grace qui sembloit choquer cette divine vertu, dont il portoit le nom de juste, et leur dit qu’on luy pouvoit bien oster son sceptre et sa couronne, mais qu’on ne luy osteroit jamais le merite ny le nom de juste, qu’il preferoit à toutes choses. Comme enfin lorsque, par une entiere victoire qu’il avoit acquise sur ses passions, il s’estoit rendu comme insensible en mille occasions d’appas et de charmes, où la pluspart du monde se perd. Voilà quelques traicts de sa vie et de ses vertus, qui luy ont fait meriter une mort si douce et si heureuse, qui est rapportée en cette histoire, où j’avoue que je contribue seulement me plume et un peu d’ordre, la Reyne mesme m’ayant fait l’honneur de me temoigner qu’elle desiroit de moy ce service et qu’il y a dejà longtemps que cela devoit estre fait. C’est donc ce que je me suis efforcé de faire pour obeir à Sa Majesté, mettant un peu plus au net [f. 5] les pensées du pere qui en est l’autheur, et ses reflexions qui ont esté si puissantes sur l’esprit de quelques personnes que, les lisant, elles n’ont pu tenir les larmes, à la veue de tant de douleurs qu’a souffertes et de tant de vertus qu’a pratiquées ce pieux monarque. C’est de quoy j’ay bien voulu, mon cher lecteur, vous donner avis, afin de vous exciter à faire de bon cœur lecture de ce recit, qui n’est pas trop long pour vous ennuyer, et neantmoins qui sera capable de produire en vous un grand fruit, si vous la faites avec quelques uns des bons sentimens qu’avoit en mourant ce bon prince.
[p. 1] L’idée d’une belle mort, ou d’une mort chrestienne, dans le recit de la fin heureuse de Louis XIII, surnommé le Juste, roy de France et de Navarre
Tout homme qui ne considere cette vie que comme une voye tendante à la gloire de la bienheureuse eternité, s’il en use bien et s’il luy donne un si bon employ qu’il s’efforce, avec son industrie aidée de la grace, d’en eviter tous les mauvais pas, d’en avoir mesme en desir la fin, de la demander tous les jours heureuse à Dieu [p. 2] et de l’attendre sans inquietude, ayant toujours son sauveur en veue, et à la vie et à la mort, merite sans doute, au jugement de tous les plus sages, la louange de scavoir l’art de bien mourir, apres avoir sceu l’art de bien vivre.
C’est justement ce que Louis le Juste, de triomphe mémoire, a fait durant le cours de sa vie, et ce qu’il a pratiqué encore avec plus de montre et avec plus d’eclat sur la fin.
Il est vray que je m’estoit promis de la plume de ses historiographes que, lorsqu’ils seroient venus à ce poinct, qui est l’un des plus importans de toute sa vie, où ils verroient une idée parfaite d’une belle mort, ils auroient dessein de nous la representer avec ses louables circonstances comme un beau tableau avec ses vives couleurs, tant pour honorer la mémoire de ce grand prince que pour servir d’exemple et de modele à toute la posterité.
Mais voyant que ceux qui ont publié ce qu’ils en ont pu apprendre par la relation d’autruy n’en ont escrit que comme en passant, j’estime que je feray plaisir aux autres, qui ne se sont point tant hatez d’escrire, de les aider de mes reflexions sur certains choses plus considerables que je luy ay veu faire et ouy dire, deux mois au plus avant son trepas, [p. 3] et dont la Reyne, pour sa consolation, a voulu voir le recit que j’en ay tracé, avec tout le soin et toute la fidelité possible.
La maladie qui donna les premieres attaques au Roy devant Perpignan l’avoit reduit à ce poinct de debilité et de langueur qu’il ne regaigna qu’à toute peine le doux air de Fontainebleau et de S. Germain, et là mesme il eprouva une si grande varieté dans les changemens d’une santé incertaine, pendant les mois d’aoust, de septembre, d’octobre, de novembre, de decembre et jusques à la my fevrier de l’année 1643, que, quelque bonne opinion qu’en put avoir toute sa Cour, luy, qui sentoit fort bien son mal, en fit tousjours un tres mauvais jugement, de sorte qu’apres avoir pris la resolution de se tenir prest et de se conformer à tous les desseins de la Providence souveraine, il resolut en mesme temps de mettre ordre aux affaires de sa conscience, et de commencer par une confession generale de toute sa vie.
Mais, parce que son confesseur, qui estoit alors le R. pere Jacques Sirmond, avoit un peu de peine à ouyr et à parler, à raison de son grande age de plus de quatre vingts ans, il me fit l’honneur de m’envoyer dire qu’il me substituoit en sa place, pour le service en cette occasion, avec ordre de me preparer pour me rendre [f. 4] aupres de Sa Majesté à Saint Germain, le mercredy de la semaine suivante.
Je partis donc de Paris au jour assigné, et trouvay au vieux chasteau le Roy, qui estoit debout en sa chambre, et en meilleure disposition de sa personne qu’il n’avoit esté depuis trois semaines. Il s’occupoit alors à considerer un fort grand nombre de reliques qui luy estoient venues par droit de succession de la feue Reyne sa mere et dont il choisit celles qui luy aggreerent davantage et qu’il luy pleut de retenir en son cabinet, laissant les autres à la Reyne son espouse, qui en a tousjours esté aussi desireuse, et leur a esté aussi devote que le Roy.
Il me fit donc apporter les siennes de son cabinet et me les montra une à une, estant toutes richement et precieusement enchassées, pour estre mises à son oratoire, puis il me dit que de tous les saincts dont il avoit quelque ossement ou quelque plus notable relique, il avoit fait acheter la Vie ou l’Office, et tous les deux ensemble s’il avoit esté en son pouvoir de les recouvrer, et que depuis longtemps il les invoquoit tous les jours, soir et matin, sans y manquer, demandant à Dieu par leur entremise la grace de faire une bonne fin et de mourir en bon estat.
On luy apporta aussi alors plusieurs exemplaires [p. 5] des petits Offices, que luy mesme a composez et mis par ordre, avec un soin qui n’est pas croyable, quoyqu’il ait esté secondé dans ce penible travail de l’industrie de ses confesseurs et de quelques autres scavans et habiles hommes. Car non seulement il y en a pour toutes les principales festes de l’année, soit de commandement ou de devotion, mais il s’y en trouve encore pour les principaux saincts de la France, pour le precieux sang de Jesus Christ, pour toutes les necessitez de la vie humaine, pour l’impetration de la paix et de la victoire contre les ennemis particuliers de nostre salut, comme sont la chair, l’avarice et la superbe, les pechez de la langue, les pensées mauvaises, les mauvaises œuvres et le troubler interieur de l’ame ; enfin, il s’y en trouve un pour obtenir la vraye penitence, un autre pour consoler les malades, et un troisiesme pour les disposer à bien mourir.
Et ce qui est bien considerable en celui cy, c’est que par des passages tirez de divers pseaumes de David, à la faveur du livre des Concordances qu’il manioit heureusement, par des hymnes devots et affectueux, et par des prieres ardentes, il demandoit tous les jours à Dieu la grace de recevoir avant son trepas tous ses sacremens, et de luy accorder la liberté de la parole, le jugement sain et entier jusqu’au dernier [p. 6] soupir de sa vie, une contrition cordiale, une foy ferme, une esperance divine et une parfaite charité.
Or de ces livres qu’il avoit achevé de composer des l’année 1640 et qui sortoient tout fraischement de son imprimerie royale, en petit et en grand volume, le grand pour le cabinet et le petit pour la campagne, il m’en donna un de sa main et desira qu’en sa presence je fisse lecture du premier pseaume de Matines, dans l’office des Apostres, qui est un sermon selon son idée et tel qu’il les souhaittoit, puis dans l’office des Mysteres de Nostre Seigneur, le pseaume de None, où l’histoire de la Passion est artificieusement enfermée.
Mais, pour revenir à l’estat où d’abord je le trouvay, nonobstant cette meilleure disposition qui luy dura jusqu’au seiziesme du mois de fevrier, comme il se sentit attaqué d’un flux hepatique, il se condamna luy mesme à mourir en peu de temps, à moins que Dieu fit miracle pour le remettre en santé, et il en parla en ces termes au sieur Bouvart, son premier medecin, qui luy avoua que le peril où il le voyoit l’attristoit au dernier poinct, mais il luy voulut ainsi parler franchement afin de voir si l’apprehension de la mort seroit capable de le porter à se resoudre à l’usage de certains [f. 7] remedes, dont il avoit tousjours tesmoigné une grande horreur.
Le Roy, prevoyant assez son dessein, demanda quel effet auroient en luy ces remedes ; et comme il apprit qu’avec un peu de soulagement qu’il en recevroit, sa mort n’en seroit retardée que de quelques mois, il repondit qu’il ne croyoit pas estre obligé en conscience de lutter tousjours contre une antipathie naturelle, pour l’amour d’une vie de peu de durée, et encore fort douteuse, et pour un soulagement incertain, qui pourroit estre suppléé aisement par autre voye. De sorte qu’il fut necessaire de convenir avec luy de la prise de quelques uns qui luy estoient moins desagreables.
Ces premiers entretiens estans finis, il me parla de se confesser et s’informa de la methode qui me sembloit la meilleure, me donnant toutefois à entendre qu’il n’eut jamais fait autre confession generale qu’une que le pere Suffren tira de luy à la hate en sa maladie de Lion. Il s’estoit tousjours acquitté tres exactement des ordinaires. C’est pourquoy nous arrestames que, le lendemain dix neufiesme du mois de mars, jour de saint Joseph, pour qui il avoit beaucoup de veneration, nous travaillerions à cette bonne œuvre.
Avant toutes choses, il resolut, en presence [f. 8] de monsieur le cardinal Mazarin et du sieur de Noyers, secretaire d’Estat, de s’eclaircir avec moy de certains cas de conscience appartenans à l’action que nous allions faire. Puis, ces deux seigneurs s’estans retirez, et toutes les portes de sa chambre fermées par dedans, il s’accusa de ses offenses, non sans une peine extraordinaire, tant estoit grande la secheresse du deplaisir et de la confusion qu’elles luy causoient, et mesme les moindres qui, dans sa plus grande jeunesse, n’avoient eu, à son jugement, que je ne scay quoy de moins seant à Sa Majesté ; d’où ensuite, lorsqu’il passoit à quelque poinct plus notable et où je jugeois, non qu’il eut failly, mais qu’il eut mieux fait d’y proceder par autre voye, il n’est pas croyable avec combien de regret et d’amertume il en demandoit pardon à Dieu : Non ! mon Dieu, s’ecrioit il pitoyablement, non ! jamais plus, non ! pour chose du monde, plustost mourir que d’y retourner ; c’estoient les termes dont il se servoit ; de là vint qu’il fut obligé d’interrompre sa confession une ou deux fois pour humecter sa langue seche et alterée, avec un peu d’eau qu’il avoit aupres de luy, et ainsi enfin il acheva cette action saincte. Mais, pour la communion, il luy pleut de la differer jusqu’à l’Annonciation prochaine.
[p. 9] Dieu voulut au reste que, durant ce peu de jours, la satisfaction interieure qu’il tira de cette decharge de conscience s’estant repandue sur tout le corps, elle y opera un changement si merveilleux que, comme on croit sans peine ce que l’on desire avec passion, il n’y eut aucun de nous qui ne creut qu’il estoit guery, et cette creance nous dura jusques à la feste.
Voicy donc que le jour de l’Annonciation de Nostre Dame, ou de l’Incarnation du Verbe divin, estant arrivé, il se reconcilia devotement, ouyt la messe en sa chapelle, la teste nue et à deux genoux, et receut en cette position son Createur, avec sa ferveur ordinaire, des mains de M. l’evesque de Meaux, son premier aumosnier. Et j’eus ensuite permission de luy de me retirer à Paris jusques à son retour de Versailles, où il pretendoit se faire porter en chaire et en retourner pour le Jeudy sainct. La nuit toutefois luy fut si facheuse, l’air si contraire, et son indisposition si pressant, qu’il se contenta de passer du vieux chasteau de Saint Germain au chasteau neuf, y voulant estre logé dans la chambre de la Reyne, et mesme pour se fortifier allant et venant, comme pour prendre un peu d’exercice. Il s’habilloit chaque jour, puis, ayant fait ses prieres, il faisoit un tour de galerie, soutenu de deux des [p. 9] siens, avec une chaire à sa suite pour se reposer de temps en temps, ne pouvant se soutenir ny marcher plus de vingt pas sans avoir besoin de repos.
Voilà l’estat où, à mon retour, je le trouvay le Mercredy saint, dans la volonté de faire le jour d’apres sa communion de Pasques. Car pour la ceremonie du lavement des pieds et du service des pauvres, se souvenant de l’action de Henry le Grand, qui s’en estoit autrefois deschargé sur luy, par un exemple singulier digne d’estre mis en nostre histoire, il en donna la commission à monseigneur le Dauphin et le substitua à sa place pour faire cette action de pieté et d’humilité chrestienne.
Mais, la nuit du mercredy au jeudy, l’ardeur de la fievre l’altera si fort que, ne pouvant ny passer la nuit sans se rafraichir la bouche, ny se resoudre à communier apres un simple gargarisme, tant il craignoit d’avoir avallé par megarde quelque goute d’eau, il s’en abstint par reverence et par respect.
C’est pourquoy nous attendimes les jours suivans quelque meilleure disposition de sa personne, dans l’esperance que cette ardeur se modereroit avant que la quinzaine fut expirée, comme en effet il arriva le jeudy de Pasques, où, se portant un peu mieux, il satisfit au precepte de l’Eglise et, quoyque fort abbatu, [p. 11] il se leva neantmoins, mais pour la dernier fois, n’ayant pas esté en son pouvoir de le faire depuis le Samedy saint, où il commença par force à quitter sa petite et languissante promenade.
Alors toutefois, il fit un effort et, sans autre habit que sa robe de chambre, il vint avec une majesté et une modestie angelique recevoir le tres saint sacrement à un autel qu’on avoit coutume de luy dresser au fonds de sa chambre lorsqu’il desiroit ouyr la messe, à quoy jamais il ne manqua durant le cours mesme de sa maladie, non plus qu’aux vespres du dimanche et des festes commandées, ny à l’office de la semaine sainte, qui se disoit en sa chapelle. Sur quoy il est à propos de remarquer que le Roy, aimant beaucoup la priere, c’estoit par elle que, sain et malade, il commençoit tousjours sa journée, et cette priere estoit en partie l’exercice du matin, en partie aussi un de ses petits offices, apres quoy il se laissoit voir et gouverner à ses medecins, puis il entendoit la messe, où tous les prelats et tous les seigneurs qui se rencontroient à la Cour estoient les tres bienvenus, mais ses aumoniers y assistoient par devoir, avec sa Chapelle de musique, qui recevoit ordinairement son ordre sur ce qu’il desiroit qu’on chantat, qui fut presque tousjours l’antienne du [p. 12] Magnificat des premieres vespres de la feste de tous les saints, Angeli, Archangeli, et ce qui suit, où l’Eglise fait le denombrement des neuf chœurs des anges et de toute la cour celeste. Luy, cependant, les rideaux ouverts, la teste nue, ses Heures en main, les yeux arrestez ou au ciel ou sur l’autel ou sur les prieres de son livre, nous estoit à tous un parfait modele et un beau miroir de devotion.
Sa messe estant achevée, il recevoit les placets des pretendans aux benefices, les visites des Grands et les propositions de ses officiers et de ses ministres d’Estat. Sinon, il s’entretenoit des choses divines, tantost en son ame et luy seul, tantost avec son confesseur. Puis, à l’instance de ses medecins, il prenoit quelque peu de nourriture, dont il avoit autant d’aversion que de remedes.
Apres son repas, on l’entretenoit de choses divertissantes et moins serieuses, comme des nouvelles qui venoient des autres pays, quoyque sur la fin il n’en vouloit plus ouyr que ce qui touchoit les troubles de la Grand Bretagne et l’histoire des catholiques qu’on y faisoit alors endurer pour la religion, disant qu’il portoit une saincte envie à leur courage et à leur bonheur, et qu’il eut voulu pour beaucoup se voir en leur place. Et, pour la mesme raison, il fit paraitre beaucoup de joye lorsqu’il [p. 13] receut de moy des reliques de deux des nostres brulez au Japon pour la foy, et un veritable recit de leur vie et de leur martyre.
Ensuite, l’heure du Conseil venue, on le tenoit aupres de luy, en grand ou en petit nombre, selon l’exigence des affaires qu’on y devoit traitter, et il ne se passoit aucun jour qu’il ne rendit, ou le soir ou le matin, ce service à son Estat.
Le Conseil finy, il s’entretenoit avec Dieu fort doucement et fort devotement en luy mesme, sans estre jamais plus de trois heures qu’il ne pratiquat ce saint exercice. Apres lequel, il voyoit les survenans, puis il prenoit un tel quel souper, accompagné d’un entretien de choses communes et indifferentes que l’on appelle du petit coucher, suivy de l’oraison du soir, où l’assistoit ordinairement le sieur Lucas, secretaire de son cabinet ; et pour finir sa journée, l mesme sieur Lucas, ou quelque autre qui en recevoit le commandement, luy faisoit quelque lecture de la vie des saints, selon les jours qui se rencontroient, en quoy une bonne partie de la nuit estoit employée, car à peine pouvoit il prendre un peu de sommeil qui ne se trouvat grandement interrompu, et sans la consideration de ses officiers, dont il ne vouloit pas ruiner la santé, il les eut retenus de bon cœur jusques au jour.
[p. 14] Voilà comme vivoit reglement, ou plustost comme alloit peu à peu mourant ce grand prince, lorsque, dans l’opinion commune qu’il n’estoit pas pour mourir si tost, je luy demanday permission de me retirer à Paris pour quatre ou cinq jours. A quoy il condescendit fort doucement, me donnant neantmoins à entendre qu’il seroit bien aise que, dans les termes où il se voyoit, j ne m’eloignasse pas beaucoup de luy.
Et parce que quelque eveschez estoient vacans, et qu’il n’avoit dessein d’en pourvoir que des hommes qui en fussent dignes, il me chargea d’y penser et d’en communiquer avec des personnes intelligentes et zelées pour les interests de Dieu, jesuites et autres, et particulieremnt avec le R. pere Vincent de Paul, general de la Mission, et de luy en fournir une liste où ils seroient mis selon l’ordre de leur suffisance et de leur merite.
Mais comme j’apperceu à mon retour qu’il minutoit quelque forme de testament, je jugeay qu’il estoit temps de luy donner advis de trois choses que je meditois en mon esprit, à quoy luy mesme me convia, me demandant par prevention, comme il avoit dejà fait quelqu’autre fois, si j’estoit content de luy ?
Je luy repondis qu’apres y avoir pensé serieusement, j’estois d’avis qu’il agiroit en Roy [p. 15] Tres Chrestien si, pour l’edification et la satisfaction publique, premierement il declaroit à tout le monde, ou de bouche ou par escrit, qu’il mouroit avec une extreme desplaisir de ses omissions envers la feue Reyne sa mere, dans les peines qu’il avoit eues d’ajuster ensemble les devoirs de fils et les obligations de Roy, surtout pour le temps où, n’estant plus sur les terres de l’Espagnol ny secourue de ses deniers ny partie agissante dans les mouvements de l’Estat, elle n’avoit pas laissé de souffrir en ses alimens et de recevoir un traittement moins convenable à sa qualité.
En second lieu, s’il donnoit ordre que les officiers et les serviteurs de la defunte, qui n’airoient aucun crime ny autre pesché que le malheur de leur maistresse, fussent payez de leurs gages et de leurs services, comme elle l’avoit ordonné.
En troisiesme lieu, s’il arrestoit les plaintes formées à l’occasion de plusieurs de ses sujets, dont les uns tenoient prison, les autres estoient exilez et hors du royaume, et les autres releguez en divers endroits hors de leurs maisons ; et parce qu’il y en avoit parmy eux qui passoient pour tres innocens, et comme on parloit pour martyrs d’Estat, qu’il luy pleut de leur assigner des juges afin de connoitre de leurs griefs et de leur rendre justice, comme [p. 16] ils en supplioient tres humblement Sa Majesté.
A ces trois chefs, sa reponse fut que pour le premier, qui regardoit la Reyne sa mere, il estoit de mesme sentiment que moy et qu’en ce poinct il n’avoit jamais esté sans quelque scrupule d’avoir manqué à son devoir, dont il demandoit avant toutes choses tres humblement pardon à Dieu, pardon aussi à elle mesme, et que de plus il entendoit que le sieur de Chavigny, secretaire d’Estat, qui l’aidoit à mettre par escrit ses derniers volontez, exprimat en son testament, avec les termes qu’il me laissoit libres, la douleur qu’il en ressentoit, et qu’il vouloit que toute la France et toute l’Europe en fut informée. Touchant l’autre chef, il repondit qu’il se souviendroit d’en commander l’execution, et pour le troisiesme qu’il y alloit pourvoir tout presentement.
Quant à la paix, il ne fut pas beaucoup necessaire de l’y exhorter, tant je scavois qu’il la desiroit avec passion, jusques là que, considerant un jour les souffrances de son pauvre peuple, « Je luy ay bien fait, me dit il, du mal, à raison des grandes et importantes affaires que je me suis veues sur les bras, et je n’en ay pas tousjours eu toute la pitié que je devois et telle que je l’ay depuis deux ans, ayant esté partout en personne et veu de mes yeux toutes les miseres. Mais si Dieu [p. 17] veut que je vive encore, ce que je n’ay pas grand sujet de croire et beaucoup moins de souhaitter, la vie n’ayant rien que me semble aimable, j’espere qu’en deux autres années je le pourray mettre à son aise, car l’année prochaine il aura la paix. » C’estoit le dessein de ce bon Roy, qui travailloit fort à l’avancement du traité. « Et l’année suivante, je licentieray, disoit il, mes troupes, qui est une affaire où de grands deniers s’epargneront. »
Un autre jour, prenant ses mesures pour cet heureux temps de la paix dans une fievre intermittante, comme j’estois seul à sa ruelle : « Je remedieray, dit il, Dieu aydant, au libertinage, je supprimeray les duels, j’estoufferay l’injustice, et communieray tous les huit jours. Et sitost que je verray mon Dauphin à cheval et en age de majorité, je le mettray en ma place pour me retirer à Versailles, avec quatre de vos peres, où je m’entretiendray avec eux des choses divines, ne penseray plus du tout qu’aux affaires de mon ame et de mon salut, à la reserve du divertissement de la chasse, que je desire toujours prendre, mais avec plus de moderation qu’à l’ordinaire. »
Alors, il demanda au sieur de Chavigny, present, s’il n’estoit pas vray qu’il l’avoit ainsi resolu et s’en estoit decouvert à luy depuis fort longtemps, et moy la dessus, touché de compassion pour les malheurs qui pendoient alors sur la teste du roy de la Grand Bretagne, je [p. 18] m’avançay de lui demander s’il ne l’assisteroit pas auparavant contre ses rebelles : « Ouy, dit il, à condition que de sa part il fasse aussi pour les catholiques ». Une autre fois, s’informant de moy de la difference que nous mettons entre l’attrition et la contrition, sur ce que je luy repondis que l’attrition avoit pour motif la crainte de Dieu et nostre interet, au lieu que la contrition n’a que l’amour et que l’interet de Dieu : « Je n’ay, me dit il, jamais envisagé en ma repentance que l’interet et l’amour de Dieu ; vous voyez pourtant que j’ay eu l’honneur de n’avoir esté des mieux instruits en ce point ; mais si Dieu me donne la vie et la santé, j’y mettrait bon ordre et vous me catechiserez ». Ce qu’il ajouta dans la veue de la retraite qu’il avoit dessein de faire à Versailles.
Au reste, la fievre, l’inedie et l’insomnie, et une toux seche le minant tousjours peu à peu, il redouta nommement deux choses, l’une de mourir inopinement et par surprise, l’autre de languir ou, comme on dit, de trainer longtemps. Mais, pour s’armer avec cette double appréhension, il conjura d’un costé monsieur de Meaux et son confesseur de se souvenir de luy donner par avance tous ses sacremens, dont ils s’excuserent pour l’heure, l’asseurant que chose du monde ne pressoit, que selon le devoir de leur conscience et de leur charge ils [p. 19] le feroient quand il seroit temps ; d’ailleurs il pria Dieu tres instamment de luy vouloir abbreger le cours et la durée de sa maladie, et on remarqua qu’il fit sa priere avec grande ardeur.
La nuit du 18 au 19 d’avril fut si mauvaise et si facheuse pour luy qu’il ne pensa presqu’à autre chose, qu’à l’eglise de Sainct Denys en France, où reposent les corps de nos Roys ; dont le lendemain il prit sujet de s’entretenir toujours de la mort avec ceux qui s’approchoient de luy et, l’apres disnée, s’estant fait mettre dans sa grande chaire où, de temps en temps, il se soulageoit de la lassitude du lit, il commanda qu’on luy ouvrit les fenestres de sa chambre, qui regardoient du costé de Sainct Denys, disant à ceux qui le servoient qu’il vouloit voir son dernier logis.
Puis le soir, tout tard, chacun s’estant retiré, à la reserve des sieurs Lucas, du Bois et peu d’autres, il desira qu’on luy leut le 17 chapitre de l’evangile de saint Jean, où sont couchées les dernieres paroles que le Sauveur du monde dit à ses apostres un peu avant sa Passion, ; et l’oraison qu’il fit à son pere pour luy recommander ses chers disciples, mais en termes si affectueux qu’ils seroient capables de toucher les cœurs les plus dures et les ames les plus insensibles.
[p. 20] Il se fit lire aussi quelque endroit de l’introduction à la vie devote du B. François de Sales, et nommément le chapitre du mepris du monde, et, dans le livre de l’Imitation de Jesus Christ, celuy de la mort, que le sieur Lucas ne pouvoit assez tost trouver, le Roy prit luy mesme le livre et, y rencontrant à l’ouverture ce qu’il cherchoit : « Lisez, dit il, cela », et cette lecture fut continuée jusqu’à minuit.
Le jour suivant 20 du mois, s’assemblerent en sa chambre par ses ordres, autour de Sa Majesté, la Reyne son espouse, monsieur le duc d’Orleans, monsieur le prince de Condé, ses ministres d’Estat et tout ce qu’il y avoit de Grands à la Cour, puis, les rideaux de son lit levez, s’estant entretenu quelque temps avec la Reyne, monsieur son frere et monsieur le Prince, il fit à toute l’assistance, à haute voix, un discours declaratif de ses dernieres volontez, à la fin duquel il commanda au sieur de La Vrilliere, secretaire d’Estat, qui estoit en mois, de lire tout haut la regence à la Reyne, seante alors au pied du lit. Et quoy que tout le monde fondit en larmes, il avoit luy seul le visage gay et tesmoignoit estre fort content.
Cette piece ayant esté leue, il en fit signer l’original et en jurer l’execution à la Reyne et à monsieur son frere, leur disant plusieurs autres [p. 21] choses sur ce sujet, comme aussi à monsieur le Prince.
Ensuitte, le parlement vint, representé par son premier president, les presidens au mortier, deux conseillers de chaque chambre, et les gens du Roy, qu’il informa de ses intentions ; apres quoy il enjoignit à monsieur le duc d’Orleans, à monsieur le prince de Condé et à monsieur le chancelier d’estre le jour d’apres à Paris pour faire enregistrer sa declaration au parlement. Et ce fut chose fort merveilleuse de voir le plus grand monarque du monde disposer ainsi de son royaume, quitter la Reyne son espouse en la fleur de son age, des enfans mineurs beaux comme le jour, et sa propre vie, avec aussi peu d’emotion que s’il n’eut laissé qu’une de ses maisons de campagne.
Mais ce qui donna encore un grand eclat à la gloire de cette action, c’est qu’il parut alors à veue d’œil que Dieu luy avoit donné, comme à dessein plus de santé et plus de force qu’à l’ordinaire. Car, tout le monde estant sorty de la chambre, luy, le cœur serré de regret et la face baignée de larmes, retint seulement monsieur de Meaux et son confesseur, employant ce qui restoit de la journée à s’entretenir avec eux de Dieu et des choses divines.
La nuit, il eut de grandes evacuations, lesquelles jointes aux precedentes l’abbatirent [p. 22] et l’extenuerent tellement que son corps ne sembloit plus qu’un squelette, de sorte qu’au point du jour, regardant par occasion ses bras et ses cuisses, il demeura un peu etonné de l’estat où il se voyoit, puis, s’elevant les yeux au ciel selon sa louable coutume : « Helas, dit il avec le Prophete, Quid est homo ? » Qu’est-ce que l’homme ? Paroles qu’il repeta depuis fort souvent lorsqu’il parloit à quelques seigneurs qu’il aimoit beaucoup, entr’autres monsieur de Liancour, ajoutant encore celle cy : « Je ne suis plus desormais que terre ! »
Le mesme jour, sur les cinq heures du soir, apres le Conseil tenu, on fit la ceremonie du baptesme de monseigneur le Dauphin en sa chapelle du vieux chateau, la Reyne presente, où son parrain fut monsieur le cardinal Mazarin, et sa marraine madame la princesse de Condé, qui luy donna le nom de Louys, que ce petite prince desiroit avoir ; et apres la ceremonie, qui fut bientôt achevée, il alla remercier de fort bonne grace monsieur de Meaux en la sacristie. Le Roy, ayant appris le succes de toute l’action, en loua Dieu, les yeux elevez au ciel, où il les tint assez longtemps.
Or ses mauvaises nuits l’abbatant de plus en plus, et ses medecins ouys la dessus, il fut ordonné qu’on luy administreroit le viatique de la tres saincte eucharistie, dont j’eus avis [p. 23] de luy porter la parole, non seulement qui ne le surprit ny ne l’inquieta pas, mais plutost qui luy fut si agrable qu’il m’embrassa tendrement, et en dit mesme en action de graces un Te Deum, avec plus de joye qu’il n’en avoit jamais tesmoigné ny pour la prise d’une ville, ny pour le gain d’une bataille. Puis, se tournant vers l’assistance, « Que j’aime, dit il, ce bon pere, qui m’apporte une si bonne et si agreable nouvelle ! »
On informe cependant la Reyne de ce qui se passe, tandis que le Roy se confesse et se prepare à la communion, lors qu’à la fin de la messe cette princesse arrive, fondant toute en larmes, et, ayant laissé un peu en arriere messeigneurs le Dauphin et le dc d’Anjou entre les mainsde leur gouvernante, elle se presente au chevet du Roy et là, prosternée à genoux, elle le voit communier pour la derniere fois, monsieur le duc d’Orleans et monsieur le prince de Condé luy tenans les deux premiers coins de la nape, et deux aumoniers les deux autres.
Apres son action de graces, faite à loisir et en grand repos, il s’entretint en particulier avec la Reyne assez longtemps, et à la fin, pour clorre toute cette pitoyable ceremonie, ayant demandé messeigneurs ses enfans, la Reyne les alla prendre elle mesme par la main et les luy amena tous deux, puis tous trois [p. 24] mirent avec grand respect les genoux en terre et receurent sa benediction.
Il est vray qu’en mesme temps, il eut bien voulu recevoir l’extreme onction, mais ce ne fut ny l’opinion de monsieur de Meaux, ny mon sentiment, tant nous decouvrimes de vigueur et de force en luy.
En effet, il accueillit favorablement, ce jour là encore, quelques grands seigneurs qui, pour la pluspart, avoient encouru son indignation, s’estans malheureusement engagez dans les divisions de la Cour et de la Maison royale.
Et ayant sceu que les mareschaux de Chatillon et de La Force desiroient luy tesmoigner leur zele pour le service de Sa Majesté et l’extreme regret qu’ils avoient de la perte d’un tel maitre, quoyqu’il ne prit pas plaisir de voir aucun huguenot en cet accessoire où il ne vouloit point souffrir d’imagination contraire à la foy, son humeur estant de ne hair pas moins les pensées que les complaisances ou les œuvres, quand elles estoient de quelque sujet qui n’estoit point agreable à Dieu, il les fit toutefois entrer puis, les ayans remerciez de la tendresse de leur affection, il les exhorta fortement à se retirer de leur pretendue religion, leur intimant qu’estant sur le poinct de rendre compte de toute sa vie à son createur, il ne se pouvoit tenir de leur dire qu’à son avis [p. 25] Dieu les avoit gratifiez de ce grand age où ils estoient tous deux arrivez pour leur donner loisir de penser à eux et qu’il les en conjuroit autant qu’il pouvoit, qu’au reste il reconnoissoit que selon le monde ils estoient veritablement sages, vaillans et braves seigneurs, mais que ce n’estoit pas tout, qu’il n’y avoit pas plus d’une voye pour aller au ciel, que hors de l’Eglise catholique, apostolique et romaine il n’y avoit point de salut, et choses semblables qu’il leur dit en de si beaux termes et avec tant de cordialité qu’il leur tira les larmes des yeux ; mais ce fut tout le fruit de cette belle et cordiale remontrance.
Ainsi se passa la journée, et la nuit s’avançoit fort quand Dieu permit, pour les raisons qui luy sont connues, qu’apres nous estre un peu trop hatez de luy donner le viatique, nous nous hatames encore un peu trop de luy donner l’extreme onction, à l’occasion des medecins qui estoient lors de garde aux pieds de son lit, et particulierement du sieur Seguin le jeune, premier medecin de la Reyne ; car, ne luy trouvant comme point de pouls, ils en donnerent bientôt avis à monsieur de Meaux, et luy à moy, nous asseurant qu’il s’en alloit et qu’à peine verroit il le jour, et qu’il estoit absolument necessaire de luy donner les sainctes [p. 26] huiles, à moins que d’estre blamez de tout le monde si nous laissions mourir sans ce sacrement un prince si sage et si vertueux qui s’en reposoit sur nous, que de leur part ils se sentoient obligez de nous donner cet avis pour leur decharge.
On peut aisement juger si je me trouvay surpris à cette parole, veu que le matin, Sa Majesté ayant demandé au sieur Bouvart, selon sa coutume, des nouvelles de sa mort en nostre presence, et si ce seroit pour la nuit prochaine, il luy avoit repond que ce n’estoit pas son opinion, s’il n’arrivoit quelque accident qui n’estoit point encore previsible ; neantmoins, me voyant pressé de me prevaloir de cet avis, je n’en voulus pas allarmer l’esprit du Roy, qui prenoit un peu de repos, mais sans plus longue deliberation je pris le carrosse de monsieur de Meaux et allay en diligence au vieux chateau en communiquer avec monsieur le cardinal Mazarin et le sieur de Chavigny qui, non moins estonnez que moy, viennent en sa chambre, où, les medecins luy ayans taté de nouveau le pouls, nous asseurerent que pour foible et bas qu’il fut, il nous dureroit encore du moins jusques au midy.
Sur quoy on conclut que le matin je me mettrois en devoir de le disposer à ce sacrement, comme je fis de le point du jour 23 d’avril, [p. 27] luy representant que la nuit passée il nous avoit mis en grande frayeur jusques là que les medecins qui le veilloient avoient douté s’il verroit le jour, que graces à Dieu il estoit mieux sans comparaison, mais neantmoins qu’il y avoit quelque peril puisque tous les soirs il sembloit mourir et tous les matins ressusciter et, partant, que dans l’apprehension de quelque surprise ou de quelque mort inopinée, s’il luy plaisit qu’on luy donnat les sainctes huiles sans plus attendre, il auroit toutes les aydes et toutes les armes spirituelles de l’Eglise, se tirant par ce moyen de peril et nous de peine, qu’au reste l’extreme onction ne s’appelloit pas tant extreme parce qu’elle ne devoit estre conferée qu’à l’extremité qu’à cause qu’elle estoit, pour ainsi dire, la derniere de toutes les onctions ecclesiastiques que Jesus Christ avoit instituée comme un sacrement pour fortifier de corps et d’esprit ceux qui sont grandement malades et mesme, s’il est à propos, pour rendre la santé en qualité de remede surnaturel, ainsi que l’apostre saint Jacques nous asseure en sa canonique, et qu’en un mot elle donne beaucoup de force à un malade pour supporter doucement son mal.
Il n’en fallut pas davantage à un prince qui avoit, comme on dit, la mort en desir et la [p. 28] vie en patience et qui esperoit tous les jours passer à une meilleure. Neantmoins, il voulut ouyr auparavant de la bouche mesme de ses medecins, qui l’avoient tousjours entretenu de quelque foible esperance de retour, si à leur jugement sa maladie estoit sans remede.
A quoy le sieur Bouvart repartit : Sire, Dieu est tout puissant ! Et alors Sa Majesté, d’un visage gay, d’un front serain et d’un œil riant, s’ecria encore avec le prophete : Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus ! Je suis ravy de la nouvelle qu’on me vient dire que nous irons en la maison du roy des roys et du seigneur des seigneurs !
Et, dans l’opinion qu’il mourroit le lendemain, jour de vendredy, il ajouta incontinent : O, la desirable, ô l’agreable nouvelle ! ô l’heureuse journée pour moy, et veritablement heureux vendredy ! Aussi n’est ce pas d’aujourd’huy que les vendredys me sont favorables, un vendredy m’a elevé à la royauté, je gagnay à pareil jour au Pont de Cé la premiere de mes victoires, la premiere ville que j’ay assiegée a esté Sainct Jean d’Angely, dont la reddition se fit à tel jour, la defaite de Soubize en l’isle de Ré arriva aussi un vendredy comme j’y estoit en personne, et un autre vendredy me fit scavoir que les troupes qui estoient allées par mes ordres en la mesme isle contre les Anglois les avoient battus et [p. 29] forcez de rentrer dans leurs vaisseaux, et ainsi de quantité d’autres. Mais ce vendredy me sera le plus heureux de toute ma vie, puisqu’il me mettra dans le ciel pour y regner eternellement avec mon Dieu, et il vaut mieux mille et mille fois estre roy au ciel que sur terre ; non que je me promette d’y aller tout droit et sans obstacle au sortir du corps, car eu egard à mes offences, cent ans, ouy cent ans de purgatoire ne seront pas trop pour moy, mais j’en auray au moins, Dieu aydant, tousjours l’expectative certaine !
Apres ce discours, je le confessay, on luy dit la messe, puis monsieur de Meaux, s’approchant avec le livre et les saintes huiles, la Reyne arriva là dessus et, comme je me mis en devoir de luy quitter par honneur ma place, elle m’y retint avec sa bonté ordinaire. Les pseaumes, les litanies, les oraisons furent recitées, et les onctions visitées se firent.
Ce religieux monarque repondit à tout, aussi peu emeu que s’il n’eut esté que spectateur de cette action, qui fut faite, si je ne me trompe, sur les neuf heures et demie du mesme jour.
Nous fondions tous en larmes, quelque grand effort que nous fissions pour les retenir, mais la ceremonie ne fut pas plustot achevée qu’il joignit enfin les siennes aux nostres, et nous dit en essuyant ses yeux : Je ne trouve point [p. 30] mauvais que vous me pleuriez, c’est une demonstration de vostre amitié, et c’est ce qui m’attendrit le cœur ; hors de là, Dieu m’est temoin si la vie m’a jamais pleu et si je ne suis pas ravy d’aller à luy en peu d’heures, et choses semblables sur lesquelles il s’etendit avec tant de fermeté d’esprit et de ferveur que, depuis, il m’avoua qu’il en avoit senty quelque mouvement de vanité. Et comme je luy remontrois que cette disposition d’esprit estoit un effet du sacrement qu’il avoit receu, et un don de Dieu qui demandoit sa reconnoissance, disant à Dieu : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ! O Seigneur, ce n’est point à nous, non, ce n’est point à nous que la gloire est deue, mais à vostre nom, à vostre grace et à vous mesmes ! Il repartit aussitôt qu’il avoit tousjours dit ces paroles.
Or, comme la foule de ceux qui avoient remply sa chambre estoit si prodigieuse que, luy ostant la belle veue et le libre usage de l’air qui entroit pas ses fenestres, et neantmoins ne voulant faire sortir personne en particulier, tant il avoit de douceur et d’humanité pour tout le monde, il fit signe de la main qu’on se rangeat et dit un peu haut : Hé Messieurs, donnez moy la vie !
A cette parole, tous ceux qui estoient alors inutiles se retirerent, mais il m’arresta, me commandant [p. 31] de demeurer et de luy dire à qoy il pourroit s’occuper ?
Je lui fis reponse qu’il me paroissoit si robuste et si vigoureux que je ne pouvois desesperer de l’estat de sa convalescence et que, ne scachant à quoy rapporter un si merveilleux changement, je presumois avec assez d’apparence que c’estoit un effet de l’extreme onction et que le Grand Medecin operoit extraordinairement en sa personne, luy donnant tant de consolation et de force : Je le sens bien, dit il ; puis j’ajoutay qu’apres tout, s’il n’estoit pas pour guerir de sa maladie, cette force et cette consolation qu’il ressentoit ne luy estoit donnée de Dieu que pour en digerer la longue durée avec moins de peine, de sorte que je le priay de ne se point negliger luy mesme, mais de se souvenir de l’avis du Sage qui dit : Fili, in tua infirmitate ne despicias te ! Mon fils, quand vous estes malade, souvenez vous de ne vous point negliger vous mesmes, mais de suivre Dieu et d’adorer l’ordre de sa divine providence, de sa volonté et de sa conduite. Je conclus enfin qu’il seroit bon de partager sa journée comme de coutume, tantot prenant ce qu’il pourroit de remedes et de nourriture, avec quelque honneste divertissement apres le repas, tantot entendant parler des choses divines, mais en peu de mots, [p. 32] de peur de luy causer de l’ennuy, estant certain qu’à la longue on s’ennuye de tout et qu’on doit donner aux malades la nourriture spirituelle comme la corporelle, peu et souvent ; neantmoins que, par intervalles et de fois à autres, il pourroit penser de loin aux œuvres pries qu’il vouloit faire, mais que de ma part je me chargeois de l’avertir fidellement et à point nommé du jour et, s’il estoit possible, de l’heure de son passage, autant que je pourrois en estre asseuré de ses medecins.
Cet avis luy parut assez plausible et ce discours assez agreable et, des lors, il s’en prevalut si heureusement que, les forces s’augmentant peu à peu en luy, il vint mesme jusques à ce point de s’etonner d’avoir esté si tost reduit à l’extreme onction, et en toucha un mot à ses medecins, qui luy repondirent que si sa santé estoit bonne, ils prioient Dieu de la luy rendre encore meilleure.
Le lendemain matin 24 d’avril, ils luy presenterent une prise de rheubarbe, mais il ne fut pas au pouvoir de leur eloquence ny au credit de toute la Cour de l’y resoudre et, nonobstant ce refus, apres son disner, il eut tant de force, par une espece de miracle, et se trouva en si bonne humeur, qu’il fit chanter sur le luth le pseaume Lauda anima mea Dominum par son premier valet de garderobe. [p. 33] Ensuite de quoy on luy chanta en partie plusieurs autres, traduits de nouveau en vers françois sur des airs de son invention, et il en chanta luy mesme la basse avec le duc de Schomberg. De sorte que, la Reyne l’estant venue visiter à l’heure qu’elle prenoit tous les jours pour cette action, ne fut jamais plus estonnée ny tout ensemble plus rejouye, et la nouvelle d’un prodige si nouveau volant aussitost partout Sainct Germain, il n’y eut aucun de ceux qui avoient l’honneur de l’approcher qui ne creut qu’il estoit guery et ne luy en vint faire des conjouyssances.
Mais ce bon prince, ne scachant qu’en dire, protesta tout haut que, si c’estoit le plaisir de Dieu qu’il revint, il accepteroit la vie seulement pour luy obeir, à condition qu’il luy pleut en mesme temps donner la paix à toute l’Europe.
Cependant, nostre esperance ne nous flatta qu’environ huit jours. Car, des l’entrée du mois de may, ses langueurs ordinaires recommencerent et ses lassitudes parurent plus grandes qu’elles n’avoient encore esté. Il luy tardoit qu’on ne luy donnat la bonne nouvelle qu’il fallut partir, aussi ne le dissimuloit il pas à ses medecins lorsqu’ils l’invitoient à prendre un peu de gelée fondue qu’on luy presentoit dans une phiole de verre afin de luy epargner [p. 34] la peine de lever la teste pour la prendre, sa reponse ordinaire estant qu’on le laissat mourir en paix, et il me dit un jour pitoyablement à moy mesme qu’il s’ennuyoit fort de la vie, avec ces paroles qu’a dit autrefois le saint homme Joc : Taedet animam meam vitae meae ! O mon Dieu, que cette vie mortelle me dure, et qu’elle me cause d’ennuy !
Alors, pour le consoler, je me mis à luy porter compassion, avouant que dans l’estat où je le considerois apres tant de vicissitudes, de douleurs, de soulagemens, de convalescences et de recheutes, il me sembloit que je voyois une barque dont le pilote combatu des ventes et de la tempeste estoit à toute heure tantot elevé à la hauteur des nues, tantot englouty au fonds des abysmes, mais qu’implorant avec confiance de cœur ou de bouche le secours divin, il en sentiroit quelque bon effet qui seroit capable de le conduire en asseurance au port de salut ; davantage, que tout ce qu’endurent les esleuz en cette vie leur est compté en deduction des peines de l’autre, pourveu qu’ils soient en estat de grace et qu’ils endurent avec patience. Et comme il gouta cette pensée, il me la fit repeter, s’informant de moy si la chose estoit veritable ; alors, je luy apportay un passage de saint Augustin, sur le pseaume 50, où il dit ces paroles : In hac vita purges me, [p.35] et talem me reddas cui iam emendatorio igne opus non sit ! O Seigneur, je vous conjure de me purger en cette vie et de me rendre tel, je veux dire si pur et si net que le feu ardent du purgatoire ne soit point necessaire apres ma mort.
A quoy j’adjoutay encore que, dans la doctrine des saints peres, les longues et les facheuses maladies, prises, comme il faut, de la main de Dieu, sont un espece de martyre, et que le mesme sainct Augustin l’asseure en ces termes : Multi ducunt martyrium in lecto, prorsus multi ! Il y en a plusieurs, et plus peut estre qu’on ne s’imagine, qui, estant allitez de quelque longue maladie, endurent dans leur lit le martyre ; et, par consequent, plus la maladie est longue, plus on approche de la perfection des saincts martyrs, dont le martyre a quelquefois duré longtemps, comme nous lisons de celuy de sainct Clement, surnommé d’Ancyre, à qui je scavoir bien que le Roy estoit grandement devot.
Je luy dis enfin que, l’ayant veu fort souvent dans le desir de mourir pour Dieu, je trouvois qu’il estoit ouy de Dieu et que la bonté divine luy accordoit l’accomplissement de son desir, puisqu’estre sujet à tant de facheuses alternatives comme de se voir aujourd’huy malade jusques au mourir et demain [p. 36] vivant au jugement des medecins, et se soumettre en tout aux ordres de la providence souveraine, c’estoit mourir à soy mesme autant de fois et endurer autant de martyres.
Mais neantmoins, en ce mesme temps, je me sentis inspiré de luy conseiller l’usage de la confession journaliere pour ce qui luy restoit de vie, quand mesme il n’auroit autre matiere que quelques pechez de ses autres confessions, quoyqu’ils fussent desjà pardonnez, afin de croitre tousjours en grace et en force, en vertu du sacrement de penitence.
A quoy il dit qu’il estoit prest, et qu’il en useroit ainsi de bon cœur, comme il fit avec un succes si heureux que, peu de temps apres, le faisant ressouvenir de sainct Martin, qui disoit à Dieu que, s’il estoit utile ou necessaire à son peuple, il ne faisoit point refus de vivre ny de travailler plus longtemps ! Voilà justement, dit il, ce qui m’est propre ; puis, par un mouvement heroique et par un genereux effort, il adjouta incontinent : Qu’il estoit pret, si Dieu l’ordonnoit, de languir dans le triste estat où il se voyoit alors reduit autant d’années qu’en peut vivre naturellement un homme qui se porte bien.
Au reste, ses douleurs, accompagnées de cette langueur continuelle et cette langueur du degout, de l’insomnie et de l’importunité du bassin, dont il craignoit plus la mauvaise odeur [p. 37] pour les assistans que pour luy mesme, n’estoient pas si petites, surtout au redoublement de sa fievre, qu’il ne fut contraint de faire quelquefois ouvrir les fenestres de sa chambre et d’etendre souvent ses bras à l’air, quoyqu’en une saison assez froide, contre l’ordinaire, de la fin d’avril, et mesme d’avoir sur ses reins et sous la teste des oreillers de paille d’avoine pour moderer la violence du feu interieur qui le devoroit.
Cependant, je puis asseurer que, si quelquefois il s’est plaint dans la grandeur du mal qu’il souffroit, ce ne fut jamais à moy ny en ma presence, au contraire il en fit si bien son profit que je ne puis icy m’empecher de dire une chose qui semblera d’abord moins croyable mais qui est pourtant tres veritable.
Car ce grand prince, qui a domté l’heresie, qui a pris tant de villes, conquis tant de provinces et donné tant de batailles, qui a triomphé de tant de puissans ennemis et fait tant d’actions illustres à le veue de toute la France et avec l’etonnement de toute l’Europe, l’espace de quarante deux ans qu’il a vescu, me dit un jour qu’il preferoit cette derniere maladie avec ses souffrances à la partie la plus belle et la plus eclatante de sa vie, d’où l’on peut aisement conjecturer combien d’actes de vertu il pratiquoit en cet estat, combien il [p. 38] domtoit ses passions et combien il en remportoit de victoires.
Je ne nie pas neantmoins que je ne l’aye veu, une ou deux fois, en colere, et qu’il n’eyt eu peut estre contre quelques uns de l’indignation qui ne sera pas venue à ma connoissance, mais je puis dire ou qu’il avoit raison de le faire, ou qu’il s’appaisoit incontinent. Et lorsqu’il avoit donné sujet de deplaisir à qui que ce fut, present ou absent, il y remedioit en diligence, ou par luy mesme, ou par un autre, et le jour mesme il s’en accusoit.
Il en usa ainsi une fois vers son premier medecin le sieur Bouvart, et une autre fois envers moy mesme, à qui un soir, bien tard, il envoya monsieur de Chavigny pour une occasion de cette nature, et comme on l’avertit que le duc de Chevreuse apprehendoit qu’il n’eut en son cœur quelque aversion ou quelque froideur contre luy, il pria monsieur le prince de Condé de l’asseurer du contraire.
Or depuis ce dure combat contre l’ennuy et le degout de la vie, dont par forme de digression je me suis un peu detourné, il en eut deux autres à soutenir, mais à beaucoup pres plus legers, contre deux inquietudes qui l’attaquerent : l’une de n’avoir pu donner avant son trepas la paix à la chrestienté, quelque veritable desir qu’il en eut, et il surmonta celle cy de [p. 39] luy mesme, par la resolution qu’il prit de se conformer à l’ordre de la providence de Dieu et de la luy demander par ses prieres quand il auroit le bonheur de le voir au ciel ; l’autre estoit fondée en l’affection naturelle qu’il avoit pour son royaume, car il l’aimoit par preference à toute autre chose apres Dieu et son salut, et je l’ay veu quelquefois disputer jusques au scrupule s’il ne pechoit point en l’aimant avec un peu trop d’exces, qui luy jetta de fort grandes apprehensions en l’ame que nous n’eussions beaucoup à souffrir apres sa mort.
Mais contre cette anxieté interieure, je luy representay devant les yeux qu’il ne se devoit point mettre en peine des choses futures, apres y avoir pourveu de sa part en la maniere qu’il avoit jugée la meilleure, que la sagesse de la Providence divine, à qui seule il appartient de disposer souverainement du bonheur et du malheur des Estats en ordonneroit à sa volonté, qui ne peut jamais cesser d’estre bonne, et qu’apres tout, quand il luy plairoit de donner quelque contrepoids à l’elevation de la France et l’humilier à son tour, ainsi que l’avoient esté tous nos ennemis sous son regne tousjours heureux, tousjours triomphant, nous serions tenus de faire de necessité vertu [p. 40] et de nous resoudre à l’exercice de la patience, nous soumettant avec humilité et avec respect aux ordres d’en haut, qui sont toujours saincts et adorables.
Cette pensée luy sembla si juste que, non content d’y acquiescer à l’heure mesme, il la mit encore depuis en pratique à l’occasion de quelques uns de ses serviteurs qui avoient eu la mesme crainte et la mesme apprehension que luy.
Or comme je m’apperceus que ses forces alloient diminuant à veue d’œil, je me sentis obligé de redoubler mes soins pour le service et le salut de sa personne, et quoyqu’il y eut longtemps que j’estois passé du vieux chateau au chateau neuf, neantmoins je jugeay à propos de mettre ma paillasse dans son cabinet, joignant la porte de sa chambre, pour estre à luy au premier signe, c’est à dire presqu’à tous les momens de la nuit.
Mais à moins que d’ouyr ce signe ou d’estre appellé, je m’abstenoir de me montrer trop souvent à luy, de peur d’interrompre son entretien avec Dieu, qui estoit l’unique ou le plus grand contentement qu’il eut au monde, m’avouant luy mesme un jour qu’il n’avoit point de plaisir egal à celuy de la priere.
Plusieurs aussi l’on veu dans son lit battre [p. 41] sa poitrine, les yeux à demy fermez, pour mieux cacher se devotion. Mais des lors qu’il m’apercevoit, il quittoit tout pour ouyr ce que j’avois à luy dire, quoyque d’ordinaire il ne valut pas ce qu’il ruminoit en son ame. D’ailleurs, je craignois encore de luy charger ou de luy occuper trop l’esprit, qui n’avoit rien ordinairement plus à cœur que de penser aux moyens de mettre fin aux desordres de la guerre, de conclure son traité de paix, de nommer aux benefices à mesure qu’ils venoient à vacquer, et de recevoir les adieux de la noblesse qui alloit combattre en son armée de Picardie sous monsieur le duc d’Anguien, qu’il avoit luy mesme choisy pour en avoir le commandement et la conduite.
De plus, il avoit à disposer de quelques eveschez vacans, où il cherchoit encore des hommes capables, et de quelques abbayes reservées pour un dessein qui n’eut point d’effet, à regler ses gratifications, à ordonner de ses legs pieux et du lieu de sa sepulture apres sa mort, articles qui luy couterent trois apres disnées qu’il y employa en presence de monsieur le cardinal Mazarin, du sieur de Chavigny, qui tenoit la plume, et de son confesseur, tous trois enfermez dans sa chambre.
Et à ne point dissimuler la verité, je puis dire que les eveschez furent donnez saintement [p. 42] et les abbayes charitablement, que ny ses gratifications ny ses legs pieux ne furent point à charge à personne par un pur desir d’epargner son peuple, qu’il n’oublia aucun de ses domestiques, non pas mesme le boulanger du pain de ses chiens, connoissant par nom tous ceux qui estoient sur l’estat de sa Maison et en ayant fait faire une liste, qu’il fit deux fondations considerables à Saint Denys, tant pour le repos de son ame que pour le repos de celles du feu roy son père et de la feue reyne sa mere, qu’il en fit encore une à Chantilly et une autre à Versailles, dont l’eglise ayant besoin de reparation, il en chargea le sieur de Noyers pour luy tesmoigner qu’encore qu’avec sa permission il se fut retiré de la Cour, il ne laissoit pas d’avoir bonne opinion de sa probité et de faire estime de sa personne ; qu’il envoya sur la frontiere beaucoup d’aumones secrettes pour estre distribuées à grand nombre de villages par des peres de la Mission, et quantité d’autres aux environs de Paris par les soins de monsieur de Meaux qui luy avoit desja rendu quelqu’autre fois ce bon service lorsqu’il estoit en pleine santé ; qu’une partie considerable fut assignée au mesme prelat pour en faire l’application à l’ornement de la chasse de sainct Fiacre, le tout pris sur un fonds qui estoit entré fort à propos dans les [p. 43] coffres du tresorier de ses Menus Plaisirs, et ce qui en demeura de reste apres toutes ces pieuses applications, qui ne montoient pas à une somme legere, fut laissé à la disposition des trois personnes par luy commises pour l’execution de ces bonnes œuvres.
Enfin, pour le regard de son corps, il declara qu’il entendoit qu’il fut inhumé à Saint Denys au tombeau de ses predecesseurs, sans ceremonie toutefois, pour la decharge de l’Estat qu’il plaignoit fort et qu’il s’efforça de soulager en tout de tout son pouvoir.
Il est vray qu’il avoit souhaitté, par principe de pudeur, si je ne me trompe, et par motif d’honnesteté, que l’ouverture n’en fut point faite selon la coutume, mais, luy representant qu’il falloit necessairement le garder l’espace de quelques jours et l’exposer en public à la royale, et qu’à moins d’estre embaumé il seroit comme impossible dans la saison, qui estoit chaude, qu’on n’en ressentit quelque sorte de mauvaise odeur, il condescendit à ma remontrance.
Puis, voulant aussi que j’eusse part à son testament, il me regarda d’un œil capable de tirer les larmes des yeux avec ces paroles : C’est mon cœur, dit il, que je vous donne, vous le voulez bien ! A ce trait de bonté incomparable, je ne fis reponse qu’avec une profonde reverence, asseurant [p. 44] Sa Majesté que ce jour là Elle nous fairoit le plus riche don qu’Elle pouvoit faire, et à l’heure mesme je luy en rendis tres humbles graces au nom de toute nostre compagnie.
Il est vray que ce cœur royal, qui a tousjours esté en la main de Dieu, nous fut delivré apres sa mort, mais il faut avouer que cette mort arriva trop tost de plusieurs années pour Saint Louis, dont Sa Majesté a fondé et baty l’eglise, où la Reyne regente a fait mettre ce depot sacré, enchassé en or, et l’a honoré d’une depense digne de sa magnificence royale et de son amour conjugal.
Or apres avoir terminé toutes ces affaires, son passage de la terre au ciel s’avançant tousjours, monsieur de Lisieux se presenta pour l’ayder en cet accessoire et se joindre à monsieur de Meaux, qui s’en acquittoit parfaitement. Monsieur le duc de Vantadour, chanoine de Nostre Dame de Paris, y parut encore et fut veu de Sa Majesté de fort bon œil ; le pere Vincent y vint aussi par deux fois, selon le desir de la Reyne, qui le proposa au Roy, mais ce grand prince n’y consentit qu’à la charge que son confesseur n’y eut point de difficulté, tant il avoit l’esprit present à toutes les choses qui se passoient autour de luy, et il y eut assez de bonté en cette excellente princesse pour se vouloir donner la peine, toutes les deux fois, de m’en [p. 45] parler, ce qui me ravit en admiration et m’obligea non seulement de luy en rendre mes actions de grace, mais de l’en supplier tres humblement.
Ainsi ce secours nous estant venu, et le Roy ne me parlant gueres sans me demander : Quand sera ce qu’il faudra partir ? c’est-à-dire combien ses medecins luy donnoient encore d’heures ou de jours à vivres ! Enfin, le douzieme de may, qui fut l’avant-veille de son trepas, nous resolumes, monsieur de Meaux et moy, de luy dire qu’il seroit bien de s’y preparer par une derniere communion, qu’il recevroit de nouveau en forme de viatique, ne le pouvant faire autrement.
Joint que, si nous eussions remis cette actions au jour d’apres, avec l’incertitude s’il vivroit vingt quatre heures, nous avions encore sujet de craindre que, la fievre luy ayant desjà entierement desseché la bouche et la langue, il n’eut pas la force d’avaller la sainte hostie.
C’est pourquoy on me deputa pour luy en faire l’ouverture, et d’abord il en eut une telle joye qu’il en chanta le Te Deum, puis, s’estant reconcilié environ les sept heures du soir, il communia des mains de monsieur de Meaux ; apres quoy, prenant la main de la Reyne et celle de monseigneur le duc d’Orleans, il leur fit encore promettre de vivre en union [p. 46] et en concorde, et leur recommanda les petits princes ses enfans.
Alors, si nous eumes beaucoup de tendresse et de grands sentimens de compassion pour luy, nous n’en sentimes pas moins pour cette bonne princesse, laquelle, ayant delogé du vieux chateau pour estre plus pres du Roy, ne laissoit pas de s’y rendre tous les jours pour se prosterner au pied des autels devant Jesus Christ exposé au Saint sacrement, afin d’implorer le secours du ciel pour son cher espoux, et de faire

Dinet, Jacques

Mentions de Saint-Germain-en-Laye dans le journal d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson

« [p. 13] [6 mars 1643] Le Roy estoit à Saint Germain, se portant mieux de la maladie qu’il avoit eue pendant sept ou huit jours. Chacun le considere comme un prince usé et qui ne peut encore longtemps subsister. La cour, sur cette pensée, se partage.
[…]
[p. 14] [8 mars 1643] M. de Jouy nous vint voir, qui nous dit qu’il avoit accompagné Monsieur, frere du Roy, à Saint Germain, où le Roy luy avoit fait grand accueil, qu’il s’estoit justifié des bruits que l’on avoit fait courir de [p. 15] luy à Paris, d’avoir voulu briguer la regence et de s’estre ligué avec monsieur le Prince.
[…]
[p. 17] Le jeudi 12 mars, M. de Chaillou de Toisy me vint voir l’après disnée, et me dit que Monsieur, frere du Roy, ayant esté à Saint Germain, chacun l’avoit fuy, que le Roy et la Reyne lui avoient fait un tres mauvais accueil, que M. de Mercoeur, fils aisné de M. de Vendosme, avoit esté tres bien reçu du Roy, que M. de Beaufort et Mme de Vendosme avoient eu permission de le voir du premier jour, et qu’il avoit obtenu le retour de M. de Vendosme d’Angleterre. L’on me dit aussy que Mme de La Vieuville avoit permission de revenir.
[…]
[p. 22] [6 avril 1643] La maladie du Roy divisoit toute la cour : la Royne avoit pour elle la noblesse, MM. de Vendosme et de Beaufort, de Longueville, d’Harcourt, les marechaux de La Force, de Chastillon, etc. Monsieur, frere du Roy, avoit de sa part quelques personnes qui s’estoient declarées pour luy contre la Reyne, scavoir le premier president, les presidens de Maiso,s et de Nesmond, et le procureur general. M. le Prince, de son costé, faisoit sa brigue. Il me dit encore que le jour du vendredy saint, le cardinal Mazarin s’estant levé pour aller à l’adoration de la croix apres la Reyne, le duc de Beaufort se leva aussy, [p. 23] mais il yt arresté par la Reyne, qui le retint et fit que le Mazarin y allest, et M. de Beaufort n’y fut point.
La maladie du Roy arrestoit toutes choses, en ce que les ministres ne vouloient rien resoudre sans luy, et ainsy que l’on ne pouvoit donner tous les ordres necessaires pour faire avancer les troupes ; les ennemis faisoient leurs assemblées au Quesnoy.
Le Roy est reduit au lait de vache, qu’il a bien digeré pour la premiere fois ; il a un flux epatique, et par l’avis de M. Juif, qui assista hier à une grande consultation, il est malaisé qu’il en rechappe.
[…]
[p. 26] [16 avril 1643] L’après disnée, je fus à Amboille et revins le dimanche au soir. A mon retour, j’appris comme le Roy, se sentant desfaillir, avoit fait sceller des lettres patentes par lesquelles il declaroit la Reyne regente, Monsieur lieutenant general du royaume, M. le Prince chef du conseil, et avoit nommé ceux qu’il desiroit composer le conseil.
Le lundy matin, M. Pichotel me vint dire les nouvelles, qui estoient la declaration pour la regence, que messieurs du parlement estoient mandés à Saint Germain, que M. d’Emery seroit secretaire d’Estat au lieu de M. Le Tellier, à qui l’on donneroit la charge de lieutenant civil, qu’on luy venoit de dire que le Roy estoit mort, que M. le grand maistre estoit arresté prisonnier. Je fus disner chez Mme de Fourcy, où j’appris les mesmes nouvelles, et tout le monde dans Paris croyoit le Roy mort, et l’on ne tesmoignoit pas grande douleur. Le bruit de la mort du Roy avoit couru sur ce que, le matin, il avoit eu une grande foiblesse et on l’avoit cru mort. Pour M. le grand maistre, ayant eu peur que MM. de Vendosme n’entreprissent contre luy, il avoit envoyé, en diligence, un valet de chambre à Paris avertir ses amis et serviteurs de le venir trouver, et de fait il revint accompagné [p. 27] de trente ou quarante gentilshommes. M. Pichotel me dit que l’on avoit nommé MM. d’Aligre et Bignon, conseillers d’Estat, pour faire l’inventaire des biens de M. le cardinal, et que le lendemain de la disgrace de M. de Noyers l’on avoit fait porter à l’epargne quatorze cent mille livres qui estoient chez M. de Mauroy, appartenant à la succession de M. le cardinal, et que M. de Mauroy en avoit donné l’avis.
Le soir, apres souper, M. de Breteuil, conseiller de la cour et commissaire en la premiere chambre des requestes du Palais, nous vint voir et nous dit comme ils avoient reçu au parlement, sur les huit heures, une lettre de cachet qui leur ordonnoit d’envoyer des deputés à Saint Germain sur les deux heures, qu’il avoit esté deputé de sa chambre avec M. de Machault, qu’il y avoit eu contestation dans les Enquestes entre les presidens et les conseillers sur ce que la lettre de cachet ne demandoit que deux conseillers de chaque chambre, neantmoins il y avoit eu beaucoup de presidens parmi les deputés, qui tous ensemble s’estoient rendus à Saint Germain sur les deux heures, et estant descendus dans le chasteau neuf avoient esté conduits dans une chambre proche celle du Roy, où M. le chancelier les estoit venu trouver avec un visage fort gai, tenant la declaration du Roy pour la regence en sa main, et leur ayant dit que le Roy les avoit mandés pour leur dire de bouche sa volonté sur la declaration de la regence, il leur fit voir comme le Roy avoit escrit de sa propre main ces mot : comme estant ma tres expresse et derniere volonté, et signé Louis, par la Reyne, Anne, et par Monsieur, Gaston, et par trois secretaires d’Estat, Phelypeaux, Bouthillier, Guenegaud ; qu’incontinent ils avoient esté introduits dans la chambre du Roy, qui estoit tout etendu sur son lit, dont les rideaux estoient levés des trois costés, la Reyne assise au pied du lit, ayant M. le Dauphin devant elle, Monsieur debout aupres, et M. le Prince à la ruelle ; au chevet du lit, le cardinal Mazarin, et aupres de luy M. le chancelier, le reste de la chambre plein de princes et seigneurs ; et s’estant tous avancés autour du lit, et le Roy ayant demandé si tous ces messieurs estaient là, il leur dit avec une voix forte et facile qu’il les avoit mandés [p. 28] pour leur dire que, Dieu l’ayant affligé de plusieurs et grandes maladies, il avoit resolu de donner ordre au gouvernement de son royaume au cas que ce fust le plaisir de Dieu de disposer de sa vie, qu’il avoit fait une declaration que son frere (regardant Monsieur) leur porteroit demain avec M. le chancelier, qu’il leur commandoit de la verifier et de luy rendre en cela et en tout l’obeissance qu’ils luy devoient ; et puis, ayant cessé, il repris que pour les exilés de leur corps, il leur pardonnoit de bon cœur et trouvoit bon qu’ils le vinssent servir dans le parlement. M. le premier president luy ayant fait un petit compliment, ils s’estoient retirés avec M. le chancelier, et, ayant commencé à concerter de l’ordre des seances, M. le chancelier leur avoit tesmoigné que Monsieur desiroit prendre place entre luy et M. le premier president. A quoy ayant esté repliqué que l’ordre estoit que Monsieur prist la place ordinaire sur le banc des conseillers, conforme à la seance observée pour le duc d’Anjou, frere de Charles IX, estant venu au parlement pour la verification des lettres patentes pour sa lieutenance en 1567, M. le chancelier en demeura d’accord.
[…]
[p. 33] Le jeudy 23, […] je scus d’un parente de madame de Fourcy, qui revenoit de Saint Germain, que le Roy avoit reçu l’extresme onction sur le onze heures, et qu’il s’affoiblissoit et de voix diminuoit [p. 34] extresmement, que c’estoit une consternation estrange dans Saint Germain. […]
Le vendredi 24 avril, […] l’on disoit que le Roy se portoit mieux. Apres souper, vint un homme de la part de M. de Chezieres, frere de M. de Collanges, qui revenoit de Saint Germain, nous dire que le Roy se portoit bien mieux, avoit dormi, estoit sans fievre, avoit changé de lit, s’estoit fait nettoyer les dents et peindre la barbe, et qu’on en esperoit bien.
Le lundy 27 avril au matin, je fus voir M. de Nivion, qui me dit que M. de Montbazon luy venoit de mander que le Roy estoit bien mal.
[…]
[p. 35] Le mardy 28 avril, je fus avec mon père chez M. le chancelier, où j’appris que le Roy estoit tres mal, que M. le surintendant venoit d’entrer et conferoit avec M. le chancelier, qui monta incontinent en carrosse pour aller tenir le conseil, et M. le surintendant pour aller à Saint Germain.
Le jeudy 30 avril, M. des Ouches, gentilhomme chez Monsieur, vint voir mon père, et nous dit que le Roy se portoit bien mieux, que les medecins en avoient bonne opinion, et que Monsieur estoit monté à cheval pour s’en aller rejouir, que le Roy montroit une telle resolution à la mort qu’il ne souhaitoit pas de guerir et qu’il estoit admirable de l’en entendre parler ; que dans ses bonnes heures, il railloit et avoit dit à Monsieur que le jour qu’il reçut l’extresme onction, il avoit pensé eclater de rire, entendant un prestre commencer une antienne d’un mauvais ton, que la Reyne et Monsieur estoient en tres bonne intelligence et le seroient toujours, outre leurs interests communs, y ayant de l’inclination.
Apres je fus voir M. Briçonnet, qui me dit qu’il avoit esté le jour precedent à Saint Germain, que le Roy se portoit un peu mieux, mais avec si peu de changement que l’on n’en pouvoit rien dire : la cour estoit telle que l’on ne pouvoit plus s’y tourner, M. de Bassompierre plus poli que jamais, que l’on vouloit tirer la demission de M. de La meilleraye de sa lieutenance de Roy en Bretagne au profit de M. de Gesvres, et ce sous pretexte qu’il en avoit le gouvernement.
[…]
[p. 37] Le samedy 2 mai, […] arriva un courrier de Saint Germain qui dit que le Roy se portoit mieux et avoit assez bien dormi la nuit.
[…]
[p. 38] Le lundy, M. de Saint Poange nous dit comme M. Le Tellier estoit arrivé et aussytost allé à Saint Germain, mais qu’il n’avoit point de nouvelles qu’il eust encore presté le serment ; il ne doit avoir qu’une commission de six mois. […] Pour la santé du Roy, elle diminuoit en ce qu’il n’y avoit aucun mandement ; mais sa resolution estoit telle qu’il ne souhaitoit avoir assez de santé pour pouvoir, de son vivant, donner la paix à la France. […]
Le mardy matin, […] j’allai avec mon père disner chez M. de Leon. M. d’Emery y vint apres, qui nous dit que le Roy se portoit bien mieux, que M. Bouvard, premier medecin, en esperoit beaucoup et avoit fait renvoyer les autres medecins, esperant qu’il pourroit gouverner la maladie du Roy sans assistance. Il nous dit que M. Le Tellier avoit fait le matin le serment, entre les mains du Roy, de la commission de secretaire d’Estat pour six mois, que le Roy y avoit à peine consenti, disant que, pour exercer la commission, [p. 39] M. Le Roy, premier commis, suffisoit, que M. Le tellier vouloit donner cent mille ecus de la demission de M. de Noyers et qu’il n’en voudroit point pour ce prix.
[…]
Le mercredy 6 mai, au conseil des finances, où estoit M. le Prince. Pendant le conseil, il reçut nouvelles de Saint Germain, en dit seulement un mort à M. le chancelier et au surintendant, ce qui faisoit juger qu’elles n’estoient pas bonnes. Neantmoins, tout le monde disoit que le Roy se portoit bien mieux. […]
Le vendredy 8 mai, conseil des parties. M. le chancelier estoit revenu la veille de Saint Germain. La maladie du Roy estoit en mesme estat.
[…]
[p. 40] Le lundy au soir, 11 mai, M. de Collanges nous dit que le Roy estoit tres mal : les oses luis perçoient la peau et il estoit si foible qu’il ne pouvoit lever la teste ; il le savoit de M. Mercier, qui venoit de Saint Germain avec M. d’Angoulesme.
[…]
Le jeudy 14 mai, feste de l’Ascension, j’allais aux Minimes entretenir mon frere. Au sortir, je trouvai un de MM. de Collanges, appelé Saint Aubin, qui me dit que l’abbé de Fiesque luy venoit de dire que [p. 41] le Roy estoit mort ce matin à huit heures et que la Reyne reviendroit l’apres disnee. Au retout des Minimes, M. de Langlé me dit la mesme chose. Pendant le disner, nous envoyasmes un laquais chez M. de Malbranche, dans le faubourg Saint Honoré, pour avoir une chambre sur la rue pour voir entrer la Reyne. Nous y fusmes incontinent apres le disner. Nous rencontrasmes l’autre de Collanges, appelé Chezieres, qui revenoit de Saint Germain ; il nous dit que le Roy n’estt point mort. Nous ne laissasmes pas de nous placer dans nostre chambre. Nous estions mon frere, ma femme, sa demoiselle et moy. Jamais il ne se vit un si grand concours de peuple et de carrosses pour sortir la porte. Nous passasmes là l’apres disnée, où l’on nous fit la collation. Nous vismes Le Nostre des Tuilleries, que nous fismes monter avec nous. Sur le soir, passa Monsieur. Le comte de Bruslon nous dit que le Roy avoit esté le matin trois heures en foiblesse telle qu’on l’avoit cru mort, mais qu’il n’estoit mort qu’à deux heures et que la Reyne ne viendroit que le lendemain. Apres ce nous revinsmes par le quai du Louvre, qui estoit gardé par six ou sept compagnies du regiment des gardes.
Tout le monde publioit la mort pieuse du Roy, ses sentimens, sa connoissance. Vingt quatre heures avant que de mourir, il avoit conjuré la Reyne et Monsieur de vivre en bonne intelligence pour l’honneur de Dieu, leur interest chacun en particulier, l’interest de son fils, l’interest de toute la France ; il fit sur la mort des remarques admirables. Il est mort le jeudy, jour de l’Ascension de Nostre Seigneur, apres avoir regné trente trois ans entiers, à deux heures pres. Il n’a jamais eu de contentement en sa vie, qui a toujours esté traversée ; il a fait de grandes choses, mais sous la conduite de ses favoris, particulierement sous celle du cardinal qui, pendant vingt ans, ne luy a jamais fait faire les choses que par la contrainte, de sorte que, pendant sa maladie, il disoit que les peines et contraintes que le cardinal avoit faites sur son esprit l’avoient reduit en l’estat où il estoit.
Le vendredy 15 mai, nous allasmes, mon frere, ma femme, mademoiselle Anne Tillier et moy, des neuf heures du matin, dans nostre [p. 42] mesme chambre, qui appartenoit à une Mme Grandjuge, femme d’un lieutenant suisse, et dependoit de la maison de M. de Malbranche. Nous y demeurasmes jusques à cinq heures du soir, que passa la Reyne. Jamais tant de carrosses et tant de peuple ne sortirent de Paris. A onze heures, les seigneurs qui revenoient de Saint Germain commencerent à passer, qui à cheval, qui en carrosse. Jamais l’on ne vit tant de carrosses à six chevaux et chariots de bagage. M. le Prince passa sur les onze heures avec une troupe de vingt cinq chevaux, presque toujours teste nue. Sur le soir, M. de Bruslon passa, qui se vint mettre avec nous et nous dit que toute les troupes s’estoient mises en bataille dans la garenne de Saint Germain, en attendant la Reyne, qui y avoit esté accompagnée de tous les princes et seigneurs à cheval, et puis avoient tous pris les devans, que cela avoit esté fort beau à voir. Sur les trois heures et demie passerent M. de Montbazon, le president Boulanger, prevost des marechaux, et ensuite tous les officiers de la ville à cheval pour aller recevoir le Roy à la porte et luy faire harangue.
Sur les quatre heures commencerent à passer les premieres troupes, scavoir la moitié du regiment des gardes françoises, les officiers estoient à la teste de leurs compagnies, apres moitié du regiment des gardes suisses, à la teste estoit M. de La Chastre, leur colonel, et apres leurs officiers ; marchoient ensuite les mousquetaires à cheval, conduits par M. de Treville, leur lieutenant, apres les chevau legers, conduits par le marechal de Schomberg, leur lieutenant. Venoit ensuite le carrosse des ecuyers de la Reyne, puis marchoient à pied les gardes de la porte, les gardes du corps françois et les cent suisses. Apres estoient le carrosse ; la Reyne estoit sur le devant, avoit le Roy à sa droite et Monsieur à sa gauche. M. le duc d’Orleans, leur oncle, estoit seul à la portiere du costé de Monsieur. Mesdames de [p. 43] Lansac et de Brassac estoient à l’autre portiere. Madame la Princesse estoit au fond. Le carrosse estoit entouré de valets de pied du Roy. Derriere estoient à cheval trois capitaines des gardes, et le duc de Saint Simon qui, comme premier ecuyer, portoit la petite epée du Roy suivoient les gens d’armes et puis le carrosse des filles de la Reyne, apres l’autre moitié du regiment françois, et puis l’autre moitié du regiment des suisses. Apres estoit le carrosse de madame la Princesse, le petite carrosse du feu Roy avec les six chevaux isabelles que je luy avois vu mener, et puis le carrosse des femmes de chambre. C’estoit une tres grande acclamation de Vive le Roy ! lorsqu’il passoit. Il tesmoignoit une tres grande joie de voir tou ce peuple, et il n’en estoit point etonné, quoyqu’il n’eust point esté à Paris. Je ne le vis point, mais seulement Monsieur, qui est le plus beau prince qui se puisse voir. Tout le monde estoit amoureux de voir ces deux princes et ils disputoient ensemble à qui estoit le plus beau. Ils allerent descendre au Louvre et la Reyne manda à messieurs du parlement qu’ils eussent à différer jusques au lendemain à la venir saluer, qu’elle vouloit se reposer.
Pour le feu Roy, chacun disoit qu’il estoit mort comme un saint, et le comte de Bruslon m’a dit qu’apres cette grande foiblesse estant revenu, et M. Bouvard s’estant approché pour luy taster le poul, le Roy luy dit : « Bouvard, tu m’as promis de me dire de temps en temps combien j’ai encore à vivre ». Sur quoy Bouvard luy ayant repondu qu’il n’avoit pas encore une heure, il s’ecria : « Ah : la bonne nouvelle ! », demanda de nouveau pardon à tout le monde, et pria Dieu avec une devotion admirable. Il s’estoit confessé à M. de Lisieux trois jours auparavant et en estoit demeuré si satisfait qu’il disoit n’avoir jamais esté plus content. Le lendemain de sa mort, il fut ouvert en presence du duc de Nemours et du marechal de Vitry, deputés à cet effet, estant de l’ordre que l’ouverture se fist en presence d’un prince et d’un officier de la couronne. Il avoit un abces dans le poumon, [p. 44] un dans le mesentere, un dans le foie et un dans le rein ; il avoit les boyaux percés et dans le creux de l’estomac un sac plein de vers. Les uns disant que ce sont les vers qui les ont percés, les autres que c’est du poison. Neantmoins l’on dit que les medecins ont donné certificat comme il n’y avoit pas de poison. Dans le petit ventre, il y avoit une telle corruption que ceux qui l’ouvroient penserent crever.
On laissa aupres du corps un lieutenant avec vingt cinq gardes ; il fut exposé sur un lit de velours rouge, le corps entre deux draps avec une camisole blanche et son bonnet de nuit, sans aucune ceremonie, ainsy qu’il avoit bien desiré ; huit prestres autour de son lit, une croix et deux chandeliers, sans couronne ni sceptre sur son lit. Il doit estre porté lundy à Saint Denys sans ceremonie. Voilà pour humilier les Roys et leur faire connoistre qu’ils meurent comme les autres hommes.
[…]
M. de Beaufort a grande creance aupres de la Reyne, et s’en fait fort valoir, ce qui donne dejà peine. Il eut querelle à Saint Germain apres la mort du Roy avec M. le Prince. La Reyne l’ayant prié de faire retirer tout le monde de sa chambre, estant fort incommodée, il s’adressa à M. le duc d’Orleans, qui, à l’heure mesme, partit, et puis dit tout haut : « Messieurs, retirez vous ». Et M. le Prince luy ayant [p. 45] dit : « De quoy vous meslez vous ? », il repliqua : « D’obeir à la Reyne, estant resolu absolument d’obeir aux commandemens de la Reyne et de Monsieur ». Survint M. de Vendosme, qui pria le Prince d’excuser la promptitude de son fils et trouver bon qu’il lui en fit des excuses. M. le Prince se retira en sa chambre, où M. de Beaufort le fut trouver, puis retourna en sa chambre, où M. le Prince le fut visiter.
[…]
[p. 353] Le mardy 17 juillet [1646], M. l’evesque d’Agoulesme me dit que M. le prince de Galles estoit à Saint Germain.
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[p. 360] Le mardy [21 août], nous partismes de Paris, mon père et moy, pour aller coucher à Sucy, et le lendemain nous arrivasmes à Fontaineblau à deux heures. J’allai au chasteau aussytost avec mon père, où nous vismes le bal que la Reyne donnoit à la reyne d’Angleterre. La reyne d’Angleterre avoit la droite, et parce que le prince de Galles ne s’assit jamais devant sa mere, le Roy se tint debout.
[…]
[p. 362] Le vendredy 7 septembre, M. le duc d’Orleans et M. le cardinal partirent pour venir à Paris. On disoit que c’estoit pour ne pas abandonner Monsieur qu’il ne fust entierement persuadé ; mais, en effet, c’estoit pour aller voir le prince de Galles à Saint Germain.
[…]
[p. 390] Le vendredy 9 aoust [1647], le Roy et la Reyne arriverent à Paris, ayant disné à Saint Germain en Laye, pour visiter la reyne d’Angleterre. Ils revenoient de Dieppe.
[…]
[p. 449] [19 février 1648] Le Roy et la Reyne estoient allés voir cette journée, à Saint Germain, la reyne d’Angleterre. Les uns disoient que le Roy avoit esté mené à Londres, où le parlement lui faisoit son proces, les autres qu’ils luy avoient coupé le col, et declaré sa race indigne de la couronne d’Angleterre.
[…]
[p. 464] Le jeudy 19 mars, au Palais, j’appris que la Reyne avoit tesmoigné grande satisfaction de la soumission du parlement, qu’il y avoit eu un si grand concours de noblesse au Palais Royal, lorsque messieurs du parlement y estoient allés, qu’ils avoient eu toutes les peines du monde d’entrer dans le cabinet. L’apres disnée, je fus voir M. du Bignon, qui me dit la mesme chose et que, lorsqu’ils porterent l’arresté, l’on avoit attendu le retour de Monsieur, de Saint Germain ; qu’ils ne l’avoient presenté qu’à huit heures du soir ; que la Reyne l’avoit reçus sans respondre mot.
[…]
[p. 556] [26 août] Comminges, lieutenant des gardes de la Royne, alla chez M. de Bruxelles, le trouva sortant de table, le pressa de le suivre avec quelques paroles rudes, et l’emmena en pantouffles et en manteau, et ce parce qu’il craignoit la rumeur ; il l’empescha de prendre aucun livre. Le peuple courut apres le carrosse, qui rompit pres du [p. 557] Palais. Là on le menaça du poignard s’il parloit, en disant que l’on en avoit ordre. Comminges fit descendre une damoiselle qui passoit [p. 558] en carrosse, fit monter M. de Buxelles dedans sa voiture et l’emmena vers le Palais Royal. Le peuple qui suivoit fut arresté par les [p. 559] gardes. Au Palais Royal, ils trouverent un autre carrosse avec lequel ils le menerent à Madrid, où ils le firent chasser, et de là à Saint [p. 560] Germain en Laye, d’où il partit le jeudy, et le ramenerent par la France pour le conduire à Sedan.
[…]
[p. 572] Le dimanche 13 septembre, je fus pour aller à la messe du Roy. J’appris de M. Rose que le Roy estoit parti des six heures du matin avec M. le cardinal pour Ruel, que la Reyne iroit l’apres disnée, que M. de La Meilleraye estoit aussy parti. Chacun commençoit à parler comme d’une fuite de Paris.
[…]
[p. 578] [22 septembre] M. le premier president fut obligé d’aller à Saint Germain des l’apres disnée. M. le president de Longueil fut deputé avec deux conseillers pour aller convier les princes. […]
Le mercredy 23 septembre, je fus au parlement, où M. le premier president fit la relation de ce qui s’estoit passé à Saint Germain. Il dit qu’aussytost qu’ils furent arrivés, on les fit entrer dans le cabinet où estoit la Reyne, M. le duc d’Orleans, M. le Prince, M. le prince de Conty, M. le duc de Longueville et M. le chancelier ; qu’ayant tesmoigné à la Reyne les apprehensions qu’avoit données la sortie du Roy si extraordinaire et sans aucune marque de la majesté royale, que les meubles enlevés de toutes les personnes de la cour donnoient sujet de craindre que l’on ne voulust entreprendre quelque chose, que ces inquietudes estoient une marque de la veritable affection que les habitans de Paris avoient pour leur Roy, que le parlement, [p. 579] en ayant connu la consequence, les avoit deputés pour la supplier de vouloir, par sa presence, dissiper toutes ces apprehensions que les ennemis du repos public alloient augmentant et de faire retirer les troupes que l’on disoit s’approcher de Paris.
Sur ce, la Reyne luy avoit dit que les apprehensions de Paris estoient sans aucun fondement, qu’elle avoit donné aux colonels et capitaines toutes les assurances de son affection pour Paris, que la saison avoyt convié le Roy à sorti, que s’il estoit sorti le matin, c’estoit une marque de son impatience quand il alloit aux champs, qu’elle n’estoit sortie que l’apres disnée, avoit esté tout le matin par la ville fort peu accompagnée, pour marquer sa confiance, qu’elle n’avoit aucun ressentiment du passé et qu’elle retourneroit bientost à Paris.
M. le premier president ajouta que M. le duc d’Orleans leur avoit dit ensuite qu’il avoit esté convié par les deputés du parlement de s’y trouver le lendemain, mais qu’il n’iroit pas, ayant appris que les propositions qui s’y faisoient estoient contre le service du Roy et le bien de l’Estat, qu’il n’abandonneroit point la Reyne, que M. le Prince avoit dit la mesme chose et M. le prince de Conty et M. de Longueville.
[…]
[p. 580] L’apres disnée, tout Paris estoit en alarme : l’on avoit enlevé des la veille le petit Monsieur, dans une chaire, et on l’avoit mené à Rueil. Le jour mesme, le Roy et la cour estoient allés à Saint Germain : l’on [p. 581] disoit que c’estoit pour s’enfuir. Chacun voulut faire provision de pain et de blé, dont il y eut grand bruit aux halles. L’on pilla un demy muid de blé aux jesuites. Force gens voulurent enlever leurs meubles, dont il y en eut de pillés, un au marquis de Laigle, l’autre à Mme de Bretonvilliers, où on luy prit huit mille francs. On a dit depuis que celuy dont elle avoit reçu cet argent en avoit esté la cause.
Le jeudy 24 septembre, le parlement s’estant assemblé, l’on dit que M. de Choisy et le chancelier de Rivière demandoient à entrer de la part de M. le duc d’Orleans et de M. le Prince. On les fit entrer et seoir entre les conseillers vis à vis des presidens. Ils presenterent chacun une lettre de la part de leur maistre, avec protestation de service pour la compagnie. Apres lecture faite des deux lettres, par lesquelles les deux princes demandoient des deputés pour entrer en conference à Saint Germain, les envoyés s’estant retirés, la conference fut acceptée par tous, mais quelques uns vouloient qu’elle se fist dans l’hostel de ville. Neantmoins, il passa à aller à Saint Germain.
[…]
[p. 603] Le mercredy 6 janvier [1649], feste des roys, à sept heures, Mme de Sevigny m’envoya dire que le Roy estoit parti la nuit ; jamais nouvelle ne me surprit tant. J’allai chez M. de Lamoignon, où la mesme nouovelle me fut confirmée, que la porte Saint Honoré estoit gardée, et que le peuple avoit forcé le bagage du Roy de rentrer dans le Palais Royal. Je revins donner ordre pour avoir du pain pendant huir jours. La pluspart de la cour se hastoient de partir, mais la pluspart des portes estoient fermées, et personne ne sortoit. L’on pilloit les chariots qui vouloient sortir. Jamais l’estonnement ne fut plus grand : le parlement s’assembla l’apres disnée et donna arrest que les bourgeois se mettroient en armes pour la seureté de la ville, que l’on ne laisseroit sortir personne. Il enjoignit au prevost des marchands de tenir la [p. 604] main pour faire venir des vivres, avec deffense aux gouverneurs des places de recevoir des garnisons. […]
[p. 606] L’Hostel de ville deputa, sans en parler au parlement, les sieurs Fournier et Helyot, eschevins, et les sieurs Barthelemy d’Oinville et [vide], conseillers de ville, pour aller à Saint Germain. Pour nous, maistre des requestes du quartier de janvier, nous envoyasmes Engrand, nostre huissier, pour recevoir les ordres de M. le chancelier et l’assurer que nous les executerions.
Cependant les portes estoient gardès tres exactement, en sorte que le bagage du Roy, ayant voulu sortir fut repoussé dans le Palais Royal. L’estonnement estoit grand, chacun doutant à quoy se resoudre. J’oubliois qu’au parlement l’on avoit arresté d’establir la chambre de police et, à cet effet, mandé aux compagnies d’y deputer pour le lendemain apres disner.
[p. 607] Le vendredy 8 janvier, ayant esté deputé des maistres des requestes, MM. Pinon, Chomel, Tillier et moy, pour assister au parlement, je m’y trouvai de tres bonne heure et remarquai grande consternation. M. le premier president et M. Le Coigneur s’entretenant avec chaleur, le premier president luy disant qu’il avoit esté surpris à la nouvelle de la sortie du Roy, et que sa proposition avoit fait prendre ce party, et qu’il ne scavoit que penser de tout cecy. […]
Apres, ayant esté annoncé que les gens du Roy estoient de retour de Saint Germain, ils furent mandés. M. Talon, suivi de M. le procureur general et de M. Bignon, dit que, suivant les ordres de la compagnie, ils s’estoient mis sur le chemin de Saint Germain, et, passant par la rue Saint Honoré, avoient rencontré une populace assemblée, armée et furieuse, sans ordre ni commandement, et avoient avec peine sorti la porte au peril de leurs personnes ; qu’ayant passé le pont du Pec, estant au haut de la montagne, ils avoient esté arrestés de la part de la Reyne par un gentilhomme qui leur avoit dit qu’elle l’avoit envoyé vers eux pour scavoir s’ils venoient comme particuliers ayant executé les volontés du Roy, que s’ils venoient de la part du [p. 608] parlement parti pour Montargis, ils estoient les bienvenus, mais que s’ils venoient de la part du parlement seant à Paris, ils n’avoient qu’à retourner et que la Reyne leur deffendoit de passer outre.
Sur quoy luy ayant demandé son nom pour scavoir qui leur portoit ce commandement, apres quelques refus, il leur avoit dit enfant qu’il s’appeloit Sanguin, maistre de l’hostel ordinaire du Roy. Apres quoy, luy ayant dit qu’ils ne recevoient de parole de la Reyne que par la bouche de M. le chancelier, qu’ainsy ils ne pouvoient deferer à son commandement ; qu’ils auroient bien souhaité parler à la Reyne, mais qu’au moins ils demandoient à parler à M. le chancelier ; qu’ils avoient enfin obtenu qu’il iroit en faire instance de leur part, mais à condition de ne partir de leur place, où ils avoient attendu un bon quart d’heure ; que ce mesme gentilhomme estoit revenu leur dire que M. le chancelier ne pouvoit parler à eux s’ils ne venoient de la part du parlement obeissant et parti pour Montargis, et qu’ils eussent à s’en retourner sans passer plus avant ; qu’ils luy avoient encore demandé de pouvoir entrer dans le bourg pour y passer la nuit, n’estant pas heure de retourner, estant neuf heures ; qu’il estoit retourné une seconde fois et leur estoit revenu dire qu’ils pouvoient entrer dans le bourg.
Ce qu’ayant fait, ils estoient descendus à la Conciergerie, où M. de Longueil les avoit bien reçus ; que là ils avoient vu M. de Guenegaud, secretaire d’Estat, M. son frere et M. Tubeuf ; qu’ayant fait instance pour parler à M. le chancelier, et la Reyne l’ayant enfin trouvé bon, ils avoient esté introduits dans son cabinet, où luy ayant voulu parler, il avoit d’abord pris la parole, pour leur dire qu’il ne pouvoit les entendre venant de la part du parlement seant à Paris et desobeissant ; que la Reyne estoit fort offensée du mespris qu’ils avoient fait de ses ordres ; qu’ils avoient refusé d’entendre le sieur de Lisle et de recevoir son paquet ; que la reyne vouloit qu’ils y obeissent, et il mit le paquet es mains de M. le procureur general [p. 609] pour le porter à la compagnie (et au mesme temps, M. le procureur general le mit sur le bureau) ; que M. le chancelier leur avoit ensuite tesmoigné que la Reyne n’avoit pu souffrir toutes ces assemblées et qu’au prejudice de sa parole le parlement eust recommencé apres la Saint Martin ; qu’elle vouloit estre obeie. Sur quoy, estant retirés, ils estoient partis la nuit pour estre à l’entrée de l’assemblée de Messieurs ; qu’il pouvoit dire qu’il avoit reconnu une tres grandes consternation sur tous les visages des estranges desseins que l’on avoit pris contre le parlement, s’il n’obeissoit ; que, pour cela, les troupes avançoient de tous costés, commandées par M. le duc d’Orleans et M. le Prince ; qu’il pouvoit assurer qu’à l’heure qu’il parloit Paris estoit bloqué et tous les passages des vivres fermés.
[…]
[p. 614] [9 janvier 1649] M. Fournier dit ensuite qu’ayant esté deputé de l’Hostel de ville, il estoit allé à Saint Germain avec un eschevin et deux conseillers de ville et, ayant esté introduits en suite des deputés de la chambre des Comptes et de la cour des Aydes, ils s’estoient jetés aux pieds du Roy et de la Reyne, et qu’il leur avoit dit que la bonne ville de Paris les avoit deputés pour venir tesmoigner son desplaisir d’avoir perdu la presence de son Roy et de voir tous les preparatifs pour estre assiegée, que cette ville, qui avoit tousjours esté obeissante et fidele, et qui conservoit par son exemple les autres villes du royaume, ne pouvoit s’imaginer pourquoy elle tomboit dans l’indignation de son Roy dans un temps qu’elle ne respiroit que son service, et de voir ses mains armées pour la destruction d’une si belle ville ; qu’ils le supplioient de ne pas vouloir ruiner et perdre une ville que le roy son grand père Henry le Grand avoit ornée et augmentée, qu’ils esperoient que la Reyne, qui, ayant eu l’honneur de donner à la France son Roy et Monsieur son frere, pouvoit estre appelée la mere de l’Estat, ne deschireroit pas ses propres entrailles et ne ruineroit pas le royaume de son fils, qu’elle auroit compassion du miserable estat de la ville, des hospitaux et des communautés de religieuses, qui sont dans une consternation epouvantable, et enfin auroit pitié de son paure peuple, et que ne pouvant mieux exprimer la douleur de Paris que par ses larmes, sa parole luy avoit manqué.
Le sieur Fournier ajouta que la Reyne avoit respondu qu’elle aimoit la bonne ville de Paris, mais qu’elle vouloit estre obeie par le parlement, que c’estoit luy seul qui resistoit à ses volontés, et que, le [p. 616] parlement sortant par une porte, elle rentreroit par l’autre avec toute sorte d’abondance ; qu’ils s’estoient jetés aux pieds de tous les princes pour les prier d’interceder pour eux, mais qu’ils n’avoient pu rien obtenir, et enfin avoient esté obligés de se retirer. […]
[p. 617] L’apres disnée, j’appris que les deputés de la chambre des Comptes et de la cour des Aydes avoient esté bien reçus, à condition qu’ils ne parleroient point du parlement. M. Amelot ayant harangué, et la Reyne luy ayant dit que le parlement estoit dans la desobeissance, il luy repliqua : « C’est luy neantmoins, Madame, qui a conservé la couronne à la maison de Bourbon et qui vous a declaré regente ». La Reyne luy repartit : « Vous dites cela sans ordre de votre compagnie ; elle vous desavouera pour une seconde fois. Vous estes un fat, et, si ce n’estoit la consideration de ceux qui sont avec vous, je vous ferois mettre en prison ». M. le Prince ajouta : « Madame, vous luy faites tort : il faut l’envoyer aux Petites Maisons, c’est un fol ». Pour la chambre des Comptes, la Reyne leur offrit des logemens dans Saint Germain. Ils respondirent qu’ils estoient obligés de retourner à Paris rendre compte à leur compagnie. Je vis M. d’Angoulesme, qui tesmoignoit vouloir estre arbitre et mediateur entre le Roy et le parlement. M. d’Avaux se retira à Saint Germain dans un carrosse des deputés, habillé en maistre des comptes.
[…]
Le mercredy 13 janvier, M. le president Perrot proposa d’assister la reyne d’Angleterre de quelque argent, estant en grande extremité. Chacun l’approuva. Cependant l’affaire mise en deliberation, quelques uns dirent qu’il falloit n’estre pas si facile à donner de l’argent dans la necessité presente. Il fut arresté d’envoyer sans faire eclat le greffier de la cour mettre es mains de son tresorier vingt mille livres [p. 629] pour un mois, et faire excuse sir la compagnie n’avoit pu faire davantage.
[…]
[p. 631] [14 janvier] L’on dit de Saint Germain que la consternation y est tres grande. L’on s’y retranche les vivres, qui sont plus chers qu’à Paris, toute la cour faisant remonstrance à la Reyne de l’estat auquel elle reduit la France par son opiniastreté. L’on dit que M. le duc d’Orleans est observé, et que M. le Prince seul veut soustenir cette affaire et qu’il est furieux, que hors les Allemandes, toutes les troupes promettent de ne se point deffendre contre les Parisiens, que M. de Vitry est arrivé, que l’on a arresté à Saint Germain Bussy Lamet et, en contre [p. 632] echange que M. le prince de Conty a fait arrester l’evesque de Dol, resolu de luy faire pareil traitement que l’on fera à Saint Germain.
[…]
[p. 639] Le vendredy 22 janvier, nous deliberasmes au Palais sur les rapports à nous faits par Herbin que M. le chancelier, le lendemain des Roys, à Saint Germain, luy avoit donné charge de nous avertir d’aller à Saint Germain quand nous pourrions, qu’il en avoit dit autant à M. de Leon, qui avoit dit que, quand M. le chancelier luy escriroit, il demanderoit un passeport. Les uns estoient d’avis de ne rien dire, les autres, dont j’estois, de demander passeport au parlement pour nostre descharge, scachant bien qu’il nous seroit refusé. L’on voulut se lever sans rien conclure ; ceux de mon avis dirent qu’ils vouloient que les avis fussent escrits et les noms, afin de les faire voir [p. 640] un jour à la cour. Cela fit bruit. Enfin chacun revint à nostre avis. Je scus que M. d’Angoulesme, sortant de la ville avec passeport, avoit esté refusé, les gens de M. de Guenegaud, tresorier de l’Espargne, ayant esté reconnus parmy les siens.
[…]
[p. 643] [26 janvier] M. d’Angoulesme partit pour Saint Germain et alla par Corbeil.
[…]
[p. 646] Le dimanche 31 janvier, […] je scus que M. d’Angoulesme avoit esté obligé de passer par Corbeil et n’arrivoit que ce soir à Saint Germain.
[…]
[p. 652] Le samedy 6 fevrier, ayant scu que M. l’archevesque de Toulouse estoit revenu de Saint Germain et avoit attendu cinq heures à la porte pour rentrer, je fus chez luy et vis M. de Montchal, qui me dit comme M. de Toulouse, passant à Saint Cloud, y avoit saluté M. me Prince et M. le cardinal, lequel luy ayant dit : « Eh bien ! Monsieur, nous apportez vous la paix ? » Il luy avoit respondu : « Monsieur, elle est en vos mains, puisque si vous vous vouliez retirer, elle seroit bientost faite ». A quoy M. le cardinal avoit respondu que, s’il ne tenoit qu’à cela pour conserver l’autorité du Roy et donner la paix, il se retireroit tres volontiers ; qu’à Saint Germain il avoit entretenu la Reyne, qui avoit escouté favorablement tout ce qu’il luy avoit dit, avoit beaucoup pleuré et tesmoigné toutes les bonnes dispositions pour un accommodement, et dit que pourvu qu’elle pust conserver l’autorité du Roy son fils, elle aimeroit mieux la douceur que la violence ; qu’il avoit aussy entretenu M. le Prince, qu’il avoit trouvé fort raisonnable, et que, dans tout Saint Germain, la paix estoit souhaitée.
[…]
[p. 670] [18 février] Les gens du Roy entrerent ensuite et M. Talon dit que, suivant les ordres de la compagnie, ils avoient vendredy dernier rendu response au herault, avoient escrit en mesme temps à M. le chancelier pour avoir audience de la Reyne, et à M. Le Tellier pour avoir leur passeport, leur route et l’escorte, et que le sieur Petit, qui accompagnoit le herault, s’estoit chargé de les rendre ; que le dimanche ils avoient escrit une seconde fois par un courrier, ce qui c’estoit trouvé necessaire parce que le sieur Petit n’avoit pas rendu leurs lettres, ainsy qu’ils n’avoient eu leur passeport que le mary au soir ; qu’ils estoient sortis de la ville le mercredy à sept heures du matin, avoient trouvé un trompette du Roy hors la porte, et au couvent des minimes de Nigeon une brigade des gens d’armes de la Reyne commandée par le marechal des logis, et qu’à la dernier porte du bois de Boulogne M. le marechal de Grammont les avoit abordés, s’estoit mis dans leur carrosse, les avoit fait descendre chez luy à Saint Cloud, où s’estant rechauffés un moment, sa compagnie des gardes les avoit conduits à Ruel, où ils avoient trouvé la compagnie des chevaux legers du Roy, qui les avoit escortés jusqu’à Saint Germain. Ils estoient descendus suivant leur ordre chez M. Le Tellier, estoient [p. 671] allés chez M. le chancelier le prier de demander audience pour eux à la Reyne, qui les avoit remis apres disner ; que la Reyne ayant esté à vespres et au sermon, ils n’avoient esté admis à l’audience que sur les sept heures, avoient esté conduits dans le chasteau et avoient passé par la chambre du Roy, qui soupoit, que ses officiers s’estoient mis en haye pour empescher que le Roy ne les vist et qu’ils ne fussent obligés à le saluer ; qu’ils estoient entrés dans la chambre où estoit la Reyne avec son conseil, que l’ayant saluée ils luy avoient dit que vendredy dernier le parlement, estant assemblé à son ordinaire, avoit esté averti qu’il y avoit un herault à la porte Saint Honoré qui demandoit à entrer dans la ville et à parler au parlement, que cette nouveauté l’avoit extresmement surpris, neantmoins que revenu de cet estonnement et ayant fait reflexion sur eux mesmes et consideré que les heraults ne s’envoient qu’aux souverains ou à ceux qui le croient estre (à Dieu en plaise, Madame, qu’ils aient jamais eu cette pensée), et au contraire qu’ils n’avoient autre autorité que celle du Roy et autres sentimens que ceux de ses tres humbles et tres fideles sujets, le parlement avoit cru ne pouvoir entendre ce herault, mais par un sentiment de respect et de soumission et en mesme temps les avoit envoyés devant Sa Majsté pour la supplier de ne les vouloir par traiter autrement que comme ses tres humbles sujets, ainsy qu’ayant refusé le herault ils se presentoient devant elle sans autre armes que leur habit de magistrature et venoient comme ce grand prestre dont il est question dans l’Ecriture qui, pour flechir l’ire de Dieu, ne se servit d’autres armes que de la soumission dessus ses levres et de la confiance dans le cœur ; que de cette manière, ils esperoient flechir la colere de Sa Majesté et reclamer sa bonté pour une compagnie qui n’avoit autres sentimens que de respect et de soumission et n’avoit autre realité qte de ses tres humbles et tres fideles sujets.
[p. 672] Sur quoy, la Reyne ayant dit à M. le chancelier de respondre, il leur avoit dit que la Reyne estoit tres satisfaite des paroles de soumission et de respect du parlement, mais qu’elle souhaitait en voir des effets ; qu’elle avoit tousjours eu bonté pour la compagnie et qu’elle les pouvoit assurer qu’elle ne vouloit de mal à aucun de la compagnie, et qu’elle donnoit seureté entiere toute entiere pour les personnes, pour les biens et pour les charges de qui que ce soit, tant en general qu’en particulier. Ensuite M. le duc d’Orleans et M. le Prince avoient donné les mesmes assurances, et la Reyne leur avoit enjoint de luy faire scavoir la response du parlement.
[…]
[p. 678] [20 février] Les nouvelles estoient publiques qu’à Saint Germain M. le Prince et M. le duc d’Orleans estoient brouillés sur le passeport des gens du Roy, le dernier voulant la paix.
[…]
[p. 680] [22 février] L’on parla d’un rôle de taxes faites à Saint Germain sur presque tous les bourgeois et officiers de Paris à cause de leurs terres à la campagne. L’imprimé estant donné à lire, on lut d’abord un arrest du conseil d’en haut par lequel le Roy, pour la subsistance de son armée, ordonnoit que les maisons de campagne appartenant aux bourgeois de Paris seroient taxées, au payement desquelles taxes les receveurs et fermiers des terres seroient contraints par vente des meubles estant esdites maisons, materiaux d’icelles et coupe des bois de haute futaie. A la suite de cet arrest estoit un role des maisons taxées, dont les deniers seroient reçus par Longuet. le premier article estoit de la terre de Champlastreux et du Plessis appartenant au sieur Molé, cy devant premier president du parlement transferé à Montargis, taxé à 8000 livres ; M. Nicolaï, à cause de Goussainville, taxé de mesme ; M. de Montmort taxé 4000 livres ; les presidens de la cour ensuite taxés à 6000 livres ; les maistres des requestes taxés à 3 et 4000 ; les conseillers à 2000. On les appeloit cy devant conseillers, ils estoient tous nommés sans ordre ; tous les frondeurs y estoient, et beaucoup d’autres. Il y avoit plus de deux cents articles, dont la somme totale se montoit à plus de 500000 livres. Je n’y suis point nommé à cause d’Amboille. Ledit rôle, arresté au conseil d’en haut, estoit signé Guenegaud. […]
[p. 681] Il fut donné arrest de deffences et, en cas que l’on passast outre, l’on useroit de represailles sur les maisons des gens de la cour à Paris. M. le premier president voulant empescher cette deliberation dit que cet imprimé n’avoit esté signifié à personne, et ainsy n’estoit point public. Il demanda qui l’avoit donné ; M. de Blancmesnil dit que c’estoit luy, et que l’on le luy avoit envoyé de Saint Germain. Le premier president repeta : « de Saint Germain, Monsieur ? », le voulant taxer de correspondance. De quoy Blancmesnil s’offensa, et dit qu’il n’avoit point de correspondance à Saint Germain. Le premier president repliqua qu’il ne l’avoit point pensé. […]
L’on arresta encore de deputer vers la reyne d’Angleterre pour se condouloir de la mort du roy d’Angleterre.
[…]
[p. 690] Le samedy 27 février, je fus au Palais pour entendre devant le feu la relation de la deputation du premier president. L’on dit que Brie estoit pris et que Bourgogne, gouverneur, s’estoit retiré dans le chasteau, que nostre convoy avoit bien reussi et que l’on estoit allé querir du blé jusques à sept lieues de Paris dans la France, qu’il en estoit arrivé beaucoup.
Le parlement estant assemblé, où estoient le prince de Conty, MM. d’Elbeuf, de Beaufort, de Luynes, de Brissac, de la Mothe et le coadjuteur, les gens du Roy sont entrés ; M. le premier president dit que, suivant les ordres de la compagnie, estant parti avec MM. les deputés, il avoit trouvé l’escorte dans le Cours de la Reyne, et qu’au [p. 691] dessus de Chaillot ils avoient trouvé M. le marechal de Grammont à la teste de deux escadrons de cavalerie ; il s’estoit mis dans leur carrosse jusques dans Saint Cloud, où ils avoient trouvé une seconde escorte, qui les avoit conduits à Ruel, où ils avoient couché et où M. de Grammont estoit venu les visiter ; que le jeudy, ayant reçu l’ordre pour avoir l’audience à deux heures, ils s’estoient rendus à Saint Germain dans la conciergerie, où M. de Longueil les avoit reçus et traités tres bien, selon son affection et l’honneur qu’il porte à la compagnie. Là ils avoient esté visités des marechaux de Schomberg, de Villeroy et de toutes les personnes de condition, sur le visage desquels ils n’avoient rien remarqué d’ennemis ; que le secretaire d’Estat [de Guenegaud] les estant venus querir pour l’audience, ils avoient passé par plusieurs chambres pleines de monde et avoient esté introduits dans le cabinet, où estoyent la reyne, M. le duc d’Orleans, M. le Prince et autres du conseil (pour ne pas nommer le cardinal, qui y estoit), qu’il avoit dit à la Reyne que le respect qui estoit dû aux roys estoit tellement imprimé dans le cœur du peuple françois, que la marque de l’autorité souveraine estoit imprimée si avant dans l’ame de tous ses officiers qu’ils aimeroient mieux, les uns et les autres, se reconnoistre coupables que de manquer au devoir et à l’obeissance qu’ils luy devoient et luy donner juste sujet de plainte, aussy que ni les uns ni les autres n’avoient pas cru s’en departir lorsqu’ils avoient pris les resolutions auxquelles la necessité de leur propre conservation les avoit obligés, la deffense estant tousjours tres legitime et tres innocente lorsque l’on ne songe qu’à conserver sa vie, et que si dans les resolutions qu’il avoit fallu prendre il avoit esté fait quelque chose au prejudice de l’autorité royale, le prince, par un sage conseil, [p. 692] approuvoit tout ce qui avoit esté fait, connoissant et l’innocence et la sincerité dans les intentions, et ressembloit à ce sage pilote lorsque dans la tempeste il se fait quelque chose ou sans ses ordres ou contre ses ordres mesmes, que l’on a baissé les voiles, pris en main le gouvernail et mesme jeté une partie des marchandises les plus precieuses, tant s’en faut qu’il le trouve mauvais, qu’au contraire il en scait gré et l’approuve, scachant que chascun n’a agi que pour sa propre conservation et tascher de garantir le vaisseau du naufrage, et apres l’orage passé chascun reprend sa fonction et execute les ordres qui luy sont prescrits ; qu’avec cette pensée, il estoit deputé de la part du parlement pour assurer Sa Majesté que si pendant cette tempeste ils avoient fait baisser ou lever les voiles sans ordres, et s’ils avoient mis la main sur le gouvernail, ils estoient prests à retourner à leurs fonctions sytost que Sa Majesté auroit fait cesser cette tempeste, qui estoit capable de faire perir ce grand vaisseau, dans lequel sa fortune estoit enfermée aussy bien que celle de ses sujets, que si cette mesme necessité leur avoit fait recevoir un envoyé de l’archiduc, lire ses lettres et entendre sa creance, ç’avoit esté avec ce respect et cette soumission d’apporter à Sa Majsté la lettre et la creance pour en ordonner ce qu’elle jugeroit utile pour le bien du royaume, pouvant assurer Sa Majesté que le parlement, en cette rencontre, n’a point eu d’autres sentimens que de ses tres humbles et tres obeissans serviteurs et sujets.
A quoy la Reyne avoit respondu de sa bouche, M. le chancelier n’y estant point à cause de son indisposition, qu’elle avoit tousjours eu bonne volonté pour la ville de Paris et leur compagnie, mais [p. 693] qu’elle estoit obligée de conserver l’autorité du Roy son fils et qu’elle feroit tout son possible pour la maintenir, et qu’elle feroit scavoir son intention par escrit.
Eux s’estant retirés et ayant jugé qu’il ne falloit pas se separer en cet estat, ils avoient fait demander à la Reyne si elle trouveroit bon qu’ils eussent l’honneur de parler à M. le duc d’Orleans et à M. le Prince. La Reyne l’ayant permis, ils avoient eu conference avec M. le duc d’Orleans et avec M. le Prince trois heures entieres, où il s’estoit dit tout ce qui se pouvoit de part et d’autre ; que le lendemain ils avoient conferé encore pendant deux heures, et avoient obtenu parole que, pourvu que le parlement voulust deputer pour la conference où les deputés pourroient resoudre ce qu’ils estimeroient à propos, la Reyne accorderoit aussytost un passage pour amener suffisamment de blés pour la subsistance de Paris ; qu’avec cette assurance ils s’estoient separés et que l’on leur avoit donné un papier contenant la responce de la Reyne avec les originaux de deux lettres du comte Pigneranda, du 12 fevrier, par lesquelles il se plaignoit que l’on n’avoit donné au sieur Friquet que des paroles generales, et ce pour monstrer que le dire de l’envoyé de l’archiduc estoit faux par lequel il assuroit que le cardinal Mazarin offroit toutes choses pour avoir la paix. Ayant pris ces deux papiers, ils estoient retournés avec la mesme escorte. M. le premier president ajouta qu’il pouvoit assurer la compagnie qu’il avoit trouvé tous les esprits tres disposés à l’accommodement.
[…]
[p. 700] Le mercredy 3 mars, apres le disner, je scus de M. d’Eaubonne que les gens du Roy estoient venus le matin de Saint Germain et avoient apporté les passeports pour la conference, qui devoit commencer à Ruel le lendemain jeudy à onze heures, que les ordres estoient donnés pour l’ouverture du passage de Corbeil pour cent muids de blé et plus par jour à raison de 12 ivres 10 sous le setier, dont toute la compagnie avoit tesmoigné grande satisfaction.
[…]
[p. 705] Le vendredy 12 mars, Mme de Fourcy nous envoya dire que la paix estoit faite. Cette nouvelle nous fut confirmée de tous costés.
[…]
[p. 711] Le dimanche 14 mars, je scus que le parlement estoit assemblé et que les deputés n’estoient point partis. Je fus le soir chez M. de Petit-Marets qui me dit que M. le premier president, au lieu de recevoir des passeports, avoit reçu une lettre de cachet adressée au parlement sur laquelle il l’avoit assemblée, que par cette lettre le Roy disoit avoir executé le traité de son costé et desiroit que le parlement l’executast du sien, et que les generaux ne pouvoient avoir d’interest particulier sans faire connoistre que le bien public ne leur a servi que de pretexte. […]
A partir de ce soir, du costé de Saint Germain, l’on referma les passages des vivres qui avoient esté ouverts des le vendredy apres disnée.
[…]
[p. 721] Le mardy 16 mars, […] l’apres disnée, les deputés partirent pour aller à Saint Germain.
[…]
[p. 722] Le vendredy 19 mars, la surseance d’armes fut continuée. […] Le matin, je fus chez M. Amelot, qui avoit reçu une lettre de M. le chancelier par laquelle nous etions mandés à Saint Germain.
[…]
[p. 723] Le dimanche 21 mars, je fus à Saint Germain à cheval avec MM. Bernard Rezé et l’abbé du Tremblay. En passant par la porte Saint Honoré, l’officier qui commandoit me dit avoir reçu ordre de M. de Beaufort d’arrester un chariot chargé de hardes accompagné de quatre gardes de M. de Bouillon. Arrivant à Saint Germain, je trouvai les esprits fort estonnés de la declaration des generaux faite le samedy et apportée par le comte de Maure, et de la nouvelle arrivée de l’approche de l’archiduc, qui estoit au Pont à Vere et venoit à La Ferté Million, et, outre ce, de ce que les deputés de Rouen ne venoient point. L’on disoit que le Roy s’en alloit. Je vis M. d’Avaux et M. Le Roy, qui me dirent qu’il se faisoit une negociation secrete avec les generaux. Je vis encore M. le chancelier, M. Haligre, M. de La Meilleraye, et les deputés du parlement, qui retournerent à Ruel et remirent la conference au lendemain, les deputés de Rouen devant arriver, et en effet ils passerent par Saint Germain et allerent coucher à Ruel, ce qui remit les esprits. L’approche de l’archiduc [p. 724] surprenoit de voir qu’il avançast sans estre assuré d’une place et qu’il voulust passer deux rivieres parce que, l’affaire de Paris s’accommodant, son armée estoit ruynée devant que de se pouvoir retirer, d’autant que le colonel d’Erlac s’avançoit avec dix mille hommes de l’armée de M. de Turenne, et en cinq jours de marche devoit estre derriere l’archiduc et luy empescher la retraite, cependant que le mareschal du Plessis l’arrestoit en teste.
Le lundy 22 mars, le bruit augmentoit que le Roy s’en alloit et partiroit la nuit, ce qui m’obligea à revenir pendant que la treve continuoit et qu’il estoit incertain si elle seroit renouvelée. Je vis M. Le Roy, qui me dit que tout iroit bien nonobstant le bruit commun. Je vis aussy les deputés de Paris et de Rouen ensemble, qui s’en alloient à la conference chez M. le chancelier, où estoient pour le Roy MM. le chancelier, les mareschaux de La Meilleraye et de Villeroy, MM. d’Avaux, de La Vrilliere, de Brienne et Le Tellier. Je vis ce matin, devant que partir, M. Le Tellier. Arrivé à Paris, j’appris que l’archiduc avoit offert à M. le prince de Conty de ne pas passer outre, si la Reyne vouloit envoyer des plenipotentiaires pour la paix, de quoy M. le prince de Conty avoit donné avis au parlement, et l’un et l’autre à leurs deputés. La Reyne avoit accepté cette proposition.
[…]
[p. 728] Le jeudy 1er avril, je fus au Palais, qui estoit bien gardé. M. de Lamoignon me dit que tout iroit bien. […] [p. 733] Ainsy finit cette guerre, apres avoir duré douze semaines, contre la pensée de la cour qui ne l’avoit entreprise que dans la pensée qu’elle ne dureroit que huitaine.
[…]
[p. 736] Le mardy 6 avril, les deputés du parlement furent à Saint Germain avec ceux de la chambre des Comptes, qui furent regalés magnifiquement.
Le mercredy 7 avril, la Ville y fut aussy avec les colonels, et puis les corps des marchands, l’université, le grand conseil.
[…]
Le samedy 10 avril, je fus à Saint Germain avec MM. de Lamoignon, Boucherat, Brillac et le marquis de Crenan, lieutenant des chevaux legers de M. le prince de Conty. Là j’appris la disgrace de M. de Roquelaure, renvoyé chez luy pour avoir tesmoigné que, s’il n’eust esté attaché à la cour par sa charge, il eust suivi le parti des princes. L’on me raconta le detail de l’affaire de M. de La Meilleraye, que jeudy, chacun disant qu’il sortoit des finances, Mme d’Aiguillon luy en avoit parlé pour l’y disposer, que le lendemain ses amis l’estant venus voir, et M. de Saint Chamond luy en ayant fait compliment plus ouvert, il avoit dit qu’il n’en avoit point ouy parler, et qu’il attendroit que le Roy luy donnast l’ordre. M. le cardinal le vint voir ensuite, fut deux heures avec luy, et luy protesta qu’il feroittout ce qu’il voudroit, qu’il garderoit sa charge, s’il vouloit, qu’il estoit le maistre ; que M. de La Meilleraye, pour monstrer qu’il vouloit garder sa charge, avoit tenu l’apres disnée direction. Je scus que l’on destinoit pour sa charge ou M. d’Avaux ou M. Servien, ou le president de Maisons. D’autres disoient que l’on n’y mettroit sytost personne, et que les directeurs continueroient. L’on me dit que M. Servien devoit arriver, qu’on luy avoit envoyé trois courriers. La cour paroissoit tres embarrassée. M. le marechal de Grammont demandoit permission d’aller en Bearn ; M. le prince de Conty devoit venir lundy à Saint Germain, et M. le Prince aller mardy voir M. de Longueville [p. 737] à Bouconvilliers, sur le chemin de Rouen. M. le Prince, changeant de methode, caressoit extraordinairement tous les generaux de Paris.
[…]
[t. 2, p. 344] [16 avril 1665] L’entrée du Roy est remise de lundy prochain en huit jours. Il partira [lundy] pour Saint Germain avec toute la cour, et reviendra pour aller au parlement.
[…]
[p. 348] [28 avril] Le mal de la Reyne mere augmente fort. Elle a esté en basteau à Saint Cloud, où elle eut une nuit mauvaise ; le lendemain, en basteau, à Saint Germain, où l’on dit qu’elle est encore plus mal, et l’on craint qu’elle ne dure pas longtemps. Chacun regarde cette perte avec douleur parce que, quoyque la Reyne mere n’ayt pas de credit pour faire plaisir, elle empesche du mal et retient l’union dans la maison royale. J’y perdrai en mon particulier beaucoup par la bonté qu’elle m’a tesmoignée, ayant fait tout ce qu’elle a pu pour m’obliger.
Le mercredy 29 avril, le Roy vint de Saint Germain pour faire verifier au parlement la declaration contre les jansenistes. […] [p. 352] Après, le Roy se leva et parla longtemps à M. le chancelier, et, après, à M. le premier president assez longtemps, et, saluant toute la compagnie civilement en passant, il sortit et alla disner à Versailles, où sa maistresse se devoit rendre de Saint Germain.
[…]
[p. 355] [2 mai] Les divertissemens du Roy continuent, il chasse tous les jours avec sa maistresse. Le mal de la Reyne mere augmente, quoiqu’elle paroisse habillée et fort propre. Toute la suite de la cour s’ennuye fort à Saint Germain, car chacun ne parle que misere. La Reyne est grosse.
[…]
[p. 360] [12 mai] J’appris encore que M. le president de Novion, avec M. le president Tubeuf, s’estant presentés à Saint Germain pour remercier le Roy de l’employ donné à M. Tubeuf le maistre des requestes, ayant trouvé que le Roy venoit d’entrer dans son conseil, un valet de chambre estant entré pour presenter au Roy un mouchoit, il luy dit à l’oreille que M. le president de Novion estoit là. Le Roy, levant la parole, dit : « Voilà qui est plaisant ! M. le president de Novion me fait dire qu’il m’attend. Oh ! qu’il m’attende et ne s’impatiente pas. » Le valet de chambre ayant dit au Roy que c’estoit M. Tubeuf qui luy avoit dit de parler, le Roy reprit encore : « Soit : M. le president Tubeuf ou M. le president de Nivion, cela est esgal, qu’ils m’attendent. » M. Colbert ne parla pas, mais, à la fin du conseil, s’estant approché pour dire au Roy que M. le president de Novion souhaitoit le saluer, il luy dit : « Eh bien ! il me verra chez la Reyne ma mere, ou me parlera en passant ; c’est assez pour luy. »
[…]
[p. 363] Le dimanche 31 mai, M. Boucherat me dit qu’il avoit esté le jour precedent à Saint Germain, où tous Messieurs du conseil avoient esté mandés ; qu’ils trouverent que la Reyne mere estoit fort mal et la cour en larmes ; neantmoins qu’à onze heures ils avoient esté chez le Roy, qui leur avoit dit que, depuis qu’il avoit pris le soin des affaires de son Estat, il avoit commencé par la reformation des finances, et qu’il croyoit y avoit reussi ; qu’il vouloit à present travailler à la reformation [p. 364] de la justice, et comme il connoissoit tous ceux qui estoient dans son conseil pour fort habiles et qui avoient esté dans tous les employs, il les avoit mandés pour leur dire qu’il souhaitoit que chacun d’eux en particulier fist des memoires sur les choses qu’il croiroit estre à reformer, et que, dans trois semaines, ils eussent à tous revenir et d’apporter chacun en particulier ces memoires, afin qu’il examinast et vist ce qui seroit à faire ; qu’aussytost il s’estoit retiré et paroissoit fort touché de l’extremité de la Reyne mere ; que M. le chancelier estoit present et M. Colbert, et qu’ils n’avoient rien dit, et que chacun apres le disner estoit revenu à Paris.
[…]
[p. 367] [6 juin] La Reyne continue à se mieux porter. M. de Mirepoix m’a dit ce matin samedy que, sytost qu’elle pourroit estre transportée, la cour reviendroit. Elle ira au Val de Grace et le Roy au Bois de Vincennes.
[…]
[p. 369] Le dimanche 21 juin, MM. du conseil allerent à Saint Germain porter leurs memoires pour la reformation de la justice. Le Roy les [p. 370] reçut sans leur parler. L’on dit qu’ils doivent estre mis dans huit jours es mains de M. le chancelier.
[…]
[p. 385] Le mardy 11 aoust, toute la cour est revenue de Saint Germain. La Reyne mere a esté transportée au Val de Grace, s’estant trouvée assez forte pour souffrir le transport.
[…]
[p. 441] Le mercredy 27 janvier [1666], je fus avec MM. Boucherat, de Fourcy, de Bermond, de Paris et de Boissy, et avec les autres députés du parlement, à Saint Germain, pour faire les complimens au Roy sur la mort de la Reyne mere. Le carrosse de M. de Montmort le conseiller versa à la montagne. Arrivés à Saint Germain, messieurs du parlement furent dans la chambre qui leur estoit preparée. M. Boucherat et moy montasmes en haut chez le Roy, que nous saluasmes lorsqu’il passoit de sa petite chambre pour entrer dans sa grande chambre et donner ses audiences. Nous estions assez proches de sa chaire, derriere MM. Turenne, de Villeroy, du Lude, Rose, qui s’ouvroient pour nous faire voir. M. le premier président fit fort bien son compliment, le premier president de la chambre des Comptes aussy ; le premier president de la cour des Aydes hesita et se troubla, et apres le president des monnoyes. Les procureurs et avocats generaux font, apres chaque cour, leurs compliments separés. Les complimens finis, M. de Turenne dit au Roy que M. Boucherat estoit là et qu’il estoit des amis de M. le premier president, et le Roy respondit : « Et d’Ormesson, qui est aussy de ses bons amis ».
[p. 442] Je fus apres à la messe du Roy, où estoient la Reyne, M. le Dauphin, Monsieur, et Mlle de La Vallière, que la Reyne a prise aupres d’elle par complaisance pour le Roy. En quoy elle est fort sage. Cette demoiselle ne me parut point belle : elle a les yeux fort beaux et le teint, mais elle est descharnée, les joues cousues, la bouche et les dents laides, le bout du nez gros et le visage fort long. En verité, je fus surpris de la trouver si peu belle. Apres la messe, la Reyne reçut les memes complimens des compagnies

Le Fèvre d’Ormesson, Olivier

Récit par le comte de Brulon d’audiences accordées par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Ce premier memoire qui suit est du comte de Brulon
Le vingtieme fevrier mil six cens trente quatre, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, alla prendre à son logis le sieur de Loustorieres, resident de l’Empereur, pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, puis le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, des princesses du sang et du cardinal de Richelieu.
[…]
[p. 774] Le vingt deuxieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et grand nombre de noblesse et d’autres carrosses, furent au devant du sieur Boloneti, evesque d’Ascoly et envoyé nonce du pape, à Venvre, proche le village d’Icy, où, apres avoir receu les complimens de la part de Sa Majesté, il entra dans le carrosse du Roy avec cinq evesques, le comte d’Alais et le comte de Brulon, et fut conduit en son logis. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré, premier gentilhomme de la chambre, et de la part de la Reyne par son premier maistre d’hostel. Le vingt cinquieme du mesme mois, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre à son logis le cardinal de Bichy puis ledit nonce pour les accompagner à Saint Germain, à la descente, où le Roy leur donna à disner, et apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez au neuf chasteau. Devant qu’entrer, ils rencontrerent les gardes sous les armes, c’est ascavoir les gardes du grand prevost, les suisses et gardes du corps. Et ainsi le cardinal Bichy, en presentant le nonce, son successeur, prit congé du Roy en ceremonie, puis ils virent le cardinal de Richelieu qui, ayant sceu que ledit cardinal Bichy et le nonce estoient en habits decents, les receut aussi de mesme. Le cardinal Bichy prit pourtant encore une autre fois congé du Roy et de la Reyne et dudit cardinal de Richelieu, sans ceremonie, et en particulier.
Le vingt sixieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le mareschal de Chastillon, le comte de Brulon, avec [p. 775] les carrosses du Roy et de la Reyne furent à Sainct Denys au devant des sieurs Pau et Knuith, ambassadeurs des Estats d’Holande, qu’ils amenerent à l’hostel des ambassadeurs, qui estoit meublé pour eux, et où ils furent traités par present jusques à un jour apres leur audience. Et le vingt neufieme, furent conduits à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne par le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, à la descente, où le Roy leur donna à disner. Apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez puis des princes et princesses, dudit cardinal de Richelieu et autres ministres.
[…]
[p. 776] Le seizieme octobre mil six cens trente quatre, les sieurs Lofler et Streuf, le premier ambassadeur extraordinaire de la couronne de Suede, et l’autre des quatre Cercles d’Alemagne, estans arrivez à Paris, le Roy estant à Sainct Germain, n’ayant pas accepté le logis du Roy, il leur fut envoyé des vivres chez eux de la part de Sa Majesté, tout le temps de leur sejour en ladite ville, qui fut d’un mois. Deux jours apres, le marquis de Mortemar les alla visiter de la part de Sa Majesté, et le vingt unième le comte de Harcour et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les conduisirent à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que Sa Majesté leur eut donné à disner, ils furent conduits à son audience, puis aussitost par les mesmes chez monsieur le duc d’Orleans dans sa chambre, lequel estoit retourné le mesme jour, et ne veirent point la Reyne. Le quatrieme novembre ensuivant, ils furent prendre congé du Roy en la mesme façon à Sainct Germain, et visiterent aussi ledit cardinal de Richelieu. Puis il leur fut porté de la part du Roy à chacun une chaisne d’or avec sa medaille, de deux mille ecus.
Le vingtieme octobre mil six cens trente quatre, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Sainct Denys au devant du sieur Contarini, ambassadeur ordinaire de Venise, qui venoit en la place du sieur Sorenzo, son predecesseur, et le conduisirent à son logis derriere les Minimes, où le lendemain le marquis de Mortemar le furent visiter de la part du Roy. Et le vingt quatrieme, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec des carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre en leurs logis lesdits Sorenzo et Contarini pour les conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes et, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils furent conduits à l’audience de Leurs Majestez, dont le premier prenoit congé en presentant son successeur le dernier. Puis ils veirent les princesses et le cardinal de Richelieu. Il fut presenté audit Sorenzo un service [p. 777] de vaisselle d’argent de deux mille écus, et à son secrétaire une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de douze cens livres, et une boette de diamans de mille ecus au sieur Contarin, de present extraordinaire. Le vingt septieme janvier mil six cens trente huit, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon le conduisirent à Saint Germain avec le sieur Cornaro son successeur, qu’il presenta au Roy pour resider aupres de luy, en prenant congé en la mesme façon que dessus. Quelques jours apres, le Roy luy ayant fait demander s’il vouloit estre fait chevalier, comme il se doit par le secretaire d’Estat des Affaires etrangeres lorsque c’est la premiere ambassade qu’ils font vers les testes couronnées, il eut une audience particuliere, encore sans ceremonie, dans le cabinet du Roy à Sainct Germain, y conduit par le comte de Brulon, où le Roy luy ayant encore demandé s’il vouloit estre chevalier, on luy jetta un carreau preparé par le premier valet de garderobbe qui estoit lors, nommé Picot. Estant à genoux, le Roy tira son epée et le fit chevalier de l’accolade, et luy donna en mesme temps une epée et un baudrier. Le comte de Brulon luy porta un buffet de vaisselle d’argent doré de deux mille ecus, une boette de diamans de mil pour present extraordinaire, et au secretaire de l’ambassade, le sieur Alberty, une chaisne de douze cens livres.
Le trentieme octobre mil six cens trente quatre, le milord Fildin, ambassadeur extraordinaire d’Angleterre, arriva à Paris avec sa femme, le Roy estant à Sainct Germain. Il y eut ordre de meubler l’hostel de Schomberg, l’hostel des Ambassadeurs extraordinaires estant occupé, mais ne l’ayant voulu accepter pour le peu de temps qu’il avoit à sejourner, il fut traité par present pendant qu’il demeura à Paris. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le comte de Nancé, et, le deuxieme jour de novembre, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre pour le conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Leurs Majestez, qu’il ne veid que cette fois. La Reyne envoya aussi un carrosse à sa femme, et arrivant à Sainct Germain, la marquise de Senecé la vint recevoir de la part de la Reyne au bas de l’escalier, et la conduisit dans une chambre, où elle disna avec elle, traitée par la Reyne. Elle la conduisit apres disner chez la Reyne, où le Roy se rendit à son retour de la chasse, qu’il hasta expres, et la salua, ayant eu le tabouret. La Reyne venant à Paris, l’ambassadeur et l’ambassadrice y alloient tous les jours sans ceremonie. Il fut porté à cet ambassadeur de la part du Roy une chaisne de diamans de plus de deux mille ecus, et partit fort satisfait. Il ne veid point le cardinal de Richelieu, mais monseigneur le comte de Soissons et toutes les princesses.
Le 18 novembre 1634, ledit sieur Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le comte de Cumians, maistre des ceremonies et conducteur des ambassadeurs de Piedmont, envoyé de la part de Son Altesse de Savoye, pour les accompagner [p. 778] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent apres que le Roy leur eut donné à disner. Ledit ambassadeur y disna aussi, parce qu’il estoit allé à l’audience pour le presenter, puis il veid le susdit cardinal de Richelieu. Il vint pour se resjouyr avec le Roy du retour de monseigneur son frere des Pays Bas, et pria le Roy de la part de son maistre de trouver bon qu’il allast visiter ledit seigneur, comme il en avoit ordre. Ce que Sa Majesté trouva fort bon, et s’en alla le trouver à Blois. Puis à son retour ledit Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le conduisit à Saint Germain, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il prit congé de Leurs Majestez et dudit cardinal de Richelieu. Il luy fut presenté de la part du Roy un diamant de sept mille francs, dont il fut fort content.
Le 26 novembre 1634, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et quantité d’autres carrosses et de noblesse, furent à Piquepuce au devant du sieur Mazarin, nonce extraordinaire du pape, pour le conduire à Paris au logis du nonce ordinaire, n’ayant esté logé par le Roy. Il entra en carrosse avec ledit nonce ordinaire, le comte d’Alais, le conducteur des ambassadeurs, les archevesques d’Arles et de Tours, et l’evesque de Bolongne. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par monsieur de Liancour et de la part de la Reyne par le comte d’Orval. Le quatrieme decembre ensuivant, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses de Leurs Majestez, l’accompagnerent à Saint Germain où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Sa Majesté, qui le receut bien, comme aussi la Reyne et le cardinal de Richelieu. Il veid aussi toues les princesses, scavoir Madamoiselle seule avec son rochet, et les autres avec son habit ordinaire. Monseigneur le Prince estant arrivé en cette ville, les nonces ne le voulans aller visiter le premier, ny luy eux, ils furent chez madame la Princesse, où mondit seigneur le Prince se trouva. Puis il les retourna voir, et eux furent apres le voir avec leurs habits. Le 4 fevrier 1636, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à sa dernier audience, qu’il eut de Leurs Majestez à Paris, avec les mesmes ceremonies que dessus. Puis il prit congé de Monsieur, de tous les princes et princesses, et du cardinal de Richelieu. Le comte de Brulon luy porta de la part du Roy un buffet de vaisselle d’argent de la valeur de quatre mille ecus, et partit fort content de cette cour.
[…]
Le premier decembre, le sieur Bautru ayant visité les trois ambassadeurs suisses des cantons de Zurich, Berne et Schaffouze, le cinquieme il les fut prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour les accompagner [p. 779] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent à Saint Germain en Laye, apres que le Roy leur eut donné à disner dans la descente des ambassadeurs. Le marquis de Nesle vint disner avec eux de la part du Roy et les accompagna à l’audience, puis veirent le cardinal de Richelieu et les autres ministres.
Le 15 janvier 1635, le comte de Brulon avec le carrosse du Roy alla prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur de Saint Thomas, qui avoit demeuré icy agent deux ans, pour les conduire à Saint Germain, où l’ambassadeur ne fut que pour presenter ledit de Saint Thomas au Roy et à la Reyne, pour prendre congé de Leurs Majestez, s’en retournant. Le Roy leur donna aussi à disner, et le comte de Brulon luy porta de la part du Roy une boette de diamans de deux mille francs.
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[p. 780] Le septieme avril mil six cens trente cinq, le general Rituvin, qui repassoit d’Alemagne en Suede, estant arrivé à Paris et ayant envoyé demander l’audience du Roy, le comte de Brulon l’alla visiter de la part de Sa Majesté. Et le neuvieme ensuivant le conduisit dans son carrosse à Sainct Germain, où, apres avoir eu favorable audience du Roy dans son cabinet, monsieur le Premier luy donna magnifiquement à disner, apres lequel il fut conduit chez la Reyne, puis chez le cardinal de Richelieu à Ruel, qui le receut fort bien.
[…]
[p. 781] Le sixieme decembre mil six cens trente cinq, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur [p. 782] Chrestien Ulderic Guldenleven, envoyé de la part du roy de Dannemarck, pour le conduire à Sainct Germain, où apres que le Roy luy eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez.
Le vingt troisieme decembre mil six cens trente cinq, le Roy estant à Saint Germain, les sieurs de La Meilleraye et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent prendre à son logis le marquis de Baden, de la branche de Durlach, pour l’y accompagner, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, ils le conduisirent à l’audience de Leurs Majestez.
[…]
[p. 784] Le huitieme mars mil six cens trente six, le sieur de Berlize, encore qu’il ne fust en charge, à cause que le comte de Brulon estoit aupres du duc de Parme, eut commandement d’aller trouver le duc Bernard de Weymar de Saxe, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, à Lagny sur Marne, où le comte de Guiche, qui l’estoit allé trouver de la part du cardinal de Richelieu à Meaux, l’amena, luy ayant dit qu’il estoit là de la part du Roy, il mena trois ou quatre de ses amis qui le saluerent. Apres quoy il le conduisit à Champ, où le sieur de Croisilles et le general Parfait l’attendoient, avec tous les officiers de la Maison, pour le traiter. Il avoit eu ordre de luy faire donner à disner à Lagny, mais à cause de la difficulté qu’il y avoit pour les officiers d’aller jusques à six lieues de Paris, pour apres disner venir apprester le souper à l’Arsenal où il devoit loger, il les fit venir audit lieu, ce que le Roy trouva estre fait à propos. Le sieur de La Trimouille le vint recevoir en ce lieu au sortir de son disner de la part du Roy, accompagné de quantité de carrosses et de noblesse. Apres les complimens faits, ils monterent dans le carrosse du Roy, où estoient lesdits duc de Weimar et de La Trimouille, les comtes de Guiche et de Nassau, et le sieur de Berlize, passerent par le Bois de Vincennes où ils rencontrerent nombre de carrosses pleins de dames ; il fut salué par la garnison, veid plus de deux cens carrosses tout le long du chemin jusques à l’Arsenac, où il fut logé dans le plus bel appartement, meublé des meubles du Roy. Un autre logis fut destiné pour son train. Le lendemain, il ne voulut voir personne avant le Roy. Il avoit amené avec luy le comte de Nassau, le baron de Friberg et le [p. 785] sieur Ponica, sur lequel il se reposoit de toutes ses affaires. Le dixieme, il le conduisit à l’audience avec le duc de La Tremouille à Sainct Germain. Quand il fut arrivé, il fut trouver le Roy dans son cabinet, où il estoit, auquel il dit son arrivée. Là Monsieur luy demanda s’il se couvriroit ; il repondit qu’il n’en scavoit rien, qu’il l’avoit demandé au cardinal de Richelieu qui luy avoit dit qu’il ne le devoit point et que neantmoins il craignoit qu’il ne fust en cette volonté, et que sur ce qu’il avoit pressé le sieur de Chavigny là-dessus, il luy avoit dit que s’il luy en parloit, que ce seroit luy donner lieu de pretendre une chose à laquelle, peut estre, il ne pensoit pas ; que si toutesfois il vouloit, il presentiroit dudit sieur Ponica s’il estoit dans cette pretention, mais qu’il ne luy en parleroit point, s’il ne luy en commandoit expressement ; et luy allegua ce qu’il avoit fait à l’evesque de Wirtzbourg, duc de Franconie, à Mets, lequel comme souverain de l’Empire s’estoit couvert, qu’il estoit de la maison de Saxe et que ce qui luy feroit plustost desirer estoit le duc de Parme, auquel le Roy avoit fait cet honneur, et que luy s’estimoit bien d’une autre maison. Avec toutes ces raisons, et autres, Sa Majesté resolut qu’il ne luy en parleroit point, et luy commanda de l’aller querir, l’ayant laissé dans le departement du surintendant, qu’on avoit meublé des meubles du Roy. Il luy dit que le Roy estoit prest à la voir. Les suisses se mirent en haye sur le degré, le capitaine des gardes le receut à l’entrée de la salle. Ayant fait une reverence devant le Roy et son compliment, le Roy voulut se couvrir, il crut que le Roy l’avoit invité à en faire autant et en mesme temps il voulut mettre son chapeau ; le Roy, voyant cela, osta si promptement le sien que cela fut apperceu de peu de personnes, et parlerent tousjours decouverts. Puis il passa dans son cabinet, où Monsieur, frere du Roy, se trouva, et parlerent ensemble pres d’une demie heure, où quelques fois aussi le Roy le faisoit parler, puis luy dit de le mener disner, ce qu’il fit. Incontinent apres, suivant le discours qu’il avoit eu depuis avec le sieur de Chavigny, il dit audit sieur Ponikan qu’il ne croyoit pas que le duc pretendist de vivre autrement chez la Reyne que Monsieur, frere du Roy, qui ne se couvroit. Il luy dit que son maistre avoit veritablement voulu se couvrir devant le Roy, d’autant que le duc de Parme se couvroit, qu’il ne le devoit trouver estrange, d’autant qu’il y avoit plus d’empereurs dans la maison de son maistre qu’il n’y avoit eu de gentilshommes dans la maison du duc de Parme, mais que pour chez la Reyne il ne se couvriroit. Il l’y mena, où Monsieur se trouva, puis chez Monsieur, qui le fit couvrir, comme aussi les ducs de La Trimouille et Wirtenberg qui l’accompagnoient. Apres une visite de demie heure sans s’asseoir, il remena ledit duc dans sa chambre, de laquelle ils partirent pour aller à Ruel, où il veid le cardinal de Richelieu, qui le vint recevoir au haut de l’escalier, et prit apres plusieurs offres qu’il fit audit duc la main droite, et passa devant aux portes, et s’assit de mesme. Il le vint reconduire jusques au [p. 786] carrosse, où le duc ne voulut entrer, quelque priere que luy fit ledit cardinal, qu’il ne se fust retiré, puis vint recoucher à l’Arsenac ce mesme jour. Tous les jours suivans, il fut visité des princes et ducs qui estoient lors à Paris. il fut rendre les visites et aussi voir Madamoiselle, mesdames la Princesse et Comtesse, et toutes les duchesses. Le 18 du mesme mois, ce duc fut coucher à Saint Germain, et descendit dans sa chambre. Puis le sieur de Berlize alla trouver le Roy, qui luy demanda s’il se couvriroit. Il luy dit que le cardinal de La Valette luy avoit dit qu’il prenoit cela sur luy pour luy faire scavoir, mais neantmoins que ledit sieur de Ponikan et le comte de Guiche luy avoient dit que l’on estoit demeuré d’accord qu’il ne se couvriroit devant le Roy mais qu’il auroit le tabouret chez la Reyne ; sur ce qu’il veid Sa Majesté en inquietude, il luy dit qu’il alloit parler à Ponikan, et qu’il l’asseureroit de tout. Poikan luy dit qu’on avoit offert à son maitre de le faire couvrir comme duc de Franconie ou d’avoir le tabouret chez la Reyne. Apres plusieurs repliques, il le fit condescendre à avoir seulement le tabouret chez la Reyne, et que c’estoit le moyen d’estre mieux venu aupres du Roy. Il fit entendre au duc tout ce que dessus, qui luy dit qu’il feroit tout ce que le Roy desiroit et qu’il luy suffisoit de s’estre mis en devoir de demander les choses qu’il croyoit estre deues à sa maison, afin que les siens n’eussent à luy reprocher qu’il avoit volontairement fait des choses indignes de sa naisasnce. Apres plusieurs offres avantageuses qu’on luy avoit faites de la part de l’Empereur, il dit tout ce que dessus au Roy, et comme il luy avoit dit qu’il desiroit que le Roy le traitast comme un de ses sujets ducs, et ce en presence du duc de Saint Symon, de quoy le Roy fut fort content. Il luy commanda de l’aller querir, ce qu’il fit, et comme il entra dans le cabinet, il pria qu’on fist fermer la porte, afin comme l’on peut connoistre que les siens ne le veissent decouvert. Le Roy luy fit grand accueil et demeura plus d’une heure ; Sa Majesté demeura un demy quart d’heure decouvert, puis se couvrit. Le lendemain, il fut voir le Roy et ouyt au jubé de la chapelle la musique. Le soir le Roy luy envoya la musique de la Chambre, qu’il trouva excellente. Apres le disner, il fut chez la Reyne, qui luy fit donner le tabouret, qu’il prit apres plusieurs refus. Il n’y demeura qu’un demy quart d’heure, puis se leva, et demeura encore une demie heure debout. La Reyne se leva aussi. Puis repassa chez le Roy par dans la chambre de la Reyne où il estoit ; où, après avoir demeuré une demie heure, il prit congé du Roy, et s’en alla à Ruel voir le père Joseph, capucin.
[…]
[p. 788] Le second jour d’avril mil six cens trente sept, les jeunes princes de Hesse estans venus à Paris pour faire leurs exercices, et desirans voir le Roy, le comte de Brulont les ayant visitez de la part de Sa Majesté, le sieur de Souvré et ledit comte, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les menerent à Saint Germain où, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils les conduisirent à l’audience de Leurs Majestez, devant lesquelles ils ne pretendirent point se couvrir.
Au mois d’octobre mil six cens trente sept, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le marquis de Saint Germain, gentilhomme envoyé de Savoye, pour prendre congé de Leurs Majestez à Sainct Germain, où il les conduisit après que le Roy leur eut donné à disner, et ensuite chez le susdit cardinal de Richelieu. Peu de jours après, il luy porta un diamant de la part du Roy, de huit à neuf mille livres.
[…]
[p. 789] Au mois de novembre mil six cens trente sept, le marquis de Parelle estant arrivé de la part de madame de Savoye pour donner part au Roy de la mort de Son Altesse, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre cet ambassadeur pour le conduire à Saint Germain, où, après que le Roy leur eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, qui le receurent aussi en grand deuil. Il prit congé de la mesme façon et le sieur de Berlize luy porta apres de la part du Roy un diamant de mil ecus.
Le onze novembre mil six cens trente sept, les sieurs de Noailles et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent dans Piquepuce au devant du sieur Salus, ambassadeur extraordinaire de Gennes, qu’ils emmenerent à son logis, qu’il avoit arresté et meublé, le Roy ne l’ayant ny logé ny defrayé. Il fut visité le lendemain par le marquis de Fourilles, grand mareschal des logis, et deux jours apres le mareschal de Saint Luc et le sieur de Berlize le firent prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, eut audience de Leurs Majestez et, en revenant, du cardinal de Richelieu à Ruel. Il ne visita point les princesses.
Le huit decembre, le sieur de Berlize conduisit à Sainct Germain dans son carrosse le sieur de Vosberg, deputé des Etats de Holande, sans autre ceremonie, estant venu pour affaire particuliere. Puis prit congé du Roy seul, apres avoir demeuré icy trois semaines.
Le vingt cinquieme janvier, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à La Chapelle au devant du sieur Cornaro, ambassadeur ordinaire de Venise, le conduisirent à son logis, où le lendemain il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré. Et le vingt neufieme du mesme mois, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les mesmes carrosses, furent prendre à son logis le sieur Contarin et luy pour les conduire à l’audience de Leurs Majestez à Saint Germain, où ledit Contarin, prenant congé, presenta ledit Cornaro son successeur. Le Roy leur donna à disner et les gardes du regiment, en entrant et sortant, prirent les armes.
Le vingt deuxieme fevrier mil six cens trente huit, le mareschal de La Force et le comte de Brulon furent à Piquepuce avec les carrosses [p. 790] du Roy et de la Reyne au devant du sieur Agnelly, evesque de Cazal, ambassadeur extraordinaire de Mantoue, qu’ils menerent à son logis, le Roy ne l’ayant ny traité ny defrayé. Et deux jours apres, fut pris dans son logis par ces messieurs et les mesmes carrosses, pour le conduire à Sainct Germain, à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Puis veid toutes les princesses et le cardinal de Richelieu.
Audit an mil six cens trente huit, le Roy partant pour aller en Picardie, la grosses de la Reyne estant apparente, le comte de Brulon, qui estoit en charge, suivant le Roy, Sa Majesté commanda eu sieur de Berlize d’en aller donner part à tous les ambassadeurs, comme il fit, et ensuite tous ces ambassadeurs allerent visiter la Ryne. Et lorsque le Roy revint de son voyage, les en ayant dispensez, le visiterent aussi pour s’en resjouyr avec luy.
La mesme année mil six cens trente huit, le comte de Cameran, fils du marquis de Ville, estant venu de la part de madame de Savoye en qualité de gentilhomme envoyé, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur et luy pour les conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner. Puis, apres avoir pris congé du Roy, quelque temps apres, le comte de Brulon luy porta un diamant de mil ecus. Il venoit se conjouyr de la grossesse de la Reyne.
Le susdit an mil six cens trente huit, le sieur Tartereau estant venu, gentilhomme envoyé de la part du roy et de la reyne d’Angleterre, pour se resjouyr de leur part de la grossesse de la Reyne, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le fut prendre à son logis, puis furent prendre ensemble les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire à l’hostel des ambassadeurs pour les conduire à Saint Germain, où ils eurent audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner. Le comte de Brulon le mena seul chez le cardinal de Richelieu. Peu de jours apres, il prit congé en la mesme façon, et eut un present d’une chaisne d’or de quatre cens ecus que luy porta le comte de Brulon, laquelle il luy reporta deux jours apres, disant qu’on avoit donné un present de plus grande valeur à un envoyé de Savoye ; on luy donna au lieu de cela un diamant qui ne valoit guere davantage.
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Le vingt quatrieme avril mil six cens trente huit, le comte Bardy estant arrivé à Paris quelques jours auparavant en qualité de resident du grand duc, et ayant esté visité de la part du Roy par le comte de [p. 791] Brulon, il le conduisit à Sainct Germain dans les carrosses du Roy et de la Reyne à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner ; puis il veid Madamoiselle, madame la Princesse, qu’il salua, et madame la Comtesse aussi, et le cardinal de Richelieu.
Au mesme an mil six cens trente huit, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et l’abbé de La Monta, envoyé de madame de Savoye pour apporter la ratification du traité fait entre le Roy et ladite dame. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner ; veid le cardinal de Richelieu. Puis, ayant demeuré deux mois à Paris, le sieur de Berlize le conduisit avec ledit ambassadeur en mesme ceremonie pour prendre congé de Leurs Majestez. Il eut en present un diamant de deux mille ecus.
La susdite année mil six cens trente huit, le sieur Forbes estant arrivé de Polongne et se disant ambassadeur, le comte de Brulon le fut voir et luy demanda son passeport, dans lequel, ayant trouvé, estant en latin, qu’on ne luy avoit donné que la qualité de Nuncius, quoy qu’il dit qu’en son pays cela se prenoit pour ambassadeur, il ne fut traité que comme gentilhomme envoyé du roy de Polongne. Ledit comte de Brulon le conduisit à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne, où il eut audience de Leurs Majestez. Le Roy luy donna à disner. Il veid le cardinal de Richelieu. Et, ayant pris congé avec la mesme ceremonie, le comte de Brulon luy porta une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de quatre à cinq cens ecus, dont il ne fut guere content.
Au mois d’octobre mil six cens trente huit, tous les ambassadeurs eurent audience. Les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire d’Angleterre y menerent le sieur de Sainct Ravy, gentilhomme envoyé du roy d’Angleterre, et le sieur Germain de la Reyne sa femme, pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin. Le sieur de Berlize les fut prendre tous dans les carrosses du Roy et de la Reyne chez l’ambassadeur extraordinaire, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner, et peu de jours apres, en ayant pris congé de la mesme sorte, ledit sieur de Sainct Ravy eut un diamant de mil ecus et le sieur Germain un de deux mille ecus. Entre leur premiere et dernier audience, le sieur de Bellievre, lors ambassadeur ordinaire pour le Roy, ecrivit en Cour que le Roy d’Angleterre s’estoit plaint que l’on faisoit trop d’honneur à ses gentilshommes envoyez, luy ne les traitant ny ne leur envoyant des carrosses pour aller à l’audience, et que si le Roy le vouloit encore ainsi faire à l’avenir, il falloit doresnavant adjouster cet article à leurs traitez. On pense à ce sujet à l’audience de congé de ces deux messieurs ne les traiter ny leur donner les carrosses, mais on voulut achever de leur faire comme on avoit commencé, et fut des lors resolu de ne traiter ainsi plus ceux d’Angleterre. Le mesme jour, le sieur Knuit, deputé des Estats, la Reyne mere estant en Holande, estant venu pour ses affaires, s’estant rendu à Saint Germain, y eut audience de Leurs Majestez sans aucune ceremonie.
[p. 792] Le vingt cinquieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre le comte Henry de Nassau, gentilhomme envoyé de la part du prince d’Orange pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Ledit de Berlize luy porta un diamant de mil ecus.
Le vingt huitieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur de Ludmar, gentilhomme envoyé du prince palatin, pour le conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy envoya à disner.
Au mesme mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Demsky, soy disant gentilhomme envoyé de Polongne pour s’avancer quelques jours de voir le Roy, disant estre pressé, estant venu au sujet du prince Cazimir, frere dudit roy, prisonnier à Salon en Provence, demanda à voir Leurs Majestez sans ceremonie. Ce qui fut fait, s’estant rendu à Sainct Germain, ledit sieur de Berlize leur presenta, et comme il demanda congé, se mettant en pretention d’estre traité comme les gentilshommes envoyez, on luy demanda son passeport, où ayant trouvé qu’on le luy donnoit aucune qualité, on luy refusa de le traiter comme les gentilshommes envoyez, et on l’obligea de se rendre encore à Sainct Germain seul, où le mesme de Berlize le presenta encore à Leurs Majestez pour en prendre congé sans aucune ceremonie, et mesme partit sans avoir de present.
Ledit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur extraordinaire de Mantoue et le marquis Agnelly, son neveu, gentilhomme envoyé de madame de Mantoue pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez et de mondit seigneur le Dauphin, où le Roy leur donna à disner. A la fin de decembre, il en fut prendre congé en la mesme sorte, puis ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs.
Audit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Tasson, envoyé du duc de Parme pour se resjouyr de la naissance dudit seigneur le Dauphin, n’ayant veu ny le Roy ny la Reyne, estant tombé malade, le sieur Leonard, agent ordinaire, ayant fait l’office, le sieur de Berlize porta audit Tasson un diamant de cinq cens ecus.
Au mois de decembre 1638, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le baron de Pesieux, gentilhomme envoyé de madame, pour donner part au Roy de la mort du petit duc. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner, et prit congé le 25 decembre en la mesme façon. Ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs, puis s’en aller en Flandres trouver le prince Thomas, avec la permission du Roy, pour luy donner aussi part de cette nouvelle.
[p. 793] Le trentieme janvier mil six cens trente neuf, le mareschal de Sainct Luc et le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Piquepuce au devant du baillis de Forbin, grand croix et ambassadeur extraordinaire de Malte, et le conduisirent à l’hostel de Sillery, son logis, avec un cortege de soixante carrosses à six chevaux. Tous les princes, ambassadeurs catholiques et quantité de seigneurs ayans envoyé au devant de luy, n’ayant esté ny logé, ny defrayé. Le lendemain, le sieur de Liancourt l’alla visiter de la part du Roy. Le treizieme fevrier, le mareschal de Sainct Luc et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner devant que d’y aller. On mit en deliberation s’il se couvriroit ; enfin le comte de Brulon qui en parla au Roy, Sa Majesté se souvenant que le commandeur de Fromigere, ambassadeur extraordinaire de Malte, estant aussi François et capitaine au regiment de ses gardes, s’estoit couvert, resolut qu’il se couvriroit, mais qu’il en useroit modestement et avec respect, comme il fit, ayant fait une petite harangue couvert, apres il parla encore quelque temps au Roy decouvert, comme il fit à la Reyne. Veid aussi monseigneur le Dauphin, estant venu principalement pour se resjouyr avec le Roy de sa naissance, puis les princesses du sang, qu’il baisa, monseigneur le Prince, qui luy donna la main et le titre d’Excellence, et le cardinal de Richelieu. Le dixieme avril, il prit congé de Leurs Majestez, conduit par les mesmes et en la mesme façon à Sainct Germain. Le comte de Brulon luy porta une boette de portrait de diamans de la valeur de quarante mille livres. Puis il partit, non pour retourner à Malte, mais pour aller commander les galeres du Roy en qualité de lieutenant general.
Le quatrieme avril mil six cens trente neuf, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur Gontery, general des Postes et de la maison de madame et son gentilhomme envoyé, pour les conduire à Sainct Germain, où le Roy leur donna à disner. Et apres fut conduit à l’audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin. Le quatorzieme du mesme mois, il en prit congé en la mesme sorte. Il luy fut porté une chaisne d’or de quatre cens ecus.
Le vingt huitieme may mil six cens trente neuf, le comte de Brulon conduisit à Saint Germain l’ambassadeur de Savoye, le jeune comte de Moret et le baron de La Croix, tous deux gentilshommes envoyez de madame, dans les carrosses du Roy et de la Reyne. Le Roy leur donna à disner, puis ils eurent audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin, qu’ils ne veirent que cette fois. Il leur fut donné à chacun un diamant de deux mille livres. »

Récit du baptême de Louis XIV dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 324] Les ceremonies du baptesme de monseigneur le Daufin
J’aurois grand sujet de craindre que tant de hauts mysteres qui se presentent si souvent à ma plume, ne pouvans estre traitez dignement pour la briesveté du temps que me prescrit la coustume et l’humeur de nostre nation, ne me donnassent rang entre les moindres escrivains si je n’affectois moins la qualité d’orateur que celle d’historien. Auquel devant suffire le recit de ce qui s’est passé, et la narration la plus simple estant la meilleure, j’espere de l’equité de mon lecteur qu’il ne condamnera pas mes petits ouvrages pour le defaut des ornemens que je ne cherche point, bien qu’ils fussent ailleurs necessaires en des matieres de telle importance que celles que je traite.
Le Roy ayant desiré que l’on baptizast monseigneur le Daufin, Sa Majesté, en tesmoignage de l’estime qu’elle fait du prince de Condé et du cardinal Mazarin, et de l’affection qu’elle a pour leurs personnes, a voulu que la princesse de Condé et Son Eminence eussent l’honneur de tenir mondit seigneur le Daufin sur les fonts et d’estre ses parein et mareine.
Pour cet effet, le vingt unieme de ce mois d’avril 1643, [p. 324] sur les quatre à cinq heures apres midi, la Reine, accompagnée de la princesse de Condé, de la comtesse de Soissons, de la duchesse de Longueville et d’autres princesses et dames de la Cour, passa par la porte qui respond de son appartement dans l’eglise du vieil chasteau de Saint Germain, dont le chœur et la nef, le jubé et tribunes ou galeries estoyent desja remplis de plusieurs seigneurs et dames et autres personnes accourues en grand nombre pour assister à cette ceremonie. Monseigneur le Daufin marchoit devant Sa Majesté et la dame de Lansac, sa gouvernante, derriere lui. Il estoit vestu par dessus son habit ordinaire d’une robe de tafetas d’argent.
A leur arrivée, la Musique du Roy, qui estoit au jubé, son lieu ordinaire, chanta un motet fort harmonieusement, pendant lequel la Reine, s’estant mise de genoux sur son prié Dieu garni de son drap de pied et quarreaux de velours rouge cramoisi à franges d’or, et monseigneur le Dauphin aussi à genoux auprès de Sa Majesté, et à sa droite la princesse de Condé se tenant aussi à genoux, à sa gauche l’evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, vestu de ses habits et ornemens pontificaux, accompagné de quatre des aumosniers de Sadite Majesté, en presence [p. 326] des evesques de Beauvais, de Viviers, de Riez, de Saint Pol, de Coutances et du Puy, tous en rochet et camail, de plusieurs abbez et de tout le clergé de la chapelle du Roy, sortit de sa sacristie, et après avoir adoré le saint sacrement, qui estoit exposé sur le maistre autel extraordinairement paré et brillant de plusieurs gros luminaires de cire blanche, il s’approcha du prié Dieu de la Reine, laquelle luy presenta monseigneur le Daufin, qui fut ensuite elevé par sa gouvernante sur l’appui ou accoudoir dudit prié Dieu.
Puis le cardinal Mazarin, qui avoit aussi accompagné la Reine, passa à la main droite de monseigneur le Daufin, et la princesse de Condé de l’autre costé, selon l’ordre observé en l’Eglise entre les pareins et mareines, de laquelle dignité il a pleu au Roy les honorer, Sa Majesté leur ayant tesmoigné de sa propre bouche que c’estoit pour obliger encor plus estroitement le prince de Condé et Son Eminence à son service et à celui de monseigneur le Daufin, son fils, qu’Elle leur faisoit cet honneur, qui est le plus grand qu’eux ni autres pouvoyent jamais recevoir.
Alors la Reine, tenant par derriere mondit seigneur le Daufin, qui parut beau comme un [p. 327] ange et fit voir en toute cette action une modestie et retenue extraordinaire à ceux de son aage, l’evesque de Meaux, qui l’avoit ondoyé comme vous avez sceu le jour de sa naissance, ayant salué Sa Majesté, la mitre en teste, demanda ausdits parein et mareine le nom qu’on vouloit imposer à ce prince. La princesse de Condé ayant fait grand compliment à Son Eminence, puis une reverence à la Reine, le nomma Louis suivant l’intention de Sa Majesté. Ensuite de quoi l’evesque continua l’office selon le rituel romain, suivant lequel il exorciza, benit le sel et en mut dans la bouche de ce prince, qui le receut fort pieusement et avec une humilité qui ravit toute l’assistance en admiration. Puis la Reine lui ayant, ainsi qu’il se pratique en telles ceremonies, descouvert la poitrine et les espaules, l’evesque officiant lui appliqua les saintes huiles des cathecumenes, et à toutes les trois fois que l’evesque lui dist « Ludovice abrenuncias Sathanae, pompis et operibus ejus », il respondit lui mesme autant de fois « abrenuncio », comme aussi aux trois interrogations qu’il lui fit sur sa creance, selon les termes du mesme rituel, il respondit hardiment autant de fois « credo ». Alors l’evesque lui declara qu’il estoit introduit dans l’Eglise, et tant les parein et mareine que ledit evesque et tous les assistans [p. 328] reciterent avec le prince à haute vois le symbole des apostres et l’oraison dominicale. Puis l’evesque, obmettant l’infusion de l’eau (qui avoit, comme j’ay dit, esté faite à ce prince à sa naissance et qui ne se reitere jamais), la Reine lui descouvrant la teste, l’evesque lui en oignit le sommet avec le saint chresme. Ce fait, il lui mit sur la teste le chresmeau, recitant aussi les mots du rituel sur ce sujet, et lui presenta le cierge ardent qu’il prit lui mesme à deux mains, et le tint seul durant le reste de la ceremonie. A la fin de laquelle, l’evesque officiant monta à l’autel et donna la benediction solenelle que toute l’assistance receut à genoux, et la Musique du Roy chanta encore ensuite, puis chacun s’en retourna merveilleusement satisfait d’avoir assisté à cette auguste ceremonie, laquelle fut fermée par un remerciment que ce prince vint faire jusques dans la sacristie à l’evesque qui l’avoit baptisé, donnant par ces premices un prejugé et une esperance certaine de ce qu’il faut attendre de lui quand la vigueur de l’aage aura poussé au dehors les bonnes semences de la vertu que sa naissance lui a fournies et que les bons preceptes et exemples domestiques lui cultivent sans cesse. »

Récit par Nicolas Faure, seigneur de Berlize, d’audiences accordées par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Au mois d’octobre de ladite année mil six cens trente cinq, l’ambassadrice d’Angleterre me demanda audience de la Reyne, ce qui fut fait comme il ensuit. Premierement, elle se rendit dans le carrosse de Sa Majesté à Saint Germain, et je la receus là de la part de la Reyne à moitié du degré par lequel on va à la descente. Puis la dame de Senecey, dame d’honneur, la receut à l’entrée de la chambre du sieur Bouthillier, où elle se reposa en attendant que l’on eust servy sur table en la chambre de la descente. Apres le disner, la Reyne luy donna audience, et puis s’en revint à Paris coucher. Je ne fus chez elle à cause de son mary l’ambassadeur, lequel ne vouloit vivre avec nous comme ses predecesseurs ; il estoit demeuré d’accord qu’il ne seroit au logis lorsque j’irois pour la prendre avec le carrosse de la Reyne, neantmoins je n’en voulus rien faire.
Le sixieme decembre mil six cens trente cinq, je menay à l’audience chez le cardinal de Richelieu le fils naturel du roy de Dannemarck, lequel estoit seulement envoyé. Il venoit icy pour dire au Roy que certains marchands françois estoient allez pescher en leurs costes avec un passeport dudit cardinal comme admiral de la mer, que luy, comme ayant le commandement de la pesche l’année prochaine mil six cens trente six, il avoit eu ordre du roy de Dannemarck de venir scavoir comme il en ordonneroit à ses sujets, d’autant que cela luy feroit tort avec les roys ses alliez, lesquels pour avoir la permission de ladite pesche donnoient une certaine somme tous les ans que leurs sujets payoient. Il desiroit aussi avoir une sauvegarde pour un comte souverain d’Alemagne qui confine vers la Pomeranie, parent de son roy, afin que les troupes du Roy n’allassent sur ses terres, ayant esté neutre dans toutes les guerres d’Alemagne. Il eut audience du Roy à Sainct Germain le vingtieme, et fut traité.
Le marquis de Bade de la branche de Durlach eut audience du Roy le vingt quatrieme de decembre, et fut traité à Sainct Germain. Je pris le sieur de La Meilleraye, comme officier de la couronne, pour le conduire. Il parla au Roy decouvert, quoyque souverain et prince de l’Empire, neantmoins les Alemans n’ont cet honneur, quoyque les ambassadeurs des princes d’Italie parlent couverts au Roy. Il presenta au Roy deux de ses enfans, lesquels il laissa à Paris à l’academie, et pour faire leur cour à Sa Majesté.
Le huitieme mars mil six cens trente six, encore que je ne fusse pas en charge, neantmoins à cause que le comte de Brulon estoit pres le duc de Parme, j’eus commandement d’aller trouver le duc Bernard de Weymar de Saxe, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, à Lagny sur Marne, où le comte de Guiche qui l’estoit allé trouver de la part du [p. 798] cardinal de Richelieu à Meaux l’emmena, luy ayant dit que j’estois là pour le recevoir de la part du Roy, comme je fis. J’y menay trois ou quatre de mes amis, qui le saluerent. Apres quoy je le conduisis à Champ, où les sieurs de Croisilles, maistre d’hostel du Roy, et Parfait, controlleur general, l’attendoient avec tous les officiers de la maison du Roy pour le traiter. Ledit cardinal avoit dit qu’on luy donnast à disner à Lagny, mais à cause de la difficulté qu’il y avoit pour les officiers d’aller à six lieues de Paris pour apres le disner venir apprester le souper à l’arsenac, où il devoit loger, je le fis venir disner à Champ, ce que le Roy trouva depuis avoir esté fait à propos. Le duc de La Trimouille le vint recevoir à Champ, au sortir de son disner, de la part du Roy, accompagné de vingt carrosses et de quantité de noblesse. Apres les compliments faits, ledit sieur de La Trimouille monta dans le carrosse du Roy avec le duc de Weymar, les comtes de Guiche et de Nassau, et moy, et passasmes au travers du bois de Vincennes. Il fut salué par la garnison en passant, et veid plusieurs carrosses le long du chemin jusques à l’arsenac, où il fut logé dans le plus beau departement, qui estoit meublé des meubles du Roy. Le lendemain de son arrivée, neufieme du mois, il ne voulut voir personne avant le Roy. Il avoit amené avec luy les comtes de Nassau, baron de Friberg et de Ponika, qui estoit celuy sur lequel il se reposoit de toutes ses affaires. Le dixieme du mois de mars, je le menay à l’audience avec le sieur de La Trimouille à Sainct Germain en Laye. Quand je fus arrivé, je fus trouver le Roy dans son cabinet, où il estoit, auquel je dis son arrivée. Il me demanda s’il se couvriroit ; je luy repondis que je n’en scavois rien et que je l’avois demandé au cardinal de Richelieu, lequel m’avoit dit qu’il ne se devoit couvrir, que neantmoins je craignois qu’il ne fust en cette volonté, et que sur ce que j’avois pressé le sieur de Chavigny la dessus, il m’avoit dit que si je luy parlois de cela, que ce seroit luy donner lieu de pretendre une chose à laquelle, peut estre, il ne pensoit pas, que si toutesfois il vouloit, je presentirois bien dudit Ponika s’il estoit dans cette pretention, mais que je ne luy en parlerois de peur qu’on ne dist que je serois cause de tout ce qui en arriveroit ; que quant à moy, je croyois qu’il seroit dans cette pretention, et luy alleguay ce qu’il avoit fait à l’evesque de Wirtzbourg, duc de Franconie, à Mets, lequel comme souverain de l’Empire s’estoit couvert, que celuy cy estoit de la maison de Saxe et que ce qui luy feroit plustost desirer estoit le duc de Parme, auquel le Roy avoit fait cet honneur, et que celuy cy s’estimoit bien d’autre maison. Avec toutes ces raisons, et autres que je dis des ambassadeurs d’Italie, qui se couvrent devant le Roy, Sa Majesté resolut que je ne luy en parlerois, ains le sieur de Chavigny, et me commanda de l’aller querir. Je l’avois laissé dans le departement du surintendant à Sainct Germain, qu’on avoit meublé des meubles du Roy. Je luy dis que le Roy estoit prest à la voir. Le capitaine des gardes le receut à l’entrée de la salle. Ayant fait une humble reverence devant le Roy et son compliment, le Roy voulant se couvrir, il crut que Sa Majesté l’avoit invité à en faire autant, et en [p. 799] mesme temps voulu mettre son chapeau : le Roy, voyant cela, osta si promptement le sien que cela fut apperceu de peu de personnes, et parla tousjours decouvert. Puis il passa dans son cabinet, où Monsieur, frere du Roy, se trouva, et parlerent ensemble pres d’une bonne demi heure, où quelques fois aussi le Roy me faisoit l’honneur de me parler. Puis me dit que je le menasse disner, ce que je fis. Incontinent apres le disner, suivant le discours que j’avois eu dudepuis avec ledit sieur de Chavigny, je dis à Ponika que je croyois que le duc son maistre ne pretendoit pas vivre autrement chez la Reyne que Monsieur, frere du Roy, lequel ne se couvroit. Il me dit que son maistre avoit veritablement voulu se couvrir devant le Roy, d’autant que le duc de Parme se couvroit, et que je ne devois trouver estrange, d’autant qu’il y avoit eu des empereurs de la maison de son maistre avant qu’il y eut des gentilshommes dans celle du duc de Parme, et que, pour ce qui estoit de chez la Reyne, il ne se couvriroit. Je l’y menay, où Monsieur se trouva, et puis de là chez mondit seigneur frere du Roy, où Monsieur le fit couvrir, comme pareillement les ducs de La Trimouille et de Wirtenberg qui l’accompagnoient. Apres une visite d’une demie heure sans s’asseoir, je remenay ledit duc en sa chambre, de laquelle nous partismes pour aller à Ruel.
[…]
[p. 807] Le marquis de Sainct Germain, maistre de la garderobbe de Son Altsse de Savoye, fut envoyé à Paris pour apporter la nouvelle d’une defaite d’Espagnols. Je le menay à l’audience, et l’ambassadeur de Savoye aussi. Dans le temps qu’il fut à Paris, le duc de Savoye mourut. Il prit congé au mois d’octobre sur la fin, et veid le Roy vestu de drap violet selon la coustume, et la Reyne et les dames avec leur grand voile, à Sainct Germain, où je le menay à sa derniere audience. Le sieur de Chavigny luy fit faire son present par le sieur de La Barde, son premier commis. Ce qu’ayant sceu, avant que de m’en vouloir plaindre, je luy fis demander le sujet et s’il avoit eu cet ordre du Roy. Il me dit que non, mais que d’autant que je luy avois envoyé demander par Gyraut, auquel il ne voulut donner le present, et voyant que je n’avois esté moy mesme chez luy, il l’avoit envoyé par ledit de La Barde, qu’il ne pretendoit tirer cela à consequence. Je luy repartis qu’il me devoit bailler le present entre mes mains et non en celles d’une personne qui n’estoit au Roy et qu’il devoit faire là-dessus ce que les conducteurs des ambassadeurs luy diroient. […]
[p. 808] Le marquis de Parelle, un des quatre premiers escuyers du duc de Savoye, vint à Paris au mois d’octobre mil six cens trente sept pour supplier le Roy de la part du duc de Savoye et madame de les prendre en sa protection, et les supplier de croire qu’ils n’avoient autre volonté que l’execution des commandemens de Sa Majesté, que pour cet effet madame n’avoit voulu voir le cardinal de Savoye qui estoit à Savonne. Je le menay à l’audience à Saint Germain avec l’ambassadeur de Savoye. Il fut traité à disner et, le dix neufieme novembre, il prit congé du Roy en mesme lieu, et fut aussi traité. Le lendemain, je luy donnay un diamant de la part de Sa Majesté.
[…]
[p. 809] Le comte de Cumiane, maistre des ceremonies de Savoye, vint à Paris au mois de janvier 1638. Il fut conduit selon l’ordinaire à l’audience par le comte de Brulon, mon compagnon, à Saint Germain. Le sujet de son voyage estoit pour supplier le Roy de la part de la duchesse de Savoye que le père Monet, jesuite, ne s’en allast de Savoye, selon que Sa Majesté avoit tesmoigné le desirer de Son Altesse. Le comte de Cameran fut envoyé ensuite de Sadite Altesse pour se resjouyr de la continuation de la grossesse de la Reyne. La reyne d’Angleterre aussi envoya un gentilhomme françois, nommé Tarteron, pour se rejouyr de la mesme grossesse.
[…]
Incontinent apres la naissance de monseigneur le Dauphin, tous les ambassadeurs eurent audience : le comte de Leicester et le vicomte de Scudamor l’eurent aussi, et y amenerent les sieurs de Sainct Ravy et Germain, le premier envoyé de la part du roy d’Angleterre et le second de la reyne pour se resjouyr de la naissance dudit seigneur le Dauphin. Je les fus prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne, et furent traitez à Saint Germain. Le sieur de Chavigny me demanda pourquoy je leur avois baillé les carrosses du Roy et de la Reyne. Je luy dis estre la coutume. Il me dit que le roy d’Angleterre s’estoit plaint de ce qu’on avoit fait trop d’honneur aux gentilshomme qui venoient de sa part, et nommément à un nommé Tartereau, que sir le Roy les [p. 810] vouloit traiter de cette façon, qu’il falloit qu’il les traitast ainsi et qu’ils en demeurassent d’accord, et qu’il falloit adjouster cela par un article à leurs traitez. Le sieur de Bullion me dit le sieur que le sieur de Bellievre, qui estoit lors pour le Roy ambassadeur en Angleterre, luy en avoit escrit, et me monstra la lettre. […]
Le vingt cinquieme octobre mil six cens trente huit, le comte Henry de Nassau eut audience du Roy, et eut les carrosses. Apres plusieurs difficultez qu’il y eut sur la façon dont on le traiteroit, et apres que j’eus representé plusieurs raisons, il fut resolu qu’il seroit traité comme ceux des princes souverains. Il estoit envoyé pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin.
Le vingt sixieme octobre, je fus prendre à l’hostel de Venize le sieur de Luthmar, gentilhomme envoyé de la part du comte palatin, electeur, et son conseiller d’Estat, dans les carrosses du Roy et de la Reyne. Il eut audience de Sa Majesté, et fut traité.
Le sieur Demsky, gentilhomme envoyé de la part du roy de Polongne, eut audience du Roy et de la Reyne. Il estoit venu demander, de la part du roy son maistre, le prince Cazimir son frere, lequel allant au service du roy d’Espagne avoit esté jetté par la tempeste, estant sur la mer, en un port de Provence, où il avoit esté arresté. Il n’eut ny carrosses ny ne fut traité, pource qu’il aima mieux avoir son audience prompte et n’estre traité que d’attendre longtemps et les avoir : ainsi le fit il entendre apres luy avoir offert de la part du Roy que, s’il vouloit attendre deux ou trois jours, qu’il seroit traité comme les autres. Il aima mieux aller à l’audience un jour qu’on traitoit des ambassadeurs envoyez d’Angleterre. Lorsqu’il prit congé du Roy, il fut traité de la mesme façon.
Le marquis Agnelly, gentilhomme envoyé de la part du duc de Mantoue, eut audience du Roy en octobre, et s’en retourna en decembre de la mesme année mil six cens trente huit. Je le fus prendre au logis de l’evesque de Cazal, son oncle, ambassadeur extraordinaire de Son Altsse de Mantoue, dans les carrosses du Roy et de la Reyne, et fut traité en la premiere et derniere audience.
En fevrier mil six cens trente neuf, arriva à Paris le bailly de Fourbin, [p. 807] commandeur et grand croix de l’ordre de Malte, lequel je fus recevoir avec le mareschal de Sainct Luc à Piquepuce chez les religieux de Sainct François. Il y eut difficulté de la façon avec laquelle on le recevroit ; neantmoins le Roy jugea qu’il se devoit couvrir. Le comte de Brulon le mena à l’audience avec le mareschal de Sainct Luc, où il fut couvert, et en usa fort discretement, se couvrant seulement un peu pour dire qu’il le pouvoit, et puis se decouvrit à l’heure mesme comme luy avoit dit le comte de Brulon et moy aussi qu’il devoit faire, attendu qu’il estoit François. Il y eut bien de la difficulté pour le faire couvrir, laquelle à la fin fut vaincue par les exemples qu’on rapporta des sieurs de Ville, envoyé de la part du duc Charles de Lorraine, et du commandeur de Fourmigeres, envoyé il y avoit plusieurs années de la part du grand maistre de Malte.
L’an 1640, le 8 mars, le prince Cazimir, frere de Wladislas IV du nom, roy de Polongne, et fils du feu Sigismond, aussi roy de Polongne, ayant esté invité de disner avec le Roy à Sainct Germain en Laye, 1. Le Roy quittant sa chaire fut environ cinq ou six pas au devant de luy, 2. et ayant fait une humble reverence devant Sa majesté et son compliment, le Roy se couvrant, il se couvrit presque en mesme temps, 3. il presenta la serviette à Sa Majesté, 4. et fut assis sur un escabeau pliant, sur lequel estoit un carreau de veloux, trois places loin de la chaire du Roy du mesme costé, il s’assit quelque peu apres que le Roy fut assis, 5. la chaire du Roy estoit de veloux, 6. ce prince n’avoit point de dais au dessus de luy, 7. les plats et les viandes estoient de mesme que ceux du Roy et en pareil nombre, mais les plats du Roy estoient couverts et ceux dudit prince decouverts, 8. l’on presenta sur la fin du disner des dragées au Roy et non au prince, 9. il fut le mesme jour chez la Reyne, qui estoit dans le lict, où on luy donna un tabouret et ne se couvrit point devant Sa Majesté, 10. sur le soir il fut saluer le cardinal de Richelieu en son hostel à Paris, qui le receut et l’accompagna ; il veid aussi monseigneur le Dauphin. »

Récit de la naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« L’heureuse naissance de monseigneur le Dauphin, à present le roy Louis XIV, fils du feu roy Louis XIII et d’Anne d’Austriche, regente en France, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, le dimanche 5 septembre mil six cens trente huict, sur les unze heures du matin
[…]
[p. 211] Si le dernier siecle a attribué à la sage conduite de fernel, premier medecin de Henry II, ce que Catherine de Medicis eut des enfans apres avoir esté dix ans sterile, on ne peut en ce rencontre obmettre la benediction que Dieu a voulu estendre sur les soins des medecins de Leurs Majestez, qui ont porté leur santé jusqu’au poinct de rendre la France si heureuse par cette tant illustre et desirée naissance, et d’autant plus merveilleuse qu’aucune des autres n’est arrivée apres une patience de tant d’années, comme si Dieu eust reservé à ce siecle un concours de tous ces precedés miracles.
Cette heureuse grossesse a esté miraculeusement predite à la Reyne peu auparavant qu’elle avint, et elle avoit esté tellement exempte des fascheux symptomes qui accompagnent les autres en cet estat que l’on avoit par là matiere d’en douter jusques au mouvement, et depuis iceluy Sa Majesté et son fruict se porterent si bien que, decouvrans l’imposture de ceux qui se pensoient signaler par la prediction du jour de cette delivrance, et verifians au contraire ce que dit Hippocrate des plus vigoureux enfans, cettuy cy entra bien avant en son dixiesme mois. Ainsi l’antiquité figuroit les heros, ou demy dieux, toujours plus longtemps que les autres dans le ventre de leur mere. Donc de Dauphin, à present Roy, en est finalement sorty, et la Reyne, apres un travail de quelques heures, accoucha le cinquiesme septembre, peu avant midy, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, d’un prince que sa beauté et proportion accomplie de toutes les parties de son corps rendit des lors par moins aymable que cette masle vigueur [p. 212] qui luisoit desjà au travers de ses membres enfantins, promettoit de trophées. Ce celebre accouchement se fit en presence des princesses et dames de la cour, accourues en foule pour avoir part à cette extreme joye, que quatre dauphins argentez d’un grand obelisque planté devant le vieil chasteau de Sainct Germain ayderent à epandre dans le peuple avec le vin qu’ils verserent tout le soir, et continuerent le reste de la nuict en grande abondance.
A l’instant toute la ville de Paris s’appresta à en temoigner sa joye par des actions de graces solennelles à Doeu dans ses eglises, par un concours des peuples qui y fourmillent et s’entr’annonçoient cette bonne nouvelle, par des feux de joye allumez dans les rues, accompagnez des cris de Vive le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, et par une agreable bigarure de lumieres des fenestres innombrables de ce petit monde, le bruit redoublé de quarante canons et de trois cents boettes de l’arsenal ayant devancé cette magnificence et annoncé à l’univers cette naissance.
Particularitez de la susdite naissance de monseigneur le Dauphin et de ce qui se passa ensuite à Sainct Germain et à Paris
Ce n’est pas assez d’avoit dit en gros et avec peu de circonstances que la Reyne est accouchée d’un Dauphin, une des meilleures et plus agreables nouvelles qui se puissent gueres donner au public, mais encore qu’une familiere narration des circonstances de ce qui s’y est passé de plus remarquable doive sembler à quelques uns indigne de la majesté de ce benefice inenarrable du ciel, il faut mieux le rendre intelligible par un discours accommodé au vulgaire que par une reverence injurieuse au public, le laisser ensevely dans l’oubly du temps qui n’enveloppe souvent pas moins la verité qu’il la decouvre. Doncque pour y satisfaire, une année auparavant un religieux avoit adverty la Reyne qu’elle devoit accoucher d’un fils, asseurant en avoir eu la revelation ; et pour ce que les souhaits de toute la France ne tendoient que là, les premiers signes qui ont coustume d’accompagner la grossesse des femmes ne parurent pas plustost en la Reyne qu’un chacun le crut aisement : ce ne furent plus des lors que neufvaines, voyages et vœux, particulierement à la Vierge et à Saincte Anne, par l’intercession desquelles on a cru cette grossesse avoir esté impetrée du Ciel. On vit ensuite toute la France humiliée devant Dieu pour luy demander par ses pieres de quarante heures et autres devotions sans nombre la conservation de ce fruict royal : cependant qu’il estoit au ventre maternel, tous, ou par le desir qu’ils en avoient, ou par les signes naturels, ou autrement, ont tousjours predit que ce seroit un fils ; mais peu de personnes se sont rencontrées de mesme advis touchant le terme de l’accouchement, aucuns ayant asseuré que ce seroit au vingt deuxieme, autres au vingt cinqieme aoust, jour de sainct Louys. On tient que celuy qui en approcha le plus estoit un certain vacher nommé [p. 213] Pierre Roger, du village de Saincte Geneviesve des Bois proche Paris, lequel, tesmoignant d’ailleurs une simplicité et une ignorance fort grossiere, avoit dit que la Reyne accoucheroit le samedy quatriesme de septembre, et ce fut le dimanche cinquiesme. Ce qui donna lieu aux uns d’approuver son progonostic, soustenans que les predictions qui viennent de Dieu ne sont pas si precises que celles des mathematiciens qui designent les oppositions et autres aspects des corps celestres mille ans avant le mesme poinct auquel elles arrivent, et les autres que la difference des choses miraculeuses d’avec les naturelles se reconnoist principalement en ce que les premieres sont parfaites et exactes, les autres non, le seul poinct et moment prefix auquel arrive la chose predite estans celuy qui peut faire distinguer la prophetie de l’imposture, auquel point mesme le hazard peut faire arriver, comme un mauvais archer peut donne une fois dans le blanc. De quoy on laisse la decision à d’autres, pour dire que ce dimanche cinquiesme dudit mois de septembre, sur les deux à trois heures du matin, la Reyne commença de sentir les vrais signes du travail d’enfant, ce qu’elle en avoit eu sur les unze heures du soir precedent s’estant aussitost passé. Elle voulut que l’evesque de Lisieux dit la messe dans sa chambre sur les quatre heures du matin, et comme par son commandement le sieur Seguier, evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, se disposoit à en dire une autre, les douleurs s’augmentans, on alla avertir le Roy, lequel la vint voir. Mais, prenant le soin de la santé du Roy, qu’elle scavoit avoir lors besoin d’aller prendre son repas, l’en pressa tant que Sa Majesté s’y en alla. Enfin, c’estoit sur les unze heures du matin, le Roy ne venoit que de se mettre à table, n’y ayant pas un quart d’heure qu’il avoit quitté la Reyne, lorsqu’on luy vint dire qu’elle accouchoit. Il y court. Des l’entrée, la marquise de Senecey, dame d’honneur de la Reine, dit à Sa Majesté que la Reyne estoit accouchée d’un Dauphin, et la dame Peronne, sage femme qui l’avoit assistée à son travail, par le conseil des medecins et chirurgiens de Leurs Majestez, et plus experimentez en telles affaires, le fit voir au Roy, et luy fit remarquer sa beauté et grandeur extraordinaire. A l’instant chacun cria : C’est un Daufin, c’est un Daufin, et cette parole se porta aussi viste qu’un esclair par toute la cour et par tout Sainct Germain, d’où mille messagers, avec charge et sans charge, l’espandirent si promptement au loing que, bien que cette heureuse naissance ne fut arrivée, comme a esté dit, que sur les unze heures et un quart avant midy du cinquiesme de ce mois de septembre 1638, un courrier arrivé à Paris le septiesme ensuivant asseura en avoir appris la nouvelle à soixante lieues au loing.
Le Roy, voulant aussitost rapporter toutes ces faveurs et benedictions au ciel, mit les genoux en terre et remercia Dieu de cette cy. Les eglises de Saint Germain et des peres recollets estoient encor remplies de seigneurs et dames qui estoient allées, la pluspart avant le jour, communier et faire leurs autres devotions pour les mesme sujet, lorsqu’ils y apprirent l’agreable nouvelle de cet heureux accouchement, [p. 214] qui se fit en presence de Monsieur, frere unique du Roy, duc d’Orleans, lequel temoigna à l’instant à Sa Majesté le contentement qu’il en recevoit, comme Sa Majesté luy confirma aussi de sa part toutes les asseurances d’une affection cordiale. Mesdames les princesses de Condé, comtesse de Soissons, duchesse de Vendosme, connestable de Montmorency, duchesse de Bouillon La Mark et autres de grande condition y estoient aussi presentes, outre les dames de Senecey, de La Flotte et autres de la Maison de la Reyne, dans la chambre et à la veue de laquelle ce tant souhaité Dauphin fut ondoyé par ledit sieur Seguier, son premier aumosnier, et fut fait participant de toutes les ceremonies et magnificences qui s’observent à l’imposition du nom. Où assisterent le Roy, Monsieur son frere, le chancelier de France arrivé peu apres l’accouchement, plusieurs autres seigneurs et dames qui y accouroient en foule, comme à la veue d’un miracle, le Roy ayant fait entrer dans la chambre de la Reyne tous ceux qui estoient dans l’antichambre pour les rendre participans de cette joye, laquelle fit allumer des feux en plusieurs endroits de Sainct Germain. Les daufins de la fontaine de vin y continuoient cependant à le jetter depuis le matin, avec tel abord de peuple que quelque desordre y estant survenu obligea d’y mettre des gardes ; laquelle magnificence plusieurs partiucliers imiterent depuis à Paris, tel en ayant fait pleuvoir de son toict.
A une heure apres midy, le Roy alla faire chanter le Te Deum dans la chapelle du vieil chasteau, accompagné des Cent Suisses de sa garde, et suivy de Monsieur, du chancelier de France, des ducs de Montbazon et d’Uzez, des sieurs de Liencour, de Mortemar, de Souvré et du comte de Tresmes, et en un mot de toute la cour, qui estoit si grosse toute cette semaine qu’il estoit mal aisé de trouver giste à Saint Germain, encor qu’il y eust des gardes aux principales avenues qui n’en permettoient l’abord qu’aux personnes qui ne venoient point de lieu suspect de maladie. Le mesme evesque de Meaux y officia, vestu pontificalement, en presence de l’archevesque de Bourges l’ancien, des evesques de Lisieux, de Beauvais, de Dardanie et de Chaalons, ayant chacun le rochet et le camail, et de toute la chapelle du Roy, laquelle y fit merveille. Puis monseigneur le Daufnin, ayant esté alaité par la damoiselle de La Giraudiere, sa nourrice, les gardes en haye, fut porté en son appartement meublé de damas blanc, et mis entre les mains de la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante. Sa Majesté en ayant aussi envoyé donner avis à la ville de Paris par le sieur de Perrey Bailleul, maistre d’hostel ordinaire de sa Maison, le corps de ville en fit faire des le jour mesme un feu de joye à la Greve, et le lendemain un autre, des plus beaux qui s’y soit gueres veu. Le sieur de Laffemas, lors lieutenant civil, donna les ordres que les bourgeois en temoignassent aussi leur ressentiment par les feux de joye allumez dans les rues et par des lumieres aux fenestres, à quoy les Parisiens se porterent avec tant d’ardeur qu’au lieu d’un jour ils en continuerent trois ou quatre tout de suite. Le sieur [p. 215] du Tremblay, gouverneur de la Bastille, et le sieur de Sainctoust, commandant dans l’Arsenal en l’absence du grand maistre de l’Artillerie de France, y tinrent hautement leur partie, par un concert de boetes et canons qui firent part à tout le pais d’autour cette agreable nouvelle.
Il n’y eut maison religieuse qui n’ornast ses murailles de chandelles. Les jesuites, outre pres de mille flambeaux dont ils tapisserent leurs murs les 5 et 6, firent le septiesme dudit mois de septembre un ingenieux feu d’artifice dans leur cour, qu’un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumieres qui eclairoient un balet, et comedie sur le mesme sujet, representez par leurs escoliers. Les feuillans de la reue Neuve Saint Honoré firent le septiesme une aumosne generale de pain et de vin, emplissant les vaisseaux de tous les pauvres qui se presentrent, et apres une procession par eux faite chacun le cierge à la main, furent brusler un chasteau d’artifices, chantans le Te Deum au son des trompettes entremeslées du carillon de leurs cloches. Les bourgeois de la place Dauphine, ayant à leur teste des hautsboits et musettes conduits par Destouches, l’un d’eux, firent des resjouissances dignes du nom de leur place. Le Te Deum en fut aussi solemnellement chanté le sixiesme dans l’eglise Nostre Dame, et tous les religieux avec les parroisses firent lors des processions, où l’archevesque de Paris assista avec tout son clergé, accompagné des prevost des marchands et eschevins. Le parlement, chambre des comptes et autres cours allerent ensuite rendre leurs complimens au Roy et à monseigneur le Dauphin. Le huictiesme du mesme mois, l’evesque de Metz fit faire la procession generale dans le fauxbourg Saint Germain, dont il est abbé, et dont toutes les rues estoient tapissées. Bref, tout conspira unanimement à rendre graces à Dieu pour un si grand bien. Aussi, la maxime estant veritable que les choses se conservent par les moyens qui les ont produites : puisque ce Dauphin avoit esté obtenu par les vœux et prieres de tous les bons françois, c’estoit pas les mesmes prieres qu’il leur devoit estre conservé. »

Acte de baptême de Louis de Buade de Frontenac dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Led. jour, furent administrez les ceremonies du sacrement de baptesme par mons. l’archevesque de Tours, en la chappelle du vieil chasteau, en ma presence et de mon consentement, ayant porté les saintes huilles de l’eglise paroissialle, à Louys, nay filz nay le douziesme may 1622 de feu noble homme Henry de Buade, en son vivant conte de Paleau, gouverneur pour Sa Majesté des chasteaux de Sainct Germain, conseiller du Roy en ses conseils et premier maistre d’hostel dud. seigneur, et de madame Anne de Phelipeaux, le parrain Louys, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, la marraine tres haulte princesse Henriette de Bourbon, femme de tres hault prince mons. le duc d’Elbeuf. »

Récit des derniers jours et de la mort de Louis XIII au Château-Neuf, par Jaques Antoine, garçon de la chambre du roi

« [f. 184] Relation de la mort du roy Louis treize
Avant propos
Il sera remarqué que monsieur Antoine, qui a fait la relation ou le recit fidel de ce qui c’est passé pendant la derniere maladie et mort du tres glorieux et chretien roy Louis treize, d’heureuse mémoire, lequel a eu l’honneur de servir ce grand roy presqu’aussytost sa naissance, arrivée à Fontainebleau le 27e de septembre de l’année 1601, l’ayant toujours servy et suivit dans tous les lieux et voyages que Sa Majesté a faits dans tout son royaume en qualité de garçon ordinaire de sa chambre, principallement dans celuy de son mariage qui fut conclu avec la reyne Anne d’Autriche, infante d’Espagne, en la ville de Bourdeaux le 25e jour de novembre 1615 comme dans les guerres que le Roy avoit a soutenir contre des villes revoltées par les religionnaires de la pretendue reformée, qu’il fut obligé d’assieger comme Saint Jean d’Angelly en 1621, celuy de La Rochelle en 1628, de Montaubant en 1630 et bien d’autres places que Sa Majesté reduisient à son obeissance ; ensuite, Elle fut obligée de faire le voyage de la ville de Thoulouze pour le proces qui y fut fait à monsieur le marechal de Montmorency, lequel fut executé [f. 184v] dans l’hostel de cette ville le 31 octobre 1631, ledit sieur Antoine ayant toujours continué de servir ce grand prince avec assiduité et fidelité jusqu’à son deceds arrivé au chasteau neuf de Saint Germain en Laye le 14e de may 1643, feste de l’Assencion de Notre Seigneur, agé de 41 ans sept mois et dix huit jours, ayant regné 33 ans, en ayant esté l’un des tristes temoins, ce qui l’a obligé de faire ce recit tant pour sa consolation que pour eterniser la mémoire à la posterité de ce grand et pieux roy surnommé Louis le Juste.
In memoria aeterna erit justus.
[f. 185] Relation de la mort du roy Louis treize par monsieur Antoine, garçon ordinaire de la chambre de ce grand roy
Le jeudy 21e fevrier 1643, le roy Louis treize, d’heureuse mémoire, à qui ses rares vertus ont fait donner le surnom de juste, tomba malade d’un flux comme hepatique et d’une espece de fivre lente dans son château neuf de Saint Germain en Laye, où il demeuroit ordinairement les estées.
Cette maladie, qui ne le quitta point jusqu’à la mort, nonobstant qu’elle ne fut jugée d’abord dangereuse ny mortelle par les medecins qui ont accoutumée de flatter les grands roys et princes, la suitte leur fit bien connoiste en peu de temps qu’ils s’etoient trompez et que ce prince etoit en danger plus qu’ils n’avoient cru, sa maladie ayant durée deux mois et vingt trois jours, et par cette grande longueur luy avoit corrompu les entrailles et les parties nobles comme ont le remarqua apres son deceds. Sa Majesté ayant eu durant presque tout le temps de son mal de bons intervales pendant lesquelles Elles travailloit dans son conseil, alloit à la chasse et faisoit [f. 185v] les mesmes exercies que lorsqu’Elle avoit jouy d’une plaine santé.
Le vendredy 22e fevrier, Sa Majesté fut fort incommodée de son flux et de ses hemoroides, qui l’empescherent de sortir ce jour là. Elle ne voulut voir à son lever ny toute la matinée que ses domestiques. Mais, l’apres diner, Elle receue des visites dans sa gallerie où elle prit le divertissement de la musique jusqu’à son souper, qui fut fait en particulier, avec les seuls officiers de gardes, ainsy que du coucher.
Le samedy 23e fevrier, de petits remedes qu’on luy donna la nuit le soulagerent de ses hemoroides. Elle continua d’en estre soulagée jusqu’au mardy 26e, qu’Elle tint conseil au chevet de son lit. Ce jour, Sa Majesté declara monsieur le duc d’Anguin, fils de monsieur le prince de Condé, generalisime de son armées de Flandres.
Le mercredy 27e jusqu’au samedy dernier febvrier, le Roy se trouva bien mieux et fit les mesmes exercices qu’en plaine santé. Il alla à la chasse dans la forest et se promena dans le parc et dans la maison du Val, qu’il avoit faite rebastir pour y aller faire des retours de chasses ou toutte la court se trouvoit.
Le dimanche premier mars, Sa Majesté continua à se bien porter et de n’avoir point eu d’insomnie ny d’alteration, ayant envoyé monsieur Bontemps, son premier vallet de chambre, querir la Reyne et messieurs ses enfans pour le divertir pendant son diner dans son appartement, où ils demeurent jusqu’au souper. Le coucher de ce jour là finit par la lecture ordinaire que Sa Majesté fit faire jusqu’à ce qu’Elle [f. 186] fut endormie par le sieur Chicot, un de ses medecins de quartier, homme fort prudent et savant.
Le samedy 2e mars, Sa Majesté se trouva à son reveil un peu mieux que la nuit. On luy donna un bouillon qu’il trouva assez bon. Ensuite, il se leva pour diner, voulut y voir assez de monde, estant d’une assée bonne humeur. Ensuite, se promena dans toutes ses belles grottes, où il fit jouer toutes les machines et les eaux. Sa Majesté se trouva ainsy jusqu’au huitiesme dud. mois, tantost bien et mal, estant d’une foiblesse tres grande, passant le plus souvent la nuit dans sa chaisse de commodité.
Le samedy 9e mars, Sa Majesté se trouve bien plus mal, fut tourmentée tout le long de ce jour d’une coliques et des hemoroides, ne sachant dans quelle posture se mettre, ne pouvant se tenir ny couchée ny debout, ce qui le rendit d’un chagrin mortel. Sa Majesté ne voulut voir personne d’extraordinaire et fut si foible qu’Elle ne pouvoit se tenir d’aucune posture, ce qui dura ainsy jusqu’au mercredy 13e mars.
Le mercredy 13e mars, le Roy, en se reveillant, se trouva bien mieux. Il avoit assez bien passé la nuit, prit un bouillon. Ensuite, il dina assez bien, en particulier, dans son lit, en presence de la Reyne qui ne manquoit pas de le venir voir tous les matins. L’apres midy, il se promena en robe de chambre dans sa gallerie, qui est tres belle et peinte en tableaux d’histoire de Dianne. La Reyne, les princes et les princesses s’y trouverent avec beaucoup de gens de qualité pour le divertir. Il y fit plusieurs tours, soutenu sous les bras par monsieur de Souvray, premier gentilhomme de la chambre en année, et par monsieur de Charots, capitaines des gardes en quartier. Sa Majesté, s’etant trouvée lassée, demanda son fauteuil, qui luy fut apporté par Antoine [f. 186v] et Tortilliere, garçons de la chambre. Le Roy s’entretien avec la Reyne, ses enfans et les ministres jusqu’au souper, qu’il voulut faire en particulier, de mesme que le coucher où la lecture ordinaire fut faite par monsieur Lucas, secretaire du cabinet, tres sçavant homme.
Le jeudy 13e mars, quoyque Sa Majesté, qui s’estoit un peu fatiguée à la promenade du jour precedent, eut assez bien reposée la nuit, Elle continua à se mieux porter. On ne laissoit point de s’apercevoir que son corps diminuoit peu à peu, comme Elle ne prenoit que tres peu de nourriture et ne beuvoit presque point de vin et prenoit beaucoup de remedes, ce qui le rendoit sy foible.
Le vendredy 14e mars, le Roy, en s’eveillant, se trouva tres bien, qu’il avoit bien reposé la nuit. On luy donna un bouillon tres nourrissant. Il receu tous ce jour beaucoup de visites, jusqu’au souper en public. Le coucher fut fait à l’ordinaire avec la lecture.
Le samedy 15e mars au matin, le Roy ne se trouva pas si bien. Il avoit esté tourmenté la nuit d’une colique, ne se leva qu’à midy en robbe de chambre, se mit dans sa chaise, ayant prit un bouillon. Il receut quelques visites de la Reyne et d’autres personnes. Ensuite, messieurs ses enfans y vinrent passer quelques temps. L’apres diner, estant fatigué, il y fit un petit somme jusqu’à l’heure du souper, qu’il prit une panade et d’autres mets dans son lit avant que de se rendormir.
Le dimanche 16e mars, Sa Majesté se trouva fort mal à son reveil. Elle avoit mal passé la nuit, sentant [f. 187] des douleurs partout le corps. Elle estoit d’un chagrin mortel et ne vouloit prendre aucuns remedes que par force. Cela etonna les medecins, qui voyoient qu’Elle diminuoit à veue d’œil, et que leurs remedes avoient des effets contraires à ceux qu’ils en esperoient. On remarqua mesmes qu’Elle se portoit mieux lorsqu’Elle n’en prenoit pas sy souvent, mais il falloit se soumettre aux ordres de la medecine et mourir dans les formes, accident ordinaire aux grands seigneurs. On commença alors d’avoir une mechante opinion de la maladie de Sa Majesté. Tout le jour se passa en consultation de medecins que la Reyne fit venir de Paris et de tous les costez. Le Roy, sur le soir, fit pour se rejouir chanter quelques airs de devotion par les musiciens jusqu’à ce qu’il fut endormy.
Le lundy 17e mars et le lendemain mardy 18e, le Roy ne fut pas mieux que le jour precedent. Il ne voulut pas prendre son bouillon le matin, quoyque la Reyne et les princes l’en eussent instament prié. Sa Majesté ne voulut point à diner qu’une panade et passa toute cette journée assez mal jusqu’aux coucher, que monsieur Lucas fit la lecture ordinaire.
Le mercredy 19e mars, le Roy se trouva assez tranquille. Il etoit un peu affoibli par les remedes continuels et par les ptisannes que les medecins luy ordonnoient, ce qui luy donnoit un tres grand degoust pour toutes sortes d’alliments, ne voulut prendre toute cette journée que des bouillons.
Le jeudy 20e mars, le Roy continua à se porter toujours tres mal, n’ayant point reposé la nuit. Il luy survint dans les reins de nouvelles douleurs que l’on croyoit une colique nephretique, avec les hemoroides qui luy continuoient et qui le tourmenterent tous le jour sans discontinuer, jusqu’au [f. 187v] vendredy 21 dudit mois de mars, n’ayant d’autre remedes que d’y presser continuellement du lait chaud dans des eponges pour les rafraichir et les adoucir. Sa Majesté ne se leva que l’apres midy. Il se promenoit en robbe de chambre dans sa gallerie avec la Reyne et quelqu’autres personnes de qualité. Il voulu mesmes jouer aux echets avec monsieur de Souveray jusqu’au coucher, aimant fort ce jeu.
Le samedy 22e mars, Sa Majesté en s’eveillant dit qu’Elle avoit assez bien passée la nuit et qu’elle se trouvoit bien mieux que les jours precedens, ce qui fut attribué aux petits remedes qu’on luy avoit données pour le faire dormir. Elle se leva en public, ayant ordonné à monsieur de Souvray, premier gentilhomme de sa chambre, de faire entrer tous ceux qui viendroient. Elle dina assée bien. Sa Majesté se promena l’apres midy dans ses appartement et passa dans la gallerie de la Reyne, pinte en tableaux des villes, qui etoit d’une joye extreme de voir que le Roy se portoit sy bien. Les medecins en conçurent mesme une bonne esperance. Le souper et le coucher se firent en public, avec la musique et grande joye.
Le dimanche 23e mars, le Roy fut assez bien. Il avoit esté un peu incommodé la nuit des hemoroides et d’une toux jusqu’à dix heures, qu’il prit un bouillon. Apres, il s’endormit et demeura au lit jusqu’à midy. Ayant demandé à Antoine, garçon de la chambre, s’il y avoit quelqu’un dans l’antichambre, luy ayant repondu qu’il n’y avoit que monsieur le comte de Guitaut, capitaine des gardes de la Reyne, qui venoit de la part de la Reyne pour scavoir des nouvelles de Sa Majesté, il le fit entrer et luy dit : Monsieur, vous diez à la Reyne que je me porte mieux et que j’auray le bien de l’aller voir sur le soir. A quoy monsieur de Guitaut repondit : [f. 188] Sire, Votre Majesté luy fera grand plaisir de voir Votre Majesté en chemin de guerison. L’apres diner se passa en grande joye. Le Roy s’amusa à peindre en pastels, à quoy il reusissoit tres bien, faisant le plus souvent les portraits de ses officiers en pasteilles, qu’il leur donnoit pour se souvenir de luy. On peut dire que Sa Majesté etoit le prince du monde le plus adroit soit à danser, à monter à cheval, à faire des armes, et à tous les exercices qu’un gentilhomme doit sçavoir, mesme les mathematiques et les mecaniques. Il forgeoit et tournoit au tour, il faisoit toutes sortes de filets à prendre des animeaux, oyseaux et poissons, il faisoit mesmes travailler les officiers de sa chambre les plus adroits, qui par là luy faisoient bien leur cour. Enfin, ce prince ne demeuroit jamais oysif.
Le lundy 24e mars, il continua à se bien porter. Il avoit bien passé la nuit, ainsy il commenda que l’on fit entrer tous le mond à son lever, que cela luy feroit plaisir. Tant de peuple s’y trouverent qu’il estoit presqu’impossible d’entrer dans la chambre pour faire le service. La convalescence du Roy causoit une sy grande joye que cette journée se passa dans les mesmes divertissements que la precedente.
Le mardy 25e mars, feste de l’Annonciation de la Sainte Vierge, Sa Majesté se trouva assez bien. Elle se leva en public, entendit la messe avec une devotion exemplaire. Apres la messe, le Roy envoya monsieur Bontemps demander à la Reyne si elle vouloit bien venir diner avec luy, ce qu’elle accepta avec joye. Ils dinerent ensemble et eurent plusieurs petites conferences tres agreables. L’apres midy, le Roy s’alla promender dans sa gallerie. Il y fit porter sa grande chaise pour s’y reposer, où sa musique s’y trouva. On chanta plusieurs petits airs de devotion jusqu’au souper, [f. 188v] qui fut fait en public, ainsy que le coucher, où on fit la lecture jusqu’à ce que Sa Majesté fut endormie.
Le mercredy 26e mars, le Roy à son reveil se trouva un peu plus mal qu’à l’ordinaire. Il avoit esté tourmenté d’inquietudes pendant la nuit. On luy donna une medecine qui luy fit assé bien. Il ne voulut voir personne jusqu’à midy, qu’il se leva et receu des visites jusqu’au soir. Mais, s’estant ressenty comme d’un frisson, voulut se coucher aussytost.
Le jeudy 27e mars, le Roy, qui avoit fort mal passé la nuit, dit en s’eveillant : Je me sens bien affoibly, je m’apperçoit que mes forces diminuent de jour en jour, j’ay prié le Seigneur que, s’il luy plaisoit de me tirer de ce monde, qu’il me dit la grace d’abreger la grande longueur de ma maladie. Ensuite de ce discours, il s’adressa à monsieur Bouvard, son premier medecin, luy dit : Vous sçavez bien, Monsieur, qu’il y a quelque temps que je vous ait dit que je n’avois pas bonne opinion de ma maladie, que je vous ait prié et mesme pressé de m’en dire votre sentiment, mais vous m’avez fait esperer de ma guerison. Monsieur Bouvard luy avoua, luy disant : Sire, je n’ay osé le temoigner à Votre Majesté, de peur de luy en donner d’inquietudes. Le Roy n’en parut pas plus emut, en disant : Je m’it suis bien preparé, l’ayant mesme temoigné à mon confesseur et à monsieur de Meaux de me mettre en estat de bien mourir. Sa Majesté voulut se coucher plus tost qu’à son ordinaire ; depuis ce jour jeudy 27e mars, le vendredy 28e jusqu’au mardy premier jour d’avril, le Roy se trouva dans une espece de langueur et fut toujours assez mal, ne reposoit que fort peu les nuits. Il avoit du degout pour toutes choses. On luy fit prendre pendant ce temps là beaucoup de remedes, entr’autres une [f. 189] medecine purgative qui fit de grands evacuations qui l’affoiblirent extremement par de grands efforts pour la rendre, et souffrit tout ce jour dans le bas vente des grandes douleurs.
Le mardy premier avril, Sa Majesté, qui avoit estée fort incommodée les jours precedents, ne laissa pas d’avoir estée assée tranquille cette nuit et se trouva mieux tout le long du jour, prit un bouillon à son reveil et ne voulut voir ce latin que ses domestiques. La Reyne etant venue jusques dans l’antichambre pour voir le Roy, y apprit qu’il avoit dit qu’il ne vouloit voir personne ce matin pour dormir. Elle s’en retourna dans son appartement jusqu’à son diner, qu’elle revient avec messieurs ses enfans. Ayant dit au Roy dans la conversation qu’elle etoit venue le matin pour le voir mais qu’elle n’avoit osé entrer de peur de l’incommoder, ce discourt surprit le Roy, qui répondit : Quand je dis, Madame, que je ne veux voir personne, ce ne doit pas estre pour vous, et vous scavez tres bien que vous etes la maitresse d’entrer chez moy à quelques heures qu’il vous plaira, je n’ay voulut parler que pour des etrangers. Le reste du jour se passa en petits amusements que chacun faisoit naitre pour pourvoir dissiper le chagrin de Sa Majesté, jusqu’au souper qui se fit de bonne heure en particulier. Ce jour, l’on releva le quartier des officiers de la maison du Roy à l’ordinaire, mais quelqu’uns voulurent demeurer pour voir l’issue de la maladie de Sa Majesté.
Le mecredy 2e avril, Sa Majesté, qui avoit eue une tres bonne nuit, se porta bien mieux. Les medecins luy firent prendre ce matin une ptisanne de rhubarbe qui, l’ayant beaucoup purgée, luy donna beaucoup d’appetit au diner [f. 189v] qu’Elle fit dans son lit. Elle se leva pendant quelques heures l’apres midy et, comme Elle estoit fort affoiblie et lasse d’estre couchée, Elle se fit porter son fauteuil pres de la fenestre qu’Elle fit ouvrir pour avoir de l’air. La veue estant tres belle et le temps fort serain, Sa Majesté avança la teste à la fenestre, d’où l’on decouvre aisement les clochers de l’abbaye de Saint Denis. Les ayans apperçues, Elle se tourna vers ses officiers de la chambre, leur dit : Mes amis, voilà peut être bientost ma derniere demeure, leur montrant de la main même le chemin par où on devoit le mener. Ce discours ne fut pas dit sans avoir tiré des soupirs et des larmes de ceux qui l’entendirent, qui admirent la grande fermeté et le genereux mepris avec lesquels ce grand roy regardoit sans emotion le lieu de sa sepulture. Ensuite, Sa Majesté ordonna à monsieur Lucas de lire dans la Vie des saints du jour, qu’il fit pendant quelques heures jusqu’au souper, qui fut d’une panade et quelques pommes cuites. Apres quoy, Elle voulut se coucher, ayant envye de dormir, n’y estant resté que les seuls officiers de garde avec les medecins et chirurgiens.
Le jeudy 3e avril, le Roy, qui n’avoit eu la nuit que peu d’inquietudes, continua à se mieux porter, ayant pris le matin un remede qui luy avoit fait assez de bien. Elle voulut etre seule pour se reposer cette matinée, car il venoit tous les matins une si grande confusion de peuples qu’on ne pouvoit passer dans la salle des gardes ny dans l’antichambre. La Reyne y arriva pour faire prendre au Roy un petit potage ou consommé qu’il mangea avec assez d’appetit, ce qui rejouit beaucoup cette princesse de voir le Roy, quy estoit d’assez bonne humeur. Elle envoya Antoine, garçon de la chambre, querir messieurs les princes ses enfans, qui arriverent aussytost. Sa Majesté, les ayant apperceus, en temoigna de la joye, leur dit plusieurs paroles pleines de douceurs et leur fit des questions sur leur maniere de vie et [f. 190] sur la conduite qu’ils devoient tenir dans la suite. Le soir venu, tout le monde se retira à l’exception des officiers pour le service. Le Roy fit lire par monsieur Lucas les Meditations de la mort qu’il avoit marquez dans son livre journaillier. La lecture dura jusqu’au souper, où se trouva la Reyne, qui voulut parler au Roy en particulier, ce qui obligea M. de Souveray de faire retirer tout le monde de la chambre. Ensuite, le coucher du Roy se fit à l’ordinaire, sans lecture.
Le vendredy 4e avril, Sa Majesté se trouva fort tranquile. Elle n’avoit eue la nuit que peu d’inquiétudes, les medecins luy ajant proposé de prendre medecine, mais le Roy n’en voulut point, telle priere que la Reyne luy en fit, luy disant : Madame, les medecins s’ennuyent de me voir un peu en repos. Ensuite, Sa Majesté s’endormit jusqu’à midy, qu’Elle se mit à table pour diner, où elle mangea avec beaucoup d’appetit. Toute l’apres diné se passa à recevoir des visittes des princes et d’autres personnes de distinction, jusqu’au soupper. Ensuite, elle ordonna au sieur Chicot de lire quelques passages de l’Introduction à la vie devote de saint François de Sales, ce qu’il fit jusqu’à ce que Sa Majesté fut endormie.
Le samedy 5e avril, Sa Majesté ayant assez bien passé la nuit, continua à se bien porter, ce qui donna quelques esperences aux medecins d’une guerison dont toute la court avoit bien de la joye devoir en si peu de temps un si grand changement. Sa Majesté se leva ce matin en robbe de chambre, estant fort guaye, et dina en public. L’apres midy, Elle envoya querir par Tiffaine, garçon de la chambre, les sieurs Camefort, Ferdinand et de Niert, premier valets de garde robbe, lequel a esté dans la suite premier vallet de chambre du Roy, qui jouent tous tres bien du luth et du therobe. Ils firent un petit concert [f. 190v] et chanterent en partie Lauda Anima et d’autres airs de devotion composés sur les paraphrases des Pseaumes de David du sieur Godeau. Le Roy voulut mesme aussy chanter une des basses avec monsieur le mareschal de Chomberg, qui chantoit fort bien. Ce concert rejouissoit toute la cour qui s’i estoit rendue. Monsieur de Souvray en avoit fait avertir la Reyne par Antoine qui, etant arrivée aussitost, fut fort surprise d’entendre cette musique et de voir un changement si subit, dont la joye retentissoit dans tout l’appartement du Roy, et tout le monde disoit à Sa Majesté qu’Elle estoit en chemin de guerison et que le printemps, qui etoit tres doux, accheveroit le retablissement de sa santé. Le Roy à cela repondoit fort serieusement : Je suis, Messieurs, fort resigné à la volonté du Seigneur ; s’il me redonne la santé, je travailleray de tout mon pouvoir à donner la paix à mon royaume et à soulager mes peuples. Le reste du jour se passa tres bien jusqu’au coucher, où Sa Majesté fit lire par monsieur Lucas dans le Nouveau Testament le 17e chapitre de l’Evangile de saint Jean, où sont les prieres que Jesus Christ fit à son père avant que de passer le torrent de Cedrin, mais, pendant cette lecture, le Roy s’endormit et, s’etant reveillé peu de temps apres fort inquieté, il demanda à monsieur Bontemps quelle heure il estoit, et luy ayant repondu qu’il etoit onze heures, il dit qu’on s’allat reposer.
Depuis le dimanche 6e avril, Sa Majesté, à la foiblesse pres, continua jusqu’au lundy 14 avril à se bien porter. Elle tenoit tout les jours conseil, le plus souvent au chevet de son lit. Fut ce mesme jour qu’Elle congedia monsieur des Noyers, secretaire d’Estat, qui luy avoit demandé permission de se retirer. Elle revetit de sa charge monsieur Michel Le Tellier, maitre des requestes, qui l’exerça par commission jusqu’à la mort de monsieur des Noyers qui arriva en 1645. Pendant ce temps là, le Roy s’occupa aux mesmes exercices qu’en pleine [f. 191] santé, excepté qu’il ne montoit point à cheval. Il alloit en carosse les apres diner prendre l’air dans la forest ou dans le parc les beaux jours de la saison, qui etoit lors tres belle et douce. Sa Majesté temoignoit d’estre fort content de se voir en meilleur etat que les jours precedens. Elle receue beaucoup de visites, particulierement de madame de Guise et de messieurs ses enfans, qu’il pria de demeurer quelque temps parce qu’il etoit bien aise de les voir, à quoy madame de Guise repondit que Sa Majesté luy faisoit bien de l’honneur, qu’elle resteroit tant qu’il luy plairoit et qu’elle seroit ravie de pouvoir contribuer au retablissement de sa santé.
Le lundy 14e avril, le Roy, en s’eveillant, dit qu’il avoit esté beaucoup tourmentée la nuit de vapeurs et des chaleurs de teste qui l’avoient empesché de dormir et fait changer à tous momens de places dans son lit. On luy donna son bouillon. Apres l’avoir prit, il demeura au lit et sommeilla jusqu’à midy, qu’il se leva et demeura en robe de chambre pour diner, qui fut très court. Ensuite, la Reyne fut avec le Roy seulle quelque temps en conversation, où il s’endormit dans sa grande chaise pendant deux heures, ce qui luy fit beaucoup de bien parce que l’insomnie de la nuit l’avoit très fatigué. Le coucher se fit à l’ordinaire.
Le mardy 15 avril, le Roy, qui n’avoit pas eu tant d’inquiétudes cette nuit que les précédentes, se porta un peu mieux. Mais tous les bons jours qu’il avoit eus auparavant ne l’empeschoient pas d’estre d’une grande foiblesse. La santé de S. M. ne revenoit point. Elle sentoit toujours du mal de temps en temps dans les entrailles. Les medecins qui le voyoient dans une espece de langueur n’en etoient pas tres contents. Ils conclurent seullement de luy faire prendre du petit lait les matins, pour tacher de pouvoir luy rafraichir les entrailles, que Sa Majesté resentoit toujours echauffés, ce qui fut continué sans un soulagement [f. 191v] jusqu’au mercredy 23 avril que le Roy se trouva fort abbatu et fatigué des remedes et du petit lait qu’Elle avoit pris toujours pendant huit jours, pendant lesquelles Elle n’avoit point bu de vin. Cela luy avoit causé une si grande foiblesse qu’Elle ne pouvoit se soutenir debout. Les medecins, qui voyoient que le Roy diminuoit, luy firent quitter le petit lait.
Le jeudy 24e avril, ce qui avoit esté resolut le jour precedent dans la consultation fut augmentée de la seignée, laquelle fut faitte sur les huit heures du matin, mais elle reussit tres mal, car elle cause au Roy une toux continuelle comme d’une espece de fluxion sur la poitrine qui le tourmentoit beaucoup, ce qui luy fit prendre la resolution de recevoir ce jour le Saint Sacrement. Comme il fit tres devotement en particulier, en presence de la Reyne et de quelques grands officiers de sa maison, Sa Majesté ne voulut voir personne de toute la matinee que son confesseur, le pere Dinet, jusqu’au diner. Dans ce temps, le Roy ayant tesmoigné à la Reyne que son intention estoit que l’on baptissa monsieur le Dauphin, agé de 4 ans 8 mois, pour cet effet l’on envoya querir M. le cardinal Mazarin et madame la princesse de Condé pour le tenir sur les fonds baptismaux. La ceremonie en fut faite vers les quatre heures du soir, dans la chapelle du vieux château, par monsieur l’eveque de Meaux, premier aumonier de Sa Majesté, sans aucunes grandes ceremonies ny rejouissances à cause de la maladie du Roy. Monseigneur le Dauphin fut nommé Louis au nom de notre saint père le pape [vide] par monsieur le cardinal Mazarin, avec madame la princesse de Condé sa mareine, en presence de la Reyne et de toute la cour. La ceremonie faite, la Reyne et madame la Princesse avec monsieur le cardinal firent le recit au Roy de ce qui s’y estoit passé et de la sagesse de monsieur le Dauphin, qui arriva [f. 192] aussytost avec madame de Lensac, sa gouvernante, et sous gouvernante, madame [vide]. Sa Majesté l’ayant aperceut, luy ayant fait plusieurs questions, entr’autres luy dit : Mon fils, comment vous a-t-on nommé au baptême ? Monsieur le Dauphin ayant repondu sans esiter : Louis quatorze, mon papa, le Roy luy dit : Pas encore, mon fils, mais ce sera peut estre bientost, si c’est la volonté de Dieu. Puis, levant les yeux au ciel, Seigneur, dit il, faite luy la grace de le faire regner apres moy en paix et en prince veritablement bon chretien et comme fils ainay de l’Eglise, qu’il ait toujours en veue le maintien de votre sainte religion et le soulagement de ses peuples. Sa Majesté parrut avoit bien de la joye que cette ceremonie fut faite. Le Roy envoya Tortilliere, garson de la chambre, chercher la Reyne qui s’en estoit allée dans son appartement. Outrée de douleurs, luy dit : Madame, apres que Dieu m’a fait la grace aujourd’huy d’avoir fait baptisser mon fils, j’ay pris aussy la resolution, sy Dieu dispose de moy, de vous faire declarer la regente de mon royaume jusqu’à ce que mon fils soit dans un age de majorité, afin de prevenir les contestations qui pourroient arriver à ce sujet. Sa Majesté tint ce discours avec des paroles si tendres qu’elles tirent des larmes de toutes l’assemblée et mesme la Reyne en tomba comme evanouie dessus le dit du Roy, en telle manière que monsieur de Souvray fut obligé de l’en retirer de force et de l’emmener dans son appartement. Outrée de douleur, le Roy envoya sur l’heure Antoine, garçon de la chambre, chercher monsieur de La Vrilliere, secretaire d’Etat, en qui Sa Majesté avoit beaucoup de confiance, luy expliqua ses intentions en particulier, luy ordonna d’aller dresser la declaration de la regence en forme de testament afin de la faire verifier en parlement au plus tot. C’est ainsy que se passa la journée. Sa Majesté n’ayant pris qu’une petite panade avec un peu de gellée, elle se trouva tres foible à son coucher.
Le vendredy 25e avril, le Roy se trouva assez mal en s’eveillant, ayant esté tres tourmenté toute la nuit d’une [f. 192v] toux tres seiche que l’on ne put adoucir par tout les remedes que l’on luy donna, qui dura jusqu’à son diner, ou il ne prit que du bouillon, de la gellée et quelques compottes. D’abord que le Roy eut diné, il envoya Tortilliere, garçon de la chambre, chercher monsieur de La Vrilliere, qui arriva presqu’aussytot avec monsieur le chancelier Seguier, accompagné des ministres et secretaires d’Estat, des princes et princesses du sang et gens de la premiere qualité, qui aborderent de tous costez. A l’instant, le Roy fit ouvrir les rideaux de son lit, et prenant la parole dit à haute voix : Messieurs, c’est en cette occassion que je veux que vous soyés temoins de mon intention pour donner à mon royaume la tranquilité et le repos apres ma mort, s’il plait à Dieu de disposer de moy, n’ayant put jusqu’à present luy donner la paix generalle. Ce discours finy, Sa Majesté ordonna à monsieur de La Vrilliere de faire tout haut la lecture de la declaration de la regence, afin que tout le monde scu sa derniere volonté. Monsieur de La Vrilliere en fit la lecture et eut bien de la peine à l’achever de la lire, à cause des larmes qui luy couloient des yeux d’avoir esté obligé de dresser un acte si facheux, qui donnoit une marque comme evidente de la mort du Roy son maitre, qu’il aimoit passionnement. Sa Majesté ordonnoit entr’autres choses par cette declaration qu’en cas qu’Elle mourut, la Reyne fut regente pendant la minorité de son fils, que monsieur le duc d’Orleans, son frere, seroit chef du conseil d’Estat, en son absence monsieur le prince de Condé, et lieutenant general du royaume sous l’autorité de la reyne regente et de son conseil, qui seroit aussy composé de monsieur le cardinal Mazarin, du chancelier, du sieur Claude Bouthillier et du sieur Chavigny, son fils, secretaire d’Etat. Cette lecture finie, le Roy voulut estre seul avec le pere Dinet, son confesseur. Tout le monde se retira dans l’antichambre. Apres y avoir demeuré une [f. 193] demye heure, le Roy ordonna à messieurs le chancellier de Chavigny et de La Vrilliere de faire incessament verifier la declaration en parlement, ce qui fut executé ledit jour 25e avril 1643. Le reste de cette journée se passa assée doucement. S. M. parut d’une grande tranquilité. La Reyne, estant presente, demeura fort tard avec le Roy. Apres avoir eu quelques secretes conversations ensemble, Sa Majesté envoya Riviere, garçon de la chambre, chercher Monsieur. Le duc d’Orleans estant arrivé, le Roy luy permit de bonne grace de faire revenir madame la duchesse d’Orleans, sa femme, qui estoit lors à la ville de Bruxelles depuis quelques années. Le reste de ce jour se passa assé bien.
Le samedy 26e avril, le Roy se trouva cette nuit tres incommodé par de grandes challeurs d’entrailles avec une toux continuelle, nonobstant tous les remedes que les medecins ordonnoient de donner à Sa Majesté. N’ayant pris qu’un bouillon, Elle se leva en robbe de chambre pour diner, quy fut fort court. L’apres midy, le Roy receu quelques visites jusqu’à sou coucher qui fut comme à l’ordinaire, avec la lecture.
Le dimanche 27e avril, le Roy se trouva plus indisposé que le jour precedent, ayant vuidé une espece d’abceds ou apostume par embas cette nuit. Sa Majesté ne se sentit estre plus soulagée et prit un bouillon dans le lit et se rendormit jusqu’à dix heures, qu’Elle mangea une panade et de la gellée qui luy servit de diner. L’apres midy se passa en amusement. Sur le soir, Sa Majesté se trouva un peu incommodée, luy ayant pris des inquietudes, demandant à tous momens quelle heure il estoit, etant tres chagrin, ne trouvant point de bonne place dans son lit. Le coucher fut fait avec la lecture ordinaire.
Le lundy 28e avril, le Roy à son reveil se trouva [f. 193v] d’une tres grande foiblesse, manque de prendre de la nourriture ny point boire de vin, ce qui luy empeschoit de pouvoir dormir, nonobstant les julepes que l’on luy faisoit prendre avec des sirops composés, S. M. disant à tous momens qu’Elle se sentoit diminuer de jour en jour, que les medecins luy faisant toujours esperer le retablissement de sa santé, ne trouvant plus de consolation qu’à se disposer à bien mourir par des lectures spirituels qu’Elle se faisoit faire tres souvent. Cette journée se passa tres tristement, ainsy que le mardy 29e avril qui fut encore plus mauvaise.
Le mercredy 30e et dernier jour d’avril, le Roy se trouva tres foible, dit à messieurs de Souvray et à monsieur Bouvard, premier medecins, et à ses confreres : Messieurs, je me sens bien mal ce matin, je ne croit pas que cette maladie ait bonne issue. A quoy monsieur Bouvard repondit : Ah Sire, Votre Majesté ne doit pas avoir cette opinion, ce ne sera rien s’il plaist à Dieu, il faut que Votre Majesté ait confiance en luy et aux remedes que nous vous ordonnons. Elle avoir estée fort inquieté la nuit, ne dormant point, ayant demandé à tous momens l’heure qu’il estoit et s’il ne seroit pas bientost jour. Elle fit meme tirer plusieurs fois les rideaux de son lit par le sieur Bontemps et fait ouvrir les fenestres par Antoine, estant tres inquieté dece que le jour ne venoit point pour ce lever et prendre l’air car il faisoit extremement chaux dans sa chambre qui estoit tout le jour pleine de monde et grand feu. Sur le midy, Elle prit un bouillon purgatif qui luy fit faire l’apres midy beaucoup d’evacuations, ce qui l’empescha de ne voir tout ce jour là personnes que ses domestiques, avec qui Elle s’entretenoit souvent de son mauvais estat. Le coucher se fit sans lecture, parce que S. M. se trouva fatigué du remede qu’Elle avoit pris.
Le jeudy premier may, le Roy se trouva tres incommodé toute cette nuit par une espece de collique, n’ayant que tres peu repossé, ayant eu une grande sueur par tout le corps [f. 194] et par les jambes. Il demanda à Tortilliere sur les trois heures du matin un linge pour les essuyer. Tortilliere le luy ayant donné, il ne put les essuyer lui mesme et dit à monsieur Bontemps de tenir la couverture levée un peu haute tandis que Tortilliere et Antoine luy frotteroient les jambes et les pieds, qu’il avoit tres mouillées. Sa Majesté, se voyant dans cette posture, fit reflexion sur l’etat où Elle se voyoit et leur dit : Mes amis, je suis d’une grande maigreur, mais c’est la volonté de Dieu. Effectivement, le Roy n’avoit plus que la peau colée sur les os : ses jambes et ses cuises etoient si menues que la seule grosseur des genouilx qui les faisoit remarquer, tout son corps avoit plustost la figure d’un squelete que d’un homme vivant. Tout ce jour se passa en apprehensions du mauvais succez de sa maladie. Sa Majesté ne laissoit pas cependant d’agir autant qu’Elle pouvoit, de tenir conseil avec ses ministres, ayant toujours eu l’esprit et le jugement fort sains. Sur le soir, Elle eut une petit toux seche qui l’incommoda extremement jusqu’à minuit, malgré tous les sirops que l’on luy donnoit, se faisant faire la lecture par le sieur Chicot, l’un de ses medecins ordinaires, lequel disoit souvent au Roy, qui estoit tres inquiete de l’issue de sa maladie : Sire, il faut que Votre Majesté ait patience et qu’Elle attendre avec tranquilité la volonté du Seigneur J. C., il est le maitre de notre vie et de notre mort. Pendant ce discours, le Roy s’endormit.
Le vendredy 2e may, Sa Majesté se trouva assez mal car il s’estoit eveillé plusieurs fois pendant la nuit, avoit demandé tres souvent quelle heure il estoit et quelle temps il faisoit. Antoine luy ayant repondu qu’il etoit trois heures et qu’il faisoit tres beau pour la saison, il demanda à boire et apres s’endormit jusqu’à huit heures du matin, qu’on luy presenta un bouillon dont il avoit bien besoin pour [f. 194v] humecter sa poitrine que la toux avoit fort dessechée, mais il ne vouloit point le prendre, disant qu’il n’en avoit plus besoin, mais il le prit par complaisance à la priere de la Reyne qui estoit presente. Ensuite, le Roy s’endormit jusqu’à cinq heures du soir. On en tira un bon augure parce que depuis six jours il n’avoit point eu de bon sommeil, et dit en s’eveillant mesme qu’il se sentoit mieux, mais qu’il estoit bien foible. Le sieur Bouvard, son premier medecin, luy ayant repondu que c’etoit parce que Sa Majesté ne prenoit pas assée de nourriture, Elle prit quelque alimens qu’on luy presenta sur le champ, mais Elle n’en prit qu’avec beaucoup de peine, n’ayant point d’appetit. Elle commanda sur le soir à monsieur de Souvray de redoubler les officiers de sa chambre, car ceux qui la servoient depuis le commencement de sa maladie, qu’ils n’avoient pas voulut quitter, ne pouvant plus resister aux veilles continuelles qu’ils avoient faites, et afin qu’ils se soulageassent les uns les autres, le Roy fit coucher dans son antichambre deux valets de chambre, un tapissier, un barbier, le porte chaire pour soulager les six garçons de la chambre qui estoient sur pied nuit et jour depuis la maladie du Roy.
Le samedy 3e may, le Roy se trouva le matin extremement mal. Toute les parties de son corps estoient tres douloureuses, ce qui obligea les medecins de faire entr’eux une consultation dans laquelle il fut resolu qu’en cas que le mal continua jusqu’au lendemain, il faudroit luy faire recevoir le saint sacrement, et cependant en faire avertir la Reyne afin qu’elle n’en fut point surprise. On en donna la commission à monsieur de Meaux, qui luy annonça cette triste nouvelle, dont elle fut tres etonnée, ne croyant pas que le Roy fut dans cet etat. Elle partit aussytost de son appartement et à son arrivée elle trouva le sieur Bouvard qui luy dit qu’il falloit [f. 195] attendre au lendemain pour en avertir le Roy. Elle luy demanda à qui il falloit en donner la commission, ne voulant pas s’en charger. Le père Dinet, confesseur du Roy, la prit avec peine, mais on peu dire que tant de precautions n’etoient pas necessaires pour porter Sa Majesté à cette sainte action car Elle y estoit tres preparée depuis longtemps. Cette journée se passa tres mal. Tout le monde etoit d’une grande consternation de voir le Roy si mal, qui diminuoit d’un jour à l’autre. Personne ne le pouvoit voir sans jetter des larmes. Mesme la Reyne, qui ne bougeoit du chevet de son lit, en rependoit à tous momens, car elle estoit outrée de douleur, et des ce moment ne voulut plus le quitter ny jour ny nuit. Pour cet effet, elle ordonna qu’on luy apporta un petit lit dans un petit cabinet qui estoit pres de la chambre du Roy afin de s’oter les inquietudes qu’elle avoit etant plus eloignée de l’appartement du Roy. L’apres diner, le Roy se trouva un peu plus tranquile que le matin et il receu une visite de messieurs les marechaux de Chatillon et de La Force, qui etoient de la religion pretendue reformée. Il fut bien aise de les voir, leur dit plusieurs choses obligeantes sur leurs actions et les exorta ensuite à quitter leur religion dans laquelle il ne pourroient faire leur salut, ajoutant qu’à la verité ils etoient de braves gens et d’un grand merite selon le monde, mais que selon Dieu il n’en estoit pas de mesme, que pur aller au ciel il n’y avoit pas deux voyes et qu’il n’y avoit point de salut hors de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, à quoy ils les convia de faire reflexion. Le reste de ce jour se passa à l’ordinaire, où l’on fit la lecture jusqu’à ce que Sa Majesté fut un peu endormie.
Le dimanche 4e et le lundy cinquiesme may, le Roy n’avoit pas eté si fort tourmenté ces deux nuits. Il se trouva un peu mieux. On luy donna à son reveil des vouillons compossés qu’il eut bien de la peine à prendre, etant extremement degouté. Il ne [f. 195v] voulut voir personne que la Reyne car cette princesse etoit la seule consolation du Roy. Apres midy, le père Dinet vient voir Sa Majesté et luy dit : Sire, je me suis chargé d’une commission que j’ay prise et que je croit que vous ne trouverez pas mauvaise, qui est de proposer à Votre Majesté, qui a toujours souhaittée dans sa maladie, dont on ne peut sçavoir les suittes, de recevoir encore le saint sacrement du corps de Jesus Chrit. Le Roy receu cette nouvelle avec joye et sans emotion et dit : Mon pere, je vous suis bien obligé de la bonne nouvelle que vous m’aprenez, puis, levant les yeux au ciel : Seigneur, dit il, me voila pres à vous recevoir, rendez moy digne de cet honneur. Apres quoy tout le monde sortit. Le pere Dinet demeura seul avec Sa Majesté pour le confesser. Pendant ce temps, monsieur de Souvray fut en avertir la Reyne, qui etoit dans son appartement, qui arriva aussytost chez le Roy, tres surprise de cette nouvelle, ayant amenée messieurs les princes ses enfans, tous eploreez. Quand le Roy fut confessé, l’on les fit passer dans le cabinet du Roy, mais monsieur le duc d’Anjou, qui se mit à pleurer et à gronder de ce qu’il n’avoit pas aussy avec luy aucune de ses femmes de chambre, mais parce qu’il faisoit trop de bruit au Roy, on fut obligé de l’envoyer par Antoine avec madame de la Folaine, sa sous gouvernante, dans la gallerie du Roy. Alors monsieur de Meaux et le père Dinet entrerent dans la chambre pour disposer Sa Majesté à recevoir encore une fois le saint sacrement, qu’il avoit dejà receu dans le court de sa maladie. Apres qu’ils l’eurent veu dans la disposition d’une ame tout à fait chretienne et resignée à la volonté de Dieu, car leur ayant dit mille belles choses à ce sujet, monsieur de Meaux alla à la parroisse querir le saint sacrement accompagné du curé avec tout son clergé, où assista la Reyne, les princes et princesses avec beaucoup de personnes de la cour. Sa Majesté le receut avec une devotion tres exemplaire. Peu [f. 196] de temps apres, voulant estre seule, on fit sortit tout le monde. Alors, le Roy se fit donner le pupitre dont il se servoit quand il vouloit lire dans le lit et reciter les prieres qu’il avoit composées, qui avoient pour titre Vera christiana pietatis officia per chritianissimum regem Ludovicum tercium decimum ordinata. Il les recita pendant une bonne demye heure, que Sa Majesté scavoit par cœur tous les offices de chaque jour de la semaine, qu’il doit telle affaire qu’il eut, outre l’office votif tous les lundis, et celuy des morts tous les vendredys au soir, pour demander à Dieu la grace de bien mourir. Le reste du jour se passa tristement. Sa Majesté se trouva ny mieux ni plus mal.
Le mardy 6e may, le Roy se trouva au matin fort fatigué, toute la nuit, ce qui etoit un mechant augure, s’etant fait changer de scituation plusieurs fois, ce qui fit que Sa Majesté s’etoit trouvé mal à son reveil et ne prenoit plus aucuns alimens qu’à forces de prieres. Ce fut ainsy que toute la matinée se passa. L’apres midy, il luy prit un grand assoupissement qui dura jusqu’à onze heures du soir sans se reveiller, dont les medecins n’estoient pas contens de ce qu’il duroit si longtemps. On faisoit beaucoup de bruit dans la chambre pour l’eveiller, l’on luy tatoit le poulx qu’on luy trouvoit tres foible et intermitant. La peur qu’on eu qu’il ne mourut dans ce sommeil leur fit prendre la resolution de l’eveiller, mais il fut question d’en prendre la commission que chacun refusoit, ainsy la Reyne et les princes la donner tous au père Dinet, qui s’approcha aussitost du lit et par trois fois luy dit fort haut : Sire, Votre Majesté m’entend telle, qu’Elle se reveiller s’il luy plaist, il y a lontemps qu’Elle n’a pris de nourriture, les medecins ont peur que cela ne vous affoiblisse trop. A ces paroles, le Roy se reveilla en sursaut et dit, d’un esprit assez tranquille : Je vous entends bien, mon pere, et je ne trouve pas mauvais que vous m’ayez eveillé, mais ceux [f. 196v] qui vous y ont obligé scachant bien qu’il y a quelques jours que je n’ait peu dormir, et, s’adressant à M. Bouvard : Vous deviez l’empescher, M., et j’avoue que j’ay eu trop de complaisance de mestre trop fié aux remedes de la medecines. Sa Majesté ayant dit toutes ses choses avec un peu de challeur, ce qui l’avoit emu, ayant le visage tres rouge et les yeux eteincelens, ce qui obligea le pere Dinet de dire au Roy : Ah, Sire, il faut pardonner, Sa Majesté luy ayant repondu : Je leur pardonne de tout mon cœur afin de n’y plus songer. L’emotion que le Roy avoit eu luy ayant causé comme une espece de frisson, le soir, lorsqu’il receu une visite de madame d’Elbeuf et de mademoiselle sa fille, Sa Majesté leur temoigna beaucoup de joye de les voir, leur disant beaucoup de choses obligeantes jusques sur les dix heures du soir que le Roy s’endormit.
Le mercredy 7e may, le Roy se trouva assez bien à son reveil. On luy fit prendre de la gellée fondue pour luy humecter la poitrine qu’une espece de fievre interne qu’il avoit souvent luy avoit rendue fort seche et alterée. Il passa assé doucement toute la matinée. La Reyne, qui ne quittoit le Roy que fort peu, le vint voir sur le midy, l’exhorta à prendre une petite panade, à quoy il consenty volontiers, en disant : Je le veux bien, Madame, pour l’amour de vous. On luy apporta aussytost, il en prit quelques cuielleres qui l’obligea mesme de vomir beaucoup d’eaux avec de grands efforts. Sur les trois heures du soir, il appella la Reyne et luy dit : Madame, j’ay resolu de faire mon testament, quoyque je sois bien persuadé que vous executerés ponctuellement ma derniere volonté sans qu’elle fut ecrite. Ensuite, il dit à monsieur de Souvray d’envoyer chercher monsieur de La Vrilliere, secretaire d’Etat. Antoine le fut querir dans le moment. Etant arrivé, s’enferma quelque temps avec S. M. [f. 197] et le pere Dinet pour dresser ledit testament. Quant il fut fait, le Roy ce le fit lire et leur ordonna de le cacheter de armes de France, de le garder pour le mettre au jour apres son deceds.
Par ce testament, le Roy donne entr’autreschoses cent mil escus pour estre distribuées à ses officiers domestiques pour les recompenser de leurs bons services, Sa Majesté fait aussy quelques leges pieux comme à l’église de Saint Denis vingt mille ecus pour dire une basse messe journalliere, plus à l’eglise de Saint Germain en Laye 600 l. pour dire à perpetuité une messe haute à son intention toutes les années le jour de son deceds, donne en particulier aux six garçons de sa chambre, scavoir Antoine, Thisaine, Riviere, Tortilliere, Meunier et Cailteau chacun mil ecus pour leurs bons services. Ensuitte la Reyne, presente, se retira dans son appartement, outrée de douleur. Tout cela se passa sans que le Roy n’eut une grande emotion. Il se trouva tres mal. L’on fit sortir le monde de la chambre, à l’exception des officiers de services, monsieur de Meaux et du père Dinet, qui firent une lecture spirituelle qui dura jusqu’à dix heures, que Sa Majesté s’endormit mais avec de grandes agitations d’esprit et du corps. Toute cette journée ce passa tres mal ainsy que les jours precedans, en telle façon que l’on crut que le Roy n’iroit pas loin, ce qui dura ainsy jusqu’au samedy 9e may au soir.
Le dimanche 10e may, le Roy se trouva plus mal cette nuit, etant tombée comme en letargie ainsy qu’il avoit eue les jours predecents, ayant eu des inquietudes continuelles avec des grandes foiblesses qui luy prenoient tres souvent et ne voulant absolument plus prendre aucuns alimens. Les medecins desesperent alors de la maladie du Roy et prirent la resolution de luy faire recevoir l’extreme [f. 197v] onction, de peur qu’il ne survint quelqu’accident nouveau.
Monsieur de Souvray envoya tout aussytost Dubois, valet de chambre, avertir la Reyne et luy dire qu’il falloit qu’elle passa dans le cabinet du Roy, à cause de la grande foule de monde que le bruit de la prochaine mort du Roy avoit attiré. A cette nouvelle, la Reyne accourut incontinent et passa seule par la salle des gardes avec messieurs ses enfans, accompagnées de leurs gouvernantes, portées par les huissiers de la chambre, de peur que l’on ne les blessât dans la presse qui etoit tres grandes. On les fit entrer par le cabinet mais la Reyne ayant accourut devant, n’ayant voulu attendre personne, etoit demeurée seule dans la presse, criant : Faites moy place, s’il vous plaist, Messieurs. A ces paroles, monsieur le duc d’Usez, son chevalier d’honneur, la joignit, la fit passer avec bien de la peine dans la chambre, fut droit au lit du Roy qu’elle embrassa en retenant ses larmes le mieux qu’elle pouvoit pour ne le pas affliger. Pendant cela, monsieur de Meaux et le père Dinet preparerent tout ce qu’il falloit pour luy faire recevoir le saint sacrement de l’extrem onction, que Sa Majesé reçut avec une devotion toute particuliere, repondant mesme à toutes les prieres que l’on a coutume de dire, se decouvrant elle même les endroits où il falloit mettre les saintes huiles, faisant des elevations de cœur en levant les yeux au ciel, disant : Seigneur, que votre volonté soit faite, en presence de monsieur de Vantadour, chanoine de Notre Dame de Paris, personne d’une tres grande pieté qui venoit voir le Roy tres souvent, exhortant Sa Majesté d’avoir confiance en la misericorde de Notre Seigneur J. C. Il se retira les larmes aux yeux. Le reste du jour se passa dans une tres grande tristesse. Sur le soir, le Roy eut un vomissement fort violent jusqu’à dix heures, [f. 198] qu’il s’assoupit pour un peu de temps.
Le lundy 11e may, Sa Majesté se trouva fort affoiblye, la fievre luy avoit augmentée tres fort ces deux jours de plus en plus. On luy donnoit un peu de gellée fondue dans un verre courbé par le bout qu’on luy mettoit dans la bouche sans luy lever la teste pour luy humecter la poitrine. Tout son corps estoit si affoibli et si douloureux et decharné qu’on ne pouvoit le toucher sans luy faire beaucoup de mal. Sur le midy, le Roy demanda au sieur Bontemps sir la Reyne etoit chez elle. Le sieur Bontemps luy ayant repondu qu’elle estoit à la messe, il luy dit d’aller luy dire qu’apres la messe elle luy amenat messieurs ses enfans, qu’il vouloit leur donner sa derniere benediction. On ne peut pas douter l’affliction où estoit cette princesse. Elle amenat aussytost monsieur le Dauphin avec monsieur le duc d’Anjou. Ses enfans etoient tous consternez de voie le Roy leur père en cet etat, ne pouvant exprimer leur douleur que par leur larmes. C’est en cet endroit que l’on doit admirer la constance et la fermeté du Roy, en leur donnant sa benediction leur disant : Mes chers enfans, je prie le Seigneur qu’il vous benisse et qu’il vout ait en sa sainte garde, qu’il vous fasse la grace de vivre en bons princes chretiens, qu’ils eussent toujours beaucoup de respect et d’amité pour la Reyne leur mere. Ces paroles toucherent si fort ses deux enfans qu’il se mirent à pleurer et à gemir, de manière que le Roy fut obligé de faire signe de sa main de les oster de sa veue. La douleur qu’il avoit de les voir si touchées l’empescherent de pouvoir leur parler davantage. Sur le soir, S. M. demanda au père Dinet où etoit M. Bouvard, son premier medecin, qu’il ne voyoit point. Luy ayant repondu : Sire, il n’ose parroitre devant Votre Majesté de peur de luy deplaire. Ensuite, le Roy le fit venir et luy dit : M. Bouvard, je vous pardonne de bon cœur, je suis tres faché de vous avoir peu donner quelque chagrin pendant ma maladie, en luy donnant sa main à baiser. Ensuite, on fit [f. 198v] prendre un petit bouillon au Roy, qui etoit tres foible. Il s’endormit la bouche tres ouverte et les yeux un peu de travers. Alors arriva monsieur le Dauphin et monsieur le duc d’Anjou, accompagnez de leurs gouvernantes et de messieurs de Vendosme et de Vivonne, lequel demanda à M. le Dauphin sy il avoit bien remarqué la posture qu’avoit le Roy qui dormoit pour s’en ressouvenir quelque jour. Monsieur le Dauphin luy répondit en soupirant, les larmes aux yeux, qu’il l’avoit bien remarqué et que son bon papa avoit la bouche un peu de travers et l’œil gauche plus tourné que le droit. M. de Vivonne fut fort surpris de cette remarque, aussy bien que M. de Vendosme et madam de Lansac, sa gouvernante, qui luy dit : Monsieur, n’en parlez plus, car cela l’affligeroit trop. On le remena dans son appartement avec peine, ne voulant point sortir de la chambre du Roy. Dans ce temps, Sa Majesté ayant apperceu monsieur le Prince, à qui il dit : Mon cousin, pendant mon sommeil, j’ay revé que monsieur le duc d’Anguien, votre fils, etoit venu aux mains avec les ennemis, que le combat avoit eté tres rude et tres opiniatre, que la victoire avoit eté longtemps balancée et que cependant elle nous estoit demeurée avec le champ de bataille. Monsieur le Prince luy repondit que cela pouvoit bien arriver. En effet, elle arriva le 19e may ensuivant, que la bataille de Rocroy se donna et fut gagnée sur les Esoagnols et sur les Flamans par monsieur le duc d’Enguien.
Le mardy 12e may, le Roy se trouva tres mal. A son reveil, les medecins luy taterent le poulx. L’ayant trouvé tres foible, apprehendant que ce ne fut le froid de la mort. La Reyne voulut passer la nuit aupres du Roy son cher mary mais monsieur de Souvray, la voyant saisie de douleur, la pria de ne point veiller, et luy dit qu’il luy feroit souvent scavoir des nouvelles de Sa Majesté. Ainsy elle se [f. 199] laissa gagner par ses raisons. Il la conduisit à son appartement éclairée par Antoine et Tiffaine, garçons de la chambre, mais sur les deux heures apres minuit la Reyne, estant tres inquiete de scavoir l’estat où le Roy estoit, elle envoya à monsieur Bontemps, premier valet de chambre de Sa Majesté de quartier, mademoiselle Fillandre, sa premiere femme de chambre, pour en estre informée. S’etant tous deux approchés du lit du Roy, l’ayant entendu remuser, en tirant son rideau, accompagné de mademoiselle Fillandre, luy dit : Sire, la Reyne envoye scavoir des nouvelles de Votre Majesté avant que de s’endormir pour en etre informée. Le Roy se retourna et luy dit : Vous direz à la Reyne : comme un homme qui mourra bientost, puisque c’est la volonté de Dieu. La damoiselle Fillandre alla rendre réponce à la Reyne, mais elle ne la rendit pas telle qu’elle étoit, crainte de luy redoubler ses douleurs. Toute cette journée se passa avec de grandes appréhensions de la mort prochaine du Roy.
Le mercredy 13e may, le Roy fut le marin comme desesperé des medecins, qui ne scavoient plus de remedes à luy faire pour le soulager dans ses grandes douleurs qui augmentoient dans toutes les parties de son corps, car il ne pouvoit plus rien prendre qu’avec peine. On luy presenta un bouillon, qu’il prit un peu par complaisance, à la priere de la Reyne et de ses officiers, qui estoient tres consternez de voir le Roy leur maitre qui alloit finir dans peu sa vie et son regne. Sur les dix heurs du matin, on luy fit prendre une portion cordiale que la Reyne elle-même luy donna, ce qu’il voulut bien prendre à sa consideration, afin que cette portion luy peu fortifier l’estomach, mais le Roy se trouva dans une si grande deffaillance de toutes les parties de son corps, dont les meaux s’augmentoient si fort qu’on ne croyoit pas que Sa Majesté deus passer la journée. Apres estre un peu revenue de cette deffaillance, [f. 199v] ou pour mieux dire de cette evanouissement, on lui presenta un bouillon qu’elle refusa absolument, disant : Mes amis, laissez moy mourir en repos. Dans ce temps arriva monsieur le Dauphin avec monsieur son frere, furent dans la gallerie du Roy avec leurs gouvernantes. Le sieur Dupont, huissier de la chambre, qui portoit monseigneur le Dauphin, luy dit par forme de conversation : Monseigneur, si Dieu disposoit du Roy vostre bon papa, voudriez vous bien estre Roy à sa place. Ce petit prince repondit, les larmes aux yeux : Non, je ne veux pas que mon bon papa meure, car, s’il mourroit, je me jetterois dans le fossé du château. Cette reponse surprit bien toute la compagnie, ne pouvant exprimer sa douleur que par cette action. Cela fit dire à madame de Lansac, sa gouvernante : Monsieur, il ne faut plus luy en parler, il me l’a aussy dit deux fois, et si par malheur il s’etoit trouvé seul, il auroit donné de la peine. Elle ordonna qu’on ne le quitta plus et qu’on le tint toujours par les cordons de sa robe. Peu de temps apres, le Roy sommeilla jusques sur les six heures du soir, qu’il demanda à la Reyne, qui estoit dans son appartement, pour qu’elle luy amena messieurs ses enfans, leur voulant encore donner sa derniere benediction. Estans arrivés au chevet du lit du Roy, s’estans jettés à genoux, le Roy leur donna sa benediction avec ses sentimens d’une ame aussy veritablement chretienne que la sienne, et leur fit une exhortation pleine de tendresse en presence des princes et princesses du sang et de toute la cour. Sur le soir, Sa Majesté voulant estre seule avec les eveques de Meaux, de Lizieux, les peres Dinet, de Vantadour et Vincent, qui voyoient que le Roy diminuoit toujours, l’exhortant à combatre pour l’eternité. En autre, le père Dinet luy fit un discours fort consolent à peu pres en ces termes : Sire, les souffrances et les maladies doivent estre regardées par les chretiens comme autant de faveurs de la [f. 200] misericorde de Dieu, par lesquelles il purifie les eleus dans le temps pour les rendre dignes de l’eternité. Votre Majesté ayant souffert avec autant de patience les douleurs d’une aussy longue maladie, n’a t elle pas lieu de tout esperer de cette misericorde qui ne l’a frappé icy bas que pour la detacher du monde, luy decouvrir le neant du monde, et la preparer à quitter genereusement la vie et une couronne perissable pour en acquerir une immortelle. Ce sont là, Sire, les desseins de Dieu sur Votre Majesté, qui a voulu luy epargner par de longues souffrances les peines qu’il faudroit endurer dans le purgatoire pour se purifier de ses fautes avant que de pouvoir entrer dans le ciel. Voilà, Sire, quelle doit estre l’esperance et la consolation que doit avoir Votre Majesté. Laquelle luy répondit d’un ton ferme : Mon père, je m’estimerois bien heureux si le Seigneur ne me laissoit qu’un siecle d’années en purgatoires. Je croirois qu’il me feroit une grande grace. Ce discours fut interrompu par la Reyne, qui arriva dans ce moment. Elle ne bougeoit jour et nuit du chevet du lit du Roy, et n’en sortoit que lorsqu’il falloit vuider le bassin qu’il avoit toujours sous luy, et mesme elle vouloit y demeurer quoyqu’il en sortit des exhalaisons assez mauvaises, ce qu’elle souffroit avec une patience incroyable, le Roy etant souvent obligé de la faire sortir en luy disant : Madame, je vous prie de passer dans mon cabinet tandis que l’on me changera car il sent mauvais pres de mon lit, ce qui obligea Dubois, valet de chambre, de prendre la liberté de luy presenter une petite bouteille d’essence de jassemin qu’elle accepta en le remerciant. Sur le minuit, le Roy se trouva tres mal, demandant souvent l’heure qu’il etoit et s’il seroit bientost jour. La Reyne etoit demeurée dans un fauteuil dans le cabinet du Roy, n’ayant pas voulu s’en aller chez elle, ce qui obligea monsieur de Beaufort et monseur de Souvray, qui se reposoient sur un canapée, voyant cette princesse si fatiguée et outrée [f. v] de douleur, d’aller se reposer dans son appartement, ce qu’elle fit en les priant de luy faire scavoir des nouvelles du Roy tres souvent.
Sur les six heures du matin due jour du mois de may, feste de l’Assencion de Notre Seigneur, le Roy appella le sieur Courrat, l’un de ses medecins ordinaire, luy dit : Monsieur, tirez moy le bras que j’ai hors du lit sans luy dire pourquoy, ce que fit le sieur Courret pour le contenter, et luy remit dans le lit. Ensuite le Roy se tourna vers les medecins et leur dit : Messieurs, croyez vous que je puisse aller jusqu’à demain, je serois bien aise d’y aller sy c’etoit la volonté de Dieu, le vendredy m’a esté bien souvent heureux, ayant remarqué que j’y ai gagné plusieurs victoires. Les medecins luy ayant dit qu’ils n’en n’estoient pas assurées, ils le considererent de tous costez et, l’ayant trouvé en tres mauvais etat, ils dirent que, si son redoublement le prenoit bien violemment, il y auroit à craindre qu’il n’y peut resister, n’ayant pas assez de force pour pouvoir le supporter.
Dans ce temps, Sa Majesté ordonna qu’on ouvrit les rideaux de son lit et les fenetres de sa chambre. On s’apperceut aussytost que sa veue etoit egarée, ce qui fit croire que la nature deffailloit. Le Roy demenda la messe, où il ne se trouva que peu de monde, parce que l’on la dit plus matin que coutume. Ce fut là qu’on remarqua sa grande resignation à la volonté du Seigneur. Apres la messe, Elle fit faire la lecture par le sieur Lucas dans la vie de Jesus Christ traduite en françois par le père Bernardin de Gevres de Montreuil. Pendant cette lecture, le Roy s’asoupit. S’estant trouvé tres fatigué et foible quand il fut revenu de ce sommeil, il y arriva une toux tres considerable. On luy donna du petit lait couppé pour [f. 201] luy pouvoir adoucir, remede tres inutil à ce mal qu’il prit avec bien de la peine, meme à la priere de la Reyne et de ses officiers, ayant pensé meme en estre suffloqué, car etant aussy dans une posture contrainte à cause qu’on luy avoit levé la teste pour le prendre. Ayant perdu l’haleine, comme s’il avoit eté evanoui, et auroit rendu l’esprit si on ne l’avoit pas remis au plustost. M. Boubard luy ayant taté le poux, luy dit, la larme à l’œil : Je crois, Sire, que ce sera bientost que Dieu delivrera Votre Majesté des peines de ce monde car on ne vous trouve plus guere de poulx. A ces paroles, le Roy dit sans s’emouvoir : Mon Dieu, faite moy misericorde, les yeux elevés vers le ciel, haussant la voix : Seigneur, que votre volonté soit faite, je suis prêt à souffrir pour l’amour de vous et pour la remission de mes pechez, et, se tournant ensuite vers messieurs de Meaux, de Lizieux, de Vantadour, le pere Dinet et d’autres ecclesiastiques qui estoient presens, leurs dit : Messieurs, je vous prie de ne me point abandonner dans cette occasion où il y va de mon salut eternel. La Reyne, qui etoit dans le cabinet, tres espleurée, estant venue, elle se jetta sur le lit du Roy en l’embrassant, les larmes aux yeux, si tendrement qu’on fut obligé de l’aracher de force, que monsieur de Souvray l’emmena dans son appartement, en faisant des cris qu’on entendoit de tous les cotez du château. Le Roy, luy ayant demandé pardon des chagrins qu’il avoit pu luy causer, continua ses adieux à ses enfans, aux princes et princesses du sang et ministres d’Etat, aux officiers de sa chambre, de sa garde robbe, de la bouche, du gobelet, et autres de sa Maison qui se trouverent presens, leur reiterant qu’il etoit faché de leur avoir pas fait autant de bien qu’ils en meritoient pour les bons services qu’ils luy avoient rendus, dont il etoit tres content, mais ce qui peut servir d’exemple aux roys, princes et grands seigneurs de ne pas attendre à la mort à [f. 201v] recompenser leurs officiers et domestiques, de n’en pas laisser à d’autres la commission qui fort souvent ne se mettent guere en peine d’efectuer leurs volontés. Ensuite, le Roy tira hors du lit sa main qu’il leur donna à baiser les uns apres les autres, la mouillant de leurs larmes. Sa Majesté fut si sensible à leurs peines qu’il retira sa main pour ne les plus voir. En fut advertir la Reyne, qui estoit dans son appartement, accablée de douleur. Elle amena messieurs ses enfans, que le Roy demanda à voir encore une fois. Sa Majesté leur recommanda plusieurs choses sur leur religion et à la Reyne d’avoir bien soin de l’education de ses enfans, meme aux princes d’avoir bien du repect et d’amitié pour la Reyne et pour ses enfans. Le Roy ordonna de les remener dans leur appar

Récit de la naissance de Louis XIV et des relevailles à Saint-Germain-en-Laye

« Ordre des ceremonies faites à la naissance de mondit seigneur le Dauphin, tant à Saint Germain que à Paris, en septembre 1638
Ce discours est de monsieur Saintot, maistre des ceremonies
La Reyne commença à se sentir du travail de son accouchement le samedy quatriesme de septembre mil six cens trente huit à unze heures du soir.
Le dimanche cinquiesme ensuivant, sur les cinq heures du matin, les douleurs s’augmenterent, dont le Roy fut adverty par la damoiselle Filandre. Sa Majesté en mesme temps alla chez la Reyne et envoya advertir monseigneur son frere unique, et aussi pareillement madame la Princesse et madame la Comtesse, lesquels se rendirent tous chez la Reyne à six heures du matin. Il n’y avoit en ladite chambre que le Roy, monseigneur son frere, ces deux princesses, madame de Vendosme par une grace particuliere que le Roy octroya à sa personne, sans qu’aucune princesse ny duchesse en peust prendre consequence, la dame de Lansac, comme destinée gouvernante du fruict qu’il plairoit à Dieu de donner, la future nourrisse de monseigneur le Dauphin, les dames de Senecey et de La Flotte, dames d’honneur et d’atour, les femmes de chambre et la dame Peronne, sage femme, laquelle seule accoucha la Reyne. Derriere et dehors le pavillon de l’accouchement, et à un coin de la chambre, estoit dressé un petit autel où les sieurs evesques de Lisieux, de Meaux et de Beauvais dirent les uns apres les autres leurs messes, et apres, devant ledit autel, firent continuellement des prieres jusques à ce que la Reyne fut accouchée, ce qui arriva sur les unze heures du matin. Dans le grand cabinet de la Reyne, proche la chambre, où le Roy alloit et venoit de l’une à l’autre, estoient la princesse de Guymené, les duchesse de La Trimouille et de Bouillon, les dames de La Ville aux Clercs, de Liancourt, de Mortemar, et quantité d’autres dames de condition de la cour et les filles de la Reyne, Monsieur l’evesque de Meaux, les ducs de Vendosme, de Chevreuse et de Montbason, les sieurs de Souvré, de Liancourt, de Mortemar, de La Ville aux Clercs, de Brion et de Chavigny, les archevesques de Bourges, evesques de Chaalons, de Dardanie, du Mans et quantité de personnes de condition de la cour, de prelats et principaux officiers de la maison du Roy. Donc sur les unze heures, la Reyne [p. 219] accoucha d’un filz, où dans le mesme instant le Roy le fit ondoyer dans la chambre par l’evesque de Meaux, son premier aumosnier, y assistant en outre tous les princes, princesses, seigneurs et dames de la cour, et monsieur le chancelier. Et après le Roy fut en la chapelle du vieux chasteau, suivy et accompagné de toute la cour, où le Te Deum fut chanté avec grande ceremonie. Puis Sa Majesté expedia le sieur du Perré Bailleul à Paris vers le corps de ville, seulement en donner advis.
[…]
[p. 228] Le dimanche vingt sixieme du susdit mois de septembre, la Reyne voulut estre relevée de sa couche et joindre publiquement ses actions de graces à celles de ses peuples, pour redonner à Dieu par voye de sacrifice et re connoissance ce precieux enfant qu’elle avoit receu de luy à titre de bienfait. Le defunt evesque de Lisieux, assez conneu entre ceux de son ordre par les avantages de sa doctrine et de son zele, eut à cet effet ordre expres de Sa Majesté de se rendre à Sainct Germain en Laye pour y celebrer la messe dans sa chambre, à laquelle assisterent plusieurs autres prelats, avec toute sa cour. Apres l’offertoire, le celebrant s’estant tourné pour attendre la Reyne, elle se leva de son drap de pied, qui par dessein avoit esté tenu dans la ruelle de son lict, et fort loin de l’autel, d’où Sa Majesté partit tenant son fils entre ses bras, comme les premices de son sainct mariage, qu’elle porta jusqu’à l’autel, où elle en fit à deux genoux une oblation au roy des roys, le destinant à son service avec sa personne sacrée, et luy donnant l’arbre et le fruict par une mesme offrande, qu’ensuite Sa Majesté scella par une communion qu’elle fit. La messe achevée, et l’evesque de Lisieux estant en pluvial et en mitre, Sadite Majesté prit monseigneur le Dauphin une seconde fois et l’alla presenter à la ceremonie. En cette solennité, outre les dames et les principaux officiers de sa Maison, employez à divers ministeres selon leur qualité, l’evesque de Saint Brieux et l’abbé de Sainct Denys, premier aumosnier de Sa Majesté, tenoient l’estole [p. 229] sur la teste de monseigneur le Dauphin, et l’evesque de Lisieux commençant la lecture de l’Evangile, ce fut merville que cet enfant royal arresta fixement sa veue sur ce grand prelat sans poussez un seul cry, comme si des l’entrée de sa vie Dieu l’eust rendu capable d’honorer les mysteres de l’Eglise par cette attention et ce silence respectueux. Mais c’est chose plus remarquable que l’evesque de Lisieux, prononçant certaines paroles qui l’obligerent de prendre ce petit prince par la main, à mesme temps il luy serra la sienne d’une vigueur et d’une force toute extraordinaire, donnant par là des augures qu’un jour son bras et sa puissance sera liée à celle des pasteurs pour la gloire de Dieu, pour le soustien de la Religion et la defense de l’Eglise. Cette ceremonie dura bien pres de trois quarts d’heure, pendant lesquels Sa Majesté portoit tousjours sans secours de personne ce cher enfant, de qui la contenance ravissoit tout le monde. Apres cela, on laisse à juger si ce n’estoit pas la raison que tous les soins des François et leurs affections fussent lors attachées à son berceau, s’il n’estoit pas juste d’esperer que ce soleil levant dissipera un jour tous les nuages qui couvrent ce royaume et si cette esperance n’oblige pas de benir à jamais Dieu qui l’a donné, le Roy qui l’a produit, et la Reyne qui l’a conceu pour la prosperité de cette monarchie.
Le lundy vingt septiesme septembre, le feu Roy partit de Chantilly et vint coucher à Luzarche, le lendemain à Escouan et arriva le mercredy vingt neufieme à Sainct Germain, où le defunt cardinal duc de Richelieu se rendit aussi des armées de Picardie le mesme jour et quasi à mesme heure que Sa Majesté, laquelle il trouva dans la chambre de monseigneur le Dauphin, où la Reyne estoit aussi. Il seroit mal aisé d’exprimer de quels transports de joye Son Eminence fut alors touchée, voyant entre le père et la mere cet admirable enfant, l’objet de ses souhaits et le dernier terme de son contentement. Puis Sadite Eminence s’en alla coucher à Ruel. »

Acte de naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« Le cinquiesme jour de septembre mil six cents trente huict, nasquit dans le chasteau neuf de Saint Germain en Laye, à onze heures un quart du matin, monseigneur le Dauphin, fils premier nay de tres chrestien et tres puissant monarque Louys, treiziesme de ce nom, roy de France et de Navarre, et de tres religieuse et illustre princesse Anne d’Austriche, sa tres chaste et chere espouse, et fut incontinent apres et le mesme jour ondoyé par reverend pere en Dieu messire Dominique Seguier, evesque de Meaux et premier aumosnier de Sa Majesté, avec les eaues baptismales de la paroisse de Saint Germain en Laye, baillées et livrées par me Pierre Cagnyé, prestre et curé de ladicte paroisse.
Bailly »

Acte de baptême de Louis de Comminges dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le vingt sixiesme jour d’avril mil six cents quarente, furent suppléées les ceremonies du saint sacrement de baptesme par messire Eustache de Lesseville, prestre et grand vicaire à Saint Germain en Laye, pour messeigneurs les tres reverends messires Jean François de Gondy, archevesque de Paris, et Eleonr d’Estampes, evesque de Chartres, dans la chapelle du chasteau viel à Louys, filz de messire Claude Roger de Comminge, marquis de Vervain, conseiller du Roy en ses conseils et premier maistre de son hostel, et de madame Gabrielle Angelique de Pouilly, sa femme, le parrain tres puissant et invincible monarque Louys de Bourbon, roy de France et de Navarre, la marraine tres illustre princesse madamoiselle Anne Marie Louyse d’Orleans, fille de Monsieur, frere unique de Sa Majesté, et ledit Louys, filz dud. seigneur marquis de Vervain, né du 14e jour de febvrier mil six cents trente et un. »

Acte de naissance de Philippe d’Orléans à Saint-Germain-en-Laye

« Le 21e jour de septembre 1640, print naissance et vint au monde dans le chasteau vieux de Saint Germain en Laye, sur les dix heures du soir, le second fils du roy Louys XIII, et sur les onze heures du mesme soir fut ondoyé par monsieur l’evesque de Meaux, 1er aumosnier du Roy, avec les eaux des fonts de baptesme de l’eglise dud. lieu, es presences des evesques de Lisieux et de Bazas. »

Récit de la réception de l’électeur palatin à Saint-Germain-en-Laye

« Après la sortie du prince electeur palatin du Bois de Vincennes, arrivée le 21 mars entre sept et huit heures du soir, que le sieur de Chavigny, accompagné entre autres du sieur Windebanck, gentilhomme envoyé expres d’Angleterre au Roy Tres Chrestien sur le sujet de la detention de ce prince, et du sieur Augier, agent en France pour le roy de la Grande Bretagne, fut querir Son Altesse electorale. En attendant que le prince Cazimir de Polongne et l’ambassadeur du Roy son frere fussent sortis de l’hostel des ambassadeurs extraordinaires pour luy faire place, il se vint loger chez l’ambassadeur extraordinaire [p. 808] d’Angleterre le comte de Leycestre, où le samedy trente uniesme de mars le duc de Chevreuse et le comte de Brulon vindrent sur les quatre heures du soir, par ordre de Sa Majesté, prendre ce prince electeur pour le conduire dans le carrosse de Sadite Majesté, suivy de celuy de la Reyne et de quelques autres, audit hostel des ambassadeurs extraordinaires. Des que ledit duc de Chevreuse y eut pris congé de S.A.E. et qu’Elle fut en sa chambre de lict, ledit comte de Brulon luy presenta les sieurs Cressy, maistre d’hostel ordinaire du Roy, Parfait, controlleur, et les gentilshommes servans designez par Sa Majesté pour servir S.A.E. Sur ce compliment, Sadite A.E. pria ledit comte de luy procureur audience de Leurs Majestez. Son A.E. coupa ensuite seule, ainsi qu’elle mangea toujours du depuis, servie avec le baston couronné, la viande portée à sa table par douze suisses de la garde du corps. Entre lesdits officiers du Roy estoient quatre pages, deux de la grande et deux de la petite escurie, et six valets de pied qui servirent S.A.E., et les carrosses du Roy et de la Reyne. Le dimanche premier d’avril, le comte de Brulon alla à Saint Germain pour scavoir le jour auquel Leurs Majestez vouloient luy donner audience, et en revint luy annoncer le mesme soir que lesdites audiences estoient appointées pour le mardy d’apres troisieme avril. Le lundy deuxieme, le sieur de Liancour vint complimenter Sadite A.E. de la part du Roy, et le comte d’Orval de la part de la Reyne. Le lendemain mardy, le duc de Chevreuse et le comte de Brulon se rendirent audit hostel des ambassadeurs extraordinaires sur les neuf heures du matin avec lesdits carrosses de Leurs Majestez pour recevoir ce prince dans celuy du Roy, auquel se mirent aussi quelques seigneurs anglois. Les carrosses de Leurs Majestez furent suivis de dix carrosses à six chevaux, remplis la pluspart de noblesse angloise, et en partie des gentilshommes de S.A.E. et de quelques gentilshommes alemans. Sadite A.E. arriva sur les onze heures au vieux chasteau de Sainct Germain, où toutes les gardes estoient en haye le tambour battant, comme elles estoient aussi à son depart. A sa descente de carrosse, elle fut conduite en la chambre de Monsieur, frere du Roy, d’où peu apres Elle fut menée par lesdits duc de Chevreuse et comte de Brulon vers la chambre du Roy. Le comte de Charraut, gouverneur de Calais et capitaine des gardes du corps, le receut à la première salle, où les gardes estoient semblablement en haye. Sa Majesté l’attendoit en la ruelle de son lict, mettant le chapeau à la main, puis l’ayant tiré dans ladite ruelle se couvrit, ce que fit aussi S.A.E. Leurs complimens furent courts, car le Roy le conduisit dans son cabinet, où n’entrerent que les principaux de la suite de S.A.E. Sa Majesté l’entretint tres amiablement. Cependant, on mit la nappe en la chambre du Roy, ce qu’estant fait le maistre d’hostel ordinaire entra audit cabinet pour advertir Sa Majesté que le disner estoit prest, qui prit Son A.E. par la main et la mena dans sadite chambre de lict, où la table estoit couverte. Sadite A.E. y presenta la serviette à Sa Majesté, laquelle [p. 809] luy fit ensuite signe de laver et de s’asseoir sur le tabouret qui luy estoit preparé. Elle lava les mains et s’assit à costé gauche au dessous du Roy, avec distance d’environ deux ou trois couverts entre deux. Son A.E. fut servie en mesme temps et de mesmes viandes que Sa Majesté, qui à l’issue du disner mena derechef Sadite A.E. dans son cabinet où, apres s’estre entretenus quelque temps, Son A.E. prit congé du Roy, et retourna en la chambre de Monsieur, attendant qu’il put voir la Reyne, qui peu apres l’envoya querir. Lors lesdits duc et comte le conduisirent vers elle, les gardes estoient pareillement en haye. Il fit une profonde reverence à Sa Majesté, et apres luy avoir fait ses complimens, on luy presenta le tabouret sur lequel il s’assit. Son A.E. se tint toujours decouvert devant elle, par respect envers Sa Majesté, et les dames qui estoient aupres d’elle, entre lesquelles estoient Madamoiselle, madame la comtesse de Soissons et madamoiselle de Longueville, qui s’assirent aussi apres que la Reyne et Sadite A.E. furent assis. L’entretien y dura environ une demie heure. Apres lequel Sadite A.E. alla saluer monseigneur le Dauphin, d’où au sortir de sa chambre elle rentra en carrosse avec les susdits duc et comte, et s’en vint à Ruel pour voir le cardinal de Richelieu. »

Mention dans le registre paroissial de Saint-Germain-en-Laye du serment prêté par le duc de Lorraine au roi dans la chapelle du Château-Vieux

« Le 2e jour dud. mois, le duc Charles presta serment de fidelité au Roy dans la chapelle du viel chasteau de Saint Germain en Laye en presence de monseigneur le cardinal de Richelieu, quatre mareschaux de France et du Conseil de Sa Majesté. »

Acte de baptême de Louis Le Boulanger de Montigny dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Le vingt cinquiesme jour de janvier 1642, furent suppléées les ceremonies du saint sacrement de baptesme dans la chapelle du viel chasteau à Louys, filz de noble homme [vide] Congis, cappitaine des Thuilleries du Louvre à Paris, par messire de Bernage, aumosnier du Roy, en ayant esté requis par M. le curé de Saint Germain en Laye et y assistant pour led. sieur curé moy soubz signé Bailly son vicaire, et ledict filz aagé de dix à onze ans ou environ, le parrein desdictes ceremonies tres hault et tres puissant monarque Louis de Bourbon, roy de France et de Navarre, la marreine Anne Marie Louise de Bourbon d’Orleans, fille de Monsieur, frere unique de Sa Majesté.
Bailly »

Récit de l’hommage rendu au roi pour le duché de Bar à Saint-Germain-en-Laye

« Narré de ce qui s’est passé à l’entrée et reception du duc Charles de Lorraine faite par moy comte de Brulon, introducteur des princes estrangers et ambassadeurs, l’an 1641
Aussitost que l’on sceut à la cour que le duc de Lorraine quittoit le party d’Espagne pour se ranger à son devoir et venir trouver le Roy, je fus commandé par Sa Majesté d’aller au devant de luy jusques à La Ferté sous Yerre, avec un maistre d’hostel, deux gentilshommes [p. 810] servans, controlleur general et autres officiers pour le traiter, et luy presenter les carrosses du Roy et de la Reyne pour le conduire. Luy ayant presenté lesdits officiers, et dit comme la France se resjouyssoit de le voir aux bonnes graces du Roy, dont il recevroit des temoignages si grands qu’à la confusion de ses ennemis l’on verroit que le seul moyen de vaincre le Roy estoit de se soumettre à sa bonté. Il me repartit qu’il n’avoit jamais eu repos en son esprit que apres avoir pris la resolution de reparer ses fautes par son sang en servant un prince si bon et si grand, que ses actions serviroient d’exemple à la posterité pour justement et genereusement regner. Ces paroles finies, l’on monta en carrosses pour venir coucher à Meaux, où le presidial et la Maison de ville le vint saluer. Le lendemain, l’on vint disner à Chelles. Puis en arrivant au Bois de Vincennes, le comte de Harcourt le vint trouver avec plusieurs carrosses à six chevaux ; fut conduit à l’hostel d’Espernon, meublé aux depens du Roy. Le lendemain, contre la coustume, qui est que la premiere visite se fait au Roy, fut au logis du cardinal de Richelieu, où la forme de la reception avec le Roy fut conclue. Le lendemain, le duc de Chevreuse et moy le menames trouver le Roy, les gardes suisses en leurs ordres, les suisses du corps du long du degré. Nous le conduisimes en la chambre du Roy, lequel estant dedans sa chaire dans la ruelle de son lict, voyant le duc Charles approcher du balustre, se leva pour l’aller embrasser. Son Altesse au contraire se jetta à genoux devant luy, luy demandant pardon de ses fautes passées. Le Roy, en le relevant, l’embrassa et le voulant approcher de son lict, il se jetta derechef à genoux, luy redemandant encore pardon. Le Roy l’embrassant pour la seconde fois, le retirant vers son lict, et le voulant faire couvrir, iol se jetta pour la troisieme fois à genoux, disant que c’estoit la posture qui luy estoit la mieux seante. Neantmoins, le Roy luy mit son chapeau sur la teste, le prenant par la main, le menant dans son cabinet, où, apres une heure ou deux d’entretien, il me commanda de le mener à la chambre de la Reyne, et de là le mener voir sa famille, c’est-à-dire messeigneurs ses enfans.
Revenant à Paris, il fut en ceremonie visiter ledit cardinal, où il luy ceda la main et la porte. Quelques jours se passerent ensuite à faire le traité, par l’evenement duquel on verra qu’au Roy seul appartient, Parcere subjectis et debellare superbos. Le mardy des feries de Pasques, le Roy prit jout de luy donner à disner, et prester le serment d’entretenir le traité du vingt neufieme mars fait entre le susdit cardinal et Son Altesse, et ratifié par le Roy. Le matin du mesme jour, le Roy s’assist en son lieu et chaire ordinaire, Son Altesse trois places plus bas sur un escabeau pliant, du mesme costé, servy par le controlleur general Parfait. Apres les tables levées, et la visite de la Reyne, je le menay dans la chapelle. Vespres estant dites, l’evesque de Meaux, estant revestu de ses habits pontificaux, apporta le livre des Evangiles au Roy, qui se mettant à genoux dessus son banc, il jura l’observation du traité. Le duc de Lorraine, à genoux à costé sur le tapis du Roy, fit le mesme serment en presence dudit cardinal, [p. 811] du chancelier et de plusieurs princes et seigneurs de la cour. Huit jours apres, les difficultez pour l’hommage de la duché de Bar estans levées, le Roy me commanda de mener ledit sieur de Lorraine dans son cabinet, où il l’attendit sans se mouvoir ny oster son chapeau, ayant le chancelier à costé de luy. Ledit duc de Lorraine, estant en bas dessous, se mit à genoux sur un carreau qui luy estoit preparé, ses mains nues entre celles du Roy, fit hommage lige pour la duché de Bar, avec ses dependances, selon les formes ordinaires pratiquées en semblable occasion. Peu de jours apres, il fit ses adieux au Roy et à la Reyne, et tout le monde, et se retira en son pays, comblé d’honneurs et de biensfaits de Sa Majesté. »

Acte de décès de Louis XIII à Saint-Germain-en-Laye

« Le quatorziesme jour de may mil six cents quarente trois, feste de l’Ascension de Nostre Seigneur, à deux heures apres midy, au grand regret, perte et trop tost pour le bien de toute la France, apres une longue et langoureuse maladie, mourut dans le chasteau neuf de Saint Germain en Laye tres puissant, tres victorieux et tres chrestien prince Louys de Bourbon, treiziesme du nom, surnommé le juste, fils aisné de l’Eglise, aprest avoir receu pendant sad. maladie les saints sacrements de penitence eucharistique et extreme onction avec une tres grande et exemplaire devotion, aagé de quarente deux ans sept mois dix sept jours, ayant regné heureusement trente trois ans entiers tout juste, roy de France et de Navarre, laissant pour successeur en la place tres illustre prince Louis de Bourbon, quatorziesme du nom, surnommé Dieudonné, son fils aisné, Daulphin de France, aagé de quatre ans huict mois neuf jours seulement, qui fut tout aussitost conduit en la chapelle du viel chasteau, où il fut recognu, honoré et proclamé Roy par la Reyne regente, sa mere, premierement, puis ensuitte par messieurs les ducs d’Anjou, son frere unique, d’Orleans, son oncle, monsieur le Prince, et generallement par tous les autres princes, prelats, seigneurs et officiers estants pour lors en cour, en fort grand nombre, avec toutes les protestations de service et obeissance deues à Sa Majesté. »

Récit de l’hommage rendu au roi pour le duché de Bar à Saint-Germain-en-Laye

« Relation de ce qui s’est passé en l’hommage rendu au roy Louys XIII par le duc Charles de Lorraine pour le duché de Bar à Saint Germain en Laye au mois d’avril 1641
Le mardi deuxieme avril 1641, le Roy donna ordre au sieur de Chavigny, secretaire d’estat, de proposer au duc Charles de Lorraine de rendre la foy et hommage qu’il estoit tenu de faire à Sa Majesté à cause de son duché de Bar mouvant de sa couronne, suivant le troisieme article qu’il venoit de faire avec Sadite Majesté le 29 mars precedant. Sur quoy ledit duc Cahrles dit audit de Chavigny qu’il estoit prest de rendre la foy et hommage pourveu que l’on adjoustast en la forme de l’acte que l’on luy avoit fait voir qu’il rendoit cette foy et hommage comme avoient fait les ducs de Lorraine ses predecesseurs, ce que Sa Majesté trouva bon. Neantmoins, estans en son cabinet et attendant que ledit duc fust venu pour rendre cette foy et hommage, ainsi qu’il estoit demeuré d’accord, il pria ledit de Chavigny de faire scavoir à monsieur le chancelier qu’il desiroit luy proposer quelques difficultez sur la prestation de ladite foy et hommage, ce qui donna sujet audit chancelier de venir trouver ce duc, qui estoit proche la porte du cabinet du Roy, où estant il luy dit qu’il ne scavoit ce que l’on desiroit de luy, qu’il n’avoit aucune connoissance de la forme de la foy et hommage que ses predecesseurs avoient rendue pour le duché de Bar et qu’il doutoit mesme s’il estoit obligé de la rendre en la forme que l’on proposoit, qu’il avoit ouy dire autresfois à ses officiers que les trois derniers ducs ses predecesseurs n’avoient fait aucune foy et hommage, qu’il avoit en son duché de Bar tous les droicts regaliens et que mesme il pouvoit faire des loix, suivant lesquelles le parlement de Paris estoit obligé de juger en cas d’appel de ses juges, qu’il n’avoit aucune personne de conseil aupres de luy pour prendre resolution de ce qu’il devoit faire sur ces difficultez, neantmoins qu’il estoit prest de rendre obeyssance aux commandemens du Roy et de faire tout ce qu’il luy ordonneroit. Sur quoy le chancelier luy representa que lrosqu’il avoit fait le traité, il avoit proposé les mesmes difficultez et que l’on luy avoit fait voir que les ducs de Lorraine estoient hommes liges du Roy à cause du duché de Bar, mouvant de la couronne de France, que jamais la mouvance n’avoit esté revoquée en doute par les ducs ses predecesseurs, qui en avoient rendu la foy et hommage lige aux roys de France, que si les roys Charles IX et le roy Henry III avoient donné aux ducs ses predecesseurs les droits regaliens, cela ne les exemptoit pas de la foy et hommage, d’autant que [p. 674] par les lettres patentes verifiées à la requeste mesmes des ducs ses predecesseurs, les roys de France se reservent le ressort et la souveraineté et l’hommage lige, et est porté par lesdites lettres que le duc de Lorraine qui estoit lors en avoit fait la foy et hommage ; qu’il estoit vray que les appellations de ses juges ressortissoient aux cas du presidial au bailliage de Sens et autres cas en la cour de parlement, qui juge suivant les coustumes du Barrois qui ont esté verifiées en ladite cour de parlement, que les ducs de Lorraine, comme ducs de Bar, ne pouvoient changer les coustumes ny donner de nouvelles loix à leurs sujets sans verification du parlement, qui estoient des marques asseurées de souveraineté et que, partant, il ne devoit faire aucune difficulté de rendre la foy et hommage lige, ainsi qu’il estoit porté par l’acte qui luy avoit esté presenté ; que les roys d’Angleterre, les ducs de Bretagne, les ducs de Bourgongne, l’archiduc d’Austriche l’avoient rendue autresfois aux roys de France pour les terres qu’ils possedoient mouvantes de la couronne en la mesme forme que l’on desiroit de luy, neantmoins que s’il faisoit quelque difficulté, il representeroit au Roy ce qu’il luy avoit dit pour recevoir sa volonté. Ensuite de quoy ledit chancelier estant venu trouver le Roy et luy ayant fait entendre les difficultez proposées cy dessus par ce duc, Sa Majesté luy commanda de luy faire scavoir qu’Elle ne vouloit point le presser, qu’Elle desiroit qu’il prist du temps pour s’instruire de ses droicts et que l’on luy feroit voir par bons titres l’obligation qu’il avoit de rendre cette foy et hommage lige. Ce qu’ayant esté rapporté par le chancelier audit duc, il dit que la difficulté qu’il avoit proposée n’estoit pas qu’il eut dessein de differer de rendre la foy et hommage, au contraire qu’il estoit prest ainsi qu’il avoit dit de rendre l’obeyssance aux commandemens du Roy et de se jetter à ses pieds, qu’il prioit Sa Majesté de luy accorder cette grace qu’il le fist. Et, de fait, s’estant approché de Sa Majesté, il luy auroit dit que la difficulté qu’il avoit faite n’estoit pas pour differer de rendre la foy et hommage et l’auroit prié par trois et quatre fois, avec grande instance, de luy permettre de la rendre et qu’il vouloit obeyr à ses commandemens. Sur quoy Sa Majesté luy auroit fait reponse qu’Elle avoit resolu de luy donner du temps pour connoistre ses droicts et que dans huit jours il pourroit, estant bien informé, faire la foy et hommage, et que l’on luy feroit voir les actes qui justifient les droicts de sa couronne. Huit jours apres, les difficultez pour l’hommage de ladite duché de Bar estans levées, le Roy commanda au comte de Brullon, un des introducteurs des princes estrangers et ambassadeurs, de mener ledit sieur de Lorraine, lequel l’attendit dans son cabinet, sans se mouvoir ny oster son chapeau, ayant le chancelier à costé de luy. Ce duc estant en bas dessous, se mit à genoux sur un carreau qui luy estoit preparé, et ses mains nues entre celles du Roy, fit hommage lige pour la duché de Bar, avec ses dependances, selon les formes ordinaires pratiquées en semblables occasions. Peu de jours apres, il fit ses adieux, et se retira comblé d’honneurs et de bienfaits de Sa Majesté. »