Lettre concernant la restauration de la chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye
- 20
- Pièce
- 3 mars 1880
Fait partie de Corpus numérique sur l'histoire du château et des jardins de Saint-Germain-en-Laye
« Saint-Germain-en-Laye, 3 mars 1880
A Son Excellence le ministre des Beaux-Arts, Paris
Monsieur le Ministre,
Je viens appeler votre sollicitude sur les travaux de réédification de la chapelle du château de Saint-Germain, qui, s’ils devaient se terminer d’après le plan en cours d’exécution, donneraient une singulière idée du goût français.
Du côté de la place, on a conservé pur notre architecture ogival avec ses lignes irréprochables. L’effet en est charmant et pour celui qui possède le moindre sentiment des choses simples et belles, il doit être heureux de voir l’art si bien compris. Pourquoi ne pas avoir suivi le même style du côté de la cour, qui s’imposait tout naturellement ? C’était tellement rationnel que la question reste indiscutable.
On a eu la malheureuse idée, Monsieur le Ministre, de faire des contreforts et une espèce de couronnement qui détruisent l’effet de l’ensemble de la chapelle, un hors d’œuvre qu’il fallait respecter. N’imitons pas le vandalisme de Louis XIII dont les constructions sont heureusement détruites.
Le plan qu’on suit maintenant est peut-être du dernier empire. Est-ce un motif pour le suivre ? Nous avons eu à réformer tant de choses de ce malheureux règne que nous sommes engagés moralement à persister dans cette voie.
Je pense, Monsieur le Ministre, et mon opinion n’est pas isolée, qu’on ne peut hésiter à faire disparaître des constructions qui pourraient faire supposer que nous sommes en pleine décadence.
Quand il s’agit d’un monument public de cette importance, rappelant des souvenirs historiques d’une des plus brillantes époques de l’art, il ne doit pas être permis sous un gouvernement comme celui que nous possédons de se livrer aux fantaisies que nous avons sous les yeux.
Prouvons à tous que notre jeune République s’inspire d’idées grands et nobles en édifiant des monuments irréprochables et en dehors de toute critique. Nous sollicitons assurément les suffrages des gens d’esprit, ainsi que ceux dont l’intelligence est portée vers le bien et le beau.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.
Bédie
Rentier, rue du Viel-Abreuvoir, n° 11, Saint-Germain-en-Laye »
Cette lettre est annotée : « Viollet-le-Duc »