Affichage de 183 résultats

Description archivistique
Louis XIV
Aperçu avant impression Affichage :

Lettre de Guy Patin concernant le siège de Paris par le roi établi à Saint-Germain-en-Laye

« Je vous ecrivis ma derniere vendredi, 8 de janvier, et depuis ce temps là plusieurs choses fort memorables sont arrivées ici. Ce vendredi 8, tandis que le Roi et toute la cour etoient à Saint Germain, le parlement donna arret contre le Mazarin, par lequel il fut declaré criminel de lese majesté, comme perturbateur du repos public ; le samedi, il fut ordonné que l’on leveroit des troupes pour la defense de la ville de Paris, [p. 404] et ce meme jour M. d’Elbeuf le père, M. de Bouillon Sedan, frere ainé du marechal de Turenne, le marechal de La Mothe Houdancourt, le marquis de La Boulaye, le marquis d’Aubeterre et autres seigneurs se presenterent pour commander et avoir charge dans l’armee que Paris s’en alloit lever. […] [p. 405] M. du Tremblai, frere du defunt père Joseph, capucin, accusé d’avoir trop tot rendu la Bastille à MM. du parlement, a eté condamné à Saint Germain d’avoir la tete tranchée. La Reine est tellement irritée contre Paris qu’elle a chassé auprès d’elle mademoiselle Danse, qui etoit une de ses femmes de chambre, pour avoir voulu lui parler pour Paris. […] [p. 406] Quelques cavaliers des troupes de M. le prince de Condé sont allés de Saint Germain à Meudon, où ayant trouvé quelque resistance dans le château, par les paysans qui s’y etaient retirés, ils y ont joué de main mise et en ont tué plusieurs, puis ont pillé le château. […]
Toute la cour est à Saint Germain avec le Mazarin ; M. le Prince voltige de ça et de là avec des cavaliers, pour empêcher l’abord de Paris à toute sorte de marchandise. »

Lettre de Guy Patin concernant la paix après le siège de Paris par le roi établi à Saint-Germain-en-Laye

« Sur les propositions d’un second envoyé de l’archiduc Leopold, la cour, avant que d’en deliberer, a arreté d’en donner avis à la Reine, et a envoyé à Saint Germain expres pour obtenir passeport, afin d’y pouvoir aller en sureté, et a eté arreté que les deputés qui iroient à Saint Germain ne seroient plus MM. les gens du Roi, mais qu’ils seroient pris du corps de la cour, savoir M. le premier president, avec un president à mortier, deux conseillers de la grand’chambre, un deputé de chaque chambre des cinq des enquetes, et deux des requetes, c’est à dire onze en tout. La Reine, ou au moins son conseil, a fait difficulté d’envoyer et d’accorder ce passeport, disant qu’elle vouloit savoir quels seroient ces deputés. Mais tout cela n’etoit que pour gagner du temps, en attendant reponse de deux deputés qu’elle a envoyés à l’archiduc Leopold, où on croit qu’elle ni eux ne gagneront rien, vu que ledit archiduc Leopold s’est fort declaré pour nous et pour le parlement, par cet envoyé, et particulierement contre le cardinal Mazarin, joint qu’il a pres de soi une dame pleine de persuasion, qui est madame de Chevreuse, laquelle ce Mazarin a fait exiler hors de France, il y a plus de quatre ans, et qu’elle hait fortement sur toutes les choses du monde, et neanmoins lesdits deputés sont partis de cette ville, le mercredi 24 de fevrier, avec les assurances requises, et sont allés coucher à Saint Germain en Laye, pour y voir la Reine. Utinam feliciter ambulent, et que les remontrances serieuses que M. le premier [p. 428] president va faire à la Reine puissent lui disposer l’esprit à faire la paix et à ne rien porter à l’extremité, vu que tout est pardu, si elle en vient là, par le mauvais conseil des mechants politiques partisans, banqueroutiers et interessés, du nombre infini desquels elle est assiegée. Si la guerre s’echauffe davantage, nous en aurons tant plus de mal ; mais aussi les affaires s’irritant, il y aura beaucoup plus de danger pour la Reine. Tout le monde est ici merveilleusement animé contre la Reine ; ce cardinal, et M. le Prince, l’unique protecteur qui, voulant conserver dans la faveur et pres de la Reine ce malheureux cardinal, cause tous les desordres qui sont de deça. On crie ici tout haut avec beaucoup d’impatience qu’il ne faut point que nos generaux temporisent davantage, que nous n’avons que faire de secours etrangers, qu’il faut aller droit et tete baissée à Saint Germain assieger le chateau, dans lequel ce malheureux et maudit fourbe est enfermé, qu’il faut ramener le Roi et la Reine à Paris, et mettre dans la Conciergerie le cardinal, au meme lieu dans lequel fut autrefois mis Ravaillac, et de là le mener à la Greve, pour faire un exemple à la posterité, et apprendre aux Italiens à ne plus venir ici se fourrer si aisement à la cour, à la desolation et ruine d’un si florissant royaume, comme pareillement vouloit faire autrefois le marquis d’Ancre, qui en fit à la fin tres mauvais marchand, avec sa femme et a suite. […]
[p. 429] Tandis que le peuple et les mutins s’impatientent de la haine, qu’ils ont tous très grande, contre le Mazarin, les moderés et les plus sages esperent que MM. les deputés du parlement reviendront demain de Saint Germain, où ils sont allés saluer la Reine, et confere avec elle et les siens pour trouver quelque moyen, si detur in natura, d’apaiser et de pacifier tout le desordre de la guerre qui s’allume dans l’Etat, parmi un si grand mecontentement et presque universel de tous les bons François. […]
[p. 430] Enfin nos deputés sont revenus de Saint Germain le vendredi 26 de fevrier. Le samedi matin, ils ont fait leur rapport qu’ils avoient eté tres bien reçus à Saint Germain de tous les seigneurs et princes qui y sont, et meme de la Reine, laquelle leur a donné audiance dans son cabinet, assistée du duc d’Orleans, du prince de Condé, des quatre secretaires d’Etat, du cardinal Mazarin et de l’abbé de La Riviere. Le premier president lui parla en peu de mots, mais fort genereusement, et si hardiment que tout le monde s’etonna que la Reine ne lui imposat silence. Quand il eut achevé de parler, la Reine lui dit que, M. le chancelier n’ayant pu se trouver à cette conference à cause qu’il etoit malade, elle leur feroit savoir et entendre sa volonté par ecrit, ce qu’elle fit, dont voici la substance. La Reine ne refuse point un accommodement, et desirant de conserver sa bonne ville de Paris à son service, contre laquelle elle n’a aucune rancune ni desir de vangeance contre aucun qui que ce soit, ni en sa charge, ni en ses biens, ni en sa vie, elle desire que MM. du parlement deputent certain nombre de leur corps, et ce au plus tot, qui confereront de la paix entre elle et Paris en un lieu qui sera accordé et agréé de part et d’autre, à la charge que lesdits deputés auront tout pouvoir de conclure sur le champ de tous les articles, sans qu’il soit besoin d’en rapporter à la cour, et tout cela pour avoir tant plus tot fait ; à la charge que, des le jour meme que la cour de parlement aura accordé et nommé les deputés [p.431] pour ladite conference, elle ouvrira un passage par lequel il viendra du blé et autres provisions suffisamment pour Paris. Voilà ce qui fut rapporté à la cour samedi matin, et la deliberation fut remise au meme jour apres midi, à la charge que MM. les princes de notre parti y seroient appelés. Mais rien ne fut conclu ce jour là, lesdits sieurs princes ayant temoigné que cette deliberation ne leur plaisoit point, et le tout fut remis au lendemain dimanche, auquel fut conclu que deputés seroient nommés selon l’intention de la Reine. […]
[p. 432] Madame la Princesse la mere est à Saint Germain, laquelle tient, avec tout le reste de ce qui est à la cour, si fort notre parti contre le Mazarin que la Reine lui en a fait querelle, et de là ces deux femmes, echauffées sur le Mazarin, se sont fait de beaux reproches l’une à l’autre. […]
[p. 433] Enfin la paix a eté signée de part et d’autre, c’est à dire par les deputés de la Reine et les notres, le jeudi 11 de mars à neuf heures du roi, et vendredi soir, qui fut le lendemain, [p. 434] MM. nos deputés revinrent de Revel ; et ce meme jour là, il y eut dès midi ici entrée libre de beaucoup de denrées qui etoient arretées ici alentour. […] Trois articles particulierement deplaisent à quelques uns, et pour cet effet MM. nos deputés du parlement seulement sont retournés [p. 435] à Saint Germain avec une belle escorte en faire remontrance à la Reine, afin d’en obtenir quelque modification, comme il y a grande apparence qu’ils l’obtiendront, et meme M. le premier president l’a fait croire au parlement, et en ce cas là notre paix vaudra tout autrement mieux que la guerre de tous les princes et que le secours que l’on nous a tant promis de Normandie et de Poitou, qui a trop tardé à venir. Ils ont charge pareillement de traiter de l’accommodement des princes qui ont suivi notre parti. De ces trois articles, le premier est que le parlement, en corps, iroit faire une seance à Saint Germain, où le Roi en personne assisteroit et seieroit en son lit de justice, où seroit verifiée la declaration de paix avec tous ses articles, et datée datée Saint Germain, en recompense qu’au commencement de la guerre MM. du parlement n’avoient pas obei à la Reine lorsqu’elle vouloit qu’ils allassent à Montargis. Le deuxieme est de souffrir les prets pour deux ans au dernier douze. Il n’y a que ceux qui preteront leur argent aux grands partisans qui y pourront perdre, et infailliblement y perdront, car que le Roi n’est nullement en etat de payer ses dettes de longtemps, vu l’effroyable profusion qui a eté fait de ses finances par tant de voleurs depuis vingt cinq ans. Le troisieme est que MM. du parlement ne pourront faire le reste de cette année aucune assemblée generale dans la [p. 436] grande chambre sur matiere d’Etat. Mais à tous ces trois articles la solution y seroit aisée, et je pense que la Reine, dans le desir qu’elle doit avoir de la paix, les accordera tous trois, et autre chose meme, si on lui en demandoit. […] Nos deputés sont encore à Saint Germain en leur conference pour la paix, où ils ont obtenu une abolition des trois articles de ci-dessus. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un possible séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi et le Mazarin partirent hier pour aller passer quelques jours à Saint Germain, où on se resoudra par quel voyage le Roi commencera sa campagne. […]
[p. 244] M. de Maisons, president à mortier, avoit eté exilé ; il est revenu et a marié sa fille avec un grand maitre de la garde robe nommé M. Saucour, et ainsi a refait sa paix. Il avoit la charge de capitaine de Saint Germain et maitre des chasses, qu’on avoit donnée à M. de Beaumont. En ce voyage de Saint Germain, le Roi la doit oter audit de Beaumont, et y installer ledit de Saucour : ainsi voilà M. de Maisons, jadis en disgrace, tout retabli. Ainsi le temps, le credit et l’argent font tout, partout, et principalement à la cour, uni nummus multus magnum nomen est. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Trainel, fils d’un papetier devant le Palais, agé d’environ vingt huit ans, apres avoir eté condamné au Chatelet, a été transferé à la Conciergerie. Enfin, apres environ un mois de temps, son appel a eté jugé à la Tournelle, et la sentence confirmée ; tot apres on a apporté au president de la Tournelle, qui est M. Le Coigneux, une lettre de cachet, par laquelle le Roi veut que l’execution soit sursise. Des le lendemain (ce 25 fevrier), messieurs de La Tournelle ont envoyé des deputés au Roi pour lui faire entendre la justice de leur arret. M. le president Le Coigneux a donc eté à Saint Germain, où il a eté bien reçu du Roi et bien ecouté. M. Renard, conseiller de la grand chambre et rapporteur du proces, y estoit aussi. »

Lettre de Guy Patin mentionnant une revue de troupes faite par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi veut faire faire la revue à ses 10000 hommes, quatre ou cinq jours durant, dans la plaine de Houille entre Saint Germain, Sartrouville et Argenteuil, où il fera voir une belle representation de la guerre aux dames de la cour, qui aiment de tels combats, où l’on s’echauffe jusqu’à la sueur meme, mais où l’on ne tue personne. Apres cette revue faite, on dit que les troupes ont ordre de marcher au rendez vous qui leur sera assigné. Mais où sera ce ? Personne ne le sait que ceux qui commandent, et je ne puis encore me persuader que ce soit en Flandre, et plut à Dieu que ce fut plutôt contre le Turc. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 7 octobre 1667
Je reçus dimanche l’honneur de la lettre de Votre Altesse royale du 24 septembre dernier et le lundi j’allai à Saint Germain ; j’avais été averti par les introducteurs que Sa Majesté me donnerait une audience. J’y arrivai à neuf heures du matin, quoique l’on ne m’eût averti que pour dix. Le Roi [p. 145] était déjà au Conseil ; il me fit appeler, je lui parlai seul à seul dans son cabinet et lui dis mot à mot le compliment que Votre Altesse royale m’avait chargé de lui faire. Le Roi avait le visage assez riant, il me répondit qu’il était déjà très persuadé de l’amitié qu’Elle a pour lui, que je pouvais assurer Votre Altesse royale de la sienne et que dans les occasions de son service elle en recevrait des véritables marques.
Je lui présentai ensuite le placet et l’arrêt pour les gentilshommes et magistrats, secrétaires d’Etat et contrôleurs des guerres de Savoie qui ont du bien en Bresse et en Dauphiné.
A même temps, je lui présentai aussi la lettre que Votre Altesse royale lui a écrite en faveur de M. Marquisio, avec le placet et le mémoire des services de celui ci et qu’il m’avait remis ; je l’accompagnai de tous les bons offices possibles. Le Roi me répondit qu’il verrait le tout, puis je me congédiai et, comme j’étais déjà à quatre pas de lui, il m’appela en venant à moi et me dit fort obligeamment : « Monsieur, je vous prie de vous ressouvenir d’écrire à monsieur de Savoie ce que je vous ai dit touchant notre amitié, et que ce sont [p. 146] des mouvements du cœur ». Je l’en remerciai et l’assurai des partialités que Votre Altesse royale a pour sa personne et un zèle passionné pour son service.
Il est certain que l’on ne s’est pressé de déclarer monsieur le Prince que pour faire connaître à M. de Turenne que l’on avait d’autres capitaines en France ; il veut tout faire à sa mode et indépendamment de tout le monde ; il est à Enghien, où il ne fait que ruiner le pays.
J’ai reçu la lettre pour madame de Villequier et les ordres pour faire les compliments à messieurs Le Tellier et de Louvois : je croyais, lundi que je fus à Saint Germain, de les exécuter ; comme je vis le Roi et après dîner M. de Lionne qui m’avait donné heure, je croyais après cela de voir ces messieurs, père et fils, mais ils sortirent d’abord qu’ils eurent dîné dans un carrosse à six chevaux ; mais à Saint Germain, la nouvelle était publique des honneurs et des caresses que Votre Altesse royale a faits M. l’abbé Le Tellier ; M. son [p. 147] père, ses frères et ses parents, s’en sont loués hautement et M. le marquis de Villequier, qui est présentement de quartier, m’en parla à la messe du Roi avec des termes d’une reconnaissance très respectueuse. Je lui dis que j’étais en partie là pour visiter messieurs Le Tellier et de Louvois et pour les remercier des témoignages et assurances que cet abbé avait donnés à Votre Altesse royale de leur amitié.
Quand j’arrivai ici, quoiqu’il fût fort tard, j’envoyai chez M. Le Tellier pour savoir s’il était en cette ville ; il se trouva qu’au partir de Saint Germain, il était allé à une maison qu’il a à trois lieues de là. Le lendemain au matin j’eus un page de madame de Villequier, qui vint savoir à quelle heure elle me pourrait trouver et soudain après le [p. 148] dîner elle fut céans ; elle déploya toute sa rhétorique et, l’accompagnant de tous ses charmes, elle me témoigna les obligations qu’elle avait à Vos Altesses royales pour les honneurs que vous avez faits à son frère. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une comédie donnée à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 28 août 1669
Il y eut dimanche dernier une comédie et ballet à Saint Germain. Quoiqu’on n’y conviât personne, la Reine dit qu’elle voulait que l’ambassadrice et sa fille y allassent. Ma femme, étant au lit croyant de s’être blessée, y envoya sa fille et, croyant qu’il [p. 331] y eût bal, elle l’avait parée et mis ses pierreries. Comme la foule y fut très grande, cette enfant a perdu une boîte de diamants et un poinçon de la valeur d’onze ou douze cents pistoles. La Reine lui voulut parler elle-même et donna des ordres aussi bien que le Roi pour que l’on les cherchât, envoya des officiers des gardes dans la salle parler au concierge et au tapissier, qu’ils menacèrent de peines très rigoureuses. Le lendemain, la boîte se trouva dans la retrousse de la robe d’une des demoiselles de mademoiselle de Montpensier ; on la remit à M. le marquis de Saint Damien, qui était là. Pour le poinçon, qui ne vaut pas deux cents pistoles, il est perdu.
Le Roi, l’ayant su, a envoyé aujourd’hui visiter la marquise de Saint Maurice par M. de Bonneuil sur son infirmité. Après avoir fait son compliment, il a demandé l’Angélique, lui a dit que Sa Majesté ayant appris que son poinçon était égaré, que comme il s’en était trouvé un, qu’il le lui envoyait, et lui en a remis un très beau et de [p. 332] grande valeur. On me l’est venu dire dans ma chambre ; je suis passé dans celle de ma femme, j’ai fait mon possible pour le faire reprendre à M. de Bonneuil, lui représentant que je ne méprisais pas les bienfaits du Roi mais que j’étais dans un emploi à ne pouvoir pas les accepter ; il n’a jamais voulu le reprendre, quoique je l’aie prié de le faire et de le garder jusqu’à ce que j’eusse écrit à Votre Altesse royale pour avoir ses ordres sur ce que j’aurais à faire. Il a dit que le Roi ne prétendait pas de me rien donner, mais qu’il ne voulait pas que ma fille perdît rien chez lui et que l’on ne devait rien trouver de suspect en cette action, qu’il était vrai que l’Angélique était belle mais que son âge pouvait bien faire juger que ce n’était que par un motif d’une simple amitié. Je lui ai répondu que je souhaiterais qu’elle fût belle et en âge de pouvoir servir au plaisir du Roi, que je la lui donnerais avec grande joie.
Jamais homme n’a été embarrassé comme je le suis. Tout le monde me dit que, nonobstant mon caractère, je ne puis pas empêcher le Roi de faire des présents à ma fille. Cependant, Monseigneur, je sais que je fais faute et que Votre Altesse [p. 333] royale doit blâmer ma conduite en acceptant ce poinçon. Je la supplie de m’en envoyer son sentiment avec sa bonté ordinaire, car si je ne peux pas rendre ce poinçon, je frai un présent de sa valeur à madame de Bonneuil. Il est d’un seul diamant très grand ; il a bien quelques petits défauts mais, comme je ne m’y connais pas, je ne sais pas l’estimer et j’ai cru qu’il n’était pas honnête d’avoir empressement d’en savoir le prix. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 25 octobre 1669
Nous fûmes hier, M. le marquis de La Pierre et moi, conduits par les introducteurs dans les [p. 345] carrosses de Leurs Majestés à Saint Germain. Nous eûmes audience du Roi. Tous les ambassadeurs lui firent le compliment de condoléances sur la mort de la reine mère d’Angleterre. Je lui témoignai aussi la sensible doubleur que Votre Majesté royal en a eue. Je lui présentai ensuite M. le marquis de La Pierre, qui s’acquitta dignement de son compliment avec esprit et bonne grâce ; le Roi lui témoigna par un discours fort obligeant combien il sait bon gré à Votre Altesse royale de la part qu’Elle prend en la conservation de monsieur le Dauphin et fit connaître qu’il avait fort agréé le discours dudit marquis, que toute la Cour trouva très bien fait. Je remerciai aussi Sa Majesté des sentiments qu’Elle a eus du mal de Votre Altesse royale et de la bonté qu’elle avait eue de la faire visiter par un gentilhomme. Il m’assura qu’il avait été en des grandes peines de sa maladie puis qu’il lui souhaitait une santé aussi parfaite qu’à soi même ; il me chargea de la prier de vouloir se conserver pour l’amour de lui.
Nous vîmes monsieur le Dauphin, qui nous [p. 346] demanda des nouvelles de la santé de Votre Altesse royale et, avec la gentillesse qui accompagne toutes ses actions, il chargea M. le marquis de La Pierre d’assurer bien de ses services Vos Altesses royales et monseigneur le prince de Piémont.
La Reine s’était habillée de son mante de deuil pour nous recevoir, mais à midi il lui survint un dévoiement qui nous priva de l’honneur de lui faire la révérence ; on nous a remis à dimanche pour cela. Nous ne vîmes pas M. le duc d’Anjou ni Madame, parce qu’ils dormaient. Monsieur et madame la duchesse d’Orléans n’ont pas voulu recevoir nos compliments à Saint Germain, parce qu’ils n’y ont pas des appartements tenus de deuil ; ils seront ici pour cela un jour de la semaine prochaine. On nous donna à dîner à Saint Germain à l’ordinaire quand on y conduit des envoyés. […]
[p. 348] Comme la Cour arriva dimanche à Saint Germain et que M. de Bonneuil se préparait d’y aller, je lui ai fait voir la lettre que Votre Altesse royale m’a commandé de lui montrer ; il me promit de dire au Roi tout ce qu’elle contenait et de savoir adroitement s’il trouverait bon que je visitasse madame de La Vallière. Hier, à Saint Germain, il m’assura qu’il avait fait le récit au Roi de tout ce qu’il avait lu dans la lettre de Votre Altesse royale, qu’il en avait témoigné de la joie et de l’étonnement que Votre Altesse royale m’écrivit de si longues lettres de sa main et d’affaires ; il lui montra aussi la bague que Votre Altesse royale lui a envoyée, qu’il avait effectivement au doigt ; et quand à la visite de madame de La Vallière, le Roi lui dot de savoir d’elle si elle l’agréerait, il me donna parole de m’en rendre réponse aujourd’hui ou demain. Je lui représentai qu’il ne fallait pas qu’il la vît que le Roi ne fût [p. 349] allé au préalable chez elle, afin qu’elle sût ses sentiments puisque assurément il ne manquerait pas de l’en entretenir dès qu’elle l’approcherait. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 6 décembre 1669
Je crois que les dames de la faveur gagneront leur cause et qu’elles empêcheront la Cour de venir cet hiver à Paris ; tout le monde en enrage, on en fait cent contes. L’autre jour, M. le Grand, voyant sur un balcon mesdames de La Vallière, de Montespan et de Soubise, dit tout haut : « Voilà [p. 371] le temps passé, le présent et le futur ». Chacun en dit librement sa pensée et pas un en bien ; le Roi le sait, il s’en rit, il ne laisse pas de s’en divertir, et j’admire en cela sa modération et sa conduite car s’il en faisait quelque démonstration, elle le rendrait haïssable et tout le monde en murmurerait. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 26 février 1670
Je fis savoir par le dernier courrier à Votre Altesse royale que l’on conjecturait le retour de Monsieur à la Cour sur les négociations que la princesse palatine était allée faire à Villers Cotterets. On ne s’était pas trompé car soudain qu’elle fut revenue vendredi au soir, elle fit une dépêche à Saint Germain qui obligea le Roi d’envoyer samedi M. Colbert à Monsieur lui dire qu’il souhaitait le voir, à quoi il se soumit d’abord. Lui et Madame vinrent ici lundi et, le même jour, ils allèrent voir le Roi, qui les reçut très bien et qui les a fait loger dans son grand appartement, parce qu’ils avaient fait démeubler le [p. 402] leur au château neuf. On assure qu’on a envoyé les ordres pour la liberté du chevalier de Lorraine, moyennant qu’il aille faire séjour pour quelque temps à Rome ou à Malte. Le Roi lui donnera dix mille écus de pension, et les abbayes qui avaient fait la cause de son malheur à l’abbé d’Harcourt, son frère. Ainsi voilà une affaire accommodée selon la volonté de Sa Majesté, comme il est très juste.
Le Roi et Madame se sont écrit durant qu’elle a été éloignée de lui. Sa Majesté la raillant sur les ennuis qu’elle devait avoir à la campagne, elle lui fit réponse qu’elle étudiait l’italien, mais qu’elle le priait de ne pas la laisser aller jusqu’au latin, et lui demandait des nouvelles des loteries de Saint Germain, ce qui donna lieu au Roi de lui envoyer quatre cassettes fort riches, feignant que c’étaient des lots qui lui étaient échus par hasard, dans lesquelles il y avait quatre billets de cinq cents louis chacun, quantité de bijoux enrichis de pierreries et entre autres une paire de souliers de campagne propres à se promener par le parc de Villers Cotterets, dont les boucles valent mille louis. On fait monter ce présent à [p. 403] 200000 livres ; on m’a dit néanmoins qu’il en faut rabattre une partie.
Le Roi se trouva hier matin mal des vapeurs, il fut nécessité de se mettre au lit et à prendre des pilules. C’est un effet du dégel. J’y ai envoyé un de mes fils pour en savoir des nouvelles, n’ayant pu y aller pour avoir un peu de fluxion sur un œil. Je ne sais si les fréquentes attaques d’un mal si fâcheux ne feront point changer sa Majesté la résolution qu’Elle avait formée de partir le quatorzième du mois d’avril pour la Flandre, les ordres ayant été donnés pour cela, et les magasins qui faits pour les fourrages nécessaires aux troupes doivent l’escorter, que l’on fait monter à 10000 chevaux. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 12 septembre 1670
M. le duc de Buckingham se congédia avant hier et partira demain pour s’en retourner à Londres. Le Roi lui a donné un baudrier et une épée garnie de diamants de la valeur de 30 mille écus. Jamais étranger et même souverain n’a reçu [p. 485] ici tant d’honneurs et de caresses. On fit pour lui samedi dernier une très belle fête à Versailles et mardi M. de Lauzun lui donna un superbe souper à Saint Germain, où il y avait des belles dames. Le Roi y en conduisit aussi des autres encore plus belles, faveur insigne et qui n’a jusqu’à présent été faite à qui que ce soit. On dit qu’il a fait et fini le traité qu’avait commencé feue Madame, mais il n’est pas encore public. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 12 février 1672
[…]
[p. 210] Je vis à Saint Germain M. le marquis de Louvois. Je le remerciai, de la part de Votre Altesse royale, de la manière obligeante dont il en avait agi pour ses intérêts et envers moi durant qu’il a eu la direction des affaires étrangères. […]
[p. 245] Un homme qui peut savoir des nouvelles m’assura hier que le Roi a commandé de nouveau au marquis de Villars de faire expliquer la reine d’Espagne, que néanmoins il veut passer le Rhin, [p. 246] qu’il fait faire son équipage, qu’il partira au mois d’avril et que les ministres suivront.
Il n’a pas encore nommé de chancelier ni de garde des sceaux. On croit qu’il n’en fera pas. Il tint lui-même les sceaux samedi et lundi dernier, ce qui dura plus de huit heures en ces deux jours. Il y a dans la chambre, préparée exprès, une longue table ; il est assis au dessus dans un fauteuil, six conseillers d’Etat aux deux côtés, assis sur des pliants et couverts, et qui ôtent leurs chapeaux quand ils rapportent des grâces ou des lettres. Il y a les audienciers et officiers des sceaux. Le Roi opine plus juste qu’aucun des officiers de justice qui sont présents. Il fait apporter de son cabinet par son premier valet de chambre le coffre où sont les sceaux et tire la clef de sa poche pour l’ouvrir. Il a résolu de tenir lesdits sceaux toutes les semaines, il veut connaître les abus qui s’y peuvent commettre pour y remédier, avant que de les remettre à un homme particulier. Bien des gens de qualité y assistèrent ; la Reine même y alla, la grâce du sieur de La Rochecourbon [p. 247] en main ; le Roi dit que la suppliante était d’assez bonne maison pour la lui accorder.
Il retirera auprès de M. le Dauphin les jeunes princes de Conti. Ils mangeront avec lui et n’auront pour gouverneur et précepteurs que ceux de M. le Dauphin. Il a pris le deuil de la princesse de Conti et toute la Cour. Nous avons suivi cet exemple pour nos personnes, mais ce sera pour peu de temps.
L’ambassadeur de Hollande continue ici son séjour. Il voudrait donner des jalousies aux alliés et leur faire croire qu’il traite ici d’accommodement, mais on s’en moque. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 19 février 1672
Je fus hier à Saint Germain. J’y vis Leurs Majestés et M. le Dauphin, tous en santé. Ils me firent des saluts très civils et ce fut là tout. Ils sont tous dans la joie, on n’y parle que de guerre. Le Roi cependant ne bouge de chez les dames quand il n’a pas d’affaires, et on me dit qu’il préméditait de les mener avec lui et de les tenir dans les places frontières, mais que, comme la Reine ne peut pas y aller à cause de sa grossesse où elle avance heureusement, que le Roi préméditait d’y mener la femme de Monsieur, son frère, avec lui, pour que les dames y allassent avec quelque prétexte et comme à sa suite. Cela néanmoins n’était pas encore bien assuré. On disait il y a quelques jours à Paris que madame la comtesse de Soissons n’était pas bien, qu’elle était mêlée dans l’affaire du marquis de Villeroy et qu’on la devait éloigner de la Cour. Je la vis hier, elle était gaie et je n’entendis rien dire de pareil [p. 249] à Saint Germain. Il y a près de deux mois que je n’avais pas vu ni parlé à M. le comte de Soissons parce que je ne le visite jamais. Je l’entretins longuement dans la chambre de sa femme ; il me parut content, nous parlâmes longuement de la guerre. […]
[p. 250]
Comme [le comte de Jacob] est au lit, il ne peut pas écrire les nouvelles à Votre Altesse royal. Il y en a peu de curieuses. Il y a à Saint Germain, deux fois la semaine, le ballet ; hier, il y eut un opéra en musique et machines, des autres fois le bal et la comédie. Leurs Majestés ont quitté le deuil. Mademoiselle y a toujours quelque petite affaire, elle [p. 251] querella l’autre jour mademoiselle de Toucy, la troisième fille de madame la maréchale de La Mothe, devant la Reine, lui reprochant qu’elle se moquait d’elle. Cette demoiselle voulut aller chez elle pour se justifier, elle la prit par les deux mains et la secoua beaucoup, lui disant qu’elle se moquait d’elle, à la persuasion que cette friponne d’Elbeuf, entendant parler de mademoiselle d’Elbeuf, sœur du duc de ce nom.
On dit que le Roi se divertit quelquefois avec mademoiselle de Théobon, quoiqu’il soit toujours fort empressé des dames. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant la maladie de la fille du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 24 février 1672
Leurs Majestés sont dans une grande affliction de Madame, leur fille, qui est moribonde et presque sans espérance qu’on la puisse sauver. Dimanche dernier, elle tomba dans une grande faiblesse, accompagnée de convulsions qui ne l’ont plus quittée. On dit qu’elle a perd la vue et la parole. On adapte cet accident à un abcès qu’elle a dans la tête et qui pousse en dedans. Elle en a déjà eu à l’oreille, ce qui l’avait un peu défigurée, et on n’espérait pas qu’elle puisse vivre. Néanmoins, ce coup a étonné Leurs Majestés. Dès aussitôt que Madame sera morte, Elles se retireront à Versailles pour y demeurer jusques à Pâques et dès à cette heure on prendra le grand deuil. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant la maladie de la fille du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 26 février 1672
On croyait hier matin que la petite Madame mourrait ; elle fut dans un si grand assoupissement que l’on doutait qu’elle était encore en vie ; on lui mettait des miroirs devant la bouche sans qu’elle les flétrît. Le Roi n’attendait que le moment qu’elle eût expiré pour se retirer à Versailles, tous les bagages étant chargés pour cela. On avait donné le matin l’émétique à cette princesse et on désespérait qu’il eût aucun effet favorable lorsque l’après midi cette princesse parla aux femmes qui la gardaient et leur dit de lui donner une cornette de point de France, ce qui donna des grandes espérances de joie à toute la Cour. On lui donna du bouillon qu’elle trouva bon, le médicament [p. 256] fit son effet ; du depuis, elle a été un peu mieux, que si elle continue jusqu’à demain dans le bon état où elle est présentement, on espère de la sauver pour cette fois. C’est ce que mon écuyer vient de m’apprendre, lequel j’avais envoyé exprès à Saint Germain pour en apprendre des nouvelles.
Le Roi a été dans un grand déplaisir durant tout le mal de Madame. On ne l’avait jamais vu si troublé. Il n’a presque pas dormi et envoyait, durant le gros de la nuit, de demi heure en demi heure, pour savoir l’état auquel elle se trouvait. Si Dieu le console cette fois, il n’y à appréhender sinon que ce ne soit pas pour longtemps. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 1er avril 1672
[…]
[p. 271] La Cour est toujours dans la même posture, les choses y vont leur train ordinaire. Le Roi va à son accoutumée chez les dames, on ne parle plus qu’elles se retireront dans des couvents durant la campagne. On ne sait ce qu’elles deviendront. Bien des gens croient qu’elles feront leur séjour à Versailles. Quand elles viennent quelquefois en cette ville, elles ont toujours une escorte des gardes du corps que commande le major. Bien des gens croient aussi que le Roi viendra faire une course à Saint Germain aux couches de la Reine. Monsieur le Prince est beaucoup mortifié de ce que le Roi n’a pas voulu donner un commandement dans son armée à monsieur le Duc, son fils, mais il ne laissera pas de faire son devoir. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le départ du roi de Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 27 avril 1672
Je viens d’arriver de Saint Germain. Comme le Roi avait résolu de partir seulement demain, j’y avais conduit M. le comte Cagnol pour faire un peu de cour et nous attentions dans la cour du vieux château l’heure que Sa Majesté dut aller à la messe pour nous faire voir à Elle. Tout d’un coup, on a dit qu’Elle allait partir, sans que personne l’eût pénétré, car Elle n’en avait rien dit à son lever. Elle est soudain descendue à la chapelle pour entendre la messe, puis est montée seule dans une calèche à six chevaux, M. de Duras une autre, accompagnée de dix à douze gardes, et est partie à onze heures pour aller coucher [p. 279] à Nanteuil chez M. le duc d’Estrées et ira demain à Villers Cotterets, où Monsieur et tout ce qui ira joindre le Roi se rendra. Il n’a dit adieu qu’à la Reine et à monsieur le Dauphin ; ceux qui étaient les plus proches de lui lui ont fait la révérence, mais fort à la hâte. Jamais il n’y a eu de pareille surprise à la Cour ; personne n’en a jamais pu pénétrer la véritable cause. On disait bien que ç’a été pour éviter les tendresses qu’il aurait pu avoir en l’adieu des dames. Je ne le crois pas ; en tout cas, si Votre Altesse royale se le persuade, il sera bien de n’en pas parler. Madame de Montespan était sortie de bon matin de Saint Germain, je l’ai rencontrée dans la garenne dans une calèche à six chevaux. Je ne l’ai pas vue, car les rideaux étaient tirés, mais je me suis figuré que c’était elle, à voir derrière son carrosse les gardes qui ont accoutumé de la suivre, et quand j’ai été à Saint Germain, j’ai su que c’était bien elle, et qu’assurément elle était venue en cette ville, bien que je me figurasse qu’elle allait attendre le Roi à Nanteuil. »

Lettre de Colbert à Louis XIV concernant les travaux menés à Versailles et à Saint-Germain-en-Laye

« Sceaux, 28 septembre 1673
Je fis hier, Sire, faire une experience des pompes de Versailles.
Je puis assurer Vostre Majesté que les deux dernieres pompes en chapelets du sieur Francine portent 72 pouces d’eau dans le reservoir haut, et par consequent que les quatre en porteront 144 pouces.
Le reservoir d’en haut estoit entierement plein. Je fis marcher continuellement ces deux pompes et deux autres des quatre basses dudit Francines et de Denis, et cela pour faire l’experience sur la moitié des pompes seulement. D’autant qu’il y aura huit pompes nouvelles qui seront dans le reservoir haut et que je n’en fis aller que quatre, avec l’une des deux de la grande pompe.
Je fis ouvrir les huit jets, scavoir cinq du parterre, le Triton, la cour et la terrasse, à une heure precise du matin. Ils jeterent jusqu’à cinq heures et demie du soir que le reservoir se trouva vide. En sorte que je crois que Vostre Majesté peut faire estat que lorsque les dix pompes porteront toutes dans le reservoir haut, ces huit jets pourront aller douze heures sans difficulté. Mais il y a deux choses à observer : l’une que les dix pompes rempliront le reservoir haut en six heures de temps, et l’autre que la grotte, le Dragon et l’orangerie tirent de ce mesme resevoir.
Je fais travailler nuit et jour aux deux autres pompes en chapelets, et j’espere qu’elles seront en place dans quinze jours.
L’on couvre tout à Trianon, et Le Bouteux promet que Vostre Majesté sera satisfaite sur les fleurs.
Le Labyrinthe, le Marais, la Ceres, les groupes du Theatre et de la cour et les six pieces du grand appartement de Vostre Majesté seront entierement achevés dans le mesme temps.
Il n’y a plus que les doreurs dans l’appartement de madame de Montespan à Saint Germain. Le tout sera achevé dans huit jours.
J’ay fait payer 500 000 livres à compte des 1 200 000 que Vostre Majesté a demandées sur le mois de decembre, outre les 200 000 qui estoient desja payées. J’espere avancer de quatre ou cinq jours le temps que Vostre Majesté m’a donné jusqu’au dix.
J’expederay ce que Vostre Majesté ordonne sur le sujet du parc de Folembray et de la terre d’Aubigni. »

Colbert, Jean-Baptiste

Quittance pour des sommes payées pour l’usage du dauphin

« Nous soubzsignez conseiller du Roy en son conseil d’Estat, chevallier des ordres et premier gentilhomme de la chambre de Sa Majesté, confessons avoir receu comptant de monsieur Ferras, aussy conseiller du Roy et tresorier de son Argenterie, la somme de quinze centz quatre vingtz dix livres, scavoir VIIc IIIIxx X l. pour le payement de six paires de draps qui ont esté acheptez pour servir à monseigneur le Daulphin, et VIIc l. pour la nourriture et entretenement de deux chevaux et de la caleche de mond. seigneur le Daulphin durant l’année MVIc quarente un, de laquelle somme de XVc IIIIxx X l. tournois nous nous tenons pour contentz et bien payez, et en quittons led. sieur Feras et tous autres par la presente signée de nostre main ce dernier jour de decembre MVIc quarente deux.
De Souvré »

Lettre de madame de Sévigné à sa fille concernant l’installation de la Cour d'Angleterre à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, mercredi 26 janvier 1689
[…] Peut etre que le prince d’Orange n’aura pas le tems cette année de songer à la France ; il a des affaires en Angleterre et en Irlande, où l’on veut armer pour le Roi : nos mers sont toutes emues, il n’y a que notre Mediterranée qui soit tranquille. Je ne sais à qui en ont vos femmes avec leurs vœux extravagans ; je voudrois y ajouter de ne plus manger d’oranges et de bannir l’oranger en arbre et en couleur : ce devroit être sur nos cotes que l’on fit toutes ces folies.
Je crois, en verité, que le roi et la reine d’Angleterre sont bien mieux à Saint Germain que dans leur perfide royaume. Le roi d’Angleterre appelle M. de Lauzun son gouverneur, mais il ne gouverne que ce roi, car d’ailleurs sa faveur n’est pas grande. Ces Majestés n’ont accepté de tout ce que le Roi vouloit leur donner que cinquante mille francs, et ne veulent point vivre comme des rois ; il leur est venu bien des Anglois, sans cela ils se reduiroient encore à moins : enfin, ils veulent faire vie qui dure. »

Récit de la célébration de la Toussaint par la famille royale à Saint-Germain-en-Laye

« De S. Germain en Laye, le 2 novembre 1674
Hier, feste de tous les saints, Leurs Majestez, avec lesquelles estoit monseigneur le Dauphin, entendirent en la chapelle de ce chasteau la grande messe, celebrée par l’evesque de Cisteron, et chantée par la Musique. L’apres dinée, Elles entendirent au mesme lieu une docte et eloquente predication de l’abbé de Clermont, puis les vespres aussi chantées par la Musique. Ensuite, la Reyne alla continuer l’exercice de sa devotion, en l’eglise de la parroisse. »

Récit de l’installation du roi et de la reine d’Angleterre à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 280] Le 21 au matin, jour de S. Thomas, le bastiment qui portoit la reine d’Angleterre arriva à Calais, après [p. 281] avoir couru risque de faire naufrage au port, puisqu’il s’en fallut peu qu'il ne touchait un banc qui en estoit à dix pas ; mais le maistre du paquetbot qui se trouva là fort à propos luy servit de guide, et empefcha par là ce malheur. Après que la reine fut debarquée, le capitaine du yacht dit qu'il sçavoit bien qu'il menoit cette princesse et le pince de Galles, et qu'il l'avoit toujours reconnu. Elle ne voulut point que M. le duc de Charost luy fist rendre aucuns [p. 282] honneurs à Calais. […] [p. 283] Comme la reine [p. 284] devoit faire quelque sejour à Bouligne jusqu’à ce qu’on eust receu des nouvelles de la Cour, elle demanda d’estre logée au convent des Ursulines mais, M. le duc d‘Aumont ayant fait preparer l’appartement de madame la duchesse sa femme, elle ne put le refuser. […] [p. 284] Cependant, le Roi ayant sceu que cette princesse estoit arrivé en [p. 288] France, ce monarque qui a toujours esté l’appuy des malheureux et l’azil des opprimez en ressentit une joye proportionnée au triste etat ou il scavoit qu’elle se trouvoit. […] [p. 321] La nouvelle de l’arrivée du roy d’Angleterre à Ambleteuse ayant esté receue à Versailles, M. le marquis de Beringhen l’apprit à Beaumont par un courrier que le [p. 322] Roy lui depescha. […] [p. 328] M. le Premier, après s’etre acquité de sa commission auprès de la reyne d’Angleterre, qu’il auroit conduite jusqu’à Saint Germain sans les nouveaux ordres qu’il receut, ne songea plus qu’à partir la nuit mesme pour aller au devant de Sa Majesté britannique. […]
[p. 329] Le 6, cette princesse partit de Beaumont pour se rendre à Saint Germain en Laye, dont le Roy avoit fait meubler le chasteau pour la loger. Il avoit d’abord fait preparer celuy de Vincennes, [p. 330] mais Sa Majesté croyant l’air de Saint Germain meilleur pour la santé du jeune prince, et ce chasteau plus commode pour voir la reyne plus souvent, avoit changé de dessein.
Le Roy partit le mesme jour de Versailles pour aller au devant de cette princesse. Il estoit accompagné de monseigneur le Dauphin, de Monsieur et des princes et principaux seigneurs de la Cour. Il s’avança jusques auprès de Chatou, et les gardes du corps, les gendarmes, [p. 331] les chevaux legers et les deux compagnies de mousquetaires s’etendoient dans la plaine depuis le pont du Pec jusqu’à ce village. Quoyque leurs habits ordinaires soient assez riches et que le tout ensemble produise un effet fort éclatant, chacun s’estoit efforcé ce jour là de se mettre proprement et l’on peut dire que tous les officiers estoient magnifiquement vestus. Le carosse de Sa Majesté et celuy où estoit la reyne d’Angleterre ayant paru, chacun descendit du [p. 332] sien, dans le mesme temps, et le Roy et cette reyne se saluerent. Le Roy luy presenta monseigneur le Dauphin et Monsieur, et la remit ensuite dans le mesme carosse, où estant aussitost monté il se plaça à sa gauche, et monseigneur le Dauphin et Monsieur se mirent sur le devant. Lorsqu’on fut arrivé à Saint Germain, le Roy conduisit la reyne dans l’apartement qui luy avoit esté preparé. Il demeura quelque temps en public avec elle, et luy presenta monsieur le [p. 333] Prince, monsieur le Duc et monsieur le prince de Conty. Le Roy, en prenant congé de cette princesse, luy dit « qu’il alloit voir le prince de Galles pour apprendre s’il n’estoit point fatigué du voyage ». La reyne voulut l’y accompagner et lui dit « qu’elle avoit esté ravie qu’il ne fust pas en age de connoistre ses malheurs, mais qu’à present elle estoit bien fachée qu’il ne fust pas en etat de reconnoistre l’obligation qu’il luy avoit ». Le Roy revint ensuite à Versailles et laissa cette princesse dans [p. 334] l’admiration de ses manieres toutes engageantes et qui, avec le brillant de la majesté, laissent paroistre un air tout affable qu’il seroit difficile d’exprimer. Ce monarque de son costé trouva beaucoup d’esprit et de grandeur d’ame dans cette princesse. Elle a l’air noble ; toute penetrée qu’elle est de sa douleur, elle n’en paroist point embarassée. Elle sent bien ce qu’elle est et quoy qu’elle soit fort honneste, elle scait placer ses honnestez selon les gens et est tout à fait maitresse d’elle mesme.
[…]
[p. 359] Le roy d’Angleterre […] monta à Clermont dans le carosse du Roy que M. le Premier avoit [p. 360] au voyage en allant au devant de la reine et qu’on y avoit fait venir de Beauvais toute la nuit. M. le Premier et M. le duc de Bervick entrerent dans ce carosse avec Sa Majesté, qui alla ainsi jusqu’à Saint Germain en Laye, avec des attelages du Roy qu’on avoit mis en relais. Tout Saint Denis estoit remply du peuple de Paris, qui marqua sa joye par ses acclamations lorsqu’il vit arriver Sa Majesté britannique, ce qui acheva de faire connoiste qu’il n’y a point de peuple au monde si fidelle [p. 361] et si zelé que celuy de France, ny qui se plaise davantage à entrer dans tous les sentimens de son Roy. Tout se trouva remply de peuple, de carosses pleins de personnes de qualité et de cavaliers depuis Paris jusqu’à Saint Denis, et ce prince n’entendit que des acclamations, et ne vit que de la joye sur tous les visages.
Sa Majesté receut ce monarque au milieu de la salle des gardes de Saint Germain. La joye qu’ils eurent de se voir parut dans leurs embrassades, qui furent reiterées [p. 362] plusieurs fois. Leurs complimens estant finis, le Roy mena Sa Majesté britannique dans la chambre de la reine son epouse, qui estoit au lit, et apres y avoir demeuré quelque temps et l’avoir aussi mené chez le prince de Galles, il s’en retourna à Versailles.
Le 8, le roy d’Angleterre vint l’apres dinée à Versailles rendre visite à Sa Majesté, ayant dans son carosse M. le duc de Bervick, M. le Premier et M. de Lausun. Le Roy le receut à la porte de [p. 363] la salle des gardes et le conduisit dans son petit salon, puis dans son cabinet, où ils demeurerent seuls pendant plus d’une heure et demie. Sa Majesté le conduisit ensuite par la grande galerie à l’appartement de madame la Dauphine, qui l’attendoit dans sa chambre avec un fort grand nombre de dames. Cette princesse estant avertie qu’il venoit par la galerie, s’approcha environ à trois pas de la porte. Le roy d’Angleterre entra, accompagné du [p. 364] Roy, de monseigneur le Dauphin et d’une très grande quantité de seigneurs de la Cour. Il baisa madame la Dauphine des deux costez et ensuite Madame qui s’y trouva. Il baisa après monseigneur le duc de Bourgogne, monseigneur le duc d’Anjou et monseigneur le duc de Berry qui accompagnoient tous trois madame la Dauphine. On ne fut point assis. Madame la Dauphine estoit du costé de la balustrade et, le Roy donnant toujours la droite au roy d’Angleterre, [p. 365] estoit avec Monseigneur du costé des fenestres. La conversation dura un quart d’heure. Ce monarque prit congé pour aller chez Monseigneur, qui un moment auparavant estoit sorty de chez madame la Dauphine, pour l’aller attendre dans son appartement. Le Roy accompagna ce monarque en sortant jusqu’au haut du grand degré. Monseigneur le receut à la porte de la salle de ses gardes, et le roy fit tomber la conversation sur la campagne de ce jeune prince, [p. 366] à qui il donna les louanges qui luy sont dues, mais il luy dit ensuite « qu’il s’estoit trop exposé et qu’à l’avenir il devoit se menager davantage ». Monseigneur lui repondit, avec beaucoup de presence d’esprit, « qu’estant duc d’York il ne s’estoit pas moins exposé lorsqu’il combattoit dans les troupes de France ». Le roy repliqua « qu’il n’estoit alors qu’un malheureux aventurier mais que comme il seroit presentement le plus ancien lieutenant general s’il avoit continué, il croyoit que le Roy le [p. 367] feroit marechal de France ». Monseigneur le reconduisit jusqu’au mesme lieu où il avoit esté le recevoir. Il alla ensuite chez Monsieur, qui estant veritablement indisposé, gardoit le lit ce jour là. Comme il estoit assez naturel de parler du prince d’Orange, ce qu’on en dit fit tourner la conversation sur la bataille de Cassel et Monsieur fut loué d’avoir battu un pince si fier et qui ne manquoit ny de hardisse ny de courage. Ce prince repondit là dessus [p. 368] « qu’il voudroit qu’une semblable occasion se presentast encore et qu’il exposeroit volontiers sa vie pour le service du roy d’Angleterre ». Ce monarque alla après cela rendre visite à Madame et s’en retourna à Saint Germain. M. le Premier l’y accompagne et luy dit le soir en prenant congé de luy que la Maison du Roy qu’il avoit menée au devant de la reine avoit ordre de demeurer auprès de Leurs Majestez pour les servir.
Le 9, monseigneur le Dauphin se rendit à Saint [p. 369] Germain et visita Leurs Majestez britanniques.
Le 10, Madame et mademoiselle y allerent aussi, et le 12 les princesses du sang.
Le 13, Monsieur les visita pareillement et sur les deux heures les princes du sang firent les mesmes visites. Le mesme jour, sur les quatre heures du soir, la reine d’Angleterre vint à Versailles. Le Roy, monseigneur le Dauphin et Monsieur la receurent au plus haut du grand escalier. Elle parut se defendre la droite [p. 370] de Sa Majesté. On luy avoit preparé un fauteuil qui estoit à droite de celuy du Roy et elle s’y mit. La conservation dura un quart d’heure et l’esprit de cette princesse se montra aussi brillant qu’il avoit dejà fait. Le Roy luy dit « qu’il estoit surpris de l’entendre si bien parler françois et de de qu’on ne luy remarquoit aucun accent etranger ». Elle repondit « qu’elle s’estoit toujours senti de l’inclination pour la France et que c’estoit de là que venoit la facilité qu’elle avoit eue à apprendre le françois ». [p. 371] Leur conservation étant finie, le Roy la conduisit chez madame la Dauphine, qui l’attendoit dans sa chambre avec un tres grand nombre de dames, qui estoient fort parées. Quand cette princesse fut avertie que la reine venoit par la galerie, elle s’avança jusque dans la porte. La reine la baisa d’un costé et madame la Dauphine, luy donnant la droite, la mena dans son grand cabinet. On y avoit preparé six fauteuils, scavoir pour la reine, madame [p. 372] la Dauphine, les trois jeunes princes et Madame. Celuy de la reine estoit au milieud e la chambre et les autres estoient tournez un peu du costé du fauteuil de cette princesse. Toutes les duchesses furent assises. Madame la duchesse de Powis, gouvernante du prince de Galles, et madame la comtesse de Montecuculi, une des dames d’honneur de la reine, comme estoient icy les dames du Palais, puisqu’elles sont plusieurs et qu’elles servent par semaine, eurent [p. 373] les tabourets. On s’etonnera que je donne icy le nom de duchesse à madame de Powis apres l’avoir apellée plusieurs fois marquise ; la raison de ce changement est que le roy d’Angleterre, depuis son arrivée à Saint Germain, a recompensé le zele de M. de Powis, son marquis, en le faisant duc. La conversation dura une demy heure. On se leva et madame la Dauphine conduisit la reine jusqu’à la porte de son cabinet. Cette princesse alla ensuite chez Monseigneur, qui la receut [p. 375] à la porte de la salle de ses gardes et la reconduisit jusqu’au mesme endroit. Elle alla après chez Monsieur et chez Madame, qui luy firent tous les honneurs dus à une reine. »

Mention du baptême de la fille de Jacques II dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 304] Le Roy et madame ont tenu la princesse d’Angleterre sur les fonts. La ceremonie s’est faite dans la chapelle du vieux chasteau de Saint Germain en Laye, par M. le cardinal de Bouillon, grand aumonier de France. La princesse a esté nommée Louise Marie Elizabeth, qui sont les noms du Roy, de la reine d’Angleterre et de Madame. Sa Majesté vouloit que le nom de Marie fut le premier, parce que c’est ordinairement celuy qui demeure, mais la reine [p. 305] d’Angleterre a fait de si pressantes instances pour engager le Roy à faire que le nom de Louise precedast les deux autres noms, qu’il n’a pu se deffendre d’accorder aux prieres de cette princesse ce qu’elle souhaittoit avec tant d’ardeur. »

Récit de la naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« L’heureuse naissance de monseigneur le Dauphin, à present le roy Louis XIV, fils du feu roy Louis XIII et d’Anne d’Austriche, regente en France, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, le dimanche 5 septembre mil six cens trente huict, sur les unze heures du matin
[…]
[p. 211] Si le dernier siecle a attribué à la sage conduite de fernel, premier medecin de Henry II, ce que Catherine de Medicis eut des enfans apres avoir esté dix ans sterile, on ne peut en ce rencontre obmettre la benediction que Dieu a voulu estendre sur les soins des medecins de Leurs Majestez, qui ont porté leur santé jusqu’au poinct de rendre la France si heureuse par cette tant illustre et desirée naissance, et d’autant plus merveilleuse qu’aucune des autres n’est arrivée apres une patience de tant d’années, comme si Dieu eust reservé à ce siecle un concours de tous ces precedés miracles.
Cette heureuse grossesse a esté miraculeusement predite à la Reyne peu auparavant qu’elle avint, et elle avoit esté tellement exempte des fascheux symptomes qui accompagnent les autres en cet estat que l’on avoit par là matiere d’en douter jusques au mouvement, et depuis iceluy Sa Majesté et son fruict se porterent si bien que, decouvrans l’imposture de ceux qui se pensoient signaler par la prediction du jour de cette delivrance, et verifians au contraire ce que dit Hippocrate des plus vigoureux enfans, cettuy cy entra bien avant en son dixiesme mois. Ainsi l’antiquité figuroit les heros, ou demy dieux, toujours plus longtemps que les autres dans le ventre de leur mere. Donc de Dauphin, à present Roy, en est finalement sorty, et la Reyne, apres un travail de quelques heures, accoucha le cinquiesme septembre, peu avant midy, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, d’un prince que sa beauté et proportion accomplie de toutes les parties de son corps rendit des lors par moins aymable que cette masle vigueur [p. 212] qui luisoit desjà au travers de ses membres enfantins, promettoit de trophées. Ce celebre accouchement se fit en presence des princesses et dames de la cour, accourues en foule pour avoir part à cette extreme joye, que quatre dauphins argentez d’un grand obelisque planté devant le vieil chasteau de Sainct Germain ayderent à epandre dans le peuple avec le vin qu’ils verserent tout le soir, et continuerent le reste de la nuict en grande abondance.
A l’instant toute la ville de Paris s’appresta à en temoigner sa joye par des actions de graces solennelles à Doeu dans ses eglises, par un concours des peuples qui y fourmillent et s’entr’annonçoient cette bonne nouvelle, par des feux de joye allumez dans les rues, accompagnez des cris de Vive le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, et par une agreable bigarure de lumieres des fenestres innombrables de ce petit monde, le bruit redoublé de quarante canons et de trois cents boettes de l’arsenal ayant devancé cette magnificence et annoncé à l’univers cette naissance.
Particularitez de la susdite naissance de monseigneur le Dauphin et de ce qui se passa ensuite à Sainct Germain et à Paris
Ce n’est pas assez d’avoit dit en gros et avec peu de circonstances que la Reyne est accouchée d’un Dauphin, une des meilleures et plus agreables nouvelles qui se puissent gueres donner au public, mais encore qu’une familiere narration des circonstances de ce qui s’y est passé de plus remarquable doive sembler à quelques uns indigne de la majesté de ce benefice inenarrable du ciel, il faut mieux le rendre intelligible par un discours accommodé au vulgaire que par une reverence injurieuse au public, le laisser ensevely dans l’oubly du temps qui n’enveloppe souvent pas moins la verité qu’il la decouvre. Doncque pour y satisfaire, une année auparavant un religieux avoit adverty la Reyne qu’elle devoit accoucher d’un fils, asseurant en avoir eu la revelation ; et pour ce que les souhaits de toute la France ne tendoient que là, les premiers signes qui ont coustume d’accompagner la grossesse des femmes ne parurent pas plustost en la Reyne qu’un chacun le crut aisement : ce ne furent plus des lors que neufvaines, voyages et vœux, particulierement à la Vierge et à Saincte Anne, par l’intercession desquelles on a cru cette grossesse avoir esté impetrée du Ciel. On vit ensuite toute la France humiliée devant Dieu pour luy demander par ses pieres de quarante heures et autres devotions sans nombre la conservation de ce fruict royal : cependant qu’il estoit au ventre maternel, tous, ou par le desir qu’ils en avoient, ou par les signes naturels, ou autrement, ont tousjours predit que ce seroit un fils ; mais peu de personnes se sont rencontrées de mesme advis touchant le terme de l’accouchement, aucuns ayant asseuré que ce seroit au vingt deuxieme, autres au vingt cinqieme aoust, jour de sainct Louys. On tient que celuy qui en approcha le plus estoit un certain vacher nommé [p. 213] Pierre Roger, du village de Saincte Geneviesve des Bois proche Paris, lequel, tesmoignant d’ailleurs une simplicité et une ignorance fort grossiere, avoit dit que la Reyne accoucheroit le samedy quatriesme de septembre, et ce fut le dimanche cinquiesme. Ce qui donna lieu aux uns d’approuver son progonostic, soustenans que les predictions qui viennent de Dieu ne sont pas si precises que celles des mathematiciens qui designent les oppositions et autres aspects des corps celestres mille ans avant le mesme poinct auquel elles arrivent, et les autres que la difference des choses miraculeuses d’avec les naturelles se reconnoist principalement en ce que les premieres sont parfaites et exactes, les autres non, le seul poinct et moment prefix auquel arrive la chose predite estans celuy qui peut faire distinguer la prophetie de l’imposture, auquel point mesme le hazard peut faire arriver, comme un mauvais archer peut donne une fois dans le blanc. De quoy on laisse la decision à d’autres, pour dire que ce dimanche cinquiesme dudit mois de septembre, sur les deux à trois heures du matin, la Reyne commença de sentir les vrais signes du travail d’enfant, ce qu’elle en avoit eu sur les unze heures du soir precedent s’estant aussitost passé. Elle voulut que l’evesque de Lisieux dit la messe dans sa chambre sur les quatre heures du matin, et comme par son commandement le sieur Seguier, evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, se disposoit à en dire une autre, les douleurs s’augmentans, on alla avertir le Roy, lequel la vint voir. Mais, prenant le soin de la santé du Roy, qu’elle scavoit avoir lors besoin d’aller prendre son repas, l’en pressa tant que Sa Majesté s’y en alla. Enfin, c’estoit sur les unze heures du matin, le Roy ne venoit que de se mettre à table, n’y ayant pas un quart d’heure qu’il avoit quitté la Reyne, lorsqu’on luy vint dire qu’elle accouchoit. Il y court. Des l’entrée, la marquise de Senecey, dame d’honneur de la Reine, dit à Sa Majesté que la Reyne estoit accouchée d’un Dauphin, et la dame Peronne, sage femme qui l’avoit assistée à son travail, par le conseil des medecins et chirurgiens de Leurs Majestez, et plus experimentez en telles affaires, le fit voir au Roy, et luy fit remarquer sa beauté et grandeur extraordinaire. A l’instant chacun cria : C’est un Daufin, c’est un Daufin, et cette parole se porta aussi viste qu’un esclair par toute la cour et par tout Sainct Germain, d’où mille messagers, avec charge et sans charge, l’espandirent si promptement au loing que, bien que cette heureuse naissance ne fut arrivée, comme a esté dit, que sur les unze heures et un quart avant midy du cinquiesme de ce mois de septembre 1638, un courrier arrivé à Paris le septiesme ensuivant asseura en avoir appris la nouvelle à soixante lieues au loing.
Le Roy, voulant aussitost rapporter toutes ces faveurs et benedictions au ciel, mit les genoux en terre et remercia Dieu de cette cy. Les eglises de Saint Germain et des peres recollets estoient encor remplies de seigneurs et dames qui estoient allées, la pluspart avant le jour, communier et faire leurs autres devotions pour les mesme sujet, lorsqu’ils y apprirent l’agreable nouvelle de cet heureux accouchement, [p. 214] qui se fit en presence de Monsieur, frere unique du Roy, duc d’Orleans, lequel temoigna à l’instant à Sa Majesté le contentement qu’il en recevoit, comme Sa Majesté luy confirma aussi de sa part toutes les asseurances d’une affection cordiale. Mesdames les princesses de Condé, comtesse de Soissons, duchesse de Vendosme, connestable de Montmorency, duchesse de Bouillon La Mark et autres de grande condition y estoient aussi presentes, outre les dames de Senecey, de La Flotte et autres de la Maison de la Reyne, dans la chambre et à la veue de laquelle ce tant souhaité Dauphin fut ondoyé par ledit sieur Seguier, son premier aumosnier, et fut fait participant de toutes les ceremonies et magnificences qui s’observent à l’imposition du nom. Où assisterent le Roy, Monsieur son frere, le chancelier de France arrivé peu apres l’accouchement, plusieurs autres seigneurs et dames qui y accouroient en foule, comme à la veue d’un miracle, le Roy ayant fait entrer dans la chambre de la Reyne tous ceux qui estoient dans l’antichambre pour les rendre participans de cette joye, laquelle fit allumer des feux en plusieurs endroits de Sainct Germain. Les daufins de la fontaine de vin y continuoient cependant à le jetter depuis le matin, avec tel abord de peuple que quelque desordre y estant survenu obligea d’y mettre des gardes ; laquelle magnificence plusieurs partiucliers imiterent depuis à Paris, tel en ayant fait pleuvoir de son toict.
A une heure apres midy, le Roy alla faire chanter le Te Deum dans la chapelle du vieil chasteau, accompagné des Cent Suisses de sa garde, et suivy de Monsieur, du chancelier de France, des ducs de Montbazon et d’Uzez, des sieurs de Liencour, de Mortemar, de Souvré et du comte de Tresmes, et en un mot de toute la cour, qui estoit si grosse toute cette semaine qu’il estoit mal aisé de trouver giste à Saint Germain, encor qu’il y eust des gardes aux principales avenues qui n’en permettoient l’abord qu’aux personnes qui ne venoient point de lieu suspect de maladie. Le mesme evesque de Meaux y officia, vestu pontificalement, en presence de l’archevesque de Bourges l’ancien, des evesques de Lisieux, de Beauvais, de Dardanie et de Chaalons, ayant chacun le rochet et le camail, et de toute la chapelle du Roy, laquelle y fit merveille. Puis monseigneur le Daufnin, ayant esté alaité par la damoiselle de La Giraudiere, sa nourrice, les gardes en haye, fut porté en son appartement meublé de damas blanc, et mis entre les mains de la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante. Sa Majesté en ayant aussi envoyé donner avis à la ville de Paris par le sieur de Perrey Bailleul, maistre d’hostel ordinaire de sa Maison, le corps de ville en fit faire des le jour mesme un feu de joye à la Greve, et le lendemain un autre, des plus beaux qui s’y soit gueres veu. Le sieur de Laffemas, lors lieutenant civil, donna les ordres que les bourgeois en temoignassent aussi leur ressentiment par les feux de joye allumez dans les rues et par des lumieres aux fenestres, à quoy les Parisiens se porterent avec tant d’ardeur qu’au lieu d’un jour ils en continuerent trois ou quatre tout de suite. Le sieur [p. 215] du Tremblay, gouverneur de la Bastille, et le sieur de Sainctoust, commandant dans l’Arsenal en l’absence du grand maistre de l’Artillerie de France, y tinrent hautement leur partie, par un concert de boetes et canons qui firent part à tout le pais d’autour cette agreable nouvelle.
Il n’y eut maison religieuse qui n’ornast ses murailles de chandelles. Les jesuites, outre pres de mille flambeaux dont ils tapisserent leurs murs les 5 et 6, firent le septiesme dudit mois de septembre un ingenieux feu d’artifice dans leur cour, qu’un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumieres qui eclairoient un balet, et comedie sur le mesme sujet, representez par leurs escoliers. Les feuillans de la reue Neuve Saint Honoré firent le septiesme une aumosne generale de pain et de vin, emplissant les vaisseaux de tous les pauvres qui se presentrent, et apres une procession par eux faite chacun le cierge à la main, furent brusler un chasteau d’artifices, chantans le Te Deum au son des trompettes entremeslées du carillon de leurs cloches. Les bourgeois de la place Dauphine, ayant à leur teste des hautsboits et musettes conduits par Destouches, l’un d’eux, firent des resjouissances dignes du nom de leur place. Le Te Deum en fut aussi solemnellement chanté le sixiesme dans l’eglise Nostre Dame, et tous les religieux avec les parroisses firent lors des processions, où l’archevesque de Paris assista avec tout son clergé, accompagné des prevost des marchands et eschevins. Le parlement, chambre des comptes et autres cours allerent ensuite rendre leurs complimens au Roy et à monseigneur le Dauphin. Le huictiesme du mesme mois, l’evesque de Metz fit faire la procession generale dans le fauxbourg Saint Germain, dont il est abbé, et dont toutes les rues estoient tapissées. Bref, tout conspira unanimement à rendre graces à Dieu pour un si grand bien. Aussi, la maxime estant veritable que les choses se conservent par les moyens qui les ont produites : puisque ce Dauphin avoit esté obtenu par les vœux et prieres de tous les bons françois, c’estoit pas les mesmes prieres qu’il leur devoit estre conservé. »

Résultats 151 à 183 sur 183