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Jacques II
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Déclaration donnée par Jacques II d’Angleterre à Saint-Germain-en-Laye

« [f. 27] Déclaration du roy de la Grande Bretagne à tous ses fideles sujets pour leur commander de l’assister contre le prince d’Orange et ses adhérents,
Jacques roy,
Comme le roy tres chretien, en exécution de plusieurs promesses obligeantes qu’il nous avoit faites de nous donner, aussitost que l’est de ses affaires le lui permettroit, de puissants secours pour le recouvrement de nos royaumes, nous a enfin mis en estat de l’entreprendre presentement, en nous prestant, pour executer ce dessein, un nombre aussi considerable de ses troupes qu’il en falloit pour delier les mains de nos sujets, leur donner moyen de retourner seurement à leur devoir, et de se rendre sous nostre etendard, neanmoins, selon la priere que nous lui en avons faite, il n’a pas jugé à propos, à moins qu’il ne fut necessaire dans la suite, d’envoier ses forces si nombreuses qu’elles pussent faire naitre quelque apprehension dans l’esprit de nos bons sujets, comme s’il avoit dessein d’entreprendre seul cet ouvrage, de leur oster entierement des mains, et enfin de priver les veritables Anglois de la part qu’ils peuvent esperer en une action aussi glorieuse que le retablissement de leur roy legitime et de l’ancien gouvernement du royaume. C’est aussi par ce meme motif que nous promettons par ces presentes de renvoyer toutes ces troupes etrangeres aussitost que nous seront retablis entierement dans la paisible possession de nos royaumes, et cependant de les faire vivre avec tant d’ordre et de discipline qu’aucun de nos sujets ne recevra le moindre dommage en sa personne ou en ses biens ni des officiers ni des soldats.
L’affaire qui nous amene parle assez d’elle mesme, et nous ne croyons pas qu’il soit besoin d’en dire autre chose, sinon que nous venons à dessein de soutenir la justice de nos droits, et pour delivrer nos peuples de l’oppression qui les accable. Cependant, quand nous considerons ce grand nombre de nos sujets qui se sont malheureusement laissez entrainer dans la derniere revolution, ayant esté surpris par les artifices des mechants et particulierement par la declaration du prince d’Orange à laquelle alors on ajouta aisement foy, et qui depuis a paru notoirement fausse en tout ce qu’elle contenoit, autant dans les faits qui ont esté evidemment convaincus de fausseté que dans les promesses qu’il n’a jamais eu intention d’executer, pour empecher à l’avenir de semblables surprises et ouvrir autant qu’il depend de nous les yeux de nos sujets, nous voulons bien leur exposer toute l’affaire le plus clairement et brievement qu’il sera possible, afin qu’ils ne puissent desormais s’excuser sur la surprise ni justifier, sous pretexte d’ignorance, les mauvaises demarches qu’ils pourroient faire dans la suite, au prejudice de leur bonheur particulier et de celui de leur patrie.
C’est pourquoi, afin de reprendre la chose dans son origine, on ne peut avoir oublié qu’aussitost que nous eusmes des avis certains que le prince d’Orange avoit pris la resolution denaturée d’envahir nos royaumes avec toutes les forces des Provinces Unies, nous tachames de pourvoir le mieux qu’il estoit possible à nostre defense. Nous croyons en estre venu à bout, ayant mis nostre flote et nostre armée en tel estat que, quoique Sa Majesté tres chretienne, qui voyoit le fonds de [f. 27v] ce dessein formé egalement contre nous, contre lui et contre la paix de l’Europe, nous offrist des secours considerables par terre et par mer, nous crumes qu’il n’etoit pas alors necessaire de les accepter, resolus apres nous estre remis à la protection de Dieu de nous reposer entierement sur le courage et la fidelité de nostre armée angloise, que nous avions formée avec tant de soin et engagée à nous bien servir avec tant de marques de nostre tendresse.
Nous estant donc ainsi preparez à repousser la force par la force, nous pensames ensuite à donner à nos bons sujets toute la satisfaction qu’ils pouvoient raisonnablement souhaiter, tachant à les detromper et à leur faire connoitre, lorsqu’il estoit encore temps de prevenir le malheur avec assez de facilité, qu’ils exposoient leur patrie à une ruine totale s’ils se laissoient seduire par les vains pretextes dont le prince d’Orange coloroit son invasion.
Quoiqu’il en soit, on estoit alors tellement infatué qu’on ne nous crut que lorsqu’il n’estoit plus temps. Il fut bien tost obligé de lever le marque, quoique par degrez, et il parut assez clairement que son dessein n’etoit pas la reformation du gouvernement, de laquelle cependant il n’avoit aucun droit de se meler, mais qu’il pensoit à le renverser entierement et à satisfaire son ambition en s’elevant sur les ruines de la nation angloise. Le poison se repandit pour ainsi dire dans les parties vitales du royaume et dans toute nostre armée, dans nostre cour et dans nostre famille. Nos serviteurs les plus proches de nostre personne, et qui avoient reçu plus de graces de nous, en furent infectez, et mesme nos propres enfans n’en furent par exempts. En mesme temps, nostre armée desertoit tous les jours. D’un autre costé, les tumultes et les desordres augmenterent tellement dans toutes les parties du royaume, et quelques temps apres la revolution alla si loin que nous nous trouvames entierement au pouvoir de nos ennemis, ayant esté d’abord confinez par eux dans nostre propre palais, d’où ensuite nous fumes rudement tirez par force, sous une garde d’etrangers. Alors, nous souvenant du sort de quelques uns de nos predecesseurs reduits à pareilles circonstances, et reconnoissant le peril où nous estions, nous comprimes qu’il estoit temps de pourvoir à la seureté de nostre personne. Nous l’executames heureusement en nous echappant des gardes qui nous avoient esté donnez à Rochester et en nous retirant en France, qui estoit la seule partie de l’Europe où nous pouvions trouver une retraite assurée, afin de nous conserver pour en temps et une occasion plus favorable, semblable à celle qui, par la benediction de Dieu, nous est offerte presentement.
Il est difficile de comprendre sur quelle maxime de droit, ou de sens commun, la faction du prince d’Orange en Angleterre a pretendu traiter d’abdication cette retraite, par laquelle nous nous sommes echapez des mains de nos ennemis. Ce mot, quand il est appliqué aux princes souverains, n’a jamais esté en usage que pour signifier une resignation libre et volonitaire de la couronne, comme ont esté celles de l’empereur Charles V et de la reine Christine de Suede. Il est encore plus etrange que sur un aussi foible fondement, une compagnie assemblée contre toutes les loix, composée de gens qui, de leur propre aveu, avant de s’estre eux-mêmes declarez parlement, n’avoient aucune autorité, pas mesme à l’egard des affaires du moindre particulier, ayent entrepris de detruire la constitution entiere du gouvernement, de rendre elective une ancienne monarchie hereditaire ; qu’ensuite, s’attribuant le doit d’election, ils ayent procedé à establir la successionà la couronne d’une maniere si ridicule et si extravagante. Tous ces faits, qu’il est inutile de repeter, ne sont que trop connus de tout le monde, au grand reproche de la nation angloise, et les fondemens sur lesquels un procedé si extraordinaire a esté appuyé sont trop vains et trop frivoles pour meriter qu’on les refute. Chaque particulier possedant du bien en Angleterre est capable de faire sur ce sujet ses propres observations, et en l’examinant un peu mieux qu’on n’a fait jusqu’à present, il reconnoitra qu’aucun ne peut estre assuré de la paisible possession de son bien si le Roy mesme ne possedoit pas la Couronne à un meilleur titre.
Il y a quelques gens qui, n’ayant pas un seul mot à dire pour justifier un tel procedé, prennent neanmoins beaucoup de peine à montrer qu’il estoit comme necessaire, et à faire voir les bons effets qu’on devoit attendre d’une si mauvaise cause. Nous ne doutons pas neanmoins que la Nation n’ait deja, après un calcul exact, bien consideré les merveilles qu’on auroit pu faire avec moins de sang anglois repandu que celui dont on s’est joué, pour ainsi dire, dans cette qurelle, que dans les trois dernieres années il y a eu tant de vaisseaux de guerre perdus ou detruits qu’on en auroit pu former une flotte considerable, que dans ce mesme espace de temps on a plus tiré d’argent des bourses de nos sujets que dans des regnes entiers de plusieurs de nos predecesseurs mis ensemble, que mesme cet argent n’a pas esté comme autrefois depensé dans le pais mais qu’au lieu de rouler dans le commerce, il a esté transporté en especes hors du royaume et perdu à jamais pour la Nation. Quand on examinera ces articles, et plusieurs autres semblables, on trouvera au bout du compte que le remede a esté beaucoup pire que le mal pretendu, et que le royaume n’a pas beaucoup gagné au change.
Apres avoir examiné le passé, la premiere reflexion qui se presente est sur ce qu’on doit attendre pour l’avenir, sur quoi il n’y a point de jugement plus seur que celui qui se peut faire en reflechissant sur le passé. Si on se regle sur le temparement, l’humeur, la conduite et les maximes de l’usurpateur, aussi bien que sur les demarches qu’il a déjà faites, lorsqu’il sembloit estre encore obligé [f. 28] à ne pas donner du degout au peuple, si on ajoute que toute usurpation ne peut jamais estre soutenue que par la fraude et la violence, qui ont d’abord servi à l’etablir, il y a tout sujet de croire que le commencement de cette tyrannie, ainsi que les cinq premieres années du regne de Neron, en auront esté la partie la plus douce, que tout ce qu’on a souffert jusqu’à present n’est que le commencement des miseres que doivent attendre et que pourront ressentir ceux mesmes qui ont esté les principaux prometeurs de la revolution, puisqu’ils peuvent vivre assez longtemps pour sentir les suites d’un gouvernement illegitime et tyrannique qu’ils ont eux mesmes establi dans le royaume.
Mais il n’en faut pas demeurer là : toutes personnes sages et tous les gens de bien doivent songer à leur posterité, et par cette raison se souvenir que si Dieu par un jugement tres severe sur ces royaumes, en consequence de toutes les rebellions et les parjures dont ils sont coupables, permettoit que l’usurpation continuast si longtemps que nous ne fussions pas retablis durant notre vie, cependant le titre incontestable à la Couronne nous survivroit en la personne de notre tres cher fils le prince de Galles, notre heritier presomptif, et en celles de ses descendans. A leur defaut, il pourroit estre conservé dans la posterité des autres enfans que nous esperons, avec beaucoup de raison, laisser apres nous, la reine nostre espouse estant presentement grosse. Tous ceux qui sont informez des longues et sanglantes querelles entre les maisons d’York et de Lancastre comprennent aisement quelles en pourroient estre les consequence. Quiconque lira l’histoire de ces temps là et y verra comme sur un theatre la representation de tous les malheurs de la guerre civile, les vexations continuelles que les peuples avoient à souffrir par les pillages et les quartiers, et la ruine de tant d’illustres maisons par des condamnations et des executions frequentes, l’affoiblissement general du royaume au-dedans, la perte de tous les avantages qu’on auroit pu lui procurer au dehors, sera obligé de conclure que ce sont là les suites ordinaires des divisions, ausquelles un Estat est necessairement exposé lorsqu’il y a des contestations hereditaires entre des possesseurs injustes et ceux qui sont depouillez nonobstant la justice de leurs droits.
A ces considerations, il en faut ajouter une autre, qui doit estre d’un tres grand poids à l’egard de tous les chrestiens. C’est l’estat malheureux de l’Europe engagée presque partout dans la guerre, lorsqu’il y avoit de plus grandes esperances de succez contre l’ennemi commun, et les plus belles apparences d’etendre les bornes de l’empire chretien qu’il n’y en a eu en aucun siecle depuis la decadence de l’empire romain. Il y a si peu de sujet d’esperer la paix generale avant notre retablissement qu’on ne peut mesme former aucun projet raisonnable de traité. Mais la chose deviendroit facile apres notre retablissement, puisque nous serions en estat d’offrir notre mediation et d’employer tous les offices possibles aupres de Sa Majesté tres chretienne pour l’obtenir.
Comme donc nous venons remplis de si bonnes intentions, et avec une si bonne cause, dont la justice des fondée sur toutes les loix divines et humaines, que la paix de l’Europe et celle de nos royaumes, et que leur prosperité presente et à venir dependent en quelque manière du succez de nostre entreprise, nous esperons trouver tres peu d’opposition, et qu’au contraire tous nos fideles sujets, selon leur devoir et leur serment de fidelité, se joindront à nous et nous assisterons de tout leur pouvoir comme nous le commandons et les en requerons par ces presentes.
Nous defendons tres expressement à tous et chacun de nos sujets de soutenir la presente usurpation, en exigeant ou en paiant aucune des taxes imposées depuis peu sur la Nation contre toutes les loix, ou quelque partie de nostre revenu, ou de contribuer en aucune manière à faire subsister la presente usurpation. Et afin de ne rien omettre de tout ce qui peut paroitre propre à ramener tous nos sujets à nostre service, en sorte que s’il est possible nous n’ayons à faire qu’à l’usurpateur et à ses troupes etrangeres, afin pareillement que personne par desespoir d’obtenir le pardon de ce qu’il peut avoir fait cy devant ne continue dans sa rebellion, nous declarons et promettons en parole de roi que tous ceux qui, retournant promtement à leur devoir, nous en donneront des marques signalées comme en se saisissant et remettant entre nos mains quelqu’une de nos places fortes, nous amenant quelques vaisseaux de guerre, des troupes de l’usurpateur ou quelques autres qu’ils auront eux-mêmes levées et armées, ou qui par quelque service signalé, conformement à leur pouvoir et à leur estat, donneront des preuves manifestes de la sincerité de leur repentance, non seulement obtiendront aussitost des lettres de pardon sous le grand sceau d’Angleterre, mais seront aussi considerez et recompensez par nous selon l’importance de leurs services. Nous exceptons neanmoins les personnes suivantes : le duc d’Ormond, le marquis de Winchester, le comte de Sunderland, le comte de Bath, le comte de Danby, le comte de Nottingham, mylord Neuport, l’eveque de Londres, l’eveque de S. Asaph, mylord de Lamere, mylord Wiltshire, mylord Colchester, mylord Cornbury, mylord Dunblane, Jean lord Churchill, le chevalier Robert Howard, le chevalier Jean Worden, le chevalier Samuel Grimston, le chevalier Estienne Fix, le chevalier George Treby, le chevalier Basile Dixwell, le chevalier Jacques Oxenden, le docteur Tillotson, doyen de Cantorbery, le docteur Gilbert Burnet, François Russel, Richard Levison, Jean Trenchard, escuiers, Charles Duncomb, bourgeois de Londres, Edward Napleton, Hunt Pescheur et tous les autres qui nous firent plusieurs indignitez personnelles à Feversham, comme aussi tous ceux qui comme juges, jurez ou en quelque autre manière ont eu part au meurtre barbare du sieur Jean Ashton et du sieur Cross, ou de tous ceux qui ont esté injustement [f. 28v] condamnez et executez à cause de leur fidelité envers nous, et tous les espions et ceux qui ont trahi nos conseils durant nostre absence d’Angleterre.
Pour tous les autres qui apres nostre debarquement ne prendront point les armes contre nous et qui ne feront aucun acte ou chose tendante à s’opposer à nostre retablissement, à l’exception des personnes cy dessus nommées, nous promettons de pourvoir à leur seureté au premier parlement que nous avons dessein de convoquer avec toute la diligence possible par un acte general d’amnistie, afin que les esprits de tous nos sujets puissent estre tranquilles et en repos, comme leurs personnes et leurs biens seront en une seureté inviolablement sous nostre gouvernement.
Bien entendu neantmoins que tous les magistrats, qui pretendent profiter de la grace du pardon que nous leurs offrons, aussitost qu’ils auront connoissance de nostre debarquement, feront quelque demonstration publique de leur fidelité envers nous et de leur soumission à nostre autorité et qu’ils publieront ou feront publier nostre presente declaration aussitost qu’elle sera venue entre leurs mains, comme aussi que tous les geoliers mettront incessamment en liberté toutes les personnes commises à leur garde à cause de leur fidelité et affection envers nous, à faute de quoi ils seront exclus du pardon.
Nous declarons de plus par ces presentes que tous les officiers et soldats de terre et de mer engagez presentement au service de l’usurpateur qui, apres avoir scu notre arrivée avant que d’avoir esté engagez en aucun combat ou rencontre contre nos troupes, quitteront ce service illegitime et retourneront à leur devoir non seulement obtiendront leur pardon, mais qu’ils seront entierement satisfaits et payez des arrerages qui leur sont dus par l’usurpateur. Et afin que les etrangers qui ont esté amenez dans ce royaume, ou en corps ou qui y sont venus comme particuliers pour prendre parti quand l’occasion s’en presenteroit, s’opposer à nostre retour et faire durer l’oppression de nostre peuple, ne tombent pas dans le desespoir, nous promettons que tous ceux d’entre eux qui, avant que de s’engager en aucun combat contre nos troupes, mettront bas les armes et accepteront la grace promise par cette presente declaration, seront payez des arrerages qui leur seront dus et qu’on aura soin de les transporter en leur pais ou partout ailleurs selon qu’ils pourront raisonnablement souhaitter.
Nous declarons de plus et promettons par ces presentes que nous protegerons et maintiendrons l’eglise anglicane, selon qu’elle est maintenant establie par les loix, en tous ses droits, privileges et possessions, et qu’en cas de vacance des evechez et autres dignitez et benefices à nostre disposition, on aura soin de les remplir des plus dignes sujets de sa communion.
Comme aussi il y a eu plus de tumultes et de rebellions excitées dans toutes les nations pour la religion que sous toutes sortes d’autres pretextes joints ensemble, et plus en Angleterre que dans tout le reste du monde, afin de reconcilier avec le gouvernement ceux qui ont des opinions differentes touchant la religion et les accoutumer à ne le regarder plus comme ennemi mais leur faire connoitre qu’ils sont egalement interessez aussi bien que tous les autres sujets leurs compatriotes à sa conservation, parce qu’ils en seront egalement bien traitez, estant aussi persuadez que la liberté de conscience est tres conforme aux loix et à l’esprit de la religion chretienne, qu’elle peut aussi beaucoup contribuer à la richesse et à la prosperité de nos royaumes, attirant des hommes de toute nation et de toute creance à venir negocier, et s’etablir parmi nous, pour toutes ces raisons nous sommes resolus de recommander fortement à nostre parlement d’etablir la liberté de conscience d’une manière si avantageuse qu’elle puisse attirer une benediction de longue durée sur ce royaume.
Enfin, nostre principal soin sera de tacher, par l’avis et l’assistance de nostre parlement, de reparer les breches et de guerir les playes causées par les dernieres revolutions, de retablir le commerce en faisant executer activement l’acte touchant la navigation, qui a esté violé depuis peu en tant de manieres en faveur des etrangers, de remettre nostre flote et les magasins en aussi bon estat que nous les avions laissez, de chercher des meilleurs moyens de retablir la richesse dans le royaume et d’y faire revenir les especes dont il a esté depuis peu si fort epuisé. Enfin, nous emploierons avec plaisir le reste de nostre regne, selon le dessein que nous en avions à nostre avenement à la Couronne, à chercher et à executer tout ce qui pourra contribuer à retablir la grandeur de la monarchie angloise sur ses anciens et veritables fondemens, qui sont l’interest commun et l’affection du peuple.
Apres avoir ainsi taché de repondre à tout ce qu’on pourroit objecter et de donner à toutes sortes de personnes, de quelque rang qu’ils soient, la satisfaction que nous avons jugée la plus raisonnable, nous avons celle d’avoir fait tout ce qui dependoit de nous, quel que puisse estre l’evenement, sur lequel nous nous remettons avec une entiere resignation à ce que Dieu, dont les jugemens sont equitables, voudra en ordonner. Que si d’un autre costé quelques uns de nos sujets demeurent assez obstinez pour paroitre en armes contre nous, comme ils meriteront d’estre traitez selon toute la rigueur de nostre justice, apres avoir refusé des offres de pardon, telles que celles cy, ils seront aussi responsables devant Dieu de tout le sang repandu, de tous les malheurs et des desordres dans lesquels le Royaume pourra tomber par leur opposition deraisonnable et desesperée. Donné à nostre cour à S. Germain le vingtieme avril, l’an huitieme de nostre regne. Per ipsum regem manu propria. »

Jacques II

Mentions de Saint-Germain-en-Laye dans les mémoires en partie apocryphes de Jacques II

« [t. 1, p. 64] [1649] Le duc demeura environ huit mois en Hollande, à compter de son arrivée, passa les fêtes de Noël à La Haye avec son frère et sa sœur le prince et la princesse d’Orange, et le lendemain de l’Epiphanie partit pour se rendre en France, selon les ordres qu’il avait reçus de la reine sa mère. Il prit sa route par Bruxelles et arriva à Cambrai ; il y reçut une lettre de la reine, qui l’informait des événements survenus à Paris dans la nuit de l’Epiphanie. Elle lui disait en somme que les désordres de cette ville avaient contraint le Roi, pour sa propre sûreté, de la quitter, que lui et sa Cour s’étaient rendus à Saint-Germain, que cela s’était fait avec tant de précipitation qu’il avait été forcé de de partir la nuit, mais qu’après avoir mis sa personne en sûreté, il avait rassemblé ses troupes et assiégeait Paris, avec la résolution de le faire rentrer dans le devoir. Sa Majesté terminait en ordonnant au duc de demeurer, jusqu’à nouvel ordre, au lieu où le trouverait cette lettre.
L’archiduc Léopold, alors gouverneur des Pays-Bas, instruit du séjour de Son Altesse royale en Flandre, lui envoya un de ses principaux officiers chargé d’un message plein de civilité, et de [p. 65] l’offre d’un séjour plus commode que celui de la ville frontière, où elle se trouvait alors. Il lui proposa l’abbaye de Saint-Amand, qui n’était éloignée que d’une journée en arrière. Le duc l’accepta, y fut magnifiquement traitée par les moines, qui étaient de l’ordre de Saint-Benoît, et y demeura jusqu’au 8 février. Alors il reçut des lettres de la Reine qui lui ordonnait de venir à Paris. En conséquence, il retourna à Cambrai, se rendit de là à Péronne, puis à Paris, où il arriva le 13 février ; car, bien que la ville continuât à être bloquée par l’armée du Roi, il avait obtenu la permission d’y entrer et d’y habiter avec la reine sa mère.
Un jour ou deux après l’arrivée du duc à Paris, il apprit l’horrible meurtre du roi son père ; il est plus aisé d’imaginer que d’exprimer l’impression que fit sur la reine et le duc une semblable nouvelle.
Vers ce temps, les Parisiens commençaient à se repentir de leur rébellion, et, sentant qu’ils ne pouvaient avoir de secours de nulle part, entrèrent en accommodement et se soumirent au Roi. La paix faite, le duc se rendit à Saint-Germain pour voir le Roi et la Reine de France. Il y fut reçu avec toute la bienveillance qu’il pouvait espérer, et traité avec la magnificence due à son rang, et de la même manière que si la famille royale eût été encore dans sa première situation.
[p. 66] Ensuite Son Altesse royale revint à Paris, et y demeura avec la reine sa mère, jusqu’à ce que le roi son frère revint de Hollande en France. De là, ils allèrent à Saint-Germain, que la cour de France avait quitté pour revenir à Paris.
On disait que l’intention du roi, en venant en France, n’était que d’y passer pour se rendre en Irlande, qui s’était déclarée pour lui, et était alors presque entièrement sous son obéissance, les rebelles ne possédant plus guère que Dublin et Londonderry ; mais, au lieu de traverser seulement la France, Sa Majesté passa tout l’hiver à Saint-Germain, et se laissa enfin persuader de renoncer à son projet d’aller immédiatement en Irlande ; elle se rendit ensuite à Jersey avec le duc. Ils partirent le 19 septembre.
[…]
[p. 76] Au commencement du printemps de l’année 1652, la situation des affaires de France était telle que le retour du cardinal Mazarin ôtait toute espérance d’accommodement entre le Roi et les princes, et que l’on avait au contraire la probabilité d’une campagne très active. Le duc, qui désirait fort se rendre propre un jour à la guerre, résolut de servir comme volontaire dans l’armée du roi de France. […] Il restait encore une plus grande difficulté à vaincre, celle d’avoir de l’argent pour s’équiper et s’entretenir à l’armée. L’argent était chose rare à la cour anglaise. Le duc s’en procura à la fin. Un Gascon nommé Gautier, qui avait servi en Angleterre, lui prêta trois cents pistoles. […] Sans ce secours, il [p. 77] lui aurait été impossible de partir, car en ce temps l’argent était aussi peu commun à la cour de France qu’en Angleterre. […] On ne jugea pas convenable que Son Altesse allât prendre congé de son oncle le duc d’Orléans, contre le parti duquel il était près de se déclarer.
Pour éviter tous ces inconvénients, le roi accompagna son frère à Saint-Germain, sous prétexte d’une partie de chasse ; et, après y être demeuré trois ou quatre jours, il partit pour l’armée le 21 avril, passa par le faubourg Saint-Antoine, sous les murs de Paris, et ne put aller ce soir-là plus loin que Charenton.
[…]
[t. 3, p. 355] [1688] Le voyage et la séparation résolue, la reine [Marie de Modène], déguisée, traversa la rivière le 9 décembre, n’ayant avec elle, pour éviter tout soupçon, que le prince, sa nourrice et deux ou trois autres personnes. On avait fait préparer une voiture sur [p. 356] l’autre rive ; elle la conduisit sans accident jusqu’à Gravesend où elle s’embarqua sur le yacht. […] [p. 357] Aussitôt que la reine et le prince furent à bord du yacht, le vent se trouvant favorable, ils partirent pour Calais, où ils arrivèrent très promptement et débarquèrent le lendemain. […]
[p. 358] Sa Majesté Très Chrétienne ne fut pas plutôt instruite de l’arrivée de la reine et du prince dans son royaume qu’Elle leur envoya ses officiers, ses voitures, et tout ce qui était nécessaire pour leur voyage. Il se passa avec un ordre, une magnificence et des marques de respect beaucoup plus d‘accord avec la magnificence du roi de France et la dignité de ses hôtes qu’à la triste condition de la reine désolée. Comme les chemins étaient mauvais et couverts de neiges, on traça une route directe à travers champs ; des pionniers, marchant en avant, aplanissaient le terrain et écartaient tout ce qui pouvait faire obstacle au passage. Sa Majesté trouva partout sur la route ses logemens et ses repas préparés de la même manière que si elle eût été dans un palais [p. 359] de rois. Le Roi vint à sa rencontre à une lieue de Saint-Germain, et aussitôt qu’il s’approcha du prince de Galles, il le prit dans ses bras, et lui adressant la parole, lui promit en peu de mots protection et secours, puis s’avança vers la Reine et ne négligea rien de ce qui pouvait adoucir ses souffrances présentes et l’encourager à espérer un terme prochain à ses malheurs. Il les conduisit à Saint-Germain qu’il avait quitté peu de temps auparavant pour établir sa résidence à Versailles. Il y établit Sa Majesté et le prince de Galles, leur y donna des gardes et tous les autres officiers nécessaires pour les servir en attendant l’arrivée du roi.
[…]
[t. 4, p. 1] Aussitôt que le roi fut débarqué, il se rendit à Abbeville, où il se fit connaître publiquement, puis il se rendit promptement à Saint-Germain, où il eut la consolation de retrouver du moins en lieu de sûreté la reine et le prince son fils. Cette satisfaction, et l’accueil généreux et cordial qu’il reçut de Sa Majesté Très Chrétienne, ne furent pas un médiocre soulagement à ses peines. Il eut aussi la joie de voir arriver journellement d’Angleterre un grand nombre de gens de qualité, protestans et catholiques, qui venaient le rejoindre, tant par inclination et par empressement à partager la fortune de leur prince que pour se mettre à l’abri de l’orage qui l’avait renversé du trône et menaçait tous ceux qui l’avaient servi avec fidélité et affection, et ceux même qui, dans des intentions ennemies, avaient poussé aux mesures désagréables à la nation.
[…]
[p. 56] [mars 1689] Aussitôt que le roi eut reçu le message de lord Tirconnel, il se résolut à passer sur le champ en Irlande.
[…]
[p. 179] [juillet 1690] Le roi, avant de s’embarquer, écrivit à lord Tirconnel que, d’après son avis, celui de M. de Lauzun et du reste de ses amis, il partait pour la France, d’où il espérait leur envoyer des secours plus considérables.
[…]
[p. 186] Le lendemain de l’arrivée du roi à Saint-Germain, Sa Majesté Très Chrétienne vint lui rendre visite, et lui promit, en termes généraux, tous les services possibles ; mais lorsque le Roi lui exposa son projet, il le reçut froidement, et lui dit qu’il ne pouvait rien faire jusqu’à ce qu’il eût reçu des nouvelles d’Irlande. Le Roi, peu satisfait de cette réponse, demanda au roi de France un nouvel entretien ; car, au fait, on n’avait nul besoin de savoir ce qui se passait en Irlande pour convaincre le monde que l’Angleterre était en ce moment dégarnie de troupes, et que les Français, qui avaient alors la supériorité sur mer, pouvaient y transporter le Roi, faire de ce pays le siège de la guerre, et détruire ainsi le véritable nerf de l’alliance ; mais, soit par Elle-même ou par les insinuations des ministres, Sa Majesté Très Chrétienne était probablement alors mécontente de la conduite du roi et de sa trop grande précipitation à quitter l’Irlande, et voyant qu’il n’était pas de caractère à s’obstiner longtemps à une même entreprise, répugnait à hasarder une nouvelle expédition qu’elle craignait de voir abandonner aussi promptement que la première. Mais comme la proposition du roi était si raisonnable qu’il n’y avait pas d’objection à y faire, si ce n’est [p. 187] celle qui pouvait permettre la civilité, Sa Majesté Très Chrétienne remit, sous prétexte d’indisposition, de voir le Roi jusqu’à ce qu’effectivement il n’y eut plus rien à faire ; car la promptitude aurait dû être l’âme d’une pareille entreprise, et la surprise eût fait plus de la moitié de l’ouvrage. Le roi démêla le vrai motif de ce délai ; et il est certain que, comme il l’a ensuite avoué à une personne qui était dans le secret, jamais sa patience n’avait été mise à une si rude épreuve.
[…]
[p. 275] Après la malheureuse fin de la guerre, soit en Irlande, soit en Ecosse, le Roi, se soumettant patiemment à son sort, songea à s’établir à Saint-Germain et à régler sa maison et son genre de vie ainsi que le permettait la pension de 600 mille livres par an qu’il recevait de la cour de France. Il ménagea ce revenu avec tant de prudence et d’économie, que non seulement il conserva autour de lui les apparences d’une cour, en entretenant à son service la plus grande partie des officiers qui environnent un roi d’Angleterre, mais secourut aussi un nombre infini de personnes dans la détresse, comme des officiers vieux ou blessés, les veuves et les enfans de ceux qui avaient perdu la vie à son service. Les salaires et les pensions qu’il accordait étaient à la vérité peu considérables ; mais il ne laissait guère le mérite sans récompense, et ses serviteurs avaient de quoi vivre décemment : si bien qu’à l’aide des gardes que Sa Majesté Très Chrétienne lui donnait pour l’accompagner ainsi que la reine et le prince son fils, sa Cour, malgré son exil, conservait un air [p. 276] de dignité convenable à un prince. Outre les gens de sa maison et plusieurs autres de ses loyaux sujets, tant catholiques que protestans, qui avaient voulu suivre sa fortune, il avait ordinairement autour de lui, surtout en hiver, tant d’officiers de l’armée qu’un étranger aurait pu oublier la situation où il se trouvait et se croire toujours à Whitehall. Ce n’était pas la seule chose qui rappelât le passé : sa conduite envers ceux qui l’environnaient était ce qu’elle avait été en Angleterre. On n’y voyait aucune distinction entre les personnes de différentes croyances ; les protestans étaient soutenus, protégés et employés tout aussi bien que les autres. A la vérité, les lois de France ne leur accordaient pas les mêmes privilèges relativement aux prières publiques, enterremens, etc. ; mais le roi trouvait moyen d’obtenir pour eux des adoucissemens à ce qu’il ne pouvait totalement empêcher. Sa conversation était aussi tellement semblable à ce qu’elle avait toujours été, que sous ce rapport on l’aurait cru encore au milieu de ceux qui l’avaient abandonné ou trahi. Jamais une réflexion d’amertume et de blâme sur le peuple ou le pays qui l’avait si indignement traité. On ne pouvait lui faire plus mal sa cour que de déclamer contre l’ingratitude de ceux qui s’étaient montrés les plus criminels en ce point. Si l’on pouvait leur trouver quelque apparence d’excuse, il ne manquait pas de la faire valoir [p. 277] et se rendait la plupart du temps l’avocat déclaré de ses plus grands ennemis. Il raisonnait sur les mesures du gouvernement d’Angleterre, les votes et la marche de son parlement, la valeur et la conduite de ses troupes, avec autant de clame et de modération que s’il eût encore été à leur tête, et ne paraissait pas prendre moins d’intérêt la réputation des soldats et des marins anglais que dans le temps qu’il était témoin de leurs efforts et partageait leur gloire. Il ne pouvait renoncer aussi aisément à sa tendresse pour son peuple que ce peuple à sa loyauté et à ses devoirs envers lui ; et lorsque dans quelque acte ou déclaration publics il se voyait obligé d’exposer les torts de ses sujets, il ne le faisait que par la nécessité où il était de se justifier, et non par l’effet d’aucune aigreur ou amertume que lui eût laissé le souvenir des troubles. Ainsi, quoiqu’il sût, en certaines occasions, convaincre le monde qu’il n’était pas insensible aux injures qu’il en avait reçues, il montrait bien par la conduite de toute sa vie qu’il désirait leur repentir, non leur perte ou sa propre vengeance.
La reine étant devenue grosse, peu après que le roi fut revenu d’Irlande, il saisit cette occasion de convaincre ses sujets de la fausseté de cette calomnie qui avait si fort contribué à les entraîner dans les vues du prince d’Orange. Il pensa qu’une invitation aux membres de son conseil privé, [p. 278] et à plusieurs autres personnes de qualité, de venir assister aux couches de la reine serait le moyen le plus efficace de prouver que, quatre années auparavant, Sa Majesté n’avait pas encore passé l’âge d’avoir des enfans. Il écrivit donc aux lords et autres personnes de son conseil privé la lettre suivante :
« Très fidèles etc. Les rois nos prédécesseurs ayant été dans l’usage d’appeler tous ceux de leur conseil privé qui se trouvaient à leur portée pour être présens aux couches de la reine et à la naissance de leurs enfans, et comme nous avons suivi leur exemple à la naissance de notre très cher fils le prince de Galles, quoique cette précaution n’ait pas suffi pour nous préserver des malicieuses calomnies de ceux qui avaient résolu de nous dépouiller de nos droits de roi, pour ne pas manquer à ce que nous devons à nous-même, dans cette occasion où il a plu au Tout-Puissant, défenseur de la vérité, de nous donner l’espérance d’un autre enfant, la reine notre très chère épouse se trouvant grosse et près de son terme, nous avons cru devoir requérir tous ceux de notre conseil privé qui en auront la possibilité de se rendre auprès de nous à Saint-Germain pour être témoins des couches de la reine, notre très chère épouse.
Nous vous signifions donc par ces présentes [p. 279] notre royale volonté, afin que vous employiez tous les moyens possibles pour venir aussi promptement que vous pourrez, la reine devant accoucher vers le milieu de mai prochain (style anglais). Et afin qu’il ne vous reste aucune crainte de notre part, notre très cher frère, le Roi Très Chrétien, a consenti à ce que nous vous promissions, comme nous le faisons ici, toute sûreté pour venir, ainsi que pour vous en retourner après les couches de la reine, notre très chère épouse. Quoique l’iniquité des temps, la tyrannie des étrangers, et l’égarement d’une partie de nos sujets, nous aient mis dans la nécessité d’employer ces moyens inusités, nous espérons que cette démarche convaincra le monde, à la confusion de nos ennemis, de la sincérité et de la candeur de notre conduite. Ne doutant pas que vous ne vous rendiez à cette invitation, nous vous saluons sincèrement. Donné en notre Cour de Saint-Germain, le 8 avril 1692, la huitième année de notre règne. »
Ces lettres furent adressées aux duchesses de Sommerset et de Beaufort, à ladys Derby, Mulgrave, Rutland, Danby, Nottingham, Brooks, [p. 280] Lumley, Fitzharding et Fretzwell, à sir John Trevor, orateur de la chambre des communes, et à sa femme, à ladys Seymour, Musgrave, Blunt, Guise et Foly, à la femme du maire de Londres, aux femmes des deux shériffs, et au docteur Hugh ; mais le prince d’Orange, qui avait obtenu tout ce qu’il attendait de cette infâme calomnie, s’embarrassait alors assez peu qu’on jugeât la chose vraie ou fausse. Au lieu donc de faire ce qu’il fallait pour éclairer le monde sur un point d’une si haute importance, il prit tous les soins possibles pour empêcher ces lettres d’arriver à leur adresse, et consentit si peu à donner les sauf-conduits qu’on offrait de l’autre côté, que soit qu’on en eût ou non le désir, il est certain que personne n’osa entreprendre ce voyage qui déplaisait si évidemment au prince et à la princesse d’Orange. Cela fournit, à la vérité, aux amis de Sa Majesté, l’occasion de publier les criantes injustices qu’il avait souffertes sur ce point, et sur plusieurs autres ; mais ce n’était point par des argumens et des raisonnemens que le roi pouvait espérer d’arracher son sceptre des mains de l’usurpateur ; la force seule pouvait y réussir, et Sa Majesté n’était pas encore sans espérance de se procurer celles dont il avait besoin.
[…]
[p. 306] [1692] Comme le prince de Galles avait alors près de quatre ans, le roi jugea à propos, avant de partir pour cette expédition, de le revêtir de l’ordre de la Jarretière ; il le donna en même temps au duc de Powis et au comte de Melfort. Il avait fait quelque temps auparavant le même honneur au comte de Lauzun, en récompense des services qu’il lui avait rendus en Irlande, et des secours qu’il avait prêtés à la reine pour s’échapper d’Angleterre. Après cette cérémonie, le roi partit pour Cannes en Normandie, où il arriva le 24 avril (nouveau style), accompagné du maréchal de Bellefond et suivi du duc de Berwick et de plusieurs autres officiers de distinction.
[…]
[p. 312] Après le malheureux succès de cette expédition, les troupes furent renvoyées à leurs différents postes, et le roi retourna à Saint-Germain, où Sa Majesté Très Chrétienne, avec sa générosité habituelle, lui renouvela les assurances de sa protection et de son secours malgré ce malheur et tous les autres. Pour montrer d’ailleurs qu’il n’était ni découragé ni ruiné par cette perte, le roi de France ordonna, malgré les dépenses de la guerre, qu’on reconstruisît autant de vaisseaux qu’il lui en avait été brûlé. En effet, dans le cours d’une année, on les eut reconstruits de la même grandeur et du même chargement : ce qui fit hautement admirer la richesse, la puissance et l’administration financière de son royaume.
Un mois après que le roi fut revenu de La Hogue, la reine mit en monde une princesse : ce qui leur fit éprouver au moins les consolations domestiques. Elle fut baptisée sous le nom de Louise Marie et tenue sur les fonts par le roi Très Chrétien ; la cérémonie fut faite avec beaucoup de magnificence et de solennité. Personne n’était venu d’Angleterre pour se rendre à l’invitation du roi ; mais la reine eut à ses couches, outre les princesses et les principales dames de la cour de France, le chancelier, le premier président [p. 313] du parlement de Paris, l’archevêque, etc. ; on y appela aussi la femme de l’ambassadeur du Danemarck, madame Meereroon, comme une personne dont le témoignage devait avoir du poids auprès de la nation anglaise ; et, bien que contraire au parti du roi, elle ne put refuser, d’après le témoignage de ses propres yeux, d’avouer le ridicule de ces fausses et malveillantes insinuations qui lui avaient causé tant de mal.
Les continuelle contrariétés qu’avait subies le roi l’avaient tellement dépouillé de toute pensée de bonheur en ce monde qu’il ne s’occupait guères plus que d’assurer sa félicité dans l’autre, auquel il voyait bien que la Providence voulait le conduire par la voie de l’affliction et des souffrances, la plus sûre de toutes, surtout pour ceux que pénètrent de douleur et d’aversion le souvenir de leurs fautes passées. Le roi était trop humble pour ne pas reconnaître les siennes, et trop juste pour ne pas penser qu’il dût en être puni. Il accepta donc de bon cœur et avec joie les châtimens qu’il plut à Dieu de lui envoyer, et en ajouta même de son choix, qu’il eût poussés à l’excès si la prudence de son directeur n’eût pris soin de modérer son zèle. Cela ne l’empêcha pourtant pas de profiter, comme il le devait, de toutes les occasions que pouvait lui offrir la Providence de rentrer dans ses droits. Il avait comment appliquer aux peines la patience, aux mauvais [p. 314] succès la persévérance. Le dernier échec qu’il avait éprouvé ne l’empêcha donc pas de continuer sa correspondance avec ses partisans d’Angleterre qui, surtout avant l’affaire de La Hogue, étaient ou se disaient fort nombreux, non seulement parmi les personnes du premier rang, mais même parmi les employés du gouvernement : peut-être étaient-ils moins animés par un pur zèle pour le rétablissement du roi, qu’effrayés de la perspective d’une guerre interminable et d’un gouvernement sans stabilité, tel qu’ils devaient l’attendre jusqu’à ce que les choses eussent repris leur cours naturel. Ils voyaient le roi Très Chrétien épouser sincèrement les intérêts de Sa Majesté, et ses derniers succès contre les forces unies de toute l’Europe, interrompus seulement par sa dernière défaite, montraient ce qu’il était capable de faire, même lorsqu’il avait à lutter contre un si grand nombre d’ennemis ; et à plus forte raison ce qu’on en devait attendre, si quelque accident venait à rompre l’alliance qui, formée de tant de pièces différentes, ne pouvait, selon toute apparence, durer longtemps. Voyant donc quelque apparence qu’ils seraient un jour forcés de retourner à leur devoir, plusieurs d’entre eux pensaient qu’il valait beaucoup mieux y revenir volontairement, et en offrant au roi de certaines conditions, s’assurer des garanties contre ce qu’ils croyaient avoir à craindre pour la religion, les lois et la liberté, mais [p. 315] même obtenir du roi sur ces divers points de nouvelles concessions que l’état fâcheux de ses affaires pouvait le disposer à leur accorder.
[…]
[p. 426] [1697] Aussitôt après la paix, le prince d’Orange ayant envoyé en France son favori Bentinck en qualité d’ambassadeur, celui-ci saisit cette occasion de pousser à de nouvelles rigueurs contre Sa Majesté. Il paraît que, dans la première conférence qui avait eu lieu avant les négociations entre ce ministre et le maréchal de Boufflers, il avait insisté pour que le roi fut éloigné de France, mais Sa Majesté Très Chrétienne avait coupé court à cette demande, en disant que si le prince insistait sur cet article, il renoncerait à toute pensé de négocier avec lui. Il n’en fut donc pas question à Riswick ; mais le prince d’Orange, [p. 427] après le succès de ces négociations, crut ne devoir désespérer de rien et ordonna à Bentinck de renouveler ses sollicitations sur ce point. La mauvaise conscience du prince et de son parti ne pouvait supporter de voir de si près celui dont la présence leur reprochait leur injustice et leur infidélité et demeurait suspendue sur leur tête comme un nuage annonçant la tempête. Mais Sa Majesté Très Chrétienne fut inébranlable sur ce point : Elle regardait son honneur comme trop engagé pour le laisser ainsi fouler aux pieds par l’usurpateur ; elle ne s’était déjà que trop abaissée [p. 428] devant lui, et l’on s’était étonné qu’il lui inspirât tant de crainte. Ce ne pouvait être que par ce motif qu’Elle s’abstint de demander le douaire de la reine ; car, puisque le peuple d’Angleterre avait traité son roi avec si peu d’égards que de la regarder comme mort pour le paix, la conséquence était que la reine avait droit au moins à son douaire, dont, par les lois d’Angleterre, elle avait le privilège de jouir même pendant la vie du roi. Il n’y avait pas de réponse à faire à cela : ainsi par un article secret on convint de le lui payer. La chose fut confirmée dans le suivant parlement, tellement qu’une somme d’argent fut en secret affectée à cet emploi ; mais lorsqu’on en vint à toucher cette somme, le prince d’Orange éleva de nouvelles difficultés et de nouvelles demandes, et particulièrement celle d’éloigner le roi de Saint-Germain. Bentinck prétendait que le maréchal de Boufflers y avait secrètement consenti : le maréchal le niait positivement. Quoi qu’il en soit, Sa Majesté Très Chrétienne était si peu disposée à discuter ce point avec le prince, qu’Elle aima lieux lui laisser cet argent entre les mains comme un prix de sa complaisance que de risquer de l’exaspérer en le pressant trop vivement sur un point qu’il n’avait pas l’intention d’accomplir. Le roi et la reine eurent donc la mortification de vivre entièrement des bienfaits d’un prince étranger, et dans la même [p. 429] dépendance sur tous les points que s’ils eussent fait vœu de pauvreté et d’obéissance.
Le bill de bannissement, qui suivit immédiatement la paix, fut pour le roi un nouveau sujet de chagrin qui augmenta de beaucoup ses charges. Le parlement d’Angleterre passa un acte qui non seulement déclarait crime de haute trahison toute correspondance avec le roi, mais contraignait même tous ceux qui avaient été à son service ou étaient seulement venus en France depuis la révolution, si ce n’est avec un passeport du gouvernement à quitter à jour fixe tous les Etats de la Grande Bretagne, sous peine d’être accusés de haute trahison, ex post facto, et sans aucun moyen d’y échapper. Jamais aucun gouvernement n’avait rien fait d’aussi cruel ni d’aussi injuste. Le roi avoua que ce chagrin passait pour lui tous les autres. Il sentait que les souffrances qui lui étaient personnelles n’approchaient pas du châtiment qu’avaient pu à juste titre lui mériter ses désordres passés ; mais voir ses loyaux sujets traités de la sorte en raison de la fidélité qu’ils lui avaient témoignée, c’était pour lui une peine qu’un secours extraordinaire de la grâce pouvait seul le mettre en état de supporter. Les nouvelles d’Irlande lui étaient également douloureuses : le prince d’Orange, malgré toutes ses belles protestations aux princes confédérés, avait, même durant le cours des conférences [p. 430] de Riswick, fait rendre en Irlande une nouvelle loi pour l’extinction totale du papisme, ordonnant entre autres articles le bannissement de tous les ecclésiastiques réguliers. M. de Ruvigny, qui commandait dans le pays, ne manqua pas de mettre l’ordre à exécution. Ils arrivèrent donc bientôt en France en foule ; il en vint plus de quatre cents dans l’espace de quelques mois. La nécessité de secourir leur détresse et celle de tous les autres catholiques, que les bills de bannissement faisaient sortir du royaume, augmenta, comme on l’a dit, de beaucoup les charges du roi. Il eut le chagrin, après leur avoir distribué jusqu’à son nécessaire, d’en voir un grand nombre prêts à périr de besoin sans qu’il fut en son pouvoir de les secourir.
[…]
[p. 440] Mais quoiqu’il ne craignit pas de publier ses désordres passés, il faisait tout ce qu’il pouvait pour cacher sa pénitence. La reine disait ne l’avoir jamais vu si confus qu’une fois qu’elle avait, par hasard, aperçu sa discipline. Il avait [p. 441] donc soin que sa conduite, aux yeux du monde, parût autant que possible telle qu’elle avait toujours été. Il entretenait ses sujets et les personnes de la cour de France avec la même affabilité et le même enjouement qu’à l’ordinaire, continuait d’aller à la chasse, et, de peur de singularité ou d’affection, n’évitait point les divertissemens de la Cour, tels que bals et autres, lorsqu’il y était invité ; mais il était loin de les chercher, non plus qu’aucun de ceux qu’il pouvait éviter sans inconvénient, car, bien que cela passe par des amusemens nécessaires, il pensait autrement et aurait voulu que l’autorité publique retranchât tous ces dangereux divertissemens, comme le jeu, l’opéra, la comédie et autres semblables, et ceux qui n’auront pas lu ce qu’il a écrit sur ce sujet, ne sauraient s’imaginer à quel point il s’élève judicieusement contre de tels plaisirs.
[…]
[p. 447] Ainsi ce pieux prince sanctifiait-il ses souffrances et en faisait les germes féconds d’une immortalité bienheureuse. Elle commençait à s’approcher de lui ; car, le 4 mars 1701, il se trouva mal [p. 448] dans la chapelle ; cependant, revenant à lui peu de temps après, il parut, au bout de huit jours, parfaitement rétabli ; mais huit jours après il fut frappé d’une attaque de paralysie comme il s’habillait. Il eut un côté tellement frappé qu’il avait de la peine à marcher, et perdit, pour quelques temps, l’usage de la main droite ; mais les ventouses, l’émétique, etc., el lui rendirent, et il put recommencer à marcher assez bien. Les médecins jugeant que les eaux de Bourbon le rétabliraient parfaitement, il y alla environ trois semaines après. A son retour il ne boitait presque plus, mais il se plaignait d’une douleur dans la poitrine et crachait de temps en temps le sang. Cela avait commencé même avant son départ pour Bourbon, et donna lieu de craindre que l’émétique, qui pouvait lui avoir été bon pour sa paralysie, n’eût occasionné une lésion au poumon. [p. 449] Cependant il parut recouvrer des forces ; il prit l’air comme à l’ordinaire, et monta quelquefois à cheval ; mais le vendredi, 2 septembre, il fut pris dans la chapelle d’un évanouissement semblable au premier. Il revint à lui lorsqu’on l’eut transporté dans sa chambre. Ce fut une cruelle vue pour la reine désolée, d’autant qu’il retomba évanoui dans ses bras une seconde fois. Il fut cependant assez bien le lendemain ; mais le dimanche il tomba dans un nouvel évanouissement et fut quelque temps sans mouvement. Enfin on lui ouvrit la bouche de force et il vomit une grande quantité de sang, ce qui jeta dans le dernier effroi la reine et tous ceux qui étaient là, excepté lui. Ses longs désirs de la mort lui en avaient rendu la pensée si familière, qui ni les terreurs, ni les tourmens qui accompagnent son approche, ne lui donnèrent la moindre anxiété ni le moindre trouble. Il n’eut pas besoin de l’exhorter à se résigner ni à se préparer comme il le devait ; ce fut la première et l’unique chose dont il s’occupa. La veille précisément du jour de son attaque, il avait fait une confession générale. Aussitôt que son vomissement eut cessé, il pria son confesseur d’envoyer chercher le Saint-Sacrement, et, pensant qu’il n’avait pas longtemps à vivre, l’engagea à se presser, lui recommandant d’avoir soin de ne manquer à aucun des rites de l’Eglise. En même temps, il envoya chercher le prince son [p. 450] fils, qui, au moment où il entra, voyant le roi pâle et l’air mourant, et le lit couvert de sang, laissa éclater, ainsi que tout ce qui l’entourait, la plus violente douleur. Le roi, lorsqu’il arriva au chevet de son lit, étendit, avec un air de satisfaction, ses bras pour l’embrasser, et lui parlant avec une force et une véhémence proportionnée à son zèle et à l’état de faiblesse où il se trouvait, le conjura d’adhérer fermement à la religion catholique, quoi qu’il pût en arriver, d’être fidèle au service de Dieu, respectueux et obéissant envers la reine, la meilleure des mères, et à jamais reconnaissant envers le roi de France, à qui il avait les plus grandes obligations. Ceux qui se trouvaient là, craignant que la vivacité et la ferveur avec lesquelles il parlait ne lui fissent mal, engagèrent le prince à se retirer. Le roi en fut chagriné, et dit : « Ne m’ôtez pas mon fils jusqu’à ce que je lui aie donné ma dernière bénédiction ». Lorsqu’il la lui eut donnée, le prince retourna à son appartement, et on amena près de son lit la petite princesse, à qui il parla dans le même sens. Elle, en même temps, par l’abondance de ses innocentes larmes, montrait combien elle était sensiblement touchée de l’état de faiblesse où elle voyait le roi son père. Non content d’avoir parlé à ses enfans, il fit, avec la plus grande ferveur et toute la piété imaginable, une sorte de courte exhortation à tous ceux qui [p. 451] l’entouraient, et surtout à lors Middleton et à ses autres serviteurs protestans, qu’il exhorta à embrasser la religion catholique. Il apporta dans cette exhortation tant de force et d’énergie qu’il leur fit beaucoup d’impression ; et il leur dit qu’ils pouvaient croire sur l’assurance d’un mourant, que lorsqu’ils se trouveraient dans le même état que lui, ils éprouveraient une grande consolation d’avoir suivi son exemple et ses avis.
Lorsqu’il vit arriver le Saint-Sacrement, il s’écria : « L’heureux jour est enfin venu ! » puis il se recueillit pour recevoir le saint viatique. Le curé s’approcha de son lit, et, selon la coutume en pareille occasion, lui demanda s’il croyait en la présence réelle et substantielle du corps de Notre Seigneur dans le Saint-Sacrement ? A quoi il répondit : « Oui, j’y crois de tout mon cœur » ; puis, ayant passé quelques momens dans un recueillement spirituel, il désira recevoir le sacrement de l’extrême-onction, et porta dans toutes ces cérémonies une piété exemplaire, et une singulière présence d’esprit.
Il ne pouvait y avoir de meilleures occasions de déclarer publiquement qu’il mourrait en parfaite charité avec tout le monde, et qu’il pardonnait du fond de son cœur à tous ses ennemis ; et, de peur qu’on ne pût douter de sa sincérité à l’égard de ceux dont il avait plus à se plaindre que des autres, il nomma spécialement le prince d’Orange, [p. 452] la princesse Anne de Danemarck sa fille, et, s’adressant à son confesseur d’une manière encore plus particulière, lui dit : « Je pardonne aussi de tout mon cœur à l’Empereur ». Mais, dans la vérité, il n’avait pas attendu ce moment pour accomplir le devoir chrétien du pardon des injures. Son cœur avait été si éloigné de tout ressentiment qu’il regardait ceux qui les lui avaient fait subir comme ses plus grands bienfaiteurs, et déclarait souvent qu’il avait plus d’obligations au prince d’Orange qu’à qui que ce fût au monde. Pendant tout ce temps, la pauvre reine, hors d’état de se soutenir, était tombée à terre auprès du lit, en bien plus grande angoisse que lui, et autant que lui privée de toute apparence de vie. Le roi fut sensiblement touché de l’excès de sa douleur, et parut en souffrir plus que de toute autre chose. Il lui dit tout ce qu’il put pour la consoler et l’engager à se résigner en ceci, comme elle le faisait en toute autre chose, à la volonté de Dieu ; mais elle demeura inconsolable jusqu’à ce que, voyant un mieux sensible, et le roi ayant bien passé la nuit, il lui parut que son état n’était pas désespéré, et qu’on pouvait concevoir quelque espoir de guérison.
Le lendemain, Sa Majesté Très Chrétienne vint voir, et descendit comme tout le monde à la porte du château, pour éviter à Sa Majesté le bruit de la voiture. Le roi la reçut avec autant [p. 453] d’aisance et d’affabilité qu’à l’ordinaire. Il était mieux ce soir-là, et quoique dans la nuit suivante il se trouvât de nouveau assez mal, le mercredi ayant rendu beaucoup de sang par en bas, il fut soulagé, la fièvre tomba et l’on eut de grandes espérances de voir son état s’améliorer. Le dimanche Sa Majesté Très Chrétienne lui fit une seconde visite. Il la reçut, ainsi que les princes et les personnes de distinction qui venaient sans cesse le voir, avec autant de présence d’esprit et de civilité, que s’il n’eût senti aucun mal. Mais le lundi, il tomba dans l’assoupissement, et tout espoir de rétablissement s’évanouit. La reine était près de lui quand la maladie commença à tourner ainsi ; ce fut pour elle une sorte d’agonie. Le roi le vit et en fut touché, et, malgré l’état d’affaiblissement où il se trouvait, il lui dit : « Madame, ne vous affligez pas, je vais, j’espère, à la félicité ». A quoi la reine répondit : « Sire, je n’en doute pas. Aussi n’est-ce pas votre situation que je déplore, c’est la mienne ». Alors, surmontée par la douleur, elle fut au moment de s’évanouir. Le roi, s’en apercevant, la pria de se retire, et ordonna à ceux qui se trouvaient présens de la conduire à sa chambre. Après quoi l’on commença les prières des agonisans. Le roi demeura cependant à peu près dans le même état toute la nuit, durant laquelle il reçut de nouveau le Saint-Sacrement, avec la piété la [p.454] plus exemplaire. Il renouvela sa déclaration de pardon, nommant à haute voix le prince d’Orange, la princesse Anne sa fille, et l’Empereur ; il dit qu’il désirait qu’ils sussent qu’il leur pardonnait. Les médecins lui avaient pendant tout ce temps fait prendre du quinquina, et, quoique ce fût la chose au monde qu’il eût le plus en aversion, il ne refusa jamais de le prendre. Ils jugèrent à propos de lui mettre les ventouses en plusieurs endroits, ce qui le tourmenta beaucoup ; cependant il le souffrit sans jamais se plaindre, et sans en montrer la moindre déplaisance, non plus que de rien de ce qu’ils lui ordonnaient. Ce n’était ni l’espoir de guérir, ni la crainte de la mort qui l’engageaient ainsi à se soumettre. Il désespérait de sa guérison et souhaitait de mourir ; mais il croyait que la perfection était dans l’obéissance, et que sa patience à souffrir ces remèdes inutiles à son corps tournerait au profit de son âme.
Il passa toute la journée du lendemain dans le même assoupissement. Il ne parut prendre garde à rien, excepté lorsqu’on disait les prières ; il y était toujours attentif, et par le mouvement de ses lèvres semblait lui-même prier continuellement. Le mardi 13, vers trois heures, Sa Majesté Très Chrétienne vint une troisième fois, et lui déclara ses résolutions à l’égard du prince : elle ne lui en avait rien dit dans sa première visite, et n’avait même encore rien déterminé à cet égard. [p. 455] Mais, voyant le roi à l’extrémité, elle avait jugé devoir prendre un parti, et avait assemblé son conseil. La plupart de ceux qui le composaient craignaient que si, après la mort de Sa Majesté, le roi de France reconnaissait le prince pour roi d’Angleterre, cela ne plongeât la nation dans une nouvelle guerre, dont elle avait la plus grande terreur. On chercha donc des expédiens pour éloigner au moins la chose ; mais le Dauphin, le duc de Bourgogne et tous les princes trouvèrent si injuste et si contraire à la dignité de la couronne de France d’abandonner un prince de leur sang qui demandait et méritait à si juste titre leur protection, qu’ils furent tous d’avis contraire ; et comme le Roi Très Chrétien en jugeait de même, il était venu pour le déclarer à Sa Majesté. Il alla d’abord trouver la reine, et l’informa de sa résolution, ce qui lui donna quelques consolations dans la profonde affliction où elle était plongée. Il envoya ensuite chercher le prince, et lui promit que s’il plaisait à Dieu d’appeler à lui le roi son père, il lui en servirait. Le prince exprima sa reconnaissance d’une faveur si signalée, et lui dit qu’il le trouverait aussi soumis et aussi respectueux que s’il était son fils. Après quoi il retourna dans [p. 456] son appartement. Sa Majesté Très Chrétienne entra alors chez le roi, et, s’approchant de son lit, lui dit : « Sire, je suis venu savoir comment se trouve aujourd’hui Votre Majesté » ; mais le roi, qui n’entendit pas, ne fit pas de réponse. Un de ceux qui étaient auprès de lui lui dit que le roi de France était là ; alors il se souleva en disant : « Où est-il ? » et commença à le remercier de toutes ses bontés, et particulièrement du soin et de l’attachement qu’il lui avait témoignés durant sa maladie ; à quoi Sa Majesté Très Chrétienne répondit : « Sire, cela ne vaut pas la peine d’en parler, j’ai à vous dire quelque chose de plus important ». Alors ceux qui entouraient le roi, supposant que le roi de France voulait lui parler en secret, parurent vouloir se retirer, car la chambre était pleine de monde. Sa Majesté Très Chrétienne s’en apercevant dit fort haut : « Que personne ne s’en aille », puis continua ainsi : « Je suis venu, Sire, pour vous faire connaître que lorsqu’il plaira à Dieu d’appeler à lui Votre Majesté, je prendrai votre famille sous ma protection, et traiterai votre fils, le prince de Galles, comme je vous ai traité, le reconnaissant pour roi d’Angleterre comme il le sera alors ». A ces paroles, tous ceux qui étaient là, tant Français qu’Anglais, fondirent en larmes, ne pouvant autrement exprimer le mélange de joie et de douleur qui s’était si singulièrement [p. 457] emparé d’eux. Quelques uns cependant se jetèrent aux pieds de Sa Majesté Très Chrétienne ; d’autres par leurs gestes et leur maintien, beaucoup plus expressifs en certains cas que ne pourraient l’être des discours, exprimèrent leur reconnaissance pour une action si généreuse. Sa Majesté Très Chrétienne en fut si touchée qu’Elle ne put elle-même s’empêcher de pleurer. Le roi s’efforçait, pendant ce temps, de dire quelque-chose ; mais le bruit était trop grand dans sa chambre, et il était trop faible pour se faire entendre. Sa Majesté Très Chrétienne prit alors congé et s’en alla. En retournant à sa voiture, elle appela l’officier de garde chez le roi et lui ordonna, aussitôt que le roi serait mort, de faire auprès du prince de Galles le même service, et de lui rendre les mêmes honneurs qu’au roi son père.
Le lendemain, le roi se trouvant un peu mieux, on permit au prince de venir le voir, ce qu’on ne lui permettait pas souvent, parce qu’on avait remarqué que lorsque le roi voyait son fils, cela lui donnait une émotion capable, à ce qu’on [p. 458] craignait, de lui faire mal. Aussitôt que le prince entra dans la chambre, le roi, étendant les bras vers lui pour l’embrasser, lui dit : « Je ne vous ai pas vu depuis la visite de Sa Majesté Très Chrétienne, et la promesse qu’Elle m’a faite de vous reconnaître après ma mort. J’ai envoyé lord Middleton à Marly pour l’en remercier ». C’était ainsi que ce saint roi parlait de l’approche de sa mort, non seulement avec indifférence mais avec satisfaction, depuis qu’il savait que son fils et sa famille n’en souffriraient pas, et se préparait à la recevoir, s’il était possible, avec plus de joie encore qu’auparavant. Cette heure bienheureuse était peu éloignée, car le jour suivant il s’affaiblit beaucoup, fut pris de continuelles convulsions ou tremblement dans les mains, et le lendemain vendredi 16 septembre, vers trois heures de l’après-midi, rendit son âme pieuse entre les mains de son Rédempteur, à l’heure même de la mort de notre Sauveur, à laquelle il avait toujours eu une dévotion particulière pour obtenir une heureuse mort.
Il serait sans fin de rapporter tous les exemples qu’il donna, durant sa maladie, d’une dévotion et d’une piété exemplaire. Il ne cessa pas de prier aussi longtemps qu’il en eut la force, et lorsque tombé dans l’assoupissement il semblait d’ailleurs ne prendre gade à rien, il parut par ses réponses et par la manière dont il suivant les [p. 459] prières, que son assoupissement ne s’étendait pas jusque-là ; et quoiqu’à la fin il eût presque toujours les yeux fermés pendant la messe qu’on disait tous les jours dans sa chambre, il se montra aussi vigilant et aussi attentif que s’il eût été en parfaite santé, et cela jusqu’au jour même de sa mort. Il ne se plaignit jamais d’aucun remède ni d’aucune opération, quoiqu’il eût un extrême dégout pour le quinquina, et que les ventouses le fissent beaucoup souffrir. Il se soumit entièrement aux volontés des médecins ; seulement il disait quelquefois que si ce n’avait pas été pour l’amour de la reine et de son fils, il n’eût pas consenti à tant souffrir pour une chose dont il se souciait si peu.
Il demeura ainsi quinze jours entre la vie et la mort. Le triste maintien de ceux qui entouraient continuellement son lit eût élevé dans l’âme d’un homme de moindre foi de terribles craintes sur le coup fatal qui s’approchait ; mais il parut, durant tout ce temps, indifférent à ce qui se passait, si ce n’est qu’il s’efforçait d’employer avec plus de ferveur que de coutume les précieux momens qui lui demeuraient encore pour travailler à son bonheur éternel. Ainsi, tandis que ses forces déclinaient, la foi et la piété semblaient l’animer au-dessus des forces de la nature. Jusqu’au dernier moment, le nom de Jésus l’avait éveillé de sa mortelle léthargie ; sourd [p. 460] en apparence à tout le reste, il entendait toutes les prières, en même temps qu’il supportait les souffrances qi précèdent la mort comme si son corps avait perdu toute sensation ; car, lorsqu’on lui demandait comment il se trouvait, il répondait toujours qu’il était bien, et à la civilité, à l’aisance avec lesquelles il recevait les princes et gens de qualité qui venaient sans cesse lui rendre visite, on eût cru effectivement qu’il en était ainsi. L’avant-veille de sa mort, la duchesse de Bourgogne étant chez lui, il ne voulut pas qu’elle s’approche de son lit à cause de la mauvaise odeur. Le jour suivant, paraissant déjà à l’agonie, il souleva encore sa tête pour saluer le duc de Bourgogne, et en fit autant à quelques autres personnes. Enfin, tant qu’il eut l’usage de la parole, il l’employa à prier Dieu, à pardonner à ses ennemis et à proférer sa profession de foi, comme il le fit trois jours avant sa mort, avec toute la fermeté et la ferveur imaginables, en présence du nonce du pape, qui l’était venu voir. Il exhorta continuellement ses sujets, ses serviteurs, mais surtout ses enfans, à servir Dieu, et à ne se laisser entraîner par aucune considération terrestre à abandonner la vraie religion et les voies de la vertu. Quand il lui devint pénible de parler, on continua de voir par ses gestes et même son silence, que son esprit était fixé sur Dieu, et qu’il conservait sa connaissance en [p. 461] quelque sorte jusqu’au dernier moment ; il parut, au mouvement de ses lèvres, qu’il pria jusqu’au moment où son âme se sépara de son corps. La reine, qui durant sa maladie avait été elle-même dans une continuelle agonie, lorsqu’elle apprit qu’il venait de rendre le dernier soupir, fut également prête à expirer ; car jamais on n’avait vu un plus parfait exemple d’affection conjugale que dans cette vertueuse princesse : aussi le tourment que lui causa la séparation fut-il inexprimable ; elle ne semblait vivre que lorsqu’il y avait quelque espérance de guérison, et lorsque cette espérance fut perdue, elle s’abandonna à un tel excès de douleur qu’elle méritait réellement plus de compassion que le roi qui, par une vie sainte et sanctifiée, avait heureusement terminé une vie de mortification et de dévotion chrétienne. Elle se rendit sur le champ à Chaillot, couvent de religieuses, où elle avait coutume de faire de fréquentes retraits, pour y pleurer dans l’amertume de son âme la perte qu’elle venait de faire et demander des consolations à celui qui lui avait envoyé l’affliction, et pouvait seul lui donner les moyens de les supporter. Dès que la première angoisse de sa douleur fut apaisée, elle ne manqua pas d’obéir au dernier commandement du feu roi, et écrivit à la princesse de Danemarck la lettre suivante :
« Je regarde comme un devoir indispensable [p. 462] de m’acquitter, sans plus tarder, de la commission que m’a laissée pour vous le meilleur des hommes et le meilleur des pères. Peu de jour avant sa mort, il me chargea de trouver les moyens de vous faire connaître qu’il vous pardonnait du fond du cœur tout ce qui s’était passé, et priait Dieu de vous le pardonner également ; qu’il vous donnait sa dernière ; et priait Dieu de convertir votre cœur et de vous confirmer dans la résolution de réparer envers son fils le tort qui lui a été fait à lui-même. J’ajouterai seulement que je joins de tout mon cœur mes prières aux siennes, et que je mettrai toute mon application à inspirer au jeune homme laissé à mes soins les sentimens de son père, car personne n’en saurait avoir de meilleurs. 27 septembre 1701. »
On ne saurait douter que la princesse de Danemarck ne fut touchée cette lettre ; elle était ou prétendait être depuis longtemps disposée à réparer, jusqu’à un certain point, les torts qu’on avait eus envers son père ; mais le prince d’Orange étant mort peu de temps après, l’ambition étouffa les bonnes semences qu’eussent peut-être pu faire germer en son sein les charitables et pieuses exhortations de son père mourant, et effaça le souvenir de toutes les protestations qu’elle avait faites de réparer des injustices reconnues par elle-même au moment où elle se trouvait dans l’affliction, [p. 463] mais qu’elle oublia lorsque son tour vint de recueillir les fruits de la commune désobéissance.
Le corps du roi demeura exposé vingt-quatre heures dans la chambre où il était mort. On chanta toute la nuit près de lui l’office des morts, et toute la matinée on dit des messes à deux autels élevés des deux côtés de la chambre. Telle avait été pendant sa vie son humilité, qu’il avait résolu qu’elle le suivrait au tombeau, et avait ordonné, par son testament, qu’on enterrât son corps dans la paroisse sur laquelle il mourrait, sans plus de dépenses qu’on n’avait coutume d’en faire pour un simple particulier. Il ne voulait, pour tout monument et pour toute inscription, qu’une simple pierre avec ces paroles : Ci-git le roi Jacques. Il avait informé le curé de ses intentions, et lui avait ordonné d’insister pour qu’elles fussent accomplies ; mais Sa Majesté Très Chrétienne dit que c’était la seule chose qu’il ne pût lui accorder. Il fut donc embaumé dans la soirée : une partie de ses entrailles fut portée à l’église de la paroisse, et le reste au collège anglais à Saint-Omer. La cervelle et la partie charnue de tête furent placées au collège écossais de Paris, où le duc de Perth fit élever, à ses frais, un beau monument, témoignant combien le collège se sentait heureux de posséder ces précieuses
[p. 464] Sitôt que la distribution en eût été faite, et que tout fut prêt pour emporter son corps, on partit vers sept heures du soir pour l’église des Bénédictins anglais de Paris. Le cortège était composé du duc de Berwick, du comte de Middleton, des chapelains de Sa Majesté, et de quelques autres de ses domestiques. Partout sur son passage il était accompagné des pleurs et des lamentations non seulement des sujets du roi, mais des habitans des lieux qu’il traversait. On laissa son cœur à Chaillot, comme il l’avait ordonné, et on s’arrangea pour n’y être que vers minuit, afin que la reine n’entendit pas le bruit et ne sut pas l’heure de l’arrivée, et de lui épargner un surcroît de douleur qui aurait fait saigner de nouveau ses blessures si récentes ; mais ni silence de la nuit, ni la précaution qu’on avait prise de cacher l’heure à la reine ne l’empêchèrent d’éprouver une sorte de pressentiment de ce qui allait se passer, et, quoiqu’elle ne le sût pas certainement, elle demeura tout le temps de la cérémonie dans l’angoisse et la douleur. Le secret qu’on avait gardé n’empêcha pas le peuple de se porter en foule à sa rencontre dans les rues de Paris, montrant, par des expressions à la fois de joie et de douleur, l’affliction que causait sa mort et la satisfaction de conserver ces précieuses reliques. Lorsqu’on fut arrivé au couvent, le docteur Ingleton, aumônier de la reine, remit son corps au [p. 465] prieur, et prononça un discours latin élégamment écrit, ainsi qu’il l’avait fait en déposant son cœur à Chaillot. Le corps fut placé dans une des chapelles latérales de l’église pour y demeurer jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de disposer les Anglais à réparer en quelque sorte leurs torts envers lui durant sa vie par les honneurs qu’ils jugeront à propos de lui rendre après sa mort. »

Jacques II