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Louis XIII Château-Vieux
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Récit par le comte de Brulon d’audiences accordées par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Ce premier memoire qui suit est du comte de Brulon
Le vingtieme fevrier mil six cens trente quatre, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, alla prendre à son logis le sieur de Loustorieres, resident de l’Empereur, pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, puis le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, des princesses du sang et du cardinal de Richelieu.
[…]
[p. 774] Le vingt deuxieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et grand nombre de noblesse et d’autres carrosses, furent au devant du sieur Boloneti, evesque d’Ascoly et envoyé nonce du pape, à Venvre, proche le village d’Icy, où, apres avoir receu les complimens de la part de Sa Majesté, il entra dans le carrosse du Roy avec cinq evesques, le comte d’Alais et le comte de Brulon, et fut conduit en son logis. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré, premier gentilhomme de la chambre, et de la part de la Reyne par son premier maistre d’hostel. Le vingt cinquieme du mesme mois, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre à son logis le cardinal de Bichy puis ledit nonce pour les accompagner à Saint Germain, à la descente, où le Roy leur donna à disner, et apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez au neuf chasteau. Devant qu’entrer, ils rencontrerent les gardes sous les armes, c’est ascavoir les gardes du grand prevost, les suisses et gardes du corps. Et ainsi le cardinal Bichy, en presentant le nonce, son successeur, prit congé du Roy en ceremonie, puis ils virent le cardinal de Richelieu qui, ayant sceu que ledit cardinal Bichy et le nonce estoient en habits decents, les receut aussi de mesme. Le cardinal Bichy prit pourtant encore une autre fois congé du Roy et de la Reyne et dudit cardinal de Richelieu, sans ceremonie, et en particulier.
Le vingt sixieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le mareschal de Chastillon, le comte de Brulon, avec [p. 775] les carrosses du Roy et de la Reyne furent à Sainct Denys au devant des sieurs Pau et Knuith, ambassadeurs des Estats d’Holande, qu’ils amenerent à l’hostel des ambassadeurs, qui estoit meublé pour eux, et où ils furent traités par present jusques à un jour apres leur audience. Et le vingt neufieme, furent conduits à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne par le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, à la descente, où le Roy leur donna à disner. Apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez puis des princes et princesses, dudit cardinal de Richelieu et autres ministres.
[…]
[p. 776] Le seizieme octobre mil six cens trente quatre, les sieurs Lofler et Streuf, le premier ambassadeur extraordinaire de la couronne de Suede, et l’autre des quatre Cercles d’Alemagne, estans arrivez à Paris, le Roy estant à Sainct Germain, n’ayant pas accepté le logis du Roy, il leur fut envoyé des vivres chez eux de la part de Sa Majesté, tout le temps de leur sejour en ladite ville, qui fut d’un mois. Deux jours apres, le marquis de Mortemar les alla visiter de la part de Sa Majesté, et le vingt unième le comte de Harcour et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les conduisirent à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que Sa Majesté leur eut donné à disner, ils furent conduits à son audience, puis aussitost par les mesmes chez monsieur le duc d’Orleans dans sa chambre, lequel estoit retourné le mesme jour, et ne veirent point la Reyne. Le quatrieme novembre ensuivant, ils furent prendre congé du Roy en la mesme façon à Sainct Germain, et visiterent aussi ledit cardinal de Richelieu. Puis il leur fut porté de la part du Roy à chacun une chaisne d’or avec sa medaille, de deux mille ecus.
Le vingtieme octobre mil six cens trente quatre, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Sainct Denys au devant du sieur Contarini, ambassadeur ordinaire de Venise, qui venoit en la place du sieur Sorenzo, son predecesseur, et le conduisirent à son logis derriere les Minimes, où le lendemain le marquis de Mortemar le furent visiter de la part du Roy. Et le vingt quatrieme, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec des carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre en leurs logis lesdits Sorenzo et Contarini pour les conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes et, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils furent conduits à l’audience de Leurs Majestez, dont le premier prenoit congé en presentant son successeur le dernier. Puis ils veirent les princesses et le cardinal de Richelieu. Il fut presenté audit Sorenzo un service [p. 777] de vaisselle d’argent de deux mille écus, et à son secrétaire une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de douze cens livres, et une boette de diamans de mille ecus au sieur Contarin, de present extraordinaire. Le vingt septieme janvier mil six cens trente huit, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon le conduisirent à Saint Germain avec le sieur Cornaro son successeur, qu’il presenta au Roy pour resider aupres de luy, en prenant congé en la mesme façon que dessus. Quelques jours apres, le Roy luy ayant fait demander s’il vouloit estre fait chevalier, comme il se doit par le secretaire d’Estat des Affaires etrangeres lorsque c’est la premiere ambassade qu’ils font vers les testes couronnées, il eut une audience particuliere, encore sans ceremonie, dans le cabinet du Roy à Sainct Germain, y conduit par le comte de Brulon, où le Roy luy ayant encore demandé s’il vouloit estre chevalier, on luy jetta un carreau preparé par le premier valet de garderobbe qui estoit lors, nommé Picot. Estant à genoux, le Roy tira son epée et le fit chevalier de l’accolade, et luy donna en mesme temps une epée et un baudrier. Le comte de Brulon luy porta un buffet de vaisselle d’argent doré de deux mille ecus, une boette de diamans de mil pour present extraordinaire, et au secretaire de l’ambassade, le sieur Alberty, une chaisne de douze cens livres.
Le trentieme octobre mil six cens trente quatre, le milord Fildin, ambassadeur extraordinaire d’Angleterre, arriva à Paris avec sa femme, le Roy estant à Sainct Germain. Il y eut ordre de meubler l’hostel de Schomberg, l’hostel des Ambassadeurs extraordinaires estant occupé, mais ne l’ayant voulu accepter pour le peu de temps qu’il avoit à sejourner, il fut traité par present pendant qu’il demeura à Paris. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le comte de Nancé, et, le deuxieme jour de novembre, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre pour le conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Leurs Majestez, qu’il ne veid que cette fois. La Reyne envoya aussi un carrosse à sa femme, et arrivant à Sainct Germain, la marquise de Senecé la vint recevoir de la part de la Reyne au bas de l’escalier, et la conduisit dans une chambre, où elle disna avec elle, traitée par la Reyne. Elle la conduisit apres disner chez la Reyne, où le Roy se rendit à son retour de la chasse, qu’il hasta expres, et la salua, ayant eu le tabouret. La Reyne venant à Paris, l’ambassadeur et l’ambassadrice y alloient tous les jours sans ceremonie. Il fut porté à cet ambassadeur de la part du Roy une chaisne de diamans de plus de deux mille ecus, et partit fort satisfait. Il ne veid point le cardinal de Richelieu, mais monseigneur le comte de Soissons et toutes les princesses.
Le 18 novembre 1634, ledit sieur Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le comte de Cumians, maistre des ceremonies et conducteur des ambassadeurs de Piedmont, envoyé de la part de Son Altesse de Savoye, pour les accompagner [p. 778] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent apres que le Roy leur eut donné à disner. Ledit ambassadeur y disna aussi, parce qu’il estoit allé à l’audience pour le presenter, puis il veid le susdit cardinal de Richelieu. Il vint pour se resjouyr avec le Roy du retour de monseigneur son frere des Pays Bas, et pria le Roy de la part de son maistre de trouver bon qu’il allast visiter ledit seigneur, comme il en avoit ordre. Ce que Sa Majesté trouva fort bon, et s’en alla le trouver à Blois. Puis à son retour ledit Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le conduisit à Saint Germain, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il prit congé de Leurs Majestez et dudit cardinal de Richelieu. Il luy fut presenté de la part du Roy un diamant de sept mille francs, dont il fut fort content.
Le 26 novembre 1634, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et quantité d’autres carrosses et de noblesse, furent à Piquepuce au devant du sieur Mazarin, nonce extraordinaire du pape, pour le conduire à Paris au logis du nonce ordinaire, n’ayant esté logé par le Roy. Il entra en carrosse avec ledit nonce ordinaire, le comte d’Alais, le conducteur des ambassadeurs, les archevesques d’Arles et de Tours, et l’evesque de Bolongne. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par monsieur de Liancour et de la part de la Reyne par le comte d’Orval. Le quatrieme decembre ensuivant, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses de Leurs Majestez, l’accompagnerent à Saint Germain où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Sa Majesté, qui le receut bien, comme aussi la Reyne et le cardinal de Richelieu. Il veid aussi toues les princesses, scavoir Madamoiselle seule avec son rochet, et les autres avec son habit ordinaire. Monseigneur le Prince estant arrivé en cette ville, les nonces ne le voulans aller visiter le premier, ny luy eux, ils furent chez madame la Princesse, où mondit seigneur le Prince se trouva. Puis il les retourna voir, et eux furent apres le voir avec leurs habits. Le 4 fevrier 1636, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à sa dernier audience, qu’il eut de Leurs Majestez à Paris, avec les mesmes ceremonies que dessus. Puis il prit congé de Monsieur, de tous les princes et princesses, et du cardinal de Richelieu. Le comte de Brulon luy porta de la part du Roy un buffet de vaisselle d’argent de la valeur de quatre mille ecus, et partit fort content de cette cour.
[…]
Le premier decembre, le sieur Bautru ayant visité les trois ambassadeurs suisses des cantons de Zurich, Berne et Schaffouze, le cinquieme il les fut prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour les accompagner [p. 779] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent à Saint Germain en Laye, apres que le Roy leur eut donné à disner dans la descente des ambassadeurs. Le marquis de Nesle vint disner avec eux de la part du Roy et les accompagna à l’audience, puis veirent le cardinal de Richelieu et les autres ministres.
Le 15 janvier 1635, le comte de Brulon avec le carrosse du Roy alla prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur de Saint Thomas, qui avoit demeuré icy agent deux ans, pour les conduire à Saint Germain, où l’ambassadeur ne fut que pour presenter ledit de Saint Thomas au Roy et à la Reyne, pour prendre congé de Leurs Majestez, s’en retournant. Le Roy leur donna aussi à disner, et le comte de Brulon luy porta de la part du Roy une boette de diamans de deux mille francs.
[…]
[p. 780] Le septieme avril mil six cens trente cinq, le general Rituvin, qui repassoit d’Alemagne en Suede, estant arrivé à Paris et ayant envoyé demander l’audience du Roy, le comte de Brulon l’alla visiter de la part de Sa Majesté. Et le neuvieme ensuivant le conduisit dans son carrosse à Sainct Germain, où, apres avoir eu favorable audience du Roy dans son cabinet, monsieur le Premier luy donna magnifiquement à disner, apres lequel il fut conduit chez la Reyne, puis chez le cardinal de Richelieu à Ruel, qui le receut fort bien.
[…]
[p. 781] Le sixieme decembre mil six cens trente cinq, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur [p. 782] Chrestien Ulderic Guldenleven, envoyé de la part du roy de Dannemarck, pour le conduire à Sainct Germain, où apres que le Roy luy eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez.
Le vingt troisieme decembre mil six cens trente cinq, le Roy estant à Saint Germain, les sieurs de La Meilleraye et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent prendre à son logis le marquis de Baden, de la branche de Durlach, pour l’y accompagner, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, ils le conduisirent à l’audience de Leurs Majestez.
[…]
[p. 784] Le huitieme mars mil six cens trente six, le sieur de Berlize, encore qu’il ne fust en charge, à cause que le comte de Brulon estoit aupres du duc de Parme, eut commandement d’aller trouver le duc Bernard de Weymar de Saxe, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, à Lagny sur Marne, où le comte de Guiche, qui l’estoit allé trouver de la part du cardinal de Richelieu à Meaux, l’amena, luy ayant dit qu’il estoit là de la part du Roy, il mena trois ou quatre de ses amis qui le saluerent. Apres quoy il le conduisit à Champ, où le sieur de Croisilles et le general Parfait l’attendoient, avec tous les officiers de la Maison, pour le traiter. Il avoit eu ordre de luy faire donner à disner à Lagny, mais à cause de la difficulté qu’il y avoit pour les officiers d’aller jusques à six lieues de Paris, pour apres disner venir apprester le souper à l’Arsenal où il devoit loger, il les fit venir audit lieu, ce que le Roy trouva estre fait à propos. Le sieur de La Trimouille le vint recevoir en ce lieu au sortir de son disner de la part du Roy, accompagné de quantité de carrosses et de noblesse. Apres les complimens faits, ils monterent dans le carrosse du Roy, où estoient lesdits duc de Weimar et de La Trimouille, les comtes de Guiche et de Nassau, et le sieur de Berlize, passerent par le Bois de Vincennes où ils rencontrerent nombre de carrosses pleins de dames ; il fut salué par la garnison, veid plus de deux cens carrosses tout le long du chemin jusques à l’Arsenac, où il fut logé dans le plus bel appartement, meublé des meubles du Roy. Un autre logis fut destiné pour son train. Le lendemain, il ne voulut voir personne avant le Roy. Il avoit amené avec luy le comte de Nassau, le baron de Friberg et le [p. 785] sieur Ponica, sur lequel il se reposoit de toutes ses affaires. Le dixieme, il le conduisit à l’audience avec le duc de La Tremouille à Sainct Germain. Quand il fut arrivé, il fut trouver le Roy dans son cabinet, où il estoit, auquel il dit son arrivée. Là Monsieur luy demanda s’il se couvriroit ; il repondit qu’il n’en scavoit rien, qu’il l’avoit demandé au cardinal de Richelieu qui luy avoit dit qu’il ne le devoit point et que neantmoins il craignoit qu’il ne fust en cette volonté, et que sur ce qu’il avoit pressé le sieur de Chavigny là-dessus, il luy avoit dit que s’il luy en parloit, que ce seroit luy donner lieu de pretendre une chose à laquelle, peut estre, il ne pensoit pas ; que si toutesfois il vouloit, il presentiroit dudit sieur Ponica s’il estoit dans cette pretention, mais qu’il ne luy en parleroit point, s’il ne luy en commandoit expressement ; et luy allegua ce qu’il avoit fait à l’evesque de Wirtzbourg, duc de Franconie, à Mets, lequel comme souverain de l’Empire s’estoit couvert, qu’il estoit de la maison de Saxe et que ce qui luy feroit plustost desirer estoit le duc de Parme, auquel le Roy avoit fait cet honneur, et que luy s’estimoit bien d’une autre maison. Avec toutes ces raisons, et autres, Sa Majesté resolut qu’il ne luy en parleroit point, et luy commanda de l’aller querir, l’ayant laissé dans le departement du surintendant, qu’on avoit meublé des meubles du Roy. Il luy dit que le Roy estoit prest à la voir. Les suisses se mirent en haye sur le degré, le capitaine des gardes le receut à l’entrée de la salle. Ayant fait une reverence devant le Roy et son compliment, le Roy voulut se couvrir, il crut que le Roy l’avoit invité à en faire autant et en mesme temps il voulut mettre son chapeau ; le Roy, voyant cela, osta si promptement le sien que cela fut apperceu de peu de personnes, et parlerent tousjours decouverts. Puis il passa dans son cabinet, où Monsieur, frere du Roy, se trouva, et parlerent ensemble pres d’une demie heure, où quelques fois aussi le Roy le faisoit parler, puis luy dit de le mener disner, ce qu’il fit. Incontinent apres, suivant le discours qu’il avoit eu depuis avec le sieur de Chavigny, il dit audit sieur Ponikan qu’il ne croyoit pas que le duc pretendist de vivre autrement chez la Reyne que Monsieur, frere du Roy, qui ne se couvroit. Il luy dit que son maistre avoit veritablement voulu se couvrir devant le Roy, d’autant que le duc de Parme se couvroit, qu’il ne le devoit trouver estrange, d’autant qu’il y avoit plus d’empereurs dans la maison de son maistre qu’il n’y avoit eu de gentilshommes dans la maison du duc de Parme, mais que pour chez la Reyne il ne se couvriroit. Il l’y mena, où Monsieur se trouva, puis chez Monsieur, qui le fit couvrir, comme aussi les ducs de La Trimouille et Wirtenberg qui l’accompagnoient. Apres une visite de demie heure sans s’asseoir, il remena ledit duc dans sa chambre, de laquelle ils partirent pour aller à Ruel, où il veid le cardinal de Richelieu, qui le vint recevoir au haut de l’escalier, et prit apres plusieurs offres qu’il fit audit duc la main droite, et passa devant aux portes, et s’assit de mesme. Il le vint reconduire jusques au [p. 786] carrosse, où le duc ne voulut entrer, quelque priere que luy fit ledit cardinal, qu’il ne se fust retiré, puis vint recoucher à l’Arsenac ce mesme jour. Tous les jours suivans, il fut visité des princes et ducs qui estoient lors à Paris. il fut rendre les visites et aussi voir Madamoiselle, mesdames la Princesse et Comtesse, et toutes les duchesses. Le 18 du mesme mois, ce duc fut coucher à Saint Germain, et descendit dans sa chambre. Puis le sieur de Berlize alla trouver le Roy, qui luy demanda s’il se couvriroit. Il luy dit que le cardinal de La Valette luy avoit dit qu’il prenoit cela sur luy pour luy faire scavoir, mais neantmoins que ledit sieur de Ponikan et le comte de Guiche luy avoient dit que l’on estoit demeuré d’accord qu’il ne se couvriroit devant le Roy mais qu’il auroit le tabouret chez la Reyne ; sur ce qu’il veid Sa Majesté en inquietude, il luy dit qu’il alloit parler à Ponikan, et qu’il l’asseureroit de tout. Poikan luy dit qu’on avoit offert à son maitre de le faire couvrir comme duc de Franconie ou d’avoir le tabouret chez la Reyne. Apres plusieurs repliques, il le fit condescendre à avoir seulement le tabouret chez la Reyne, et que c’estoit le moyen d’estre mieux venu aupres du Roy. Il fit entendre au duc tout ce que dessus, qui luy dit qu’il feroit tout ce que le Roy desiroit et qu’il luy suffisoit de s’estre mis en devoir de demander les choses qu’il croyoit estre deues à sa maison, afin que les siens n’eussent à luy reprocher qu’il avoit volontairement fait des choses indignes de sa naisasnce. Apres plusieurs offres avantageuses qu’on luy avoit faites de la part de l’Empereur, il dit tout ce que dessus au Roy, et comme il luy avoit dit qu’il desiroit que le Roy le traitast comme un de ses sujets ducs, et ce en presence du duc de Saint Symon, de quoy le Roy fut fort content. Il luy commanda de l’aller querir, ce qu’il fit, et comme il entra dans le cabinet, il pria qu’on fist fermer la porte, afin comme l’on peut connoistre que les siens ne le veissent decouvert. Le Roy luy fit grand accueil et demeura plus d’une heure ; Sa Majesté demeura un demy quart d’heure decouvert, puis se couvrit. Le lendemain, il fut voir le Roy et ouyt au jubé de la chapelle la musique. Le soir le Roy luy envoya la musique de la Chambre, qu’il trouva excellente. Apres le disner, il fut chez la Reyne, qui luy fit donner le tabouret, qu’il prit apres plusieurs refus. Il n’y demeura qu’un demy quart d’heure, puis se leva, et demeura encore une demie heure debout. La Reyne se leva aussi. Puis repassa chez le Roy par dans la chambre de la Reyne où il estoit ; où, après avoir demeuré une demie heure, il prit congé du Roy, et s’en alla à Ruel voir le père Joseph, capucin.
[…]
[p. 788] Le second jour d’avril mil six cens trente sept, les jeunes princes de Hesse estans venus à Paris pour faire leurs exercices, et desirans voir le Roy, le comte de Brulont les ayant visitez de la part de Sa Majesté, le sieur de Souvré et ledit comte, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les menerent à Saint Germain où, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils les conduisirent à l’audience de Leurs Majestez, devant lesquelles ils ne pretendirent point se couvrir.
Au mois d’octobre mil six cens trente sept, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le marquis de Saint Germain, gentilhomme envoyé de Savoye, pour prendre congé de Leurs Majestez à Sainct Germain, où il les conduisit après que le Roy leur eut donné à disner, et ensuite chez le susdit cardinal de Richelieu. Peu de jours après, il luy porta un diamant de la part du Roy, de huit à neuf mille livres.
[…]
[p. 789] Au mois de novembre mil six cens trente sept, le marquis de Parelle estant arrivé de la part de madame de Savoye pour donner part au Roy de la mort de Son Altesse, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre cet ambassadeur pour le conduire à Saint Germain, où, après que le Roy leur eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, qui le receurent aussi en grand deuil. Il prit congé de la mesme façon et le sieur de Berlize luy porta apres de la part du Roy un diamant de mil ecus.
Le onze novembre mil six cens trente sept, les sieurs de Noailles et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent dans Piquepuce au devant du sieur Salus, ambassadeur extraordinaire de Gennes, qu’ils emmenerent à son logis, qu’il avoit arresté et meublé, le Roy ne l’ayant ny logé ny defrayé. Il fut visité le lendemain par le marquis de Fourilles, grand mareschal des logis, et deux jours apres le mareschal de Saint Luc et le sieur de Berlize le firent prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, eut audience de Leurs Majestez et, en revenant, du cardinal de Richelieu à Ruel. Il ne visita point les princesses.
Le huit decembre, le sieur de Berlize conduisit à Sainct Germain dans son carrosse le sieur de Vosberg, deputé des Etats de Holande, sans autre ceremonie, estant venu pour affaire particuliere. Puis prit congé du Roy seul, apres avoir demeuré icy trois semaines.
Le vingt cinquieme janvier, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à La Chapelle au devant du sieur Cornaro, ambassadeur ordinaire de Venise, le conduisirent à son logis, où le lendemain il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré. Et le vingt neufieme du mesme mois, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les mesmes carrosses, furent prendre à son logis le sieur Contarin et luy pour les conduire à l’audience de Leurs Majestez à Saint Germain, où ledit Contarin, prenant congé, presenta ledit Cornaro son successeur. Le Roy leur donna à disner et les gardes du regiment, en entrant et sortant, prirent les armes.
Le vingt deuxieme fevrier mil six cens trente huit, le mareschal de La Force et le comte de Brulon furent à Piquepuce avec les carrosses [p. 790] du Roy et de la Reyne au devant du sieur Agnelly, evesque de Cazal, ambassadeur extraordinaire de Mantoue, qu’ils menerent à son logis, le Roy ne l’ayant ny traité ny defrayé. Et deux jours apres, fut pris dans son logis par ces messieurs et les mesmes carrosses, pour le conduire à Sainct Germain, à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Puis veid toutes les princesses et le cardinal de Richelieu.
Audit an mil six cens trente huit, le Roy partant pour aller en Picardie, la grosses de la Reyne estant apparente, le comte de Brulon, qui estoit en charge, suivant le Roy, Sa Majesté commanda eu sieur de Berlize d’en aller donner part à tous les ambassadeurs, comme il fit, et ensuite tous ces ambassadeurs allerent visiter la Ryne. Et lorsque le Roy revint de son voyage, les en ayant dispensez, le visiterent aussi pour s’en resjouyr avec luy.
La mesme année mil six cens trente huit, le comte de Cameran, fils du marquis de Ville, estant venu de la part de madame de Savoye en qualité de gentilhomme envoyé, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur et luy pour les conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner. Puis, apres avoir pris congé du Roy, quelque temps apres, le comte de Brulon luy porta un diamant de mil ecus. Il venoit se conjouyr de la grossesse de la Reyne.
Le susdit an mil six cens trente huit, le sieur Tartereau estant venu, gentilhomme envoyé de la part du roy et de la reyne d’Angleterre, pour se resjouyr de leur part de la grossesse de la Reyne, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le fut prendre à son logis, puis furent prendre ensemble les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire à l’hostel des ambassadeurs pour les conduire à Saint Germain, où ils eurent audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner. Le comte de Brulon le mena seul chez le cardinal de Richelieu. Peu de jours apres, il prit congé en la mesme façon, et eut un present d’une chaisne d’or de quatre cens ecus que luy porta le comte de Brulon, laquelle il luy reporta deux jours apres, disant qu’on avoit donné un present de plus grande valeur à un envoyé de Savoye ; on luy donna au lieu de cela un diamant qui ne valoit guere davantage.
[…]
Le vingt quatrieme avril mil six cens trente huit, le comte Bardy estant arrivé à Paris quelques jours auparavant en qualité de resident du grand duc, et ayant esté visité de la part du Roy par le comte de [p. 791] Brulon, il le conduisit à Sainct Germain dans les carrosses du Roy et de la Reyne à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner ; puis il veid Madamoiselle, madame la Princesse, qu’il salua, et madame la Comtesse aussi, et le cardinal de Richelieu.
Au mesme an mil six cens trente huit, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et l’abbé de La Monta, envoyé de madame de Savoye pour apporter la ratification du traité fait entre le Roy et ladite dame. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner ; veid le cardinal de Richelieu. Puis, ayant demeuré deux mois à Paris, le sieur de Berlize le conduisit avec ledit ambassadeur en mesme ceremonie pour prendre congé de Leurs Majestez. Il eut en present un diamant de deux mille ecus.
La susdite année mil six cens trente huit, le sieur Forbes estant arrivé de Polongne et se disant ambassadeur, le comte de Brulon le fut voir et luy demanda son passeport, dans lequel, ayant trouvé, estant en latin, qu’on ne luy avoit donné que la qualité de Nuncius, quoy qu’il dit qu’en son pays cela se prenoit pour ambassadeur, il ne fut traité que comme gentilhomme envoyé du roy de Polongne. Ledit comte de Brulon le conduisit à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne, où il eut audience de Leurs Majestez. Le Roy luy donna à disner. Il veid le cardinal de Richelieu. Et, ayant pris congé avec la mesme ceremonie, le comte de Brulon luy porta une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de quatre à cinq cens ecus, dont il ne fut guere content.
Au mois d’octobre mil six cens trente huit, tous les ambassadeurs eurent audience. Les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire d’Angleterre y menerent le sieur de Sainct Ravy, gentilhomme envoyé du roy d’Angleterre, et le sieur Germain de la Reyne sa femme, pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin. Le sieur de Berlize les fut prendre tous dans les carrosses du Roy et de la Reyne chez l’ambassadeur extraordinaire, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner, et peu de jours apres, en ayant pris congé de la mesme sorte, ledit sieur de Sainct Ravy eut un diamant de mil ecus et le sieur Germain un de deux mille ecus. Entre leur premiere et dernier audience, le sieur de Bellievre, lors ambassadeur ordinaire pour le Roy, ecrivit en Cour que le Roy d’Angleterre s’estoit plaint que l’on faisoit trop d’honneur à ses gentilshommes envoyez, luy ne les traitant ny ne leur envoyant des carrosses pour aller à l’audience, et que si le Roy le vouloit encore ainsi faire à l’avenir, il falloit doresnavant adjouster cet article à leurs traitez. On pense à ce sujet à l’audience de congé de ces deux messieurs ne les traiter ny leur donner les carrosses, mais on voulut achever de leur faire comme on avoit commencé, et fut des lors resolu de ne traiter ainsi plus ceux d’Angleterre. Le mesme jour, le sieur Knuit, deputé des Estats, la Reyne mere estant en Holande, estant venu pour ses affaires, s’estant rendu à Saint Germain, y eut audience de Leurs Majestez sans aucune ceremonie.
[p. 792] Le vingt cinquieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre le comte Henry de Nassau, gentilhomme envoyé de la part du prince d’Orange pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Ledit de Berlize luy porta un diamant de mil ecus.
Le vingt huitieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur de Ludmar, gentilhomme envoyé du prince palatin, pour le conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy envoya à disner.
Au mesme mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Demsky, soy disant gentilhomme envoyé de Polongne pour s’avancer quelques jours de voir le Roy, disant estre pressé, estant venu au sujet du prince Cazimir, frere dudit roy, prisonnier à Salon en Provence, demanda à voir Leurs Majestez sans ceremonie. Ce qui fut fait, s’estant rendu à Sainct Germain, ledit sieur de Berlize leur presenta, et comme il demanda congé, se mettant en pretention d’estre traité comme les gentilshommes envoyez, on luy demanda son passeport, où ayant trouvé qu’on le luy donnoit aucune qualité, on luy refusa de le traiter comme les gentilshommes envoyez, et on l’obligea de se rendre encore à Sainct Germain seul, où le mesme de Berlize le presenta encore à Leurs Majestez pour en prendre congé sans aucune ceremonie, et mesme partit sans avoir de present.
Ledit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur extraordinaire de Mantoue et le marquis Agnelly, son neveu, gentilhomme envoyé de madame de Mantoue pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez et de mondit seigneur le Dauphin, où le Roy leur donna à disner. A la fin de decembre, il en fut prendre congé en la mesme sorte, puis ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs.
Audit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Tasson, envoyé du duc de Parme pour se resjouyr de la naissance dudit seigneur le Dauphin, n’ayant veu ny le Roy ny la Reyne, estant tombé malade, le sieur Leonard, agent ordinaire, ayant fait l’office, le sieur de Berlize porta audit Tasson un diamant de cinq cens ecus.
Au mois de decembre 1638, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le baron de Pesieux, gentilhomme envoyé de madame, pour donner part au Roy de la mort du petit duc. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner, et prit congé le 25 decembre en la mesme façon. Ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs, puis s’en aller en Flandres trouver le prince Thomas, avec la permission du Roy, pour luy donner aussi part de cette nouvelle.
[p. 793] Le trentieme janvier mil six cens trente neuf, le mareschal de Sainct Luc et le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Piquepuce au devant du baillis de Forbin, grand croix et ambassadeur extraordinaire de Malte, et le conduisirent à l’hostel de Sillery, son logis, avec un cortege de soixante carrosses à six chevaux. Tous les princes, ambassadeurs catholiques et quantité de seigneurs ayans envoyé au devant de luy, n’ayant esté ny logé, ny defrayé. Le lendemain, le sieur de Liancourt l’alla visiter de la part du Roy. Le treizieme fevrier, le mareschal de Sainct Luc et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner devant que d’y aller. On mit en deliberation s’il se couvriroit ; enfin le comte de Brulon qui en parla au Roy, Sa Majesté se souvenant que le commandeur de Fromigere, ambassadeur extraordinaire de Malte, estant aussi François et capitaine au regiment de ses gardes, s’estoit couvert, resolut qu’il se couvriroit, mais qu’il en useroit modestement et avec respect, comme il fit, ayant fait une petite harangue couvert, apres il parla encore quelque temps au Roy decouvert, comme il fit à la Reyne. Veid aussi monseigneur le Dauphin, estant venu principalement pour se resjouyr avec le Roy de sa naissance, puis les princesses du sang, qu’il baisa, monseigneur le Prince, qui luy donna la main et le titre d’Excellence, et le cardinal de Richelieu. Le dixieme avril, il prit congé de Leurs Majestez, conduit par les mesmes et en la mesme façon à Sainct Germain. Le comte de Brulon luy porta une boette de portrait de diamans de la valeur de quarante mille livres. Puis il partit, non pour retourner à Malte, mais pour aller commander les galeres du Roy en qualité de lieutenant general.
Le quatrieme avril mil six cens trente neuf, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur Gontery, general des Postes et de la maison de madame et son gentilhomme envoyé, pour les conduire à Sainct Germain, où le Roy leur donna à disner. Et apres fut conduit à l’audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin. Le quatorzieme du mesme mois, il en prit congé en la mesme sorte. Il luy fut porté une chaisne d’or de quatre cens ecus.
Le vingt huitieme may mil six cens trente neuf, le comte de Brulon conduisit à Saint Germain l’ambassadeur de Savoye, le jeune comte de Moret et le baron de La Croix, tous deux gentilshommes envoyez de madame, dans les carrosses du Roy et de la Reyne. Le Roy leur donna à disner, puis ils eurent audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin, qu’ils ne veirent que cette fois. Il leur fut donné à chacun un diamant de deux mille livres. »

Récit par la Grande Mademoiselle de séjours de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 11] Vers la fin de l’hiver [décembre 1637], la Reine devint grosse ; elle desira que j’allasse demeurer à Saint Germain. Durant sa grossesse, dont l’on fit beaucoup de mystere, le cardinal de Richelieu, qui n’aimoit point Monsieur, n’etoit pas bien aise que personne qui lui appartient fut auprès de Leurs Majestés ; et quoiqu’il m’eut tenue sur les fonts de bapteme avec la Reine, quoiqu’il me dit, toutes les fois qu’il me voyoit, que cette alliance spirituelle l’obligeoit à prendre soin de moi et qu’il me marieroit, discours qu’il me tenoit ainsi qu’aux enfans, à qui on redit incessamment la meme chose, quoiqu’il temoignat avoir beaucoup d’amitié pour moi, l’on eut néanmoins bien de la peine à lever tous les scrupules que sa mefiance lui faisoit avoir. Quand il eut consenti à mon voyage, j’allai à Saint Germain avec une joie infinie : j’etois si innocente que j’en avois de voir la Reine dans cet etat, et que je ne faisois pas la moindre reflexion sur le prejudice que cela faisoit à Monsieur, qui avoit une amitié si cordiale pour elle et pour le Roi qu’il ne laissa pas d’en etre aise et de le temoigner. L’assiduité que j’avois auprès de la Reine m’en faisoit recevoir beaucoup de marques de bonté et elle me disoit toujours : « Vous serez ma belle fille », mais je n’ecoutois de tout ce que l’on me disoit que ce qui etoit de la portée de mon age.
La cour etoit fort agreable alors : les amours du Roi pour madame de Hautefort, qu’il tachoit de divertir tous les jours, y contribuoient beaucoup. La chasse etoit un des plus grands plaisirs du Roi ; nous y allions souvent avec lui : madame de Beaufort, Chemeraut et Saint Louis, filles de la Reine, d’Escars, sœur de madame de Hautefort, et Beaumont, venoient avec moi. Nous etions toutes vetues de couleur, sur de belles haquenées richement caparaçonnées, et pour se garantir du soleil, chacune avoit un chapeau garni de quantité de plumes. L’on disposoit toujours la chasse du coté de quelques belles maisons, où l’on trouvoit de grandes collations, et au retour le Roi se mettoit dans mon carrosse entre madame de Hautefort et moi. Quand il etoit de belle humeur, il nous entretenoir fort agreablement de toutes choses. Il souffroit dans ce temps là qu’on lui parlat avec assez de liberté du cardinal de Richelieu, et une marque que cela ne lui deplaisoit pas, c’est qu’il en parloit lui meme ainsi. Sitot que l’on etoit revenu, on alloit chez la Reine ; je prenois plaisir à la servir à son souper, et ses filles portoient les plats. L’on avoit, reglement trois fois la semaine, le divertissement de la musique, que celle de la chambre du Roi venoit donner, et la plupart des airs qu’on y chantoit etoient de sa composition ; il en faisoit meme les paroles, et le sujet n’etoit jamais que madame de Hautefort. Le Roi etoit quelquefois dans une si galante humeur qu’aux collations qu’il nous donnoit à la campagne, il ne se mettoit point à table, et nous servoit presque toutes, quoique sa civilité n’eut qu’un seul objet. Il mangeoit après nous et sembloit n’affecter pas plus de complaisances pour madame de Hautefort que pour les autres, tant il avoit peur que quelqu’une s’aperçut de sa galanterie. S’il arrivoit quelque brouillerie entre eux, tous les divertissemens etoient sursis ; et si le Roi venoit dans ce temps là chez la Reine, il ne parloit à personne et personne aussi n’osoit lui parler ; il s’asseyoit dans un coin, où le plus souvent il bailloit et s’endormoit. C’etoit une melancolie qui refroidissoit tout le monde, et pendant ce chagrin il passoit la plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avoit dit à madame de Hautefort et ce qu’elle lui avoit répondu : chose si veritable qu’après sa mort l’on a trouvé dans sa cassette de grands procès verbaux de tous les demelés qu’il avoit eus avec ses maitresses, à la louange desquelles l’on peut dire, aussi bien qu’à la sienne, qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses.
[1638] Sur la fin de la grossesse de la Reine, madame la Princesse et madame de Vendôme vinrent à Saint Germain et y amenerent mesdemoiselles leurs filles. Ce me fut une compagnie nouvelle : elles venoient se promener avec moi, et le Roi s’en trouva fort embarrassé ; il perdoit contenance quand il voyoit quelqu’un à qui il n’etoit pas accoutumé, comme un simple gentilhomme qui seroit venu de la campagne à la cour. C’est une assez mauvaise qualité pour un grand roi, et particulièrement en France, où il se doit souvent faire voir à ses sujets, dont l’affection se concilie plutot par le bon accueil et la familiarité, que par l’austere gravité dont ceux de la maison d’Autriche ne sortent jamais. Monsieur vint aussi à la cour, et peu après la Reine accoucha d’un fils. La naissance de monseigneur le Dauphin me donna une occupation nouvelle : je l’allois voir tous les jours [p. 12] et je l’appelois mon petit mari ; le Roi s’en divertissoit et trouvoit bon tout ce que je faisois. Le cardinal de Richelieu, qui ne vouloit pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumat à moi, me fit ordonner de retourner à Paris. La Reine et madame de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le Roi et la Reine ; Leurs Majestés me temoignerent beaucoup de sentimens d’amitié, et surtout la Reine, qui me fit connoitre une tendresse particuliere en cette occasion. Après ce deplaisir, il m’en fallut essuyer encore un autre. L’on me fit passer par Ruel pour voir le cardinal, qui y faisoit sa demeure ordinaire quand le Roi etoit à Saint Germain.
[…]
[p. 14] Le Roi partit de Paris pour le voyage de Roussillon au mois de fevrier de l’année 1642 ; il laissa la Reine et ses deux enfans à Saint Germain en Laye, après avoir donné tous les ordres et pris toutes les precautions possibles pour leur sureté. Ces deux princes etoient sous la charge de madame de Lansac, en qualité de leur gouvernante ; et pour leur garde ils n’eurent qu’une compagnie du regiment des gardes françoises, dont le bonhomme Montigny etoit capitaine, le plus ancien de tout le regiment. Ces deux personnes là eurent chacun un ordre particulier : celui qu’eut madame de Lansac etoit qu’en cas que Monsieur, qui demeuroit à Paris le premier après le Roi, vint voir la Reine, de dire aux officiers de la compagnie de demeurer auprès de monseigneur le Dauphin et de ne pas laisser entrer Monsieur, s’il venoit, accompagner de plus de trois personnes. Quant à Montigny, le Roi lui donna une moitié d’ecu d’or, dont il garda l’autre, avec commandement exprès de ne point abandonner la personne des deux princes qu’il gardoit ; et s’il arrivoit qu’il reçut ordre de les transferer ou de les remettre en les mains de quelque autre, il lui défendit d’y obeir, quand meme il le verroit ecrit de la main de Sa Majesté, si ce n’etoit que celui qui le lui rendroit lui presentat en meme temps l’autre moitié de l’ecu d’or qu’il retenoit.
[…]
[p. 19] Peu après que l’on eut mis madame la comtesse de Fiesque auprès de moi, le Roi tomba malade de la maladie qu’il avoit eue devant le voyage de Perpignon. Cela m’obligeoit à lui rendre mes devoirs, et j’allois souvent [à] Saint Germain. Le Roi prenoit plaisir à mes visites, et me faisoit toujours fort bonne mine ; aussi n’en revenois je jamais que vivement touché de son mal, dont chacun auguroit que la suite seroit funeste. En effet, au commencement du mois d’avril suivant, peu après la disgrâce du sieur des Noyers dont j’ay parlé, il commença à empirer, et ne fit que languir et souffrir jusqu’au [p. 20] quatorzième jour de mai, qui fut celui de son décès. Si le pitoyable état où la maladie avoit réduit son corps donnoit de la compassion, les pieux et généreux sentimens de son ame donnoient de l’edification : il s’entretenoit de la mort avec une résolution toute chretienne ; il s’y etoit si bien preparé, qu’à la vue de Saint Denis par les fenetres de la chambre du chateau neuf de Saint Germain, où il s’etoit mis pour etre en plus bel air qu’au vieux, il montroit le chemin de Saint Denis, par lequel on meneroit son corps ; il faisoit remarquer un endroit où il y avoit un mauvais pas, qu’il recommandoit qu’on evitat, de peur que le chariot ne s’embourbat. J’ai meme ouï dire que durant sa maladie il avoit mis en musique le De profundis qui fut chanté dans sa chambre incontinent après sa mort, comme c’est la coutume de faire aussitot que les rois sont decedés. Il ordonna avec la meme tranquilité d’esprit ce qui seroit à faire pour le bien de l’administration de son royaume quand il seroit mort.
[…]
[p. 47] Peu après, Leurs Majestés sortirent de Paris sous pretexte de faire nettoyer le Palais Royal, et allerent à Ruel. Le chateau de Saint Germain etoit occupé par la reine d’Angleterre, dont le fils, M. le prince de Galles, etoit allé en Hollande. […]
Pendant que la cour etoit à Ruel, le parlement s’assembloit tous les jours pour le meme sujet qu’il avoit commencé : c’etoit pour la révocation de la paulette, et il continuoit à fronder M. le cardinal ; ce qui avoit plus contribué à faire aller la cour à Ruel que le nettoiement du Palais Royal. L’absence du Roi augmenta beaucoup la licence et la liberté avec laquelle l’on parloit dans Paris et le parlement. Ce corps fit meme quelques demarches qui deplurent à la cour ; de sorte qu’elle fut obligée d’aller à Saint Germain, d’où la reine d’Angleterre delogea et vint à Paris. Monsieur, qui couchoit quelquefois à Ruel, y etoit pendant ce temps là et manda à Madame de quitter Paris et d’emmener avec elle ses deux filles, qui etoient très petites, ma sœur d’Orleans et ma sœur d’Alençon. Madame la Princesse manda M. le duc d’Enghien, son petit fils ; et je me trouvai assez embarrassée d’etre la seule de la maison royale à Paris à laquelle on ne mandoit rien. Comme l’on ne doit jamais balancer à faire son devoir, quoique notre inclination ne nous y porte pas, je m’en allai à Ruel, et j’arrivai comme la Reine alloit partir pour Saint Germain. Elle me demanda d’où je venois : je lui dis que je venois de Paris et que, sur le bruit de son départ, je m’etois rendue auprès d’elle pour avoir l’honneur de l’accompagner, et que, quoiqu’elle ne m’eut pas fait l’honneur de me le commander, il m’avoir semblé que je ne pouvois manquer à faire ce à quoi j’etois obligée, et que j’esperois qu’elle auroit assez de bonté pour l’avoir agreable. Elle me repondit par un sourire que ce que j’avois fait ne lui deplaisoit pas, et que c’etoit beaucoup pour moi, après la maniere dont on m’avoit traitée, de voir que l’on me souffroit. Quoique mon procedé meritat bien qu’ils en eussent un obligeant pour moi pour reparer le passé, je temoignai à Monsieur et à l’abbé de La Rivière que je n’etois pas contente que l’on eut envoyé querir jusques aux petits enfans, et qu’à moi l’on ne m’eut dit mot. La reponse ne fut que de gens fort embarrassés. Quand l’on manque envers des personnes qui ne manquent jamais, leur conduite nous coute beaucoup de confusion, et pour l’ordinaire, dans cet etat, l’on tient des discours meilleurs à etre oubliés qu’à etre retenus. Pendant ce voyage, je ne fis ma cour que par la nécessité qui m’y obligeoit. J’etois logée dans la meme maison que la Reine : je ne pouvois manquer de la voir tous les jours ; ce n’etoit pas avec le meme soin et la meme assiduité que j’avois fait depuis la regence : aussi n’y avois-je pas les memes agremens. […]
[p. 48] Pendant que la cour etoit à Saint Germain, on fit force allées et venues pour s’accommoder avec le parlement. Ils envoyerent des deputés qui confererent avec M. le cardinal, en vertu d’une declaration que le Roi donna. Elle est si celebre que, quand il n’y auroit que les registres du parlement qui en feroient mention, ce seroit assez pour m’en dispenser d’en dire davantage. L’on disoit alors (et je l’ai encore oui dire depuis) qu’elle auroit eté fort utile pour le bien de l’Etat et le repos public, si elle fut demeurée en son entier. Il est à croire qu’elle n’est pas tout à fait conforme à l’autorité du Roi, puisqu’il [p. 49] sembloit qu’elle avoit eté obtenue quasi par force, et donnée à dessein d’apaiser les troubles dont l’on etoit menacé si on l’eut refusée. Les connoisseurs et les politiques jugeront mieux que je ne pourrois faire si on a eu raison de l’enfreindre.
Madame accoucha, pendant le séjour de Saint Germain, d’une fille que l’on appela mademoiselle de Valois ; comme elle est délicate, elle ne put venir à Paris avec la Cour, qui partit la veille de la Toussaint pour s’y rendre.
[…]
[p. 49] Pendant que la Cour fut à Paris, elle n’y eut pas tout le contentement qu’elle pouvoit desirer ; cela obligea M. le cardinal de conseiller d’en sortir : ce qui etoit un dessein un peu hardi lorsqu’on consideroit l’incertitude de l’evenement. Comme Monsieur et M. le Prince etoient les gens les plus interessés au bien de l’Etat, il voyoit que selon toute vraisemblance ils en devoient etre les maîtres, et que ce qui pourroit arriver de ce conseil tomberoit plutôt sur eux que sur lui. La suite a fait voir que l’on eut pu se passer de ce voyage, qui a eté cause de tous les facheux troubles qui ont suivi, et de l’absence de M. le Prince, qui est à compter pour beaucoup. Monsieur et M. le Prince disoient que le cardinal eut beaucoup de peine à les faire consentir à ce dessein ; ils y consentirent enfin, et ils disent aussi s’en etre bien repentis depuis : ils l’ont dû faire, ils en ont bien pati tous deux. Monsieur avoir la goutte depuis quelque temps, et deux jours avant le départ la Reine alla tenir conseil chez lui ; ce fut là que la dernière résolution de ce voyage se prit. L’on trouva que la nuit du jour des Rois etoit propre pour ce dessein, pendant que tout le monde seroit en débauche, afin d’etre à Saint Germain avant que personne s’en aperçût. J’avois soupé ce jour là chez Madame, et toute la soirée j’avois eté dans la chambre de Monsieur, où quelqu’un de [p. 50] ses gens me vint dire en grand secret que l’on partoit le lendemain, ce que je ne pouvois croire à cause de l’etat où Monsieur etoit. Je lui allai debiter cette nouvelle par raillerie ; le silence qu’il garda là dessus me donna lieu de soupçonner la verité du voyage. Il me donna le bonsoir un moment après, sans avoir rien répondu. Je m’en allai dans la chambre de Madame ; nous parlames longtemps là dessus : elle etoit de la meme opinion que moi, que le silence de Monsieur marquoit la verité de ce voyage. Je m’en allai à mon logis assez tard.
Entre trois et quatre heures du matin, j’entendis heurter fortement à la porte de ma chambre ; je me doutai bien de ce que c’etoit : j’éveillai mes femmes et envoyai ouvrir ma porte. Je vis entrer M. de Comminges ; je lui demandai : « Ne faut il pas s’en aller ? » Il me repondit : « Oui, Mademoiselle ; le Roi, la Reine et Monsieur vous attendent dans le Cours, et voilà une lettre de Monsieur ». Je la pris, la mis sous mon chevet et lui dis : « Aux ordres du Roi et de la Reine, il n’est pas necessaire d’en joindre de Monsieur pour me faire obeir ». Il me pressa de la lire ; elle contenoit seulement que j’obeisse avec diligence. La Reine avoit désiré que Monsieur me donnat cet ordre, dans l’opinion que je n’obeirois pas au sien et que j’aurois été ravie de demeurer à Paris pour me mettre d’un parti contre elle ; car contre le Roi, je ne vis jamais personne qui avouat d’en avoit eté, c’est toujours contre quelque autre personnage que le Roi. Si elle ne s’etoit pas plus trompée en tout ce qu’elle auroit pu prevoir qu’en cette crainte, elle auroit eté plus heureuse et auroit eu moins de chagrin. Jamais rien ne fut si vrai que ce que j’ai pensé cent fois depuis.
Au moment que M. de Comminges me parla, j’etois toute troublée de joie de voir qu’ils alloient faire une faute, et d’etre spectatrice des miseres qu’elle leur causeroit : cela me vengeoit un peu des persécutions que j’avois souffertes. Je ne prevoyois pas alors que je me trouverois dans un parti considerable, où je pourrois faire mon devoir et me venger en meme temps : cependant, en exerçant ces sortes de vengeances, l’on se venge bien contre soi-meme. Je me levai avec toute la diligence possible, et je m’en allai dans le carrosse de Comminges ; le mien n’etoit pas pret, ni celui de la comtesse de Fiesque. La lune finissoit, et le jour ne paroissoit pas encore ; je recommandai à la comtesse de Fiesque de m’amener au plus tot mon équipage. Lorsque je montai dans le carrosse de la Reine, je dis : « Je veux etre au devant ou au derriere du carrosse, je n’aime pas le froid et je veux etre à mon aise ». C’etoit en intention d’en faire ôter madame la Princesse, qui avoit accoutumé d’etre en l’une des deux places. La Reine me répondit : « Le Roi mon fils et moi nous y sommes, et madame la Princesse la mere ». Je repondis : « Il l’y faut laisser, les jeunes gens doivent les bonnes places aux vieux ». Je demeurai à la portiere avec M. le prince de Conti ; à l’autre etoit madame la Princesse la fille et madame de Seneçay. La Reine me demanda si je n’avois pas eté bien surprise ; je lui dis que non, et que Monsieur me l’avoit dit, quoiqu’il n’en fut rien. Elle me pensa surprendre en cette menterie, parce qu’elle me demanda : « Comment vous etes vous couchée ? » Je lui repondis : « J’ai eté bien aise de faire provision de sommeil, dans l’incertitude si j’aurois mon lit cette nuit ». Jamais je n’ai vu une creature si gaie qu’elle etoit ; quand elle auroit gagné une bataille, pris Paris, et fait pendre tous ceux qui lui auroient deplu, elle ne l’auroit pas plus eté, et cependant elle etoit bien eloignée de tout cela.
Comme l’on fut arrivé à Saint Germain (c’etoit le jour des Rois), l’on descendit droit à la chapelle pour entendre la messe, et tout le reste de la journée se passa à questionner tous ceux qui arrivoient, sur ce que l’on disoit et faisoit à Paris. Chacun en parloit à sa mode, et tout le monde etoit d’accord que personne ne temoignoit de deplaisir du depart du Roi. L’on battoit le tambour par toute la ville, et chacun prit les armes. J’etois en grande inquiétude de mon equipage ; je connoissois madame la comtesse de Fiesque d’une humeur timide mal à propos, et dont je craignois de patir, comme je fis : elle ne voulut point sortir de Paris dans la rumeur, ni faire passer mon équipage : ce qui m’etoit le plus necessaire ; quant à elle, je m’en serois bien passée. Elle m’envoya un carrosse, qui passa parmi les plus mutins sans qu’on lui dit rien ; le reste auroit passé de meme. Ceux qui etoient dedans reçurent toutes sortes de civilités, quoique ce fut de la part de gens qui n’en font guère ; et cela me fut rapporté. Elle m’envoya dans ce carrosse un matelas et un peu de linge. Comme je me vis en si mauvais équipage, je m’en allai chercher secours au chateau neuf, où logeoient Monsieur et Madame, qui me preta deux de ses femmes de chambre : comme elle n’avoit pas toutes ses hardes non plus que moi, le tout alla plaisamment. Je me couchai dans une fort belle chambre en galetas, bien peinte, bien dorée et grande, avec peu de feu, et point de [p. 51] vitres ni de fenetres, ce qui n’est pas agreable au mois de janvier. Mes matelas etoient par terre, et ma sœur, qui n’avoit point de lit, coucha avec moi. Il falloit chanter pour l’endormir, et son somme ne duroit pas longtemps ; elle troubla fort le mien ; elle se tournoit, me sentoit auprès d’elle, se reveilloit et crioit qu’elle voyoit la bete ; de sorte que l’on chantoit de nouveau pour l’endormir, et la nuit se passa ainsi. Jugez si j’etois agréablement pour un personne qui avoit peu dormi l’autre nuit, et qui avoit eté malade tout l’hiver de maux de gorge et d’un rhume violent ! Cependant toute cette fatigue me guerit. Heureusement pour moi les lits de Monsieur et de Madame vinrent : Monsieur eut la bonté de me donner sa chambre, il avoit couché dans un lit que M. le Prince lui avoit prêté. Comme j’etois dans la chambre de Monsieur, où l’on ne savoit point que je logeasse, je me reveillai par le bruit que j’entendis ; j’ouvris mon rideau : je fus fort étonnée de voir ma chambre toute pleine de gens à grands collets de buffle, qui furent fort étonné de me voir, et que je connoissois aussi peu qu’ils me connoissoient. Je n’avois point de linge à changer, et l’on blanchissoit ma chemise de nuit pendant le jour, et ma chemise de jour pendant la nuit ; je n’avois point mes femmes pour me coiffer et habiller, ce qui est très incommode ; je mangeois avec Monsieur, qui fait très mauvaise chère. Je ne laissois pas pour cela d’etre gaie, et Monsieur admiroit que je ne me plaignois de rien. Pour Madame, elle n’etoit pas de meme : aussi suis je une créature qui ne m’incommode de rien, et fort au dessus des bagatelles. Je demeurai ainsi dix jours chez Madame, au bout desquels mon equipage arriva, et je fus fort aise d’avoir toute mes commodités. Je m’en allai loger au chateau vieux, où etoit la Reine ; j’etois resolue, si mon equipage ne fut venu, d’envoyer à Rouen me faire faire des hardes et un lit : et pour cela je demandai de l’argent au tresorier de Monsieur, et l’on m’en pouvoit bien donner, puisque l’on jouissoit de mon bien ; si l’on m’en eut refusé, je n’aurois pas laissé de trouver qui m’en eut preté. […]
Les occasions de combat ne furent pas frequentes pendant cette guerre : elle dura peu, et l’on fut longtemps à Saint Germain sans que les troupes qui devoient assiéger Paris fussent venues. L’on n’eut jamais dessein de l’assieger dans les formes ; la circonvallation eut été un peu trop grande, et l’armée trop petite. L’on se contenta de la separer en deux quartiers, l’un à Saint Cloud et l’autre à Saint Denis : c’etoit celui de Monsieur, et l’autre de M. le Prince. L’on prenoit quelquefois des charrettes de pain de Gonesse et quelques bœufs, et l’on venoit le dire en grande hate à Saint Germain : l’on faisoit des prisonniers, et c’etoient gens peu considerables. La grande occasion fut à Charenton, que l’on prit en deux heures ; Monsieur et M. le Prince y etoient en personne : ils y assistèrent tous deux à leur ordinaire, et celui qui le defendoit s’appeloit Clanleu. Il avoit eté à Monsieur, et l’avoit quitté : il ne vouloit point de quartier. M. de Châtillon y fut blessé, et mourut le lendemain au bois de Vincennes, [p. 52] et M. de Saligny, tous deux de la maison de Coligny. Il arriva une aventure assez remarquable, et qui paroît plutôt un roman qu’une vérité. Le marquis de Cugniac, petit fils du vieux marechal de La Force, qui etoit dedans, voulut se sauver et se jeter sur un bateau ; la riviere etoit gelée et un glaçon le porta de l’autre côté de l’eau, et meme plusieurs ont dit qu’il le porta jusqu’à Paris.
Après cet exploit, les deux armées furent assez longtemps en bataille entre le bois de Vincennes et Piquepus, et personne ne se battit. L’on eut une grande joie à Saint Germain de cette expedition : il n’y eut que madame de Châtillon qui fut affligée. Son affliction fut moderée par l’amitié que son mari avoit pour mademoiselle de Guerchy, et meme dans le combat il y avoit une de ses jarretieres nouée à son bras : comme elle etoit bleue, cela la fait remarquer, et en ce temps là l’on n’avoit pas encore vu d’écharpe de cette couleur. La magnificence n’etoit pas grande à Saint Germain : personne n’avoit tout son équipage ; ceux qui avoient des lits n’avoient point de tapisseries, et ceux qui avoient des tapisseries n’avoient point d’habits, et l’on y etoit très pauvrement. Le Roi et la Reine furent longtemps à n’avoir que des meubles de M. le cardinal. Dans la crainte que l’on avoit à Paris de laisser sortir les effets du cardinal sous pretexte que ce fussent ceux du Roi et de la Reine, ils ne vouloient rien laisser sortir, tant l’aversion etoit grande. Cela n’est pas sans exemple que les peuples soient capables de haïr et d’aimer les memes gens en peu de temps, et surtout les François. Le Roi et la Reine manquoient de tout, et moi j’avois tout ce qu’il me plaisoit, et ne manquois de rien. Pour tout ce que j’envoyois quérir à Paris, l’on donnoit des passeports, on l’escortoit ; rien n’etoit égal aux civilités que l’on me faisoit.
La Reine me pria d’envoyer un chariot pour emmener de ses hardes ; je l’envoyai avec joie, et l’on en a assez d’etre en état de rendre service à de telles gens, et de voir que l’on est en quelque consideration. Parmi les hardes que la Reine fit venir, il y avoit un coffre de gants d’Espagne ; comme on les visitoit, les bourgeois commis pour cette visite, qui n’etoient pas accoutumés à de si fortes senteurs, eternuerent beaucoup, à ce que rapporta le page que j’avois envoyé, et qui etoit mon ambassadeur ordinaire. La Reine, Monsieur et M. le cardinal rirent fort à l’endroit de cette relation, qui etoit sur les honneurs qu’il avoit reçus à Paris. Il etoit entré au parlement à la grand’chambre, où il avoit dit que je l’envoyois pour apporter des hardes que j’avois laissées à Paris ; on lui dit que je n’avois qu’à témoigner tout ce que je desirerois, que je trouverois la compagnie toujours pleine de tout le respect qu’elle me devoit, et enfin ils lui firent mille honnetetés pour moi. Mon page disoit aussi qu’en son particulier on lui en avoit beaucoup fait. Il ne fut point etonné de parler devant la Reine et M. le cardinal ; pour Monsieur, il l’avoit vu souvent, et lui alloit parler de ma part. Il eut une longue audience, il fut fort questionné : il avoit vu tout ce qui se passoit à Paris, où je ne doute pas qu’on ne l’eût aussi beaucoup questionné ; et pour un garçon de quatorze ou quinze ans, il se demela fort bien de cette commission. Depuis, Monsieur et toute la cour ne l’appeloient plus que l’ambassadeur ; et quand je fus à Paris, il alloit voir tous ces messieurs, et etoit si connu dans le parlement qu’il y recommandoit avec succès les affaires de ses amis. […]
[p. 53] La Reine alloit tous les jours aux litanies à la chapelle, et elle se mettoit dans un petit oratoire au bout de la tribune où les autres demeuroient ; et comme la Reine demeuroit longtemps après qu’elles etoient dites, celles qui n’avoient pas tant de dévotion s’amusoient à causer, et l’on observa que M. de Saint Mesgrin parloit à madame la Princesse. Pour moi, je n’en voyois rien : j’etois dans l’oratoire avec la Reine, où le plus souvent je m’endormois, parce que je n’etois pas une demoiselle à si longues prières ni à méditations. […]
Quand l’on parla de paix, je m’en souciois peu : je ne songeois en ce temps là qu’à mes divertissemens. Je me plaisois fort à Saint Germain, et j’aurois souhaité y pouvoir passer toute ma vie. Le bien public n’etoit pas alors trop connu de moi non plus que celui de l’Etat, quoique par ma naissance on y ait assez d’intérêt ; mais quand on est fort jeune et fort inapliquée, on a pour but que le plaisir de son âge. Il y eut plusieurs conferences à Ruel avec M. le Prince et le cardinal Mazarin : comme le detail en est su de tout le monde, je ne m’embarquerai ici en aucune affaire, parce que je n’en ai pas une parfaite connoissance ; et pour ne m’en pas donner la peine, je dirai seulement que je ne crois pas qu’elle fut fort avantageuse au Roi. Je fus des premieres qui allai à Paris dès que la paix fut faite ; je demandai congé à la Reine et à Monsieur d’y aller ; madame de Carignan y vint avec moi. Comme je n’y avois aucune affaire, je n’aurois pas demandé congé si je n’avois eu un beau prétexte, savoir de visiter la reine d’Angleterre sur la mort du roi, son mari, auquel le parlement d’Angleterre avoit fait couper la cour il n’y avoit que deux mois. L’on n’en porta point le deuil à la Cour, c’est à dire comme on l’auroit dû ; il n’y eut que les personnes et point les équipages, faute d’argent : la raison est bien [p. 54] pauvre. Quand j’ai parlé ci devant de la miserable situation où l’on etoit, j’avois oublié de dire que nous etions à Saint Germain en l’etat où nous voulions mettre Paris : l’intention etoit de l’affamer, et néanmoins les habitans y avoient tout en abondance, et à Saint Germain l’on manquoit souvent de vivres ; les troupes qui etoient aux environs prenoient tout ce qu’on y apportoit. Ainsi l’on etoit quasi affamé : ce qui faisoit souvent dire que M. le cardinal ne prenoit pas bien ses mesures, et que c’etoit ce qui empêchoit les affaires de bien réussir.
[…]
[p. 60] Le roi d’Angleterre, qui ne devoit etre que quinze jours en France, y fut trois mois. Comme la cour etoit à Paris, et lui avec la reine, sa mere, à Saint Germain, on les voyoit peu. Lorsque je suis qu’il etoit sur son départ, j’allai rendre mes devoirs à la reine, sa mere, et prendre congé de lui. La reine d’Angleterre me dit : « Il faut se réjouir avec vous de la mort de l’imperatrice : il y a apparence que si cette affaire a manqué autrefois, elle ne manquera pas celle ci ». Je lui répondis que c’etoit à quoi je ne songeois pas. Elle poursuivit ce discours, et me dit : « Voici un homme qui est persuadé qu’un roi de dix huit ans vaut mieux qu’un empereur qui en a cinquante, et quatre enfans ». Cela dura longtemps en manière de picoterie, et elle disoit : « Mon fils est trop gueux et trop miserable pour vous ». Puis elle se radoucit et me montra une dame angloise dont son fils etoit amoureux, et me dit : « Il apprehende tout à fait que vous ne le sachiez, voyez la honte qu’il a de la voir où vous etes, dans la crainte que je ne vous le dise ». Il s’en alla. Ensuite, la reine me dit : « Venez dans mon cabinet ». Comme nous y fumes, elle ferma la porte et me dit : « Le roi, mon fils m’a priée de vous demander pardon si la proposition que l’on vous a faite à Compiègne vous a deplu : il en est au desespoir, c’est une pensée qu’il a toujours et de laquelle il ne peut se defaire ; pour moi, je ne voulois pas me charger de cette commission ; il m’en a priée si instamment que je n’ai jamais pu m’en défendre. Je suis de votre avis : vous auriez été miserable avec lui, et je vous aime trop pour l’avoir pu souhaiter, quoique ce fut son bien que vous aussiez été compagne de sa mauvaise fortune. Tout ce que je puis souhaiter, est que son voyage soit heureux, et qu’après vous veuillez bien de lui ». Je lui fis là dessus mes complimens le miex qu’il me fut possible. »
[…]
[p. 375] [1662] Le Roi se promenoit souvent pendant l’hiver avec la Reine : il avoit eté avec elle deux ou trois fois à Saint Germain, et l’on disoit qu’il avoit regardé La Motte Houdancourt, une des filles de la Reine, et que La Valliere en etoit jalouse.
[…]
[p. 392] [1665] La Cour alla à Saint Germain et faisoit souvent des voyages à Versailles. Madame s’y blessa et y accoucha d’une fille qui etoit morte il y avoit dejà dix ou douze jours ; elle etoit quasi pourrie ; ce fut une femme de Saint Cloud qui la servir : l’on n’eut pas le temps d’aller à Paris en chercher une. On eveilla le Roi et l’on fit chercher le curé de Versailles, pour voir si cette fille etoit en état d’etre baptisée. Madame de Thianges lui dit de prendre garde à ce qu’il feroit : qu’on ne refusoit jamais le bapteme aux enfans de cette qualité. Monsieur, à la persuasion de l’eveque de Valence, vouloit qu’on l’enterrat à Saint Denis. J’etois à Paris ; j’allai droit à Versailles pour rendre ma visite à Madame. Dès le meme soir, Monsieur alla coucher à Saint Germain, où je trouvai la Reine affligée de ce que cette fille n’avoit pas eté baptisée, et blamoit Madame d’en etre cause par toutes les courses qu’elle avoit faites sans songer qu’elle etoit grosse. Madame disoit qu’elle ne s’etoit blessée que de l’inquietude qu’elle avoit eue que le duc d’York n’eut été tué, parce qu’on lui avoit parlé d’une bataille qu’il venoit de donner sur mer, sans lui dire s’il en etoit revenu.
On laissa Madame dès le meme jour de ses couches, parce que la reine mère d’Angleterre arrivoit et qu’on vouloit lui laisser le logement de Versailles : elle venoit de voir son fils. Le Roi alla au devant d’elle jusqu’à Pontoise dans l’abbaye de Saint Martin, dont Edme de Montaigu etoit abbé. La reine mère d’Angleterre, arrivée comme je le viens de dire, ne paroissoit pas satisfaite de la beauté de sa belle fille ; elle etoit charmée de sa pieté et disoit qu’elle n’avoit jamais tant vu prier Dieu ni de si bonne foi qu’elle le faisoit.
Je ne fus pas longtemps à la cour, parce que la saison de prendre les eaux de Forges venoit. Je m’y en allai ; j’avois dejà commencé à boire qu’il vint un courrier m’avertir que la Reine mere se mouroit. Je partis en relais de carrosse, j’arrivais à dix heures du roi à Pontoise, où l’assemblée du clergé se tenoit. J’y trouvai M. l’archeveque de Paris, qui l’etoit en ce temps là de Rouen, qui me dit que la Reine mère se portoit mieux. Je m’en allai coucher aux Carmelites : le lendemain, j’allais diner à Saint Germain, où le Roi, la Reine et la Reine mere me temoignèrent mille amitiés sur l’empressement avec lequel j’etois venue. Je vis que la maladie n’etoit plus dangeureuse : je m’en retournai continuer de prendre les eaux.
[…]
[p. 394] [20 janvier 1666] J’entendis sonner la grosse clocher de Notre-Dame : comme on ne le fait jamais que dans de grandes occasions, je dis : « L’on croit la Reine morte ». Un moment après Monsieur fit un grand cri ; le medecin entra, le Roi lui dit : « Elle est donc [p. 395] morte ! » Il lui dit : « Oui, Sire ». Il me dit à pleurer comme un homme penetré de douleur. Madame de Fleix porta ses clefs au Roi ; l’on alla dans son cabinet chercher son testament, qui fut lu devant toute la parenté, à la reserve de Monsieur, qui ne voulut pas y demeurer. Après que M. Le Tellier eut achevé la lecture, le Roi monta en carrosse pour s’en aller, et je m’en allai chez moi me coucher.
Le lendemain et les deux jours suivans, je fus extremement visité de toutes les dames qui alloient à Saint Germain avec leurs mantes : elles vinrent chez moi avec le meme habit. J’allai conduire le chœur au Val de Grâce. […] Le lendemain, j’allai diner à Saint Germain, pour recevoir les ordres du Roi pour conduire le corps à Saint-Denis. Il etoit au conseil, où j’allai lui parler devant les ministres.
[…]
[p. 398] [1666] Le Roi fit tendre ses tentes dans la garenne de Saint Germain ; elles etoient très belles : il y avoit des appartemens complets comme dans une maison. Le Roi y donna une grande fete ; madame de Montausier y tint une petite table, où j’envoyai Châtillon et Créqui, et je n’en gardai qu’une pour etre à celle de la Reine. Madame de Montausier avoit la sienne dans le meme lieu ; toutes les personnes qu’elle y fit mettre etoient ou devoient etre de celles qui peuvent manger avec la Reine.
[…]
[p. 402] [1668] Le Roi s’en alla au mois de janvier à Saint Germain pour y mener la Reine et M. le Dauphin, d’où il partit pour s’en aller en Franche Comté. M. le Prince y etoit, avec des troupes qu’il avoit feint de tenir auprès de lui pour y tenir les Etats.
[…]
[p. 407] [1669] Après avoir appris toutes ces nouvelles, je m’en allai à Saint Germain, où je passai l’hiver sans faire de voyages à Paris comme j’avois acccoutumé de faire ; c’est à dire qu’avant cela j’y demeurois quinze jours et cinq ou six jours à la Cour. Cet hiver, sans savoir quasi pourquoi, je ne pouvois souffrir Paris ni sortir de Saint Germain. Lorsque j’y etois, une de mes filles eut la petite verole ; cet accident m’empecha d’aller à la Cour pendant quatre ou cinq jours ; je les passai à Paris avec beaucoup de langueur ; je me souviens que je fus très aise lorsqu’on me fit savoir que je pouvois retourner à la Cour. Je voyois M. de Lauzun chez la Reine, avec qui je prenois un très grand plaisir de causer ; je lui trouvois sous les jours plus d’esprit et plus d’agrement à ce qu’il disoit qu’à toute autre personne du monde. Il se tenoit toujours réservé dans les termes de soumission et de respect que les autres gens ne peuvent imiter.
[…]
[p. 408] M. le chevalier de Lorraine fut arreté au chateau neuf, lorsqu’il etoit dans une chambre renfermé avec Monsieur. Le comte d’Ayen le fit demander pour lui parler ; il vint et M. d’Ayen l’arreta. Le chevalier de La Hillière, qui etoit avec lui, dit à M. le comte d’Ayen de lui faire rendre son épée : ce qu’il fit ; et après ils le menerent dans la chambre du capitaine des gardes du corps dans le Louvre et ensuite coucher dans une maison dans le bourg. Il fut conduit à Lyon.
[…]
[p. 409] Monsieur et Madame revinrent de Villers Cotterets ; elle avoit un grand appartement de plain pied à celui du Roi ; et quoiqu’elle logeat avec Monsieur au chateau neuf, lorsqu’elle en etoit sortie le matin, elle passoit les après dinées au vieux chateau, où le Roi lui parloit plus aisement des affaires qu’elle negocioit avec le roi d’Angleterre, son frere. Depuis la disgrâce du chevalier de Lorraine, elle s’etoit accoutumée à me parler.
[…]
[p. 411] [1670] Il vint un bruit que le Roi rendoit la Lorraine, et qu’on me devoit marier au prince Charles ; je crus que c’etoit une heureuse occasion pour mettre M. de Lauzun en etat et aux termes de pressentir la situation où je me trouvois, et de me parler du sien. Je l’envoyai prier de me venir trouver à ma chambre, qui n’etoit pas bien loin de la sienne ; il me falloit meme passer devant sa porte lorsque j’allois chez la Reine. L’on me vint dire qu’il n’etoit pas dans sa chambre. Il etoit grand ami de Guitry, et il etoit souvent avec lui dans un appartement extraordinaire qu’il s’etoit fait accommoder : je me servis du prétexte de ma curiosité à le vouloir voir ; je ne doutai pas que je n’y trouvasse M. de Lauzun avec lui ; je m’etois trompée. Lorsque je descendis chez la Reine, je le vis qui parloit à la comtesse de Guiche.
[…]
[p. 422] [1670] Lorsque j’arrivai à Saint-Germain, je trouvai qu’on avoit mis les maçons dans ma chambre, qui ne pouvoient avoir fini leur travail de huit jours. Malgré ma repugnance et mon degout d’etre à Paris, il me fallut de necessité y aller. Je m’y serois ennuyée à la mort, sans que le Roi alla passer quelques jours à Versailles ; j’y courus avec beaucoup de diligence. »

Anne-Marie-Louise d’Orléans

Récit par Nicolas Faure, seigneur de Berlize, d’audiences accordées par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Au mois d’octobre de ladite année mil six cens trente cinq, l’ambassadrice d’Angleterre me demanda audience de la Reyne, ce qui fut fait comme il ensuit. Premierement, elle se rendit dans le carrosse de Sa Majesté à Saint Germain, et je la receus là de la part de la Reyne à moitié du degré par lequel on va à la descente. Puis la dame de Senecey, dame d’honneur, la receut à l’entrée de la chambre du sieur Bouthillier, où elle se reposa en attendant que l’on eust servy sur table en la chambre de la descente. Apres le disner, la Reyne luy donna audience, et puis s’en revint à Paris coucher. Je ne fus chez elle à cause de son mary l’ambassadeur, lequel ne vouloit vivre avec nous comme ses predecesseurs ; il estoit demeuré d’accord qu’il ne seroit au logis lorsque j’irois pour la prendre avec le carrosse de la Reyne, neantmoins je n’en voulus rien faire.
Le sixieme decembre mil six cens trente cinq, je menay à l’audience chez le cardinal de Richelieu le fils naturel du roy de Dannemarck, lequel estoit seulement envoyé. Il venoit icy pour dire au Roy que certains marchands françois estoient allez pescher en leurs costes avec un passeport dudit cardinal comme admiral de la mer, que luy, comme ayant le commandement de la pesche l’année prochaine mil six cens trente six, il avoit eu ordre du roy de Dannemarck de venir scavoir comme il en ordonneroit à ses sujets, d’autant que cela luy feroit tort avec les roys ses alliez, lesquels pour avoir la permission de ladite pesche donnoient une certaine somme tous les ans que leurs sujets payoient. Il desiroit aussi avoir une sauvegarde pour un comte souverain d’Alemagne qui confine vers la Pomeranie, parent de son roy, afin que les troupes du Roy n’allassent sur ses terres, ayant esté neutre dans toutes les guerres d’Alemagne. Il eut audience du Roy à Sainct Germain le vingtieme, et fut traité.
Le marquis de Bade de la branche de Durlach eut audience du Roy le vingt quatrieme de decembre, et fut traité à Sainct Germain. Je pris le sieur de La Meilleraye, comme officier de la couronne, pour le conduire. Il parla au Roy decouvert, quoyque souverain et prince de l’Empire, neantmoins les Alemans n’ont cet honneur, quoyque les ambassadeurs des princes d’Italie parlent couverts au Roy. Il presenta au Roy deux de ses enfans, lesquels il laissa à Paris à l’academie, et pour faire leur cour à Sa Majesté.
Le huitieme mars mil six cens trente six, encore que je ne fusse pas en charge, neantmoins à cause que le comte de Brulon estoit pres le duc de Parme, j’eus commandement d’aller trouver le duc Bernard de Weymar de Saxe, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, à Lagny sur Marne, où le comte de Guiche qui l’estoit allé trouver de la part du [p. 798] cardinal de Richelieu à Meaux l’emmena, luy ayant dit que j’estois là pour le recevoir de la part du Roy, comme je fis. J’y menay trois ou quatre de mes amis, qui le saluerent. Apres quoy je le conduisis à Champ, où les sieurs de Croisilles, maistre d’hostel du Roy, et Parfait, controlleur general, l’attendoient avec tous les officiers de la maison du Roy pour le traiter. Ledit cardinal avoit dit qu’on luy donnast à disner à Lagny, mais à cause de la difficulté qu’il y avoit pour les officiers d’aller à six lieues de Paris pour apres le disner venir apprester le souper à l’arsenac, où il devoit loger, je le fis venir disner à Champ, ce que le Roy trouva depuis avoir esté fait à propos. Le duc de La Trimouille le vint recevoir à Champ, au sortir de son disner, de la part du Roy, accompagné de vingt carrosses et de quantité de noblesse. Apres les compliments faits, ledit sieur de La Trimouille monta dans le carrosse du Roy avec le duc de Weymar, les comtes de Guiche et de Nassau, et moy, et passasmes au travers du bois de Vincennes. Il fut salué par la garnison en passant, et veid plusieurs carrosses le long du chemin jusques à l’arsenac, où il fut logé dans le plus beau departement, qui estoit meublé des meubles du Roy. Le lendemain de son arrivée, neufieme du mois, il ne voulut voir personne avant le Roy. Il avoit amené avec luy les comtes de Nassau, baron de Friberg et de Ponika, qui estoit celuy sur lequel il se reposoit de toutes ses affaires. Le dixieme du mois de mars, je le menay à l’audience avec le sieur de La Trimouille à Sainct Germain en Laye. Quand je fus arrivé, je fus trouver le Roy dans son cabinet, où il estoit, auquel je dis son arrivée. Il me demanda s’il se couvriroit ; je luy repondis que je n’en scavois rien et que je l’avois demandé au cardinal de Richelieu, lequel m’avoit dit qu’il ne se devoit couvrir, que neantmoins je craignois qu’il ne fust en cette volonté, et que sur ce que j’avois pressé le sieur de Chavigny la dessus, il m’avoit dit que si je luy parlois de cela, que ce seroit luy donner lieu de pretendre une chose à laquelle, peut estre, il ne pensoit pas, que si toutesfois il vouloit, je presentirois bien dudit Ponika s’il estoit dans cette pretention, mais que je ne luy en parlerois de peur qu’on ne dist que je serois cause de tout ce qui en arriveroit ; que quant à moy, je croyois qu’il seroit dans cette pretention, et luy alleguay ce qu’il avoit fait à l’evesque de Wirtzbourg, duc de Franconie, à Mets, lequel comme souverain de l’Empire s’estoit couvert, que celuy cy estoit de la maison de Saxe et que ce qui luy feroit plustost desirer estoit le duc de Parme, auquel le Roy avoit fait cet honneur, et que celuy cy s’estimoit bien d’autre maison. Avec toutes ces raisons, et autres que je dis des ambassadeurs d’Italie, qui se couvrent devant le Roy, Sa Majesté resolut que je ne luy en parlerois, ains le sieur de Chavigny, et me commanda de l’aller querir. Je l’avois laissé dans le departement du surintendant à Sainct Germain, qu’on avoit meublé des meubles du Roy. Je luy dis que le Roy estoit prest à la voir. Le capitaine des gardes le receut à l’entrée de la salle. Ayant fait une humble reverence devant le Roy et son compliment, le Roy voulant se couvrir, il crut que Sa Majesté l’avoit invité à en faire autant, et en [p. 799] mesme temps voulu mettre son chapeau : le Roy, voyant cela, osta si promptement le sien que cela fut apperceu de peu de personnes, et parla tousjours decouvert. Puis il passa dans son cabinet, où Monsieur, frere du Roy, se trouva, et parlerent ensemble pres d’une bonne demi heure, où quelques fois aussi le Roy me faisoit l’honneur de me parler. Puis me dit que je le menasse disner, ce que je fis. Incontinent apres le disner, suivant le discours que j’avois eu dudepuis avec ledit sieur de Chavigny, je dis à Ponika que je croyois que le duc son maistre ne pretendoit pas vivre autrement chez la Reyne que Monsieur, frere du Roy, lequel ne se couvroit. Il me dit que son maistre avoit veritablement voulu se couvrir devant le Roy, d’autant que le duc de Parme se couvroit, et que je ne devois trouver estrange, d’autant qu’il y avoit eu des empereurs de la maison de son maistre avant qu’il y eut des gentilshommes dans celle du duc de Parme, et que, pour ce qui estoit de chez la Reyne, il ne se couvriroit. Je l’y menay, où Monsieur se trouva, et puis de là chez mondit seigneur frere du Roy, où Monsieur le fit couvrir, comme pareillement les ducs de La Trimouille et de Wirtenberg qui l’accompagnoient. Apres une visite d’une demie heure sans s’asseoir, je remenay ledit duc en sa chambre, de laquelle nous partismes pour aller à Ruel.
[…]
[p. 807] Le marquis de Sainct Germain, maistre de la garderobbe de Son Altsse de Savoye, fut envoyé à Paris pour apporter la nouvelle d’une defaite d’Espagnols. Je le menay à l’audience, et l’ambassadeur de Savoye aussi. Dans le temps qu’il fut à Paris, le duc de Savoye mourut. Il prit congé au mois d’octobre sur la fin, et veid le Roy vestu de drap violet selon la coustume, et la Reyne et les dames avec leur grand voile, à Sainct Germain, où je le menay à sa derniere audience. Le sieur de Chavigny luy fit faire son present par le sieur de La Barde, son premier commis. Ce qu’ayant sceu, avant que de m’en vouloir plaindre, je luy fis demander le sujet et s’il avoit eu cet ordre du Roy. Il me dit que non, mais que d’autant que je luy avois envoyé demander par Gyraut, auquel il ne voulut donner le present, et voyant que je n’avois esté moy mesme chez luy, il l’avoit envoyé par ledit de La Barde, qu’il ne pretendoit tirer cela à consequence. Je luy repartis qu’il me devoit bailler le present entre mes mains et non en celles d’une personne qui n’estoit au Roy et qu’il devoit faire là-dessus ce que les conducteurs des ambassadeurs luy diroient. […]
[p. 808] Le marquis de Parelle, un des quatre premiers escuyers du duc de Savoye, vint à Paris au mois d’octobre mil six cens trente sept pour supplier le Roy de la part du duc de Savoye et madame de les prendre en sa protection, et les supplier de croire qu’ils n’avoient autre volonté que l’execution des commandemens de Sa Majesté, que pour cet effet madame n’avoit voulu voir le cardinal de Savoye qui estoit à Savonne. Je le menay à l’audience à Saint Germain avec l’ambassadeur de Savoye. Il fut traité à disner et, le dix neufieme novembre, il prit congé du Roy en mesme lieu, et fut aussi traité. Le lendemain, je luy donnay un diamant de la part de Sa Majesté.
[…]
[p. 809] Le comte de Cumiane, maistre des ceremonies de Savoye, vint à Paris au mois de janvier 1638. Il fut conduit selon l’ordinaire à l’audience par le comte de Brulon, mon compagnon, à Saint Germain. Le sujet de son voyage estoit pour supplier le Roy de la part de la duchesse de Savoye que le père Monet, jesuite, ne s’en allast de Savoye, selon que Sa Majesté avoit tesmoigné le desirer de Son Altesse. Le comte de Cameran fut envoyé ensuite de Sadite Altesse pour se resjouyr de la continuation de la grossesse de la Reyne. La reyne d’Angleterre aussi envoya un gentilhomme françois, nommé Tarteron, pour se rejouyr de la mesme grossesse.
[…]
Incontinent apres la naissance de monseigneur le Dauphin, tous les ambassadeurs eurent audience : le comte de Leicester et le vicomte de Scudamor l’eurent aussi, et y amenerent les sieurs de Sainct Ravy et Germain, le premier envoyé de la part du roy d’Angleterre et le second de la reyne pour se resjouyr de la naissance dudit seigneur le Dauphin. Je les fus prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne, et furent traitez à Saint Germain. Le sieur de Chavigny me demanda pourquoy je leur avois baillé les carrosses du Roy et de la Reyne. Je luy dis estre la coutume. Il me dit que le roy d’Angleterre s’estoit plaint de ce qu’on avoit fait trop d’honneur aux gentilshomme qui venoient de sa part, et nommément à un nommé Tartereau, que sir le Roy les [p. 810] vouloit traiter de cette façon, qu’il falloit qu’il les traitast ainsi et qu’ils en demeurassent d’accord, et qu’il falloit adjouster cela par un article à leurs traitez. Le sieur de Bullion me dit le sieur que le sieur de Bellievre, qui estoit lors pour le Roy ambassadeur en Angleterre, luy en avoit escrit, et me monstra la lettre. […]
Le vingt cinquieme octobre mil six cens trente huit, le comte Henry de Nassau eut audience du Roy, et eut les carrosses. Apres plusieurs difficultez qu’il y eut sur la façon dont on le traiteroit, et apres que j’eus representé plusieurs raisons, il fut resolu qu’il seroit traité comme ceux des princes souverains. Il estoit envoyé pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin.
Le vingt sixieme octobre, je fus prendre à l’hostel de Venize le sieur de Luthmar, gentilhomme envoyé de la part du comte palatin, electeur, et son conseiller d’Estat, dans les carrosses du Roy et de la Reyne. Il eut audience de Sa Majesté, et fut traité.
Le sieur Demsky, gentilhomme envoyé de la part du roy de Polongne, eut audience du Roy et de la Reyne. Il estoit venu demander, de la part du roy son maistre, le prince Cazimir son frere, lequel allant au service du roy d’Espagne avoit esté jetté par la tempeste, estant sur la mer, en un port de Provence, où il avoit esté arresté. Il n’eut ny carrosses ny ne fut traité, pource qu’il aima mieux avoir son audience prompte et n’estre traité que d’attendre longtemps et les avoir : ainsi le fit il entendre apres luy avoir offert de la part du Roy que, s’il vouloit attendre deux ou trois jours, qu’il seroit traité comme les autres. Il aima mieux aller à l’audience un jour qu’on traitoit des ambassadeurs envoyez d’Angleterre. Lorsqu’il prit congé du Roy, il fut traité de la mesme façon.
Le marquis Agnelly, gentilhomme envoyé de la part du duc de Mantoue, eut audience du Roy en octobre, et s’en retourna en decembre de la mesme année mil six cens trente huit. Je le fus prendre au logis de l’evesque de Cazal, son oncle, ambassadeur extraordinaire de Son Altsse de Mantoue, dans les carrosses du Roy et de la Reyne, et fut traité en la premiere et derniere audience.
En fevrier mil six cens trente neuf, arriva à Paris le bailly de Fourbin, [p. 807] commandeur et grand croix de l’ordre de Malte, lequel je fus recevoir avec le mareschal de Sainct Luc à Piquepuce chez les religieux de Sainct François. Il y eut difficulté de la façon avec laquelle on le recevroit ; neantmoins le Roy jugea qu’il se devoit couvrir. Le comte de Brulon le mena à l’audience avec le mareschal de Sainct Luc, où il fut couvert, et en usa fort discretement, se couvrant seulement un peu pour dire qu’il le pouvoit, et puis se decouvrit à l’heure mesme comme luy avoit dit le comte de Brulon et moy aussi qu’il devoit faire, attendu qu’il estoit François. Il y eut bien de la difficulté pour le faire couvrir, laquelle à la fin fut vaincue par les exemples qu’on rapporta des sieurs de Ville, envoyé de la part du duc Charles de Lorraine, et du commandeur de Fourmigeres, envoyé il y avoit plusieurs années de la part du grand maistre de Malte.
L’an 1640, le 8 mars, le prince Cazimir, frere de Wladislas IV du nom, roy de Polongne, et fils du feu Sigismond, aussi roy de Polongne, ayant esté invité de disner avec le Roy à Sainct Germain en Laye, 1. Le Roy quittant sa chaire fut environ cinq ou six pas au devant de luy, 2. et ayant fait une humble reverence devant Sa majesté et son compliment, le Roy se couvrant, il se couvrit presque en mesme temps, 3. il presenta la serviette à Sa Majesté, 4. et fut assis sur un escabeau pliant, sur lequel estoit un carreau de veloux, trois places loin de la chaire du Roy du mesme costé, il s’assit quelque peu apres que le Roy fut assis, 5. la chaire du Roy estoit de veloux, 6. ce prince n’avoit point de dais au dessus de luy, 7. les plats et les viandes estoient de mesme que ceux du Roy et en pareil nombre, mais les plats du Roy estoient couverts et ceux dudit prince decouverts, 8. l’on presenta sur la fin du disner des dragées au Roy et non au prince, 9. il fut le mesme jour chez la Reyne, qui estoit dans le lict, où on luy donna un tabouret et ne se couvrit point devant Sa Majesté, 10. sur le soir il fut saluer le cardinal de Richelieu en son hostel à Paris, qui le receut et l’accompagna ; il veid aussi monseigneur le Dauphin. »

Récit du baptême de Louis XIV dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 324] Les ceremonies du baptesme de monseigneur le Daufin
J’aurois grand sujet de craindre que tant de hauts mysteres qui se presentent si souvent à ma plume, ne pouvans estre traitez dignement pour la briesveté du temps que me prescrit la coustume et l’humeur de nostre nation, ne me donnassent rang entre les moindres escrivains si je n’affectois moins la qualité d’orateur que celle d’historien. Auquel devant suffire le recit de ce qui s’est passé, et la narration la plus simple estant la meilleure, j’espere de l’equité de mon lecteur qu’il ne condamnera pas mes petits ouvrages pour le defaut des ornemens que je ne cherche point, bien qu’ils fussent ailleurs necessaires en des matieres de telle importance que celles que je traite.
Le Roy ayant desiré que l’on baptizast monseigneur le Daufin, Sa Majesté, en tesmoignage de l’estime qu’elle fait du prince de Condé et du cardinal Mazarin, et de l’affection qu’elle a pour leurs personnes, a voulu que la princesse de Condé et Son Eminence eussent l’honneur de tenir mondit seigneur le Daufin sur les fonts et d’estre ses parein et mareine.
Pour cet effet, le vingt unieme de ce mois d’avril 1643, [p. 324] sur les quatre à cinq heures apres midi, la Reine, accompagnée de la princesse de Condé, de la comtesse de Soissons, de la duchesse de Longueville et d’autres princesses et dames de la Cour, passa par la porte qui respond de son appartement dans l’eglise du vieil chasteau de Saint Germain, dont le chœur et la nef, le jubé et tribunes ou galeries estoyent desja remplis de plusieurs seigneurs et dames et autres personnes accourues en grand nombre pour assister à cette ceremonie. Monseigneur le Daufin marchoit devant Sa Majesté et la dame de Lansac, sa gouvernante, derriere lui. Il estoit vestu par dessus son habit ordinaire d’une robe de tafetas d’argent.
A leur arrivée, la Musique du Roy, qui estoit au jubé, son lieu ordinaire, chanta un motet fort harmonieusement, pendant lequel la Reine, s’estant mise de genoux sur son prié Dieu garni de son drap de pied et quarreaux de velours rouge cramoisi à franges d’or, et monseigneur le Dauphin aussi à genoux auprès de Sa Majesté, et à sa droite la princesse de Condé se tenant aussi à genoux, à sa gauche l’evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, vestu de ses habits et ornemens pontificaux, accompagné de quatre des aumosniers de Sadite Majesté, en presence [p. 326] des evesques de Beauvais, de Viviers, de Riez, de Saint Pol, de Coutances et du Puy, tous en rochet et camail, de plusieurs abbez et de tout le clergé de la chapelle du Roy, sortit de sa sacristie, et après avoir adoré le saint sacrement, qui estoit exposé sur le maistre autel extraordinairement paré et brillant de plusieurs gros luminaires de cire blanche, il s’approcha du prié Dieu de la Reine, laquelle luy presenta monseigneur le Daufin, qui fut ensuite elevé par sa gouvernante sur l’appui ou accoudoir dudit prié Dieu.
Puis le cardinal Mazarin, qui avoit aussi accompagné la Reine, passa à la main droite de monseigneur le Daufin, et la princesse de Condé de l’autre costé, selon l’ordre observé en l’Eglise entre les pareins et mareines, de laquelle dignité il a pleu au Roy les honorer, Sa Majesté leur ayant tesmoigné de sa propre bouche que c’estoit pour obliger encor plus estroitement le prince de Condé et Son Eminence à son service et à celui de monseigneur le Daufin, son fils, qu’Elle leur faisoit cet honneur, qui est le plus grand qu’eux ni autres pouvoyent jamais recevoir.
Alors la Reine, tenant par derriere mondit seigneur le Daufin, qui parut beau comme un [p. 327] ange et fit voir en toute cette action une modestie et retenue extraordinaire à ceux de son aage, l’evesque de Meaux, qui l’avoit ondoyé comme vous avez sceu le jour de sa naissance, ayant salué Sa Majesté, la mitre en teste, demanda ausdits parein et mareine le nom qu’on vouloit imposer à ce prince. La princesse de Condé ayant fait grand compliment à Son Eminence, puis une reverence à la Reine, le nomma Louis suivant l’intention de Sa Majesté. Ensuite de quoi l’evesque continua l’office selon le rituel romain, suivant lequel il exorciza, benit le sel et en mut dans la bouche de ce prince, qui le receut fort pieusement et avec une humilité qui ravit toute l’assistance en admiration. Puis la Reine lui ayant, ainsi qu’il se pratique en telles ceremonies, descouvert la poitrine et les espaules, l’evesque officiant lui appliqua les saintes huiles des cathecumenes, et à toutes les trois fois que l’evesque lui dist « Ludovice abrenuncias Sathanae, pompis et operibus ejus », il respondit lui mesme autant de fois « abrenuncio », comme aussi aux trois interrogations qu’il lui fit sur sa creance, selon les termes du mesme rituel, il respondit hardiment autant de fois « credo ». Alors l’evesque lui declara qu’il estoit introduit dans l’Eglise, et tant les parein et mareine que ledit evesque et tous les assistans [p. 328] reciterent avec le prince à haute vois le symbole des apostres et l’oraison dominicale. Puis l’evesque, obmettant l’infusion de l’eau (qui avoit, comme j’ay dit, esté faite à ce prince à sa naissance et qui ne se reitere jamais), la Reine lui descouvrant la teste, l’evesque lui en oignit le sommet avec le saint chresme. Ce fait, il lui mit sur la teste le chresmeau, recitant aussi les mots du rituel sur ce sujet, et lui presenta le cierge ardent qu’il prit lui mesme à deux mains, et le tint seul durant le reste de la ceremonie. A la fin de laquelle, l’evesque officiant monta à l’autel et donna la benediction solenelle que toute l’assistance receut à genoux, et la Musique du Roy chanta encore ensuite, puis chacun s’en retourna merveilleusement satisfait d’avoir assisté à cette auguste ceremonie, laquelle fut fermée par un remerciment que ce prince vint faire jusques dans la sacristie à l’evesque qui l’avoit baptisé, donnant par ces premices un prejugé et une esperance certaine de ce qu’il faut attendre de lui quand la vigueur de l’aage aura poussé au dehors les bonnes semences de la vertu que sa naissance lui a fournies et que les bons preceptes et exemples domestiques lui cultivent sans cesse. »

Récit du baptême de Louis XIV dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« Les ceremonies du baptesme de monseigneur le Dauphin, à present Louys XIV, à Sainct Germain en Laye le 21 avril 1643
Le feu roy Louis XIII ayant fait ondoyer monseigneur le Dauphin son fils des le jour de sa naissance par monsieur Dominique Seguier, evesque de Meaux et son premier aumosnier, comme a esté remarqué cy dessus à la page 214 de ce livre, Sa Majesté avoit toujours differé la ceremonie du baptesme de ce sien fils aisné jusques au vingt unieme du mois d’avril mil six cens quarante trois, auquel estant indisposée, Elle voulut que l’on baptisast ce prince, et pour ce sujet choisit monsieur le cardinal Jules Mazarin pour parain et madame Charlote Marguerite de Montmorency, femme de feu monseigneur le prince de Condé, pour maraine de Son Altesse royale. Ainsi plusieurs de nos roys ont choisi des ecclesiastiques pour estre les parains de leurs fils aisnez, entre autres saint Louys fit le choix d’Odon ou Eude III, abbé de Saint Denys, pour estre le parain de son fils aisné Louys de France.
Ce fut sur les quatre ou cinq heures du soir du mesme jour que se fit [p. 246] cette royale et saincte ceremonie dans la belle chapelle du vieil chasteau de Sainct Germain en Laye, en cet ordre :
Monseigneur le Dauphin vestu, par dessus son habit ordinaire, d’une robbe de taffetas d’argent, marchoit devant la Reyne et la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante, derriere Son Altesse royale. Apres la Reyne suivoient la susnommée Charlote Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, madame Anne de Montafié, comtesse de Soissons, madame Anne de Bourbon, duchesse de Longueville, et les autres princesses et dames de la cour.
La Reyne et monseigneur le Dauphin estans arrivez en cette royale chapelle, dont le chœur et la nef, le jubé et les galeries et tribunes estans remplis de plusieurs seigneurs et dames qui estoient venues pour voir cette auguste ceremonie, la musique du Roy chanta un motet ravissant, pendant lequel, la Reyne s’estant mise de genoux sur son prié Dieu garny de son drap de pied et carreaux de veloux rouge cramoisy à franges d’or, et monseigneur le Dauphin aussi à genoux aupres de Sa Majesté et à sa droite, la princesse de Condé se tenant aussi à genoux à sa gauche, le susnommé evesque de Meaux, vestu de ses habits et ornemens pontificaux, accompagné de quatre aumosniers de Sadite Majesté, en presence de ces six prelats, tous en rochet et camail, monsieur l’evesque et comte de Beauvais, pair de France et premier aumosnier de la Reyne, de la maison de Potier, monsieur l’evesque de Viviers, de l’illustre maison des comtes de Suze ou de la Baume en Dauphiné, monsieur l’evesque de Riés de la maison de Doni assez conneue à Florence et à Avignon, monsieur l’evesque de Sainct Paul de l’illustre maison d’Ademar de Monteil et comtes de Grignan en Provence, monsieur l’evesque de Coutances de la maison de Matignon, et de monsieur l’evesque du Puy de la maison de Maupas ou des barons du Tour en Champagne, et de plusieurs abbez et de tout le clergé de la chapelle du Roy, sortit de la sacristie et, apres avoir adoré le tres sainct sacrement qui estoit exposé sur l’autel orné de tres riches paremens, il s’approcha du prié Dieu de la Reyne, laquelle luy presenta monseigneur le Dauphin, qui fut ensuite eslevé par la marquise de Lansac sur l’appuy ou acoudoir dudit prié Dieu. Puis le cardinal Mazarin, qui avoit accompagné la Reyne depuis son departement jusques à cette chapelle, passa à la main droite de monseigneur le Dauphin et la princesse de Condé de l’autre costé, selon l’ordre observé en l’Eglise entre les parains et maraines, de laquelle dignité il a plu au Roy de les honorer, Sa Majesté leur ayant temoigné de sa propre bouche que c’estoit pour obligé encore plus estroitement le prince de Condé et Son Eminence à son service et à celuy de monseigneur le Dauphin son fils qu’Elle leur faisoit cet honneur, qui est le plus grand qu’eux ny autres pouvoient jamais recevoir.
Alors la Reyne, tenant par derriere mondit seigneur le Dauphin, qui parut beau comme un ange et fit voit en toute cette saincte action une modestie et retenue extraordinaire à ceux de son age, l’evesque [p. 247] de Meaux, qui l’avoit ondoyé comme a esté rapporté cy dessus, ayant salué Sa Majesté la mitre en teste, demanda ausdits parain et maraine le nom que l’on vouloit donner à ce prince. La princesse de Condé, ayant fait grand compliment à Son Eminence, puis une reverence à la Reyne, le nomma Louys, suivant l’intention de Sa Majesté. En suite de quoy l’evesque continua l’office selon le rituel romain, suivant lequel il exorciza, benit le sel et en mit dans la bouche de ce prince, dix neufieme dauphin de Viennois, Louys de France, quatrieme du nom, qui le receut fort pieusement, et avec une humilité qui ravit toute l’assistance en admiration. Puis, la Reyne luy ayant, ainsi qu’il se pratique en telles ceremonies, decouvert la poitrine et les epaules, l’evesque officiant luy appliqua les sainctes huiles des catechumenes, et à toutes les fois que ce prelat luy dit : Ludovice abrenuncias Sathanae, pompis et operibus ejus ?, il repondit luy mesme autant de fois : Abrenuncio, comme aussi aux trois interrogations qu’il luy fit sur sa creance, selon les termes du mesme rituel, il repondit hardiment autant de fois : Credo. Alors l’evesque luy declara qu’il estoit introduit dans l’Eglise, et tant les parain et maraine que ce prelat et tous les assistans reciterent avec Son Altesse royale à haute voix le symbole des apostres et l’oraison dominicale. Puis l’evesque, obmettant l’infusion de l’eau (qui avoit esté faite à ce prince des le jour de sa naissance le dimanche cinquieme de septembre mil six cens trente huit et qui ne se reitere jamais), la Reyne luy decouvrant la teste, l’evesque luy en oignit le sommet avec le sainct cresme. Ce fait, il luy mit sur la teste le cresmeau, recitant aussi les mots du rituel sur ce sujet, et luy presenta le cierge allumé, que Son Altesse prit elle mesme à deux mains et le tint seule durant le reste de la ceremonie. A la fin de laquelle l’evesque officiant monta à l’autel et donna la benediction solennelle, que toute l’assistance receut à genoux, et la musique du Roy chnta encore ensuite le Regina caeli etc. Puis chacun s’en retourna, merveilleusement satisfait d’avoir assisté à cette saincte et auguste ceremonie, laquelle fut fermée par un remerciement que ce prince vint faire jusque dans la sacristie à l’evesque qui l’avoit baptisé.
Ce dix neufieme dauphin Louys de France, quatrieme du nom, par cette action donna des indices de sa future bonté et pieté, et des asseurances que quand Son Altesse royale seroit plus avancée en age, elle suivroit les vertus de tant de roys et de princes ses ancestres, desquels le nom et la mémoire est en benediction pour leur affection, leur respect et leur sainct zele vers l’Eglise, unique espouse du fils unique de Dieu. La premiere action royale que Son Altesse royale fit des le jeudy Sainct le onzieme de ce mesme mois d’avril en la ceremonie de la Cene, lavant les pieds aux pauvres, ne put estre que de bon augure, estant pareillement de pieté, et un presage qu’il imiteroit le Roy son père, qui avoit fait autrefois une pareille action. »

Récit des retrouvailles de Louis XIII et de son frère à Saint-Germain-en-Laye

« Le XXI du mesme mois, Monsieur arriva à Sainct Germain en Laye, entre une et deux heures apres midy, le Roy ayant desjà disné, ne croyant pas (encore que mondit seigneur en eut donné advis à Sa Majesté) qu’il deut arriver de ce jour là, à cause qu’il faisoit un vent tres fascheux. Le sieur de Sainct Simon, premier escuyer de Sa Majesté, l’alla recevoir à la premiere cour, et le Roy sortit de son cabinet pour l’accueillir en sa chambre, accompagné du comte de Soissons, des ducs de Longueville, de Monbazon et de Chaune, des mareschaux de Chastillon, d’Estrées et de Brezé, du garde des sceaux, du sieur de La Meilleraye, grand maistre de l’artillerie, des surintendans des Finances, secretaires d’Estat, capitaines des gardes du corps et autres seigneurs, gentilhommes et personnes de condition, que la curiosité de cette entreveue tant desirée avoit attirés de Paris en si grand nombre que l’escalier et la sale en estant pleins, Monsieur en penetra la presse avec beaucoup de peine en un quart d’heure.
Rencontrant le Roy, qui l’attendoit prez de la porte de sa chambre, il s’inclina fort bas en luy disant ce peu de mots : Monsieur, je ne scay si c’est la crainte ou la joye qui m’a interdit la parole, il m’en reste pourtant encore pour vous demander le pardon du passé. Sa Majesté, le relevant et l’embrassant, luy repartit : Mon frere, ne parlons pas du passé, mais seulement de nous resjouir de ce que Dieu nous a fait la grace de nous reunir ici, dont je sens une grande joye. Et cela dit, ils s’embrasserent encore [p. 698] deux fois avec de grandes tendresses et tesmoignages d’une affection fraternelle. Le sieur de Puylaurens, se jettant aux piés du Roy, pour luy demander aussi pardon du passé, Sa Majesté le releva et luy dit : Que les bons services qu’il luy avoit rendu nagueres en la personne de son frere luy faisoit oublier toutes les autres choses passées.
Apres ces complimens, le Roy mena Monsieur en son cabinet, où les susdits princes, seigneurs et officiers les suyvirent. Ainsi qu’ils s’entretenoient, le cardinal duc arrivant de Ruel y entra, et salua Monsieur, qui l’embrassa et luy tesmoigna beaucoup d’affection, dont Sa Majesté, recevant un singulier contentement, dit à Monsieur : Mon frere, je vous prie d’aymer monsieur le cardinal, et Monsieur respondit : Monsieur, je l’aimeray comme moy mesme et suis resolu d’en suyvre ses conseils. Les autres gentilshommes qui avoient accompagné mondit seigneur furent appellés au cabinet, et par luy presentés pour faire aussi leurs submissions à Sa Majesté, qui les receut tous favorablement.
Ces actions de reconciliation et de joye estoient si agreables à tous les assistans que desjà deux heures s’estoient passés sans ennuy lorsqu’aucuns, considerans que Monsieur n’avoit pas encore disné, luy dirent qu’il estoit bien temps de disner. A quoy il repartit : Il y a quatre ans que je disne tous les jours sans voir le Roy, je ne puis moins faire que de preferer aujourd’huy ce contentement à mon disner. Mais le Roy mesme luy ayant dit qu’il falloit disner, il s’alla mettre à table en la seconde chambre, où il fut servir par les officiers de Sa Majesté.
La Royne estant arrivée de Paris ce mesme jour à Sainct Germain, Monsieur la salua, et tous deux se rendirent de grands tesmoignages d’affection, de contentement et de joye.
Monsieur, estant rentré au cabinet du Roy pour s’entretenir avec Sa Majesté et la trouvant occupée à ouir des ambassadeurs extraordinaires des Suedois et d’Alemagne, passa le retse de l’apres disnée avec les seigneurs de la Cour, qui luy tesmoignerent tous une extreme resjouissance de son retour. Le soir, il soupa à la table de Sa Majesté et s’entretint apres souper avec Elle.
Le lendemain, mondit seigneur fut regalé à Ruel par le cardinal duc, avec autant d’alegresse que de magnificence, qui se termina par un parfait contentement et satisfaction reciproque, ce qui fit esperer aux assistans que cette reconciliation s’affermiroit tousjours de plus en plus, l’un estant lassé de suyvre des mauvais conseils, et l’autre ne pouvant se lasser d’en bonner de bons, pour le bien de l’Estat et pour la gloire de la France.
Mondit seigneur retourna dez le soir mesme à Sainct Germain, pour prendre congé du Roy et s’en aller à son duché d’Orleans. »

Dupleix, Scipion

Récit de l’hommage rendu au roi pour le duché de Bar à Saint-Germain-en-Laye

« Narré de ce qui s’est passé à l’entrée et reception du duc Charles de Lorraine faite par moy comte de Brulon, introducteur des princes estrangers et ambassadeurs, l’an 1641
Aussitost que l’on sceut à la cour que le duc de Lorraine quittoit le party d’Espagne pour se ranger à son devoir et venir trouver le Roy, je fus commandé par Sa Majesté d’aller au devant de luy jusques à La Ferté sous Yerre, avec un maistre d’hostel, deux gentilshommes [p. 810] servans, controlleur general et autres officiers pour le traiter, et luy presenter les carrosses du Roy et de la Reyne pour le conduire. Luy ayant presenté lesdits officiers, et dit comme la France se resjouyssoit de le voir aux bonnes graces du Roy, dont il recevroit des temoignages si grands qu’à la confusion de ses ennemis l’on verroit que le seul moyen de vaincre le Roy estoit de se soumettre à sa bonté. Il me repartit qu’il n’avoit jamais eu repos en son esprit que apres avoir pris la resolution de reparer ses fautes par son sang en servant un prince si bon et si grand, que ses actions serviroient d’exemple à la posterité pour justement et genereusement regner. Ces paroles finies, l’on monta en carrosses pour venir coucher à Meaux, où le presidial et la Maison de ville le vint saluer. Le lendemain, l’on vint disner à Chelles. Puis en arrivant au Bois de Vincennes, le comte de Harcourt le vint trouver avec plusieurs carrosses à six chevaux ; fut conduit à l’hostel d’Espernon, meublé aux depens du Roy. Le lendemain, contre la coustume, qui est que la premiere visite se fait au Roy, fut au logis du cardinal de Richelieu, où la forme de la reception avec le Roy fut conclue. Le lendemain, le duc de Chevreuse et moy le menames trouver le Roy, les gardes suisses en leurs ordres, les suisses du corps du long du degré. Nous le conduisimes en la chambre du Roy, lequel estant dedans sa chaire dans la ruelle de son lict, voyant le duc Charles approcher du balustre, se leva pour l’aller embrasser. Son Altesse au contraire se jetta à genoux devant luy, luy demandant pardon de ses fautes passées. Le Roy, en le relevant, l’embrassa et le voulant approcher de son lict, il se jetta derechef à genoux, luy redemandant encore pardon. Le Roy l’embrassant pour la seconde fois, le retirant vers son lict, et le voulant faire couvrir, iol se jetta pour la troisieme fois à genoux, disant que c’estoit la posture qui luy estoit la mieux seante. Neantmoins, le Roy luy mit son chapeau sur la teste, le prenant par la main, le menant dans son cabinet, où, apres une heure ou deux d’entretien, il me commanda de le mener à la chambre de la Reyne, et de là le mener voir sa famille, c’est-à-dire messeigneurs ses enfans.
Revenant à Paris, il fut en ceremonie visiter ledit cardinal, où il luy ceda la main et la porte. Quelques jours se passerent ensuite à faire le traité, par l’evenement duquel on verra qu’au Roy seul appartient, Parcere subjectis et debellare superbos. Le mardy des feries de Pasques, le Roy prit jout de luy donner à disner, et prester le serment d’entretenir le traité du vingt neufieme mars fait entre le susdit cardinal et Son Altesse, et ratifié par le Roy. Le matin du mesme jour, le Roy s’assist en son lieu et chaire ordinaire, Son Altesse trois places plus bas sur un escabeau pliant, du mesme costé, servy par le controlleur general Parfait. Apres les tables levées, et la visite de la Reyne, je le menay dans la chapelle. Vespres estant dites, l’evesque de Meaux, estant revestu de ses habits pontificaux, apporta le livre des Evangiles au Roy, qui se mettant à genoux dessus son banc, il jura l’observation du traité. Le duc de Lorraine, à genoux à costé sur le tapis du Roy, fit le mesme serment en presence dudit cardinal, [p. 811] du chancelier et de plusieurs princes et seigneurs de la cour. Huit jours apres, les difficultez pour l’hommage de la duché de Bar estans levées, le Roy me commanda de mener ledit sieur de Lorraine dans son cabinet, où il l’attendit sans se mouvoir ny oster son chapeau, ayant le chancelier à costé de luy. Ledit duc de Lorraine, estant en bas dessous, se mit à genoux sur un carreau qui luy estoit preparé, ses mains nues entre celles du Roy, fit hommage lige pour la duché de Bar, avec ses dependances, selon les formes ordinaires pratiquées en semblable occasion. Peu de jours apres, il fit ses adieux au Roy et à la Reyne, et tout le monde, et se retira en son pays, comblé d’honneurs et de biensfaits de Sa Majesté. »

Récit de l’hommage rendu au roi pour le duché de Bar à Saint-Germain-en-Laye

« Relation de ce qui s’est passé en l’hommage rendu au roy Louys XIII par le duc Charles de Lorraine pour le duché de Bar à Saint Germain en Laye au mois d’avril 1641
Le mardi deuxieme avril 1641, le Roy donna ordre au sieur de Chavigny, secretaire d’estat, de proposer au duc Charles de Lorraine de rendre la foy et hommage qu’il estoit tenu de faire à Sa Majesté à cause de son duché de Bar mouvant de sa couronne, suivant le troisieme article qu’il venoit de faire avec Sadite Majesté le 29 mars precedant. Sur quoy ledit duc Cahrles dit audit de Chavigny qu’il estoit prest de rendre la foy et hommage pourveu que l’on adjoustast en la forme de l’acte que l’on luy avoit fait voir qu’il rendoit cette foy et hommage comme avoient fait les ducs de Lorraine ses predecesseurs, ce que Sa Majesté trouva bon. Neantmoins, estans en son cabinet et attendant que ledit duc fust venu pour rendre cette foy et hommage, ainsi qu’il estoit demeuré d’accord, il pria ledit de Chavigny de faire scavoir à monsieur le chancelier qu’il desiroit luy proposer quelques difficultez sur la prestation de ladite foy et hommage, ce qui donna sujet audit chancelier de venir trouver ce duc, qui estoit proche la porte du cabinet du Roy, où estant il luy dit qu’il ne scavoit ce que l’on desiroit de luy, qu’il n’avoit aucune connoissance de la forme de la foy et hommage que ses predecesseurs avoient rendue pour le duché de Bar et qu’il doutoit mesme s’il estoit obligé de la rendre en la forme que l’on proposoit, qu’il avoit ouy dire autresfois à ses officiers que les trois derniers ducs ses predecesseurs n’avoient fait aucune foy et hommage, qu’il avoit en son duché de Bar tous les droicts regaliens et que mesme il pouvoit faire des loix, suivant lesquelles le parlement de Paris estoit obligé de juger en cas d’appel de ses juges, qu’il n’avoit aucune personne de conseil aupres de luy pour prendre resolution de ce qu’il devoit faire sur ces difficultez, neantmoins qu’il estoit prest de rendre obeyssance aux commandemens du Roy et de faire tout ce qu’il luy ordonneroit. Sur quoy le chancelier luy representa que lrosqu’il avoit fait le traité, il avoit proposé les mesmes difficultez et que l’on luy avoit fait voir que les ducs de Lorraine estoient hommes liges du Roy à cause du duché de Bar, mouvant de la couronne de France, que jamais la mouvance n’avoit esté revoquée en doute par les ducs ses predecesseurs, qui en avoient rendu la foy et hommage lige aux roys de France, que si les roys Charles IX et le roy Henry III avoient donné aux ducs ses predecesseurs les droits regaliens, cela ne les exemptoit pas de la foy et hommage, d’autant que [p. 674] par les lettres patentes verifiées à la requeste mesmes des ducs ses predecesseurs, les roys de France se reservent le ressort et la souveraineté et l’hommage lige, et est porté par lesdites lettres que le duc de Lorraine qui estoit lors en avoit fait la foy et hommage ; qu’il estoit vray que les appellations de ses juges ressortissoient aux cas du presidial au bailliage de Sens et autres cas en la cour de parlement, qui juge suivant les coustumes du Barrois qui ont esté verifiées en ladite cour de parlement, que les ducs de Lorraine, comme ducs de Bar, ne pouvoient changer les coustumes ny donner de nouvelles loix à leurs sujets sans verification du parlement, qui estoient des marques asseurées de souveraineté et que, partant, il ne devoit faire aucune difficulté de rendre la foy et hommage lige, ainsi qu’il estoit porté par l’acte qui luy avoit esté presenté ; que les roys d’Angleterre, les ducs de Bretagne, les ducs de Bourgongne, l’archiduc d’Austriche l’avoient rendue autresfois aux roys de France pour les terres qu’ils possedoient mouvantes de la couronne en la mesme forme que l’on desiroit de luy, neantmoins que s’il faisoit quelque difficulté, il representeroit au Roy ce qu’il luy avoit dit pour recevoir sa volonté. Ensuite de quoy ledit chancelier estant venu trouver le Roy et luy ayant fait entendre les difficultez proposées cy dessus par ce duc, Sa Majesté luy commanda de luy faire scavoir qu’Elle ne vouloit point le presser, qu’Elle desiroit qu’il prist du temps pour s’instruire de ses droicts et que l’on luy feroit voir par bons titres l’obligation qu’il avoit de rendre cette foy et hommage lige. Ce qu’ayant esté rapporté par le chancelier audit duc, il dit que la difficulté qu’il avoit proposée n’estoit pas qu’il eut dessein de differer de rendre la foy et hommage, au contraire qu’il estoit prest ainsi qu’il avoit dit de rendre l’obeyssance aux commandemens du Roy et de se jetter à ses pieds, qu’il prioit Sa Majesté de luy accorder cette grace qu’il le fist. Et, de fait, s’estant approché de Sa Majesté, il luy auroit dit que la difficulté qu’il avoit faite n’estoit pas pour differer de rendre la foy et hommage et l’auroit prié par trois et quatre fois, avec grande instance, de luy permettre de la rendre et qu’il vouloit obeyr à ses commandemens. Sur quoy Sa Majesté luy auroit fait reponse qu’Elle avoit resolu de luy donner du temps pour connoistre ses droicts et que dans huit jours il pourroit, estant bien informé, faire la foy et hommage, et que l’on luy feroit voir les actes qui justifient les droicts de sa couronne. Huit jours apres, les difficultez pour l’hommage de ladite duché de Bar estans levées, le Roy commanda au comte de Brullon, un des introducteurs des princes estrangers et ambassadeurs, de mener ledit sieur de Lorraine, lequel l’attendit dans son cabinet, sans se mouvoir ny oster son chapeau, ayant le chancelier à costé de luy. Ce duc estant en bas dessous, se mit à genoux sur un carreau qui luy estoit preparé, et ses mains nues entre celles du Roy, fit hommage lige pour la duché de Bar, avec ses dependances, selon les formes ordinaires pratiquées en semblables occasions. Peu de jours apres, il fit ses adieux, et se retira comblé d’honneurs et de bienfaits de Sa Majesté. »

Récit de la réception de l’électeur palatin à Saint-Germain-en-Laye

« Après la sortie du prince electeur palatin du Bois de Vincennes, arrivée le 21 mars entre sept et huit heures du soir, que le sieur de Chavigny, accompagné entre autres du sieur Windebanck, gentilhomme envoyé expres d’Angleterre au Roy Tres Chrestien sur le sujet de la detention de ce prince, et du sieur Augier, agent en France pour le roy de la Grande Bretagne, fut querir Son Altesse electorale. En attendant que le prince Cazimir de Polongne et l’ambassadeur du Roy son frere fussent sortis de l’hostel des ambassadeurs extraordinaires pour luy faire place, il se vint loger chez l’ambassadeur extraordinaire [p. 808] d’Angleterre le comte de Leycestre, où le samedy trente uniesme de mars le duc de Chevreuse et le comte de Brulon vindrent sur les quatre heures du soir, par ordre de Sa Majesté, prendre ce prince electeur pour le conduire dans le carrosse de Sadite Majesté, suivy de celuy de la Reyne et de quelques autres, audit hostel des ambassadeurs extraordinaires. Des que ledit duc de Chevreuse y eut pris congé de S.A.E. et qu’Elle fut en sa chambre de lict, ledit comte de Brulon luy presenta les sieurs Cressy, maistre d’hostel ordinaire du Roy, Parfait, controlleur, et les gentilshommes servans designez par Sa Majesté pour servir S.A.E. Sur ce compliment, Sadite A.E. pria ledit comte de luy procureur audience de Leurs Majestez. Son A.E. coupa ensuite seule, ainsi qu’elle mangea toujours du depuis, servie avec le baston couronné, la viande portée à sa table par douze suisses de la garde du corps. Entre lesdits officiers du Roy estoient quatre pages, deux de la grande et deux de la petite escurie, et six valets de pied qui servirent S.A.E., et les carrosses du Roy et de la Reyne. Le dimanche premier d’avril, le comte de Brulon alla à Saint Germain pour scavoir le jour auquel Leurs Majestez vouloient luy donner audience, et en revint luy annoncer le mesme soir que lesdites audiences estoient appointées pour le mardy d’apres troisieme avril. Le lundy deuxieme, le sieur de Liancour vint complimenter Sadite A.E. de la part du Roy, et le comte d’Orval de la part de la Reyne. Le lendemain mardy, le duc de Chevreuse et le comte de Brulon se rendirent audit hostel des ambassadeurs extraordinaires sur les neuf heures du matin avec lesdits carrosses de Leurs Majestez pour recevoir ce prince dans celuy du Roy, auquel se mirent aussi quelques seigneurs anglois. Les carrosses de Leurs Majestez furent suivis de dix carrosses à six chevaux, remplis la pluspart de noblesse angloise, et en partie des gentilshommes de S.A.E. et de quelques gentilshommes alemans. Sadite A.E. arriva sur les onze heures au vieux chasteau de Sainct Germain, où toutes les gardes estoient en haye le tambour battant, comme elles estoient aussi à son depart. A sa descente de carrosse, elle fut conduite en la chambre de Monsieur, frere du Roy, d’où peu apres Elle fut menée par lesdits duc de Chevreuse et comte de Brulon vers la chambre du Roy. Le comte de Charraut, gouverneur de Calais et capitaine des gardes du corps, le receut à la première salle, où les gardes estoient semblablement en haye. Sa Majesté l’attendoit en la ruelle de son lict, mettant le chapeau à la main, puis l’ayant tiré dans ladite ruelle se couvrit, ce que fit aussi S.A.E. Leurs complimens furent courts, car le Roy le conduisit dans son cabinet, où n’entrerent que les principaux de la suite de S.A.E. Sa Majesté l’entretint tres amiablement. Cependant, on mit la nappe en la chambre du Roy, ce qu’estant fait le maistre d’hostel ordinaire entra audit cabinet pour advertir Sa Majesté que le disner estoit prest, qui prit Son A.E. par la main et la mena dans sadite chambre de lict, où la table estoit couverte. Sadite A.E. y presenta la serviette à Sa Majesté, laquelle [p. 809] luy fit ensuite signe de laver et de s’asseoir sur le tabouret qui luy estoit preparé. Elle lava les mains et s’assit à costé gauche au dessous du Roy, avec distance d’environ deux ou trois couverts entre deux. Son A.E. fut servie en mesme temps et de mesmes viandes que Sa Majesté, qui à l’issue du disner mena derechef Sadite A.E. dans son cabinet où, apres s’estre entretenus quelque temps, Son A.E. prit congé du Roy, et retourna en la chambre de Monsieur, attendant qu’il put voir la Reyne, qui peu apres l’envoya querir. Lors lesdits duc et comte le conduisirent vers elle, les gardes estoient pareillement en haye. Il fit une profonde reverence à Sa Majesté, et apres luy avoir fait ses complimens, on luy presenta le tabouret sur lequel il s’assit. Son A.E. se tint toujours decouvert devant elle, par respect envers Sa Majesté, et les dames qui estoient aupres d’elle, entre lesquelles estoient Madamoiselle, madame la comtesse de Soissons et madamoiselle de Longueville, qui s’assirent aussi apres que la Reyne et Sadite A.E. furent assis. L’entretien y dura environ une demie heure. Apres lequel Sadite A.E. alla saluer monseigneur le Dauphin, d’où au sortir de sa chambre elle rentra en carrosse avec les susdits duc et comte, et s’en vint à Ruel pour voir le cardinal de Richelieu. »

Récit de la naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« L’heureuse naissance de monseigneur le Dauphin, à present le roy Louis XIV, fils du feu roy Louis XIII et d’Anne d’Austriche, regente en France, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, le dimanche 5 septembre mil six cens trente huict, sur les unze heures du matin
[…]
[p. 211] Si le dernier siecle a attribué à la sage conduite de fernel, premier medecin de Henry II, ce que Catherine de Medicis eut des enfans apres avoir esté dix ans sterile, on ne peut en ce rencontre obmettre la benediction que Dieu a voulu estendre sur les soins des medecins de Leurs Majestez, qui ont porté leur santé jusqu’au poinct de rendre la France si heureuse par cette tant illustre et desirée naissance, et d’autant plus merveilleuse qu’aucune des autres n’est arrivée apres une patience de tant d’années, comme si Dieu eust reservé à ce siecle un concours de tous ces precedés miracles.
Cette heureuse grossesse a esté miraculeusement predite à la Reyne peu auparavant qu’elle avint, et elle avoit esté tellement exempte des fascheux symptomes qui accompagnent les autres en cet estat que l’on avoit par là matiere d’en douter jusques au mouvement, et depuis iceluy Sa Majesté et son fruict se porterent si bien que, decouvrans l’imposture de ceux qui se pensoient signaler par la prediction du jour de cette delivrance, et verifians au contraire ce que dit Hippocrate des plus vigoureux enfans, cettuy cy entra bien avant en son dixiesme mois. Ainsi l’antiquité figuroit les heros, ou demy dieux, toujours plus longtemps que les autres dans le ventre de leur mere. Donc de Dauphin, à present Roy, en est finalement sorty, et la Reyne, apres un travail de quelques heures, accoucha le cinquiesme septembre, peu avant midy, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, d’un prince que sa beauté et proportion accomplie de toutes les parties de son corps rendit des lors par moins aymable que cette masle vigueur [p. 212] qui luisoit desjà au travers de ses membres enfantins, promettoit de trophées. Ce celebre accouchement se fit en presence des princesses et dames de la cour, accourues en foule pour avoir part à cette extreme joye, que quatre dauphins argentez d’un grand obelisque planté devant le vieil chasteau de Sainct Germain ayderent à epandre dans le peuple avec le vin qu’ils verserent tout le soir, et continuerent le reste de la nuict en grande abondance.
A l’instant toute la ville de Paris s’appresta à en temoigner sa joye par des actions de graces solennelles à Doeu dans ses eglises, par un concours des peuples qui y fourmillent et s’entr’annonçoient cette bonne nouvelle, par des feux de joye allumez dans les rues, accompagnez des cris de Vive le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, et par une agreable bigarure de lumieres des fenestres innombrables de ce petit monde, le bruit redoublé de quarante canons et de trois cents boettes de l’arsenal ayant devancé cette magnificence et annoncé à l’univers cette naissance.
Particularitez de la susdite naissance de monseigneur le Dauphin et de ce qui se passa ensuite à Sainct Germain et à Paris
Ce n’est pas assez d’avoit dit en gros et avec peu de circonstances que la Reyne est accouchée d’un Dauphin, une des meilleures et plus agreables nouvelles qui se puissent gueres donner au public, mais encore qu’une familiere narration des circonstances de ce qui s’y est passé de plus remarquable doive sembler à quelques uns indigne de la majesté de ce benefice inenarrable du ciel, il faut mieux le rendre intelligible par un discours accommodé au vulgaire que par une reverence injurieuse au public, le laisser ensevely dans l’oubly du temps qui n’enveloppe souvent pas moins la verité qu’il la decouvre. Doncque pour y satisfaire, une année auparavant un religieux avoit adverty la Reyne qu’elle devoit accoucher d’un fils, asseurant en avoir eu la revelation ; et pour ce que les souhaits de toute la France ne tendoient que là, les premiers signes qui ont coustume d’accompagner la grossesse des femmes ne parurent pas plustost en la Reyne qu’un chacun le crut aisement : ce ne furent plus des lors que neufvaines, voyages et vœux, particulierement à la Vierge et à Saincte Anne, par l’intercession desquelles on a cru cette grossesse avoir esté impetrée du Ciel. On vit ensuite toute la France humiliée devant Dieu pour luy demander par ses pieres de quarante heures et autres devotions sans nombre la conservation de ce fruict royal : cependant qu’il estoit au ventre maternel, tous, ou par le desir qu’ils en avoient, ou par les signes naturels, ou autrement, ont tousjours predit que ce seroit un fils ; mais peu de personnes se sont rencontrées de mesme advis touchant le terme de l’accouchement, aucuns ayant asseuré que ce seroit au vingt deuxieme, autres au vingt cinqieme aoust, jour de sainct Louys. On tient que celuy qui en approcha le plus estoit un certain vacher nommé [p. 213] Pierre Roger, du village de Saincte Geneviesve des Bois proche Paris, lequel, tesmoignant d’ailleurs une simplicité et une ignorance fort grossiere, avoit dit que la Reyne accoucheroit le samedy quatriesme de septembre, et ce fut le dimanche cinquiesme. Ce qui donna lieu aux uns d’approuver son progonostic, soustenans que les predictions qui viennent de Dieu ne sont pas si precises que celles des mathematiciens qui designent les oppositions et autres aspects des corps celestres mille ans avant le mesme poinct auquel elles arrivent, et les autres que la difference des choses miraculeuses d’avec les naturelles se reconnoist principalement en ce que les premieres sont parfaites et exactes, les autres non, le seul poinct et moment prefix auquel arrive la chose predite estans celuy qui peut faire distinguer la prophetie de l’imposture, auquel point mesme le hazard peut faire arriver, comme un mauvais archer peut donne une fois dans le blanc. De quoy on laisse la decision à d’autres, pour dire que ce dimanche cinquiesme dudit mois de septembre, sur les deux à trois heures du matin, la Reyne commença de sentir les vrais signes du travail d’enfant, ce qu’elle en avoit eu sur les unze heures du soir precedent s’estant aussitost passé. Elle voulut que l’evesque de Lisieux dit la messe dans sa chambre sur les quatre heures du matin, et comme par son commandement le sieur Seguier, evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, se disposoit à en dire une autre, les douleurs s’augmentans, on alla avertir le Roy, lequel la vint voir. Mais, prenant le soin de la santé du Roy, qu’elle scavoit avoir lors besoin d’aller prendre son repas, l’en pressa tant que Sa Majesté s’y en alla. Enfin, c’estoit sur les unze heures du matin, le Roy ne venoit que de se mettre à table, n’y ayant pas un quart d’heure qu’il avoit quitté la Reyne, lorsqu’on luy vint dire qu’elle accouchoit. Il y court. Des l’entrée, la marquise de Senecey, dame d’honneur de la Reine, dit à Sa Majesté que la Reyne estoit accouchée d’un Dauphin, et la dame Peronne, sage femme qui l’avoit assistée à son travail, par le conseil des medecins et chirurgiens de Leurs Majestez, et plus experimentez en telles affaires, le fit voir au Roy, et luy fit remarquer sa beauté et grandeur extraordinaire. A l’instant chacun cria : C’est un Daufin, c’est un Daufin, et cette parole se porta aussi viste qu’un esclair par toute la cour et par tout Sainct Germain, d’où mille messagers, avec charge et sans charge, l’espandirent si promptement au loing que, bien que cette heureuse naissance ne fut arrivée, comme a esté dit, que sur les unze heures et un quart avant midy du cinquiesme de ce mois de septembre 1638, un courrier arrivé à Paris le septiesme ensuivant asseura en avoir appris la nouvelle à soixante lieues au loing.
Le Roy, voulant aussitost rapporter toutes ces faveurs et benedictions au ciel, mit les genoux en terre et remercia Dieu de cette cy. Les eglises de Saint Germain et des peres recollets estoient encor remplies de seigneurs et dames qui estoient allées, la pluspart avant le jour, communier et faire leurs autres devotions pour les mesme sujet, lorsqu’ils y apprirent l’agreable nouvelle de cet heureux accouchement, [p. 214] qui se fit en presence de Monsieur, frere unique du Roy, duc d’Orleans, lequel temoigna à l’instant à Sa Majesté le contentement qu’il en recevoit, comme Sa Majesté luy confirma aussi de sa part toutes les asseurances d’une affection cordiale. Mesdames les princesses de Condé, comtesse de Soissons, duchesse de Vendosme, connestable de Montmorency, duchesse de Bouillon La Mark et autres de grande condition y estoient aussi presentes, outre les dames de Senecey, de La Flotte et autres de la Maison de la Reyne, dans la chambre et à la veue de laquelle ce tant souhaité Dauphin fut ondoyé par ledit sieur Seguier, son premier aumosnier, et fut fait participant de toutes les ceremonies et magnificences qui s’observent à l’imposition du nom. Où assisterent le Roy, Monsieur son frere, le chancelier de France arrivé peu apres l’accouchement, plusieurs autres seigneurs et dames qui y accouroient en foule, comme à la veue d’un miracle, le Roy ayant fait entrer dans la chambre de la Reyne tous ceux qui estoient dans l’antichambre pour les rendre participans de cette joye, laquelle fit allumer des feux en plusieurs endroits de Sainct Germain. Les daufins de la fontaine de vin y continuoient cependant à le jetter depuis le matin, avec tel abord de peuple que quelque desordre y estant survenu obligea d’y mettre des gardes ; laquelle magnificence plusieurs partiucliers imiterent depuis à Paris, tel en ayant fait pleuvoir de son toict.
A une heure apres midy, le Roy alla faire chanter le Te Deum dans la chapelle du vieil chasteau, accompagné des Cent Suisses de sa garde, et suivy de Monsieur, du chancelier de France, des ducs de Montbazon et d’Uzez, des sieurs de Liencour, de Mortemar, de Souvré et du comte de Tresmes, et en un mot de toute la cour, qui estoit si grosse toute cette semaine qu’il estoit mal aisé de trouver giste à Saint Germain, encor qu’il y eust des gardes aux principales avenues qui n’en permettoient l’abord qu’aux personnes qui ne venoient point de lieu suspect de maladie. Le mesme evesque de Meaux y officia, vestu pontificalement, en presence de l’archevesque de Bourges l’ancien, des evesques de Lisieux, de Beauvais, de Dardanie et de Chaalons, ayant chacun le rochet et le camail, et de toute la chapelle du Roy, laquelle y fit merveille. Puis monseigneur le Daufnin, ayant esté alaité par la damoiselle de La Giraudiere, sa nourrice, les gardes en haye, fut porté en son appartement meublé de damas blanc, et mis entre les mains de la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante. Sa Majesté en ayant aussi envoyé donner avis à la ville de Paris par le sieur de Perrey Bailleul, maistre d’hostel ordinaire de sa Maison, le corps de ville en fit faire des le jour mesme un feu de joye à la Greve, et le lendemain un autre, des plus beaux qui s’y soit gueres veu. Le sieur de Laffemas, lors lieutenant civil, donna les ordres que les bourgeois en temoignassent aussi leur ressentiment par les feux de joye allumez dans les rues et par des lumieres aux fenestres, à quoy les Parisiens se porterent avec tant d’ardeur qu’au lieu d’un jour ils en continuerent trois ou quatre tout de suite. Le sieur [p. 215] du Tremblay, gouverneur de la Bastille, et le sieur de Sainctoust, commandant dans l’Arsenal en l’absence du grand maistre de l’Artillerie de France, y tinrent hautement leur partie, par un concert de boetes et canons qui firent part à tout le pais d’autour cette agreable nouvelle.
Il n’y eut maison religieuse qui n’ornast ses murailles de chandelles. Les jesuites, outre pres de mille flambeaux dont ils tapisserent leurs murs les 5 et 6, firent le septiesme dudit mois de septembre un ingenieux feu d’artifice dans leur cour, qu’un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumieres qui eclairoient un balet, et comedie sur le mesme sujet, representez par leurs escoliers. Les feuillans de la reue Neuve Saint Honoré firent le septiesme une aumosne generale de pain et de vin, emplissant les vaisseaux de tous les pauvres qui se presentrent, et apres une procession par eux faite chacun le cierge à la main, furent brusler un chasteau d’artifices, chantans le Te Deum au son des trompettes entremeslées du carillon de leurs cloches. Les bourgeois de la place Dauphine, ayant à leur teste des hautsboits et musettes conduits par Destouches, l’un d’eux, firent des resjouissances dignes du nom de leur place. Le Te Deum en fut aussi solemnellement chanté le sixiesme dans l’eglise Nostre Dame, et tous les religieux avec les parroisses firent lors des processions, où l’archevesque de Paris assista avec tout son clergé, accompagné des prevost des marchands et eschevins. Le parlement, chambre des comptes et autres cours allerent ensuite rendre leurs complimens au Roy et à monseigneur le Dauphin. Le huictiesme du mesme mois, l’evesque de Metz fit faire la procession generale dans le fauxbourg Saint Germain, dont il est abbé, et dont toutes les rues estoient tapissées. Bref, tout conspira unanimement à rendre graces à Dieu pour un si grand bien. Aussi, la maxime estant veritable que les choses se conservent par les moyens qui les ont produites : puisque ce Dauphin avoit esté obtenu par les vœux et prieres de tous les bons françois, c’estoit pas les mesmes prieres qu’il leur devoit estre conservé. »

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