Affichage de 180 résultats

Description archivistique
Corpus numérique sur l'histoire du château et des jardins de Saint-Germain-en-Laye Château-Neuf
Aperçu avant impression Affichage :

51 résultats avec objets numériques Afficher les résultats avec des objets numériques

Récit de la naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« L’heureuse naissance de monseigneur le Dauphin, à present le roy Louis XIV, fils du feu roy Louis XIII et d’Anne d’Austriche, regente en France, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, le dimanche 5 septembre mil six cens trente huict, sur les unze heures du matin
[…]
[p. 211] Si le dernier siecle a attribué à la sage conduite de fernel, premier medecin de Henry II, ce que Catherine de Medicis eut des enfans apres avoir esté dix ans sterile, on ne peut en ce rencontre obmettre la benediction que Dieu a voulu estendre sur les soins des medecins de Leurs Majestez, qui ont porté leur santé jusqu’au poinct de rendre la France si heureuse par cette tant illustre et desirée naissance, et d’autant plus merveilleuse qu’aucune des autres n’est arrivée apres une patience de tant d’années, comme si Dieu eust reservé à ce siecle un concours de tous ces precedés miracles.
Cette heureuse grossesse a esté miraculeusement predite à la Reyne peu auparavant qu’elle avint, et elle avoit esté tellement exempte des fascheux symptomes qui accompagnent les autres en cet estat que l’on avoit par là matiere d’en douter jusques au mouvement, et depuis iceluy Sa Majesté et son fruict se porterent si bien que, decouvrans l’imposture de ceux qui se pensoient signaler par la prediction du jour de cette delivrance, et verifians au contraire ce que dit Hippocrate des plus vigoureux enfans, cettuy cy entra bien avant en son dixiesme mois. Ainsi l’antiquité figuroit les heros, ou demy dieux, toujours plus longtemps que les autres dans le ventre de leur mere. Donc de Dauphin, à present Roy, en est finalement sorty, et la Reyne, apres un travail de quelques heures, accoucha le cinquiesme septembre, peu avant midy, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, d’un prince que sa beauté et proportion accomplie de toutes les parties de son corps rendit des lors par moins aymable que cette masle vigueur [p. 212] qui luisoit desjà au travers de ses membres enfantins, promettoit de trophées. Ce celebre accouchement se fit en presence des princesses et dames de la cour, accourues en foule pour avoir part à cette extreme joye, que quatre dauphins argentez d’un grand obelisque planté devant le vieil chasteau de Sainct Germain ayderent à epandre dans le peuple avec le vin qu’ils verserent tout le soir, et continuerent le reste de la nuict en grande abondance.
A l’instant toute la ville de Paris s’appresta à en temoigner sa joye par des actions de graces solennelles à Doeu dans ses eglises, par un concours des peuples qui y fourmillent et s’entr’annonçoient cette bonne nouvelle, par des feux de joye allumez dans les rues, accompagnez des cris de Vive le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, et par une agreable bigarure de lumieres des fenestres innombrables de ce petit monde, le bruit redoublé de quarante canons et de trois cents boettes de l’arsenal ayant devancé cette magnificence et annoncé à l’univers cette naissance.
Particularitez de la susdite naissance de monseigneur le Dauphin et de ce qui se passa ensuite à Sainct Germain et à Paris
Ce n’est pas assez d’avoit dit en gros et avec peu de circonstances que la Reyne est accouchée d’un Dauphin, une des meilleures et plus agreables nouvelles qui se puissent gueres donner au public, mais encore qu’une familiere narration des circonstances de ce qui s’y est passé de plus remarquable doive sembler à quelques uns indigne de la majesté de ce benefice inenarrable du ciel, il faut mieux le rendre intelligible par un discours accommodé au vulgaire que par une reverence injurieuse au public, le laisser ensevely dans l’oubly du temps qui n’enveloppe souvent pas moins la verité qu’il la decouvre. Doncque pour y satisfaire, une année auparavant un religieux avoit adverty la Reyne qu’elle devoit accoucher d’un fils, asseurant en avoir eu la revelation ; et pour ce que les souhaits de toute la France ne tendoient que là, les premiers signes qui ont coustume d’accompagner la grossesse des femmes ne parurent pas plustost en la Reyne qu’un chacun le crut aisement : ce ne furent plus des lors que neufvaines, voyages et vœux, particulierement à la Vierge et à Saincte Anne, par l’intercession desquelles on a cru cette grossesse avoir esté impetrée du Ciel. On vit ensuite toute la France humiliée devant Dieu pour luy demander par ses pieres de quarante heures et autres devotions sans nombre la conservation de ce fruict royal : cependant qu’il estoit au ventre maternel, tous, ou par le desir qu’ils en avoient, ou par les signes naturels, ou autrement, ont tousjours predit que ce seroit un fils ; mais peu de personnes se sont rencontrées de mesme advis touchant le terme de l’accouchement, aucuns ayant asseuré que ce seroit au vingt deuxieme, autres au vingt cinqieme aoust, jour de sainct Louys. On tient que celuy qui en approcha le plus estoit un certain vacher nommé [p. 213] Pierre Roger, du village de Saincte Geneviesve des Bois proche Paris, lequel, tesmoignant d’ailleurs une simplicité et une ignorance fort grossiere, avoit dit que la Reyne accoucheroit le samedy quatriesme de septembre, et ce fut le dimanche cinquiesme. Ce qui donna lieu aux uns d’approuver son progonostic, soustenans que les predictions qui viennent de Dieu ne sont pas si precises que celles des mathematiciens qui designent les oppositions et autres aspects des corps celestres mille ans avant le mesme poinct auquel elles arrivent, et les autres que la difference des choses miraculeuses d’avec les naturelles se reconnoist principalement en ce que les premieres sont parfaites et exactes, les autres non, le seul poinct et moment prefix auquel arrive la chose predite estans celuy qui peut faire distinguer la prophetie de l’imposture, auquel point mesme le hazard peut faire arriver, comme un mauvais archer peut donne une fois dans le blanc. De quoy on laisse la decision à d’autres, pour dire que ce dimanche cinquiesme dudit mois de septembre, sur les deux à trois heures du matin, la Reyne commença de sentir les vrais signes du travail d’enfant, ce qu’elle en avoit eu sur les unze heures du soir precedent s’estant aussitost passé. Elle voulut que l’evesque de Lisieux dit la messe dans sa chambre sur les quatre heures du matin, et comme par son commandement le sieur Seguier, evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, se disposoit à en dire une autre, les douleurs s’augmentans, on alla avertir le Roy, lequel la vint voir. Mais, prenant le soin de la santé du Roy, qu’elle scavoit avoir lors besoin d’aller prendre son repas, l’en pressa tant que Sa Majesté s’y en alla. Enfin, c’estoit sur les unze heures du matin, le Roy ne venoit que de se mettre à table, n’y ayant pas un quart d’heure qu’il avoit quitté la Reyne, lorsqu’on luy vint dire qu’elle accouchoit. Il y court. Des l’entrée, la marquise de Senecey, dame d’honneur de la Reine, dit à Sa Majesté que la Reyne estoit accouchée d’un Dauphin, et la dame Peronne, sage femme qui l’avoit assistée à son travail, par le conseil des medecins et chirurgiens de Leurs Majestez, et plus experimentez en telles affaires, le fit voir au Roy, et luy fit remarquer sa beauté et grandeur extraordinaire. A l’instant chacun cria : C’est un Daufin, c’est un Daufin, et cette parole se porta aussi viste qu’un esclair par toute la cour et par tout Sainct Germain, d’où mille messagers, avec charge et sans charge, l’espandirent si promptement au loing que, bien que cette heureuse naissance ne fut arrivée, comme a esté dit, que sur les unze heures et un quart avant midy du cinquiesme de ce mois de septembre 1638, un courrier arrivé à Paris le septiesme ensuivant asseura en avoir appris la nouvelle à soixante lieues au loing.
Le Roy, voulant aussitost rapporter toutes ces faveurs et benedictions au ciel, mit les genoux en terre et remercia Dieu de cette cy. Les eglises de Saint Germain et des peres recollets estoient encor remplies de seigneurs et dames qui estoient allées, la pluspart avant le jour, communier et faire leurs autres devotions pour les mesme sujet, lorsqu’ils y apprirent l’agreable nouvelle de cet heureux accouchement, [p. 214] qui se fit en presence de Monsieur, frere unique du Roy, duc d’Orleans, lequel temoigna à l’instant à Sa Majesté le contentement qu’il en recevoit, comme Sa Majesté luy confirma aussi de sa part toutes les asseurances d’une affection cordiale. Mesdames les princesses de Condé, comtesse de Soissons, duchesse de Vendosme, connestable de Montmorency, duchesse de Bouillon La Mark et autres de grande condition y estoient aussi presentes, outre les dames de Senecey, de La Flotte et autres de la Maison de la Reyne, dans la chambre et à la veue de laquelle ce tant souhaité Dauphin fut ondoyé par ledit sieur Seguier, son premier aumosnier, et fut fait participant de toutes les ceremonies et magnificences qui s’observent à l’imposition du nom. Où assisterent le Roy, Monsieur son frere, le chancelier de France arrivé peu apres l’accouchement, plusieurs autres seigneurs et dames qui y accouroient en foule, comme à la veue d’un miracle, le Roy ayant fait entrer dans la chambre de la Reyne tous ceux qui estoient dans l’antichambre pour les rendre participans de cette joye, laquelle fit allumer des feux en plusieurs endroits de Sainct Germain. Les daufins de la fontaine de vin y continuoient cependant à le jetter depuis le matin, avec tel abord de peuple que quelque desordre y estant survenu obligea d’y mettre des gardes ; laquelle magnificence plusieurs partiucliers imiterent depuis à Paris, tel en ayant fait pleuvoir de son toict.
A une heure apres midy, le Roy alla faire chanter le Te Deum dans la chapelle du vieil chasteau, accompagné des Cent Suisses de sa garde, et suivy de Monsieur, du chancelier de France, des ducs de Montbazon et d’Uzez, des sieurs de Liencour, de Mortemar, de Souvré et du comte de Tresmes, et en un mot de toute la cour, qui estoit si grosse toute cette semaine qu’il estoit mal aisé de trouver giste à Saint Germain, encor qu’il y eust des gardes aux principales avenues qui n’en permettoient l’abord qu’aux personnes qui ne venoient point de lieu suspect de maladie. Le mesme evesque de Meaux y officia, vestu pontificalement, en presence de l’archevesque de Bourges l’ancien, des evesques de Lisieux, de Beauvais, de Dardanie et de Chaalons, ayant chacun le rochet et le camail, et de toute la chapelle du Roy, laquelle y fit merveille. Puis monseigneur le Daufnin, ayant esté alaité par la damoiselle de La Giraudiere, sa nourrice, les gardes en haye, fut porté en son appartement meublé de damas blanc, et mis entre les mains de la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante. Sa Majesté en ayant aussi envoyé donner avis à la ville de Paris par le sieur de Perrey Bailleul, maistre d’hostel ordinaire de sa Maison, le corps de ville en fit faire des le jour mesme un feu de joye à la Greve, et le lendemain un autre, des plus beaux qui s’y soit gueres veu. Le sieur de Laffemas, lors lieutenant civil, donna les ordres que les bourgeois en temoignassent aussi leur ressentiment par les feux de joye allumez dans les rues et par des lumieres aux fenestres, à quoy les Parisiens se porterent avec tant d’ardeur qu’au lieu d’un jour ils en continuerent trois ou quatre tout de suite. Le sieur [p. 215] du Tremblay, gouverneur de la Bastille, et le sieur de Sainctoust, commandant dans l’Arsenal en l’absence du grand maistre de l’Artillerie de France, y tinrent hautement leur partie, par un concert de boetes et canons qui firent part à tout le pais d’autour cette agreable nouvelle.
Il n’y eut maison religieuse qui n’ornast ses murailles de chandelles. Les jesuites, outre pres de mille flambeaux dont ils tapisserent leurs murs les 5 et 6, firent le septiesme dudit mois de septembre un ingenieux feu d’artifice dans leur cour, qu’un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumieres qui eclairoient un balet, et comedie sur le mesme sujet, representez par leurs escoliers. Les feuillans de la reue Neuve Saint Honoré firent le septiesme une aumosne generale de pain et de vin, emplissant les vaisseaux de tous les pauvres qui se presentrent, et apres une procession par eux faite chacun le cierge à la main, furent brusler un chasteau d’artifices, chantans le Te Deum au son des trompettes entremeslées du carillon de leurs cloches. Les bourgeois de la place Dauphine, ayant à leur teste des hautsboits et musettes conduits par Destouches, l’un d’eux, firent des resjouissances dignes du nom de leur place. Le Te Deum en fut aussi solemnellement chanté le sixiesme dans l’eglise Nostre Dame, et tous les religieux avec les parroisses firent lors des processions, où l’archevesque de Paris assista avec tout son clergé, accompagné des prevost des marchands et eschevins. Le parlement, chambre des comptes et autres cours allerent ensuite rendre leurs complimens au Roy et à monseigneur le Dauphin. Le huictiesme du mesme mois, l’evesque de Metz fit faire la procession generale dans le fauxbourg Saint Germain, dont il est abbé, et dont toutes les rues estoient tapissées. Bref, tout conspira unanimement à rendre graces à Dieu pour un si grand bien. Aussi, la maxime estant veritable que les choses se conservent par les moyens qui les ont produites : puisque ce Dauphin avoit esté obtenu par les vœux et prieres de tous les bons françois, c’estoit pas les mesmes prieres qu’il leur devoit estre conservé. »

Récit par le comte de Brulon d’audiences accordées par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Ce premier memoire qui suit est du comte de Brulon
Le vingtieme fevrier mil six cens trente quatre, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, alla prendre à son logis le sieur de Loustorieres, resident de l’Empereur, pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, puis le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, des princesses du sang et du cardinal de Richelieu.
[…]
[p. 774] Le vingt deuxieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et grand nombre de noblesse et d’autres carrosses, furent au devant du sieur Boloneti, evesque d’Ascoly et envoyé nonce du pape, à Venvre, proche le village d’Icy, où, apres avoir receu les complimens de la part de Sa Majesté, il entra dans le carrosse du Roy avec cinq evesques, le comte d’Alais et le comte de Brulon, et fut conduit en son logis. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré, premier gentilhomme de la chambre, et de la part de la Reyne par son premier maistre d’hostel. Le vingt cinquieme du mesme mois, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre à son logis le cardinal de Bichy puis ledit nonce pour les accompagner à Saint Germain, à la descente, où le Roy leur donna à disner, et apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez au neuf chasteau. Devant qu’entrer, ils rencontrerent les gardes sous les armes, c’est ascavoir les gardes du grand prevost, les suisses et gardes du corps. Et ainsi le cardinal Bichy, en presentant le nonce, son successeur, prit congé du Roy en ceremonie, puis ils virent le cardinal de Richelieu qui, ayant sceu que ledit cardinal Bichy et le nonce estoient en habits decents, les receut aussi de mesme. Le cardinal Bichy prit pourtant encore une autre fois congé du Roy et de la Reyne et dudit cardinal de Richelieu, sans ceremonie, et en particulier.
Le vingt sixieme juin mil six cens trente quatre, le Roy estant à Sainct Germain, le mareschal de Chastillon, le comte de Brulon, avec [p. 775] les carrosses du Roy et de la Reyne furent à Sainct Denys au devant des sieurs Pau et Knuith, ambassadeurs des Estats d’Holande, qu’ils amenerent à l’hostel des ambassadeurs, qui estoit meublé pour eux, et où ils furent traités par present jusques à un jour apres leur audience. Et le vingt neufieme, furent conduits à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne par le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, à la descente, où le Roy leur donna à disner. Apres furent conduits à l’audience de Leurs Majestez puis des princes et princesses, dudit cardinal de Richelieu et autres ministres.
[…]
[p. 776] Le seizieme octobre mil six cens trente quatre, les sieurs Lofler et Streuf, le premier ambassadeur extraordinaire de la couronne de Suede, et l’autre des quatre Cercles d’Alemagne, estans arrivez à Paris, le Roy estant à Sainct Germain, n’ayant pas accepté le logis du Roy, il leur fut envoyé des vivres chez eux de la part de Sa Majesté, tout le temps de leur sejour en ladite ville, qui fut d’un mois. Deux jours apres, le marquis de Mortemar les alla visiter de la part de Sa Majesté, et le vingt unième le comte de Harcour et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les conduisirent à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que Sa Majesté leur eut donné à disner, ils furent conduits à son audience, puis aussitost par les mesmes chez monsieur le duc d’Orleans dans sa chambre, lequel estoit retourné le mesme jour, et ne veirent point la Reyne. Le quatrieme novembre ensuivant, ils furent prendre congé du Roy en la mesme façon à Sainct Germain, et visiterent aussi ledit cardinal de Richelieu. Puis il leur fut porté de la part du Roy à chacun une chaisne d’or avec sa medaille, de deux mille ecus.
Le vingtieme octobre mil six cens trente quatre, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Sainct Denys au devant du sieur Contarini, ambassadeur ordinaire de Venise, qui venoit en la place du sieur Sorenzo, son predecesseur, et le conduisirent à son logis derriere les Minimes, où le lendemain le marquis de Mortemar le furent visiter de la part du Roy. Et le vingt quatrieme, le mareschal de Chastillon et Bautru, avec des carrosses du Roy et de la Reyne, furent prendre en leurs logis lesdits Sorenzo et Contarini pour les conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes et, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils furent conduits à l’audience de Leurs Majestez, dont le premier prenoit congé en presentant son successeur le dernier. Puis ils veirent les princesses et le cardinal de Richelieu. Il fut presenté audit Sorenzo un service [p. 777] de vaisselle d’argent de deux mille écus, et à son secrétaire une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de douze cens livres, et une boette de diamans de mille ecus au sieur Contarin, de present extraordinaire. Le vingt septieme janvier mil six cens trente huit, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon le conduisirent à Saint Germain avec le sieur Cornaro son successeur, qu’il presenta au Roy pour resider aupres de luy, en prenant congé en la mesme façon que dessus. Quelques jours apres, le Roy luy ayant fait demander s’il vouloit estre fait chevalier, comme il se doit par le secretaire d’Estat des Affaires etrangeres lorsque c’est la premiere ambassade qu’ils font vers les testes couronnées, il eut une audience particuliere, encore sans ceremonie, dans le cabinet du Roy à Sainct Germain, y conduit par le comte de Brulon, où le Roy luy ayant encore demandé s’il vouloit estre chevalier, on luy jetta un carreau preparé par le premier valet de garderobbe qui estoit lors, nommé Picot. Estant à genoux, le Roy tira son epée et le fit chevalier de l’accolade, et luy donna en mesme temps une epée et un baudrier. Le comte de Brulon luy porta un buffet de vaisselle d’argent doré de deux mille ecus, une boette de diamans de mil pour present extraordinaire, et au secretaire de l’ambassade, le sieur Alberty, une chaisne de douze cens livres.
Le trentieme octobre mil six cens trente quatre, le milord Fildin, ambassadeur extraordinaire d’Angleterre, arriva à Paris avec sa femme, le Roy estant à Sainct Germain. Il y eut ordre de meubler l’hostel de Schomberg, l’hostel des Ambassadeurs extraordinaires estant occupé, mais ne l’ayant voulu accepter pour le peu de temps qu’il avoit à sejourner, il fut traité par present pendant qu’il demeura à Paris. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par le comte de Nancé, et, le deuxieme jour de novembre, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre pour le conduire à Sainct Germain où, arrivans, les gardes prirent les armes. Et apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Leurs Majestez, qu’il ne veid que cette fois. La Reyne envoya aussi un carrosse à sa femme, et arrivant à Sainct Germain, la marquise de Senecé la vint recevoir de la part de la Reyne au bas de l’escalier, et la conduisit dans une chambre, où elle disna avec elle, traitée par la Reyne. Elle la conduisit apres disner chez la Reyne, où le Roy se rendit à son retour de la chasse, qu’il hasta expres, et la salua, ayant eu le tabouret. La Reyne venant à Paris, l’ambassadeur et l’ambassadrice y alloient tous les jours sans ceremonie. Il fut porté à cet ambassadeur de la part du Roy une chaisne de diamans de plus de deux mille ecus, et partit fort satisfait. Il ne veid point le cardinal de Richelieu, mais monseigneur le comte de Soissons et toutes les princesses.
Le 18 novembre 1634, ledit sieur Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le comte de Cumians, maistre des ceremonies et conducteur des ambassadeurs de Piedmont, envoyé de la part de Son Altesse de Savoye, pour les accompagner [p. 778] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent apres que le Roy leur eut donné à disner. Ledit ambassadeur y disna aussi, parce qu’il estoit allé à l’audience pour le presenter, puis il veid le susdit cardinal de Richelieu. Il vint pour se resjouyr avec le Roy du retour de monseigneur son frere des Pays Bas, et pria le Roy de la part de son maistre de trouver bon qu’il allast visiter ledit seigneur, comme il en avoit ordre. Ce que Sa Majesté trouva fort bon, et s’en alla le trouver à Blois. Puis à son retour ledit Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le conduisit à Saint Germain, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il prit congé de Leurs Majestez et dudit cardinal de Richelieu. Il luy fut presenté de la part du Roy un diamant de sept mille francs, dont il fut fort content.
Le 26 novembre 1634, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses du Roy et de la Reyne et quantité d’autres carrosses et de noblesse, furent à Piquepuce au devant du sieur Mazarin, nonce extraordinaire du pape, pour le conduire à Paris au logis du nonce ordinaire, n’ayant esté logé par le Roy. Il entra en carrosse avec ledit nonce ordinaire, le comte d’Alais, le conducteur des ambassadeurs, les archevesques d’Arles et de Tours, et l’evesque de Bolongne. Le lendemain, il fut visité de la part du Roy par monsieur de Liancour et de la part de la Reyne par le comte d’Orval. Le quatrieme decembre ensuivant, le comte d’Alais et Bautru, avec les carrosses de Leurs Majestez, l’accompagnerent à Saint Germain où, apres que le Roy luy eut donné à disner, il fut conduit à l’audience de Sa Majesté, qui le receut bien, comme aussi la Reyne et le cardinal de Richelieu. Il veid aussi toues les princesses, scavoir Madamoiselle seule avec son rochet, et les autres avec son habit ordinaire. Monseigneur le Prince estant arrivé en cette ville, les nonces ne le voulans aller visiter le premier, ny luy eux, ils furent chez madame la Princesse, où mondit seigneur le Prince se trouva. Puis il les retourna voir, et eux furent apres le voir avec leurs habits. Le 4 fevrier 1636, le comte d’Alais et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à sa dernier audience, qu’il eut de Leurs Majestez à Paris, avec les mesmes ceremonies que dessus. Puis il prit congé de Monsieur, de tous les princes et princesses, et du cardinal de Richelieu. Le comte de Brulon luy porta de la part du Roy un buffet de vaisselle d’argent de la valeur de quatre mille ecus, et partit fort content de cette cour.
[…]
Le premier decembre, le sieur Bautru ayant visité les trois ambassadeurs suisses des cantons de Zurich, Berne et Schaffouze, le cinquieme il les fut prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour les accompagner [p. 779] à l’audience de Leurs Majestez, qu’ils eurent à Saint Germain en Laye, apres que le Roy leur eut donné à disner dans la descente des ambassadeurs. Le marquis de Nesle vint disner avec eux de la part du Roy et les accompagna à l’audience, puis veirent le cardinal de Richelieu et les autres ministres.
Le 15 janvier 1635, le comte de Brulon avec le carrosse du Roy alla prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur de Saint Thomas, qui avoit demeuré icy agent deux ans, pour les conduire à Saint Germain, où l’ambassadeur ne fut que pour presenter ledit de Saint Thomas au Roy et à la Reyne, pour prendre congé de Leurs Majestez, s’en retournant. Le Roy leur donna aussi à disner, et le comte de Brulon luy porta de la part du Roy une boette de diamans de deux mille francs.
[…]
[p. 780] Le septieme avril mil six cens trente cinq, le general Rituvin, qui repassoit d’Alemagne en Suede, estant arrivé à Paris et ayant envoyé demander l’audience du Roy, le comte de Brulon l’alla visiter de la part de Sa Majesté. Et le neuvieme ensuivant le conduisit dans son carrosse à Sainct Germain, où, apres avoir eu favorable audience du Roy dans son cabinet, monsieur le Premier luy donna magnifiquement à disner, apres lequel il fut conduit chez la Reyne, puis chez le cardinal de Richelieu à Ruel, qui le receut fort bien.
[…]
[p. 781] Le sixieme decembre mil six cens trente cinq, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur [p. 782] Chrestien Ulderic Guldenleven, envoyé de la part du roy de Dannemarck, pour le conduire à Sainct Germain, où apres que le Roy luy eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez.
Le vingt troisieme decembre mil six cens trente cinq, le Roy estant à Saint Germain, les sieurs de La Meilleraye et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent prendre à son logis le marquis de Baden, de la branche de Durlach, pour l’y accompagner, où, apres que le Roy luy eut donné à disner, ils le conduisirent à l’audience de Leurs Majestez.
[…]
[p. 784] Le huitieme mars mil six cens trente six, le sieur de Berlize, encore qu’il ne fust en charge, à cause que le comte de Brulon estoit aupres du duc de Parme, eut commandement d’aller trouver le duc Bernard de Weymar de Saxe, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, à Lagny sur Marne, où le comte de Guiche, qui l’estoit allé trouver de la part du cardinal de Richelieu à Meaux, l’amena, luy ayant dit qu’il estoit là de la part du Roy, il mena trois ou quatre de ses amis qui le saluerent. Apres quoy il le conduisit à Champ, où le sieur de Croisilles et le general Parfait l’attendoient, avec tous les officiers de la Maison, pour le traiter. Il avoit eu ordre de luy faire donner à disner à Lagny, mais à cause de la difficulté qu’il y avoit pour les officiers d’aller jusques à six lieues de Paris, pour apres disner venir apprester le souper à l’Arsenal où il devoit loger, il les fit venir audit lieu, ce que le Roy trouva estre fait à propos. Le sieur de La Trimouille le vint recevoir en ce lieu au sortir de son disner de la part du Roy, accompagné de quantité de carrosses et de noblesse. Apres les complimens faits, ils monterent dans le carrosse du Roy, où estoient lesdits duc de Weimar et de La Trimouille, les comtes de Guiche et de Nassau, et le sieur de Berlize, passerent par le Bois de Vincennes où ils rencontrerent nombre de carrosses pleins de dames ; il fut salué par la garnison, veid plus de deux cens carrosses tout le long du chemin jusques à l’Arsenac, où il fut logé dans le plus bel appartement, meublé des meubles du Roy. Un autre logis fut destiné pour son train. Le lendemain, il ne voulut voir personne avant le Roy. Il avoit amené avec luy le comte de Nassau, le baron de Friberg et le [p. 785] sieur Ponica, sur lequel il se reposoit de toutes ses affaires. Le dixieme, il le conduisit à l’audience avec le duc de La Tremouille à Sainct Germain. Quand il fut arrivé, il fut trouver le Roy dans son cabinet, où il estoit, auquel il dit son arrivée. Là Monsieur luy demanda s’il se couvriroit ; il repondit qu’il n’en scavoit rien, qu’il l’avoit demandé au cardinal de Richelieu qui luy avoit dit qu’il ne le devoit point et que neantmoins il craignoit qu’il ne fust en cette volonté, et que sur ce qu’il avoit pressé le sieur de Chavigny là-dessus, il luy avoit dit que s’il luy en parloit, que ce seroit luy donner lieu de pretendre une chose à laquelle, peut estre, il ne pensoit pas ; que si toutesfois il vouloit, il presentiroit dudit sieur Ponica s’il estoit dans cette pretention, mais qu’il ne luy en parleroit point, s’il ne luy en commandoit expressement ; et luy allegua ce qu’il avoit fait à l’evesque de Wirtzbourg, duc de Franconie, à Mets, lequel comme souverain de l’Empire s’estoit couvert, qu’il estoit de la maison de Saxe et que ce qui luy feroit plustost desirer estoit le duc de Parme, auquel le Roy avoit fait cet honneur, et que luy s’estimoit bien d’une autre maison. Avec toutes ces raisons, et autres, Sa Majesté resolut qu’il ne luy en parleroit point, et luy commanda de l’aller querir, l’ayant laissé dans le departement du surintendant, qu’on avoit meublé des meubles du Roy. Il luy dit que le Roy estoit prest à la voir. Les suisses se mirent en haye sur le degré, le capitaine des gardes le receut à l’entrée de la salle. Ayant fait une reverence devant le Roy et son compliment, le Roy voulut se couvrir, il crut que le Roy l’avoit invité à en faire autant et en mesme temps il voulut mettre son chapeau ; le Roy, voyant cela, osta si promptement le sien que cela fut apperceu de peu de personnes, et parlerent tousjours decouverts. Puis il passa dans son cabinet, où Monsieur, frere du Roy, se trouva, et parlerent ensemble pres d’une demie heure, où quelques fois aussi le Roy le faisoit parler, puis luy dit de le mener disner, ce qu’il fit. Incontinent apres, suivant le discours qu’il avoit eu depuis avec le sieur de Chavigny, il dit audit sieur Ponikan qu’il ne croyoit pas que le duc pretendist de vivre autrement chez la Reyne que Monsieur, frere du Roy, qui ne se couvroit. Il luy dit que son maistre avoit veritablement voulu se couvrir devant le Roy, d’autant que le duc de Parme se couvroit, qu’il ne le devoit trouver estrange, d’autant qu’il y avoit plus d’empereurs dans la maison de son maistre qu’il n’y avoit eu de gentilshommes dans la maison du duc de Parme, mais que pour chez la Reyne il ne se couvriroit. Il l’y mena, où Monsieur se trouva, puis chez Monsieur, qui le fit couvrir, comme aussi les ducs de La Trimouille et Wirtenberg qui l’accompagnoient. Apres une visite de demie heure sans s’asseoir, il remena ledit duc dans sa chambre, de laquelle ils partirent pour aller à Ruel, où il veid le cardinal de Richelieu, qui le vint recevoir au haut de l’escalier, et prit apres plusieurs offres qu’il fit audit duc la main droite, et passa devant aux portes, et s’assit de mesme. Il le vint reconduire jusques au [p. 786] carrosse, où le duc ne voulut entrer, quelque priere que luy fit ledit cardinal, qu’il ne se fust retiré, puis vint recoucher à l’Arsenac ce mesme jour. Tous les jours suivans, il fut visité des princes et ducs qui estoient lors à Paris. il fut rendre les visites et aussi voir Madamoiselle, mesdames la Princesse et Comtesse, et toutes les duchesses. Le 18 du mesme mois, ce duc fut coucher à Saint Germain, et descendit dans sa chambre. Puis le sieur de Berlize alla trouver le Roy, qui luy demanda s’il se couvriroit. Il luy dit que le cardinal de La Valette luy avoit dit qu’il prenoit cela sur luy pour luy faire scavoir, mais neantmoins que ledit sieur de Ponikan et le comte de Guiche luy avoient dit que l’on estoit demeuré d’accord qu’il ne se couvriroit devant le Roy mais qu’il auroit le tabouret chez la Reyne ; sur ce qu’il veid Sa Majesté en inquietude, il luy dit qu’il alloit parler à Ponikan, et qu’il l’asseureroit de tout. Poikan luy dit qu’on avoit offert à son maitre de le faire couvrir comme duc de Franconie ou d’avoir le tabouret chez la Reyne. Apres plusieurs repliques, il le fit condescendre à avoir seulement le tabouret chez la Reyne, et que c’estoit le moyen d’estre mieux venu aupres du Roy. Il fit entendre au duc tout ce que dessus, qui luy dit qu’il feroit tout ce que le Roy desiroit et qu’il luy suffisoit de s’estre mis en devoir de demander les choses qu’il croyoit estre deues à sa maison, afin que les siens n’eussent à luy reprocher qu’il avoit volontairement fait des choses indignes de sa naisasnce. Apres plusieurs offres avantageuses qu’on luy avoit faites de la part de l’Empereur, il dit tout ce que dessus au Roy, et comme il luy avoit dit qu’il desiroit que le Roy le traitast comme un de ses sujets ducs, et ce en presence du duc de Saint Symon, de quoy le Roy fut fort content. Il luy commanda de l’aller querir, ce qu’il fit, et comme il entra dans le cabinet, il pria qu’on fist fermer la porte, afin comme l’on peut connoistre que les siens ne le veissent decouvert. Le Roy luy fit grand accueil et demeura plus d’une heure ; Sa Majesté demeura un demy quart d’heure decouvert, puis se couvrit. Le lendemain, il fut voir le Roy et ouyt au jubé de la chapelle la musique. Le soir le Roy luy envoya la musique de la Chambre, qu’il trouva excellente. Apres le disner, il fut chez la Reyne, qui luy fit donner le tabouret, qu’il prit apres plusieurs refus. Il n’y demeura qu’un demy quart d’heure, puis se leva, et demeura encore une demie heure debout. La Reyne se leva aussi. Puis repassa chez le Roy par dans la chambre de la Reyne où il estoit ; où, après avoir demeuré une demie heure, il prit congé du Roy, et s’en alla à Ruel voir le père Joseph, capucin.
[…]
[p. 788] Le second jour d’avril mil six cens trente sept, les jeunes princes de Hesse estans venus à Paris pour faire leurs exercices, et desirans voir le Roy, le comte de Brulont les ayant visitez de la part de Sa Majesté, le sieur de Souvré et ledit comte, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, les menerent à Saint Germain où, apres que le Roy leur eut donné à disner, ils les conduisirent à l’audience de Leurs Majestez, devant lesquelles ils ne pretendirent point se couvrir.
Au mois d’octobre mil six cens trente sept, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le marquis de Saint Germain, gentilhomme envoyé de Savoye, pour prendre congé de Leurs Majestez à Sainct Germain, où il les conduisit après que le Roy leur eut donné à disner, et ensuite chez le susdit cardinal de Richelieu. Peu de jours après, il luy porta un diamant de la part du Roy, de huit à neuf mille livres.
[…]
[p. 789] Au mois de novembre mil six cens trente sept, le marquis de Parelle estant arrivé de la part de madame de Savoye pour donner part au Roy de la mort de Son Altesse, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre cet ambassadeur pour le conduire à Saint Germain, où, après que le Roy leur eut donné à disner, il le conduisit à l’audience de Leurs Majestez, qui le receurent aussi en grand deuil. Il prit congé de la mesme façon et le sieur de Berlize luy porta apres de la part du Roy un diamant de mil ecus.
Le onze novembre mil six cens trente sept, les sieurs de Noailles et de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne furent dans Piquepuce au devant du sieur Salus, ambassadeur extraordinaire de Gennes, qu’ils emmenerent à son logis, qu’il avoit arresté et meublé, le Roy ne l’ayant ny logé ny defrayé. Il fut visité le lendemain par le marquis de Fourilles, grand mareschal des logis, et deux jours apres le mareschal de Saint Luc et le sieur de Berlize le firent prendre dans les carrosses du Roy et de la Reyne pour le conduire à Sainct Germain, où le Roy luy donna à disner, eut audience de Leurs Majestez et, en revenant, du cardinal de Richelieu à Ruel. Il ne visita point les princesses.
Le huit decembre, le sieur de Berlize conduisit à Sainct Germain dans son carrosse le sieur de Vosberg, deputé des Etats de Holande, sans autre ceremonie, estant venu pour affaire particuliere. Puis prit congé du Roy seul, apres avoir demeuré icy trois semaines.
Le vingt cinquieme janvier, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à La Chapelle au devant du sieur Cornaro, ambassadeur ordinaire de Venise, le conduisirent à son logis, où le lendemain il fut visité de la part du Roy par le sieur de Souvré. Et le vingt neufieme du mesme mois, le mareschal de Chastillon et le comte de Brulon, avec les mesmes carrosses, furent prendre à son logis le sieur Contarin et luy pour les conduire à l’audience de Leurs Majestez à Saint Germain, où ledit Contarin, prenant congé, presenta ledit Cornaro son successeur. Le Roy leur donna à disner et les gardes du regiment, en entrant et sortant, prirent les armes.
Le vingt deuxieme fevrier mil six cens trente huit, le mareschal de La Force et le comte de Brulon furent à Piquepuce avec les carrosses [p. 790] du Roy et de la Reyne au devant du sieur Agnelly, evesque de Cazal, ambassadeur extraordinaire de Mantoue, qu’ils menerent à son logis, le Roy ne l’ayant ny traité ny defrayé. Et deux jours apres, fut pris dans son logis par ces messieurs et les mesmes carrosses, pour le conduire à Sainct Germain, à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Puis veid toutes les princesses et le cardinal de Richelieu.
Audit an mil six cens trente huit, le Roy partant pour aller en Picardie, la grosses de la Reyne estant apparente, le comte de Brulon, qui estoit en charge, suivant le Roy, Sa Majesté commanda eu sieur de Berlize d’en aller donner part à tous les ambassadeurs, comme il fit, et ensuite tous ces ambassadeurs allerent visiter la Ryne. Et lorsque le Roy revint de son voyage, les en ayant dispensez, le visiterent aussi pour s’en resjouyr avec luy.
La mesme année mil six cens trente huit, le comte de Cameran, fils du marquis de Ville, estant venu de la part de madame de Savoye en qualité de gentilhomme envoyé, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur et luy pour les conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner. Puis, apres avoir pris congé du Roy, quelque temps apres, le comte de Brulon luy porta un diamant de mil ecus. Il venoit se conjouyr de la grossesse de la Reyne.
Le susdit an mil six cens trente huit, le sieur Tartereau estant venu, gentilhomme envoyé de la part du roy et de la reyne d’Angleterre, pour se resjouyr de leur part de la grossesse de la Reyne, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le fut prendre à son logis, puis furent prendre ensemble les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire à l’hostel des ambassadeurs pour les conduire à Saint Germain, où ils eurent audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner. Le comte de Brulon le mena seul chez le cardinal de Richelieu. Peu de jours apres, il prit congé en la mesme façon, et eut un present d’une chaisne d’or de quatre cens ecus que luy porta le comte de Brulon, laquelle il luy reporta deux jours apres, disant qu’on avoit donné un present de plus grande valeur à un envoyé de Savoye ; on luy donna au lieu de cela un diamant qui ne valoit guere davantage.
[…]
Le vingt quatrieme avril mil six cens trente huit, le comte Bardy estant arrivé à Paris quelques jours auparavant en qualité de resident du grand duc, et ayant esté visité de la part du Roy par le comte de [p. 791] Brulon, il le conduisit à Sainct Germain dans les carrosses du Roy et de la Reyne à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner ; puis il veid Madamoiselle, madame la Princesse, qu’il salua, et madame la Comtesse aussi, et le cardinal de Richelieu.
Au mesme an mil six cens trente huit, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et l’abbé de La Monta, envoyé de madame de Savoye pour apporter la ratification du traité fait entre le Roy et ladite dame. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner ; veid le cardinal de Richelieu. Puis, ayant demeuré deux mois à Paris, le sieur de Berlize le conduisit avec ledit ambassadeur en mesme ceremonie pour prendre congé de Leurs Majestez. Il eut en present un diamant de deux mille ecus.
La susdite année mil six cens trente huit, le sieur Forbes estant arrivé de Polongne et se disant ambassadeur, le comte de Brulon le fut voir et luy demanda son passeport, dans lequel, ayant trouvé, estant en latin, qu’on ne luy avoit donné que la qualité de Nuncius, quoy qu’il dit qu’en son pays cela se prenoit pour ambassadeur, il ne fut traité que comme gentilhomme envoyé du roy de Polongne. Ledit comte de Brulon le conduisit à Sainct Germain avec les carrosses du Roy et de la Reyne, où il eut audience de Leurs Majestez. Le Roy luy donna à disner. Il veid le cardinal de Richelieu. Et, ayant pris congé avec la mesme ceremonie, le comte de Brulon luy porta une chaisne d’or, avec la medaille du Roy, de quatre à cinq cens ecus, dont il ne fut guere content.
Au mois d’octobre mil six cens trente huit, tous les ambassadeurs eurent audience. Les ambassadeurs extraordinaire et ordinaire d’Angleterre y menerent le sieur de Sainct Ravy, gentilhomme envoyé du roy d’Angleterre, et le sieur Germain de la Reyne sa femme, pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin. Le sieur de Berlize les fut prendre tous dans les carrosses du Roy et de la Reyne chez l’ambassadeur extraordinaire, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez. Le Roy leur y donna à disner, et peu de jours apres, en ayant pris congé de la mesme sorte, ledit sieur de Sainct Ravy eut un diamant de mil ecus et le sieur Germain un de deux mille ecus. Entre leur premiere et dernier audience, le sieur de Bellievre, lors ambassadeur ordinaire pour le Roy, ecrivit en Cour que le Roy d’Angleterre s’estoit plaint que l’on faisoit trop d’honneur à ses gentilshommes envoyez, luy ne les traitant ny ne leur envoyant des carrosses pour aller à l’audience, et que si le Roy le vouloit encore ainsi faire à l’avenir, il falloit doresnavant adjouster cet article à leurs traitez. On pense à ce sujet à l’audience de congé de ces deux messieurs ne les traiter ny leur donner les carrosses, mais on voulut achever de leur faire comme on avoit commencé, et fut des lors resolu de ne traiter ainsi plus ceux d’Angleterre. Le mesme jour, le sieur Knuit, deputé des Estats, la Reyne mere estant en Holande, estant venu pour ses affaires, s’estant rendu à Saint Germain, y eut audience de Leurs Majestez sans aucune ceremonie.
[p. 792] Le vingt cinquieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre le comte Henry de Nassau, gentilhomme envoyé de la part du prince d’Orange pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner. Ledit de Berlize luy porta un diamant de mil ecus.
Le vingt huitieme octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre à son logis le sieur de Ludmar, gentilhomme envoyé du prince palatin, pour le conduire à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy envoya à disner.
Au mesme mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Demsky, soy disant gentilhomme envoyé de Polongne pour s’avancer quelques jours de voir le Roy, disant estre pressé, estant venu au sujet du prince Cazimir, frere dudit roy, prisonnier à Salon en Provence, demanda à voir Leurs Majestez sans ceremonie. Ce qui fut fait, s’estant rendu à Sainct Germain, ledit sieur de Berlize leur presenta, et comme il demanda congé, se mettant en pretention d’estre traité comme les gentilshommes envoyez, on luy demanda son passeport, où ayant trouvé qu’on le luy donnoit aucune qualité, on luy refusa de le traiter comme les gentilshommes envoyez, et on l’obligea de se rendre encore à Sainct Germain seul, où le mesme de Berlize le presenta encore à Leurs Majestez pour en prendre congé sans aucune ceremonie, et mesme partit sans avoir de present.
Ledit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur extraordinaire de Mantoue et le marquis Agnelly, son neveu, gentilhomme envoyé de madame de Mantoue pour se resjouyr de la naissance de monseigneur le Dauphin, pour les conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez et de mondit seigneur le Dauphin, où le Roy leur donna à disner. A la fin de decembre, il en fut prendre congé en la mesme sorte, puis ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs.
Audit mois d’octobre mil six cens trente huit, le sieur Tasson, envoyé du duc de Parme pour se resjouyr de la naissance dudit seigneur le Dauphin, n’ayant veu ny le Roy ny la Reyne, estant tombé malade, le sieur Leonard, agent ordinaire, ayant fait l’office, le sieur de Berlize porta audit Tasson un diamant de cinq cens ecus.
Au mois de decembre 1638, le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le baron de Pesieux, gentilhomme envoyé de madame, pour donner part au Roy de la mort du petit duc. Il les conduisit à Saint Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy leur donna à disner, et prit congé le 25 decembre en la mesme façon. Ledit de Berlize luy porta un diamant de deux mille francs, puis s’en aller en Flandres trouver le prince Thomas, avec la permission du Roy, pour luy donner aussi part de cette nouvelle.
[p. 793] Le trentieme janvier mil six cens trente neuf, le mareschal de Sainct Luc et le sieur de Berlize, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, furent à Piquepuce au devant du baillis de Forbin, grand croix et ambassadeur extraordinaire de Malte, et le conduisirent à l’hostel de Sillery, son logis, avec un cortege de soixante carrosses à six chevaux. Tous les princes, ambassadeurs catholiques et quantité de seigneurs ayans envoyé au devant de luy, n’ayant esté ny logé, ny defrayé. Le lendemain, le sieur de Liancourt l’alla visiter de la part du Roy. Le treizieme fevrier, le mareschal de Sainct Luc et le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, le furent prendre à son logis pour le conduire à Sainct Germain à l’audience de Leurs Majestez, où le Roy luy donna à disner devant que d’y aller. On mit en deliberation s’il se couvriroit ; enfin le comte de Brulon qui en parla au Roy, Sa Majesté se souvenant que le commandeur de Fromigere, ambassadeur extraordinaire de Malte, estant aussi François et capitaine au regiment de ses gardes, s’estoit couvert, resolut qu’il se couvriroit, mais qu’il en useroit modestement et avec respect, comme il fit, ayant fait une petite harangue couvert, apres il parla encore quelque temps au Roy decouvert, comme il fit à la Reyne. Veid aussi monseigneur le Dauphin, estant venu principalement pour se resjouyr avec le Roy de sa naissance, puis les princesses du sang, qu’il baisa, monseigneur le Prince, qui luy donna la main et le titre d’Excellence, et le cardinal de Richelieu. Le dixieme avril, il prit congé de Leurs Majestez, conduit par les mesmes et en la mesme façon à Sainct Germain. Le comte de Brulon luy porta une boette de portrait de diamans de la valeur de quarante mille livres. Puis il partit, non pour retourner à Malte, mais pour aller commander les galeres du Roy en qualité de lieutenant general.
Le quatrieme avril mil six cens trente neuf, le comte de Brulon, avec les carrosses du Roy et de la Reyne, fut prendre l’ambassadeur de Savoye et le sieur Gontery, general des Postes et de la maison de madame et son gentilhomme envoyé, pour les conduire à Sainct Germain, où le Roy leur donna à disner. Et apres fut conduit à l’audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin. Le quatorzieme du mesme mois, il en prit congé en la mesme sorte. Il luy fut porté une chaisne d’or de quatre cens ecus.
Le vingt huitieme may mil six cens trente neuf, le comte de Brulon conduisit à Saint Germain l’ambassadeur de Savoye, le jeune comte de Moret et le baron de La Croix, tous deux gentilshommes envoyez de madame, dans les carrosses du Roy et de la Reyne. Le Roy leur donna à disner, puis ils eurent audience de Leurs Majestez et de monseigneur le Dauphin, qu’ils ne veirent que cette fois. Il leur fut donné à chacun un diamant de deux mille livres. »

Mention de l’acquisition par la ville de Saint-Germain-en-Laye de deux aquarelles du Château-Neuf par Dugourc

« La bibliothèque de Saint-Germain vient, grâce à l’indication donnée par un de nos honorables concitoyens, M. Napoléon Laurent, amateur éclairé et savant d’antiquités et d’objets d’art, et par suite de la décision de M. le maire, de s’enrichir de deux charmantes aquarelles d’un fameux peintre nommé J. Dugourre et qui, en 1777, était peintre de M. le comte d’Artois, plus tard Charles X ; elles représentent : l’une, l’intérieur de la terrasse Dorique ; l’autre un salon à l’un des bouts de la terrasse Toscane, dans l’état où ces appartements existaient dans les anciens bâtiments du château-neuf appelé les grottes et qui ont disparu depuis, lors des travaux de terrassement des rampes du Pecq. »

Récit de l’assemblée réglant la régence tenue par Louis XIII dans sa chambre à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 313] L’assamblée faite à Saint Germain de la Reine, des princes du sang, des ministres de Sa Majesté, du parlement et des autres principaux officiers de ce royaume le 20 d’avril 1643 pour entendre la declaration de Sa Majesté sur le gouvernement de ses estats
Que Dieu aime la France et qu’il lui donne de preuves certaines de sa protection continuelle ! La guerre, qui n’a servi jusques ici qu’à matter ses ennemis, lui a esté partout avantageuse. Si elle doit perdre un ministre, sa mort n’arrive qu’au bout d’une glorieuse campagne, afin que dans l’intervalle d’une autre elle se puisse mieux accoustumer au changement par lequel cette perte se trouve heureusement reparée. Mais il n’y a rien [p. 314] dont cet Estat soit plus redevable à Dieu que de lui avoir donné un si bon Roy et qui aime tant ses peuples qu’il ne se contente pas d’avoir prodigué sa santé pour leur defense et pour la dignité de sa couronne : imitant la providence divine, il porte ses soins jusques dans l’avenir pour lui establir un repos asseuré et une fermeté qui ne puisse jamais estre ebranlée. […]
[p. 318] Le vingtiesme de ce mois d’avril 1643, sur les deux heures apres midy, le Roy estant dans son chasteau neuf de Saint Germain en Laye, fit assambler dans sa chambre, en presence de la Reine, des Enfans de France, de Monsieur son frere, du prince de Condé, tous les ducs et pairs, mareschaux de France et autres officiers de la Couronne et principaux seigneurs qui se trouverent lors à la Cour, en fort grand nombre, entre lesquels estoyent le cardinal Mazarin, le chancelier de France, le surintendant des Finances et le sieur de Chavigni, secretaire d’Estat, devant tous lesquels le sieur de La Vrilliere, aussi secretaire d’Estat, fit lecture, par commandement de Sa Majesté, de sa declaration par laquelle le Roy declare qu’à l’exemple des bons rois ses predecesseurs, qui avoyent aimé l’Estat, et estant travaillé depuis longtemps de plusieurs incommoditez [p. 319] et presentement d’une fascheuse maladie, desirant pourvoir à la seureté, bien et repos de son Estat, il entend que lorsqu’il aura pleu à Dieu disposer de lui, la Reine soit regente de ses royaumes pendant la minorité de monseigneur le Dauphin, que sous son authorité Monsieur, frere unique de Sa Majesté, soit lieutenant general du Roy, mineur, en toutes les provinces de sesdits royaumes et chef du Conseil, et le prince de Condé, le cardinal Mazarin, le chancelier de France, le surintendant des Finances et ledit sieur de Chavigni, ministres d’Estat, pour tenir avec la Reine et Monsieur ledit Conseil, duquel en l’absence de Monsieur seront chefs lesdits prince de Condé et cardinal Mazarin. Ce sont là les points principaux de cette declaration, dont vous aurez cy apres le detail.
Le Roy la fit signer ensuite à la Reine et à Monsieur, et les fit jurer d’entretenir et observer le contenu en icelle.
Puis le Parlement, qui avoit esté mandé le jour precedent et estoit representé par le premier president, les presidens au mortier et deux conseillers de chacune chambre avec les gens du Roy, entra dans ladite chambre de Sa Majesté, qui lui fit entendre qu’elle avoit fait cette declaration et donna charge à Monsieur, au prince de Condé et audit chancelier [p. 320] d’entrer le lendemain 21 dans son parlement et la faire enregistrer, comme elle le fut hier. »

Récit de la mort de Louis XIII au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 341] Relation de ce qui s’est passé jusques à present de plus memorable en la maladie du Roy
Ce poete qui appeloit nostre monarque « la merveille des rois et le roy des merveilles » n’en disoit pas assez : sa vie est une suite de miracles, desquels attendant la continuation, l’honneur que Sa Majesté m’a fait de me commettre la plume publique pour declarer à ses peuples, voire à tout le monde, ses belles actions fait autant reconnoistre mes forces inegales à une charge si importance et qui regarde la chose la plus delicate qui se puisse rencontrer dans le commerce des hommes, qui est leur reputation, comme il m’oblige à faire mes petits efforts pour eviter au moins le reproche d’avoir laissé ensevelir dans l’oubli les beaux exemples que fournissent à tout le monde ces royales et chrestiennes actions, qui seront autant de precieuses reliques aux siecles à venir. Dans lesquels, entre les autres vertus qui font admirer ce grand prince, sa foy, par un effet contraire à sa nature, fera des mecreans, aucun ne pouvant croire ce qui s’en dira, ce que feroyent encor beaucoup moins ceux qui ne le verroyent point consigné dans nos memoires, d’autant plus croyables qu’ils sont mis au jour en mesme temps que les choses dont ils traitent. Tout ainsi donc que les peintres s’efforcent à l’envi les uns des autres de representer naifvement les traits de l’auguste visage de ce monarque sans pareil, voyez ici [p. 342] depeints ceux de son esprit, qui vous apprendront que ce grand prince est encor plus grand par ses propres vertus que par la dignité qu’il possede du premier roy du monde et par la haute reputation de tant de conquestes.
Le Roy tomba malade le 21 fevrier dernier et bien que quelques bons intervalles, joints aux grand desir que nous avons de sa guerison, nous l’eussent fait croire, si est ce que son mal s’augmenta le dix neufieme de ce mois, de telle sorte que sa pieté le convia de penser à la fragilité de la vie humaine, pour laquelle ayant fait plusieurs excellentes meditations sur le sujet de sa mort, il fit ouvrir les fenestres de sa chambre du chasteau neuf de Saint Germain en Laye, où il est à present, et voyant par là l’eglise de Saint Denys : « voilà (dit il en la montrant) ma derniere maison, où je me prepare pour aller gayement ». Le soir du mesme jour, au lieu de la vie des saints qu’il se faisoit lire les jours precedents par l’un des secretaires de son cabinet, il lui commanda de lire le 17 chapitre de l’evangile selon saint Jean, où est ce passage : « ego te clarificavi in terra : nunc igitur clarifica me Pater ». Puis, il lui fit prendre l’Introduction à la vie devote et lire le chapitre « Du mespris de ce monde », et ensuite lui commanda de prendre le livre de Kempis, lequel ce secretaire voulant lire par ordre des chapitres, Sa Majesté lui mit la main sur celui « De la meditation de la mort ».
Le 20, le Roy fit sa declaration pour la regence de la Reine et le gouvernement de ses estats, dont vous avez ouy une partie, sur laquelle declaration il donna à entendre sa volonté [p. 343] avec un visage qui tesmoignoit grande satisfaction. Sa Majesté, entre les autres seigneurs et dames qui le vinrent visiter, receut ce jour là le duc de Vandosme.
Le 21, la princesse de Condé et le cardinal Mazarin eurent l’honneur de tenir sur les fonts monseigneur le Daufin, qui fut nommé Louis, selon la volonté du Roy, et le mareschal de Bassompierre fut receu à baiser les mains de Sa Majesté.
Le 22, le Roy se trouvant affoibli par la grandeur et continuation de sa maladie, à la premiere mention qui lui en fut faite, dist au père Dinet, jesuite : « Je suis ravi d’aller à Fieu, allons, mon pere, confessez moy », et recita le pseaume « Laetatus sum in his quae sunt mihi ». ce fait, il delibera de communier pour le viatic, en laquelle action il ne montra pas moins de prudence qu’en toutes les autres de sa vie, car Sa Majesté, prevoyant les differens qui pourroyent arriver entre plusieurs seigneurs presens, à qui tiendroit la nape de communion, dont les deux coins plus pres du Roy ont accoustumé d’estre tenus par les deux seigneurs plus qualifiez et les deux autres par deux aumosniers de Sa Majesté, Elle avoit dit à l’evesque de Meaux, son premier aumosnier, qu’il ne mist point de nape et n’estendit qu’un voile sur le lit de Sa Majesté, qu’elle seule tiendroit. Ce qu’on alloit faire, lorsque Monsieur, frere unique du Roy, et le prince de Condé arriverent en la chambre de Sa Majesté, laquelle, selon la presence de son esprit, dist à l’evesque de Meaux, lorsqu’il lui alla donner de l’eau benite à son ordinaire avant que de la communier, que ces deux princes ayans par leur arrivée terminé [p. 344] le different que l’on aprehendoit, il pouvoit faire mettre la nape sur son lit, ce qui fut fait, et le coin de la main droite du Roy tenu par Monsieur et l’autre par le prince de Condé, les deux autres coins furent tenus par les sieurs de Lesseville et Hyacinte, aumosniers du Roy estans de present en quartier. Ledit evesque de Meaux ayant auparavant dit la messe « pro infirmo » dans la chambre du Roy sur un autel à ce preparé, et ayant communiqué, le Roy et toute l’assistance reciterent tout haut le Confiteor. Puis l’evesque officiant donna l’absolution deprecatoire et presenta ensuite la sainte hostie au Roy, qui la receut dans son lit, tous les rideaux ouverts, avec des tesmoignages de pieté qui ne seroyent pas imaginables en un autre. Et la messe estant achevée, chacun se retira en grande tristesse, tous pleurans excepté le Roy, lequel affrontant la mort d’une contenance hardie, confirma par effet la creance qu’on a tousjours eue de la grandeur de son courage, et donna des preuves certaines de sa magnanimité et veritable force d’esprit, ce qui ne consiste pas à mespriser les perils, comme plusieurs font, quand ils en sont loin, mais bien à les braver en leur presence et surtout, disent les philosophes, ceux qui sont les plus grands, comme est la mort, qu’ils appellent à ce sujet le terrible des terribles, de l’apprehension de laquelle tous estoyent effrayez, mais non pas lui, leur trouble estant grandement accreu par les larmes de la Reine. Cette incomparable princesse, qui ne perdoit point le Roy de veue, [p. 345] avoit assité à la messe et à la communion de Sa Majesté ; pres de laquelle se tenant lors à genoux, tousjours fondante en pleurs, apres que le Roy lui eut tesmoigné par sa bouche les ressentimens qu’il avoit de sa vertueuse conduite, elle receut la benediction de Sa Majesté, comme aussi messeigneurs leurs enfans. Ensuite de quoy, le Roy demanda l’extreme onction. Mais la grande affection de tous les assistans faisoit qu’on ne vouloit desesperer que le plus tard qu’on pourroit de sa guerison, et par ce moyen se laissans doucement entrainer à l’usage qui a fait degenerer ce remede de la primitive Eglise, institué pour la convalescence des malades, en un dernier azole de ceux dont la santé est deseperée. Cette sainte onction fut differée jusques sur les quatre heures apres midi du mesme jour, et de cette heure là encores jusqu’au jeudi suivent. La piété de ce prince estoit telle qu’il en voulut etendre les effets jusqu’aux seigneurs qui le venoyent visiter. Entre lesquels il usa de ces mots au mareschal de La Firce : Je vous connois, lui dist il, pour un des plus honnestes, sages et vaillans gentilshommes de mes Estats ; mais me jugeant prest d’aller rendre compte à Dieu, je suis obligé de vous dire que je croi qu’il vous a laissé vivre un si grand aage pour vous donner temps de penser à votre conversion, et vous faire enfin reconnoistre qu’il n’y a qu’une religion en laquelle on puisse estre sauvé, qui est la catholique, apostolique et romaine, que je professe. Il incita aussi le mareschal [p 346] de Chastillon à en faire autant. L’après dinée, le duc de Vendôme s’estant mis à genoux près du Roy, comme la pluspart des autres seigneurs et dames luy venoient baiser la main en cette posture, il receut la bénédiction de Sa Majesté.
Le Roy receut le mesme jour la duchesse d’Elboeuf et ses enfans, et voulut voir le sieur de Gandelu, nagueres retourné de Flandres, où il estoit prisonnier de guerre. Puis, Sa Majesté s’estant enquise si, selon l’apparence, Elle pourroit passer la nuit, sur ce qu’on lui repartit que ses prieres et celles de ses sujets presentoyent à Dieu pour sa santé la sortiroyent de ce danger, Elle repartit ne demander pas absolument à Dieu d’en eschaper, estant entierement resignée à sa volonté, mais pour ce que les vendredis lui avoyent tousjours esté heureux, qu’Elle esperoit vivre au moins jusqu’au Vendredi suivant, pour recevoir lors le plus grand heur qui lui soit jamais arrivé. Pour cet effet, Elle ne voulut pas qu’on attendist jusqu’à ce jour là à lui donner l’Extreme Onction, qu’elle receut le jeudi 23 dudit mois à 9 heures et demie du matin, avec la plus grande résolution qui ne scauroit jamais croire, respondant à l’evesque de Meaux, qui lui donna ce dernier sacrement, à tous les pseaumes et litanies, et tesmoignant un courage plus qu’humain en une rencontre où l’humanité ne trouve que matière de desespoir. Mais il faloit que cet acte de la vie d’un si grand prince respondit à tous les precedens et qu’il servist comme de seau pour confirmer un chacun dans la haute estime en laquelle tout le monde le doit avoir, [p. 347] telle que tout ce que nous lisons de la fin des grands rois, empereurs et personnes plus illustres n’a rien qu’on puisse egaler à cette ci, que j’appelle fin non à nostre regard, puisque la France est encor’ si heureuse que de jouir de sa presence tant desirée et d’avoir ce grand Roy vivant, que Dieu lui conservera, s’il lui plaist, encor longues années ; mais fin à son égard puisque, l’ayant creue telle, il est d’autant plus à admirer qu’il la hardiment envisagée d’un esprit sain et vigoureux, et avec des forces qui manquent aux hommes mourans, lesquels cessent ordinairement plustost par foiblesse que par resolution de luiter contre les loix de la nature et de son autheur. Ce jour là, le mareschal de Vitri fut aussi receu du Roy, comme l’avoit esté auparavant le mareschal d’Estrée, et chacun lui baisant la main en pleurant, Sa Majesté, à l’objet de tant de visages baignez de larmes, en eut de la compassion qu’Elle tesmoigna proceder de la pitié qu’Elle avoit de leur tristesse, disant toutefois n’estre pas faschée qu’on la pleurast, puisque c’estoit une preuve certaine de l’affection que luy portoyent tous ses bons sujets, lesquels il n’aimoit pas moins qu’il estoit aimé d’eux. Sa Majesté donna charge ensuite au prince de Condé de faire entendre au duc de Chevreuse, aussi présent, qu’Elle ne lui vouloit point de mal. La Reine avoit fait apporter son lit du vieil chasteau dans le nouveau, près de la chambre du Roy, et s’estant mise à genoux au chevet de Sa Majesté, mais fondant toute en larmes, le Roy après un long entretien la pria de se consoler et se retirer [p. 348] un peu à l’écart de peur de l’affliger par sa tristesse. Il passa le reste de la journée en prieres et meditations pleines de transports qu’il faisoit eclorre par des paroles toutes divines et ravissantes. Il eut meilleure la nuit du 23 au 24, que l’on craignoit le plus.
Le 24, il fut exempt de l’accez ou redoublement qui lui estoit arrivé les jours precedens sur les dix à unze heures du matin, et se trouva si bien l’apres dinée qu’il commanda au sieur de Nielle, premier valet de sa garderobe, d’en remercier Dieu, comme il fit, chantant sur l’air que Sa Majesté lui avoit autrefois Elle mesme donné, cette paraphrase du sieur Godeau, qui commance Seigneur, à qui seul je veux plaire, et lui aida, et aux sieurs Campefort et Saint Martin, à faire un concert en sa ruelle sur de pareils cantiques.
Le 25, l’amandement de la maladie du Roy continuant, Sa Majesté fit faire collation de ses confitures de Versailles à la Reine, à la princesse de Condé, aux duchesses de Lorraine, de Longueville, de Vandosme et autres dames ; et la Reine, Monsieur, le prince de Condé, le cardinal Mazarin, les ministres d’Estat et autres officiers de Sa Majesté, qui luy ont rendu pendant toute sa maladie des preuves indubitables qu’ils continuent de leur affection, toute la Cour en un mot, commança de mieux espérer, comme elle fait encor à présent ; et cette convalescence, nonobstant les apprehensions, continue de bien en mieux, Dieux exauçant visiblement les prieres de plus de quarante millions d’ames.
A Paris, du bureau d’adresse, le 30 avril 1643.
[…]
[p. 359] De Saint Germain en Laye, le 1 may 1643
Ne vous pouvant donner de nouvelles plus importantes à cet estat et au bien de la chrestienté que celles de la santé du Roy, puisque vous avez eu la relation de sa maladie jusques au 25 du passé, je vous la continueray. Le vingt sixiesme ensuivant, Sa Majesté se porta encor un peu mieux. Mais le 27, nostre joye fut troublée par une nouvelle apprehension de fievre accompagnée des mesmes accidens que par le passé. Toutesfois, ils furent de peu de durée car, par la grace de Dieu, qui protege ouvertement la personne de Sa Majesté, tous ces accidens se diminuerent d’eux mesmes le lendemain 28, et tout alla de bien en miaux, avec un tel progrez que le 29, Sa Majesté se trouva en beaucoup meilleur estat qu’Elle n’avoit fait depuis longtemps. Cet amandement s’accreut encor le jour d’hier, de quoi chacun pouvoit assez juger par la gayeté peinte sur les visages de toute la cour, lequel amandement tous attribuoient aux ardentes prieres et saintes devotions de la Reine et à celles des sujets du Roy, à son exemple. Cette pieuse Reine ne s’estant pas contentée de l’assiduité qu’elle rend jour et nuit au chevet de Sa Majesté depuis le commancement de sa maladie, mais continuant depuis ce temps là ses prieres [p. 360] en particulier à toutes heures, comme elle les fait ici en public tous les jours à six heures du soir, dans la chapelle du vieil chasteau, où se trouvent souvent les princes, princesses, ministres d’Estat et autres seigneurs et dames. Dans laquelle les evesques, qui sont ici en grand nombre, et les aumosnier de Leurs Majestez, et autres ecclésiastiques, se relevent d’heure à autre pour continuer leurs devotions devant le saint sacrement qui y est exposé, la Musique du Roy y chantant plusieurs motets apres les litaniers et excitant le zele d’un chacun pour flechir d’autant plustost le Ciel à nos prieres. Mais ce que je ne puis taire, et qui ne paroistra pas le moins admirable en cette maladie, est qu’elle n’a pu empescher le Roy de donner tous les jours les ordres necessaires aux affaires de son Estat. Jusques là que le jour que Sa Majesté receut l’extreme onction, Elle disposa des seances que chacun devoit avoir dans le Conseil qu’Elle voulut estre tenu ce jour là par la Reine, suivant sa declaration testamentaire. Ce qui n’empescha pas toutefois que Sad. Majesté ne voulust que la Reine lui en fist le rapport à l’issue dudit Conseil. Aussi rien n’a t il empesché le Roy qu’il ne vacast tous les jours à la reception des seigneurs et dames qui venoyent visiter Sa Majesté, entre lesquels la duchesse de Guise, sa fille et ses deux fils, nagueres arrivez avec elle d’Italie, furent receuz de Sa Majesté le 29 du passé, qui vid aussi le mesme jour les sieurs de Manicamp et de Beringhen. Ce jourd’hui est encor arrivé pres de la personne du Roy le duc de Bellegarde.
[…]
[p. 401] La France en deuil
Le Roy est mort. Ne m’appellez plus l’agreable, appellez moi la desolée et pleine d’amertume, dit aujourd’hui la France apres la belle mere de Ruth dans l’histoire sacrée.
Dieu a t il donc repoussé les vœux de tant de personnes de toutes conditions, sexes et aages ? Ou nostre zele relasché et nos mains appesanties ne nous ont elles point arresté et suspendu les faveurs d’en haut ? Ou plustost l’extreme pieté de nostre bon Roy, qui demandoit pour lui le Ciel avec tant d’instance, n’a t elle point surmonté la nostre qui le vouloit retenir en terre ? Quoy qu’il en soit, nostre tristesse est arrivée à son dernier point par la perte du meillur, du plus juste et du plus victorieux monarque qui ait régi la France depuis plusieurs siècles. Et pour ce que nous trouvons quelque soulagement dans la connoissance des moyens qui ont contribué à notre perte, comme il elle en estoit moindre, voici la continuation du recit de la maladie du Roy, depuis le 30 du passé.
Les cinq jours suivans diminuerent beaucoup de la joye que l’amandement des precedens nous avoit fait concevoir. Car encor que le Roy eut quelques notables relasches, si est ce que le redoublement de sa fievre lui arrivant tous les jours et les autres accidens de sa maladie [p. 402] perseverans la rendoyent grandement perilleuse. Mais sa violence n’interrompit jamais les elancemens de son ame vers le Ciel, entre lesquels il tesmoignoit porter envie aux saints martyrs, dont il se faisoit lire la vie toutes les nuits qu’il passoit sans dormir. Et bien que ses veilles et le peu d’aliment qu’il prenoit lui deussent naturellement causer quelque resverie, il en a esté exempt comme par une grace speciale, la force de son esprit ne s’estant jamais relaschée, mesmes aux moindres choses : sa resignation a tousjours esté telle qu’ayant eu en suite quelque petite relasche qui relevoit l’espérance abbatue de quelques uns des assistans, il leur dist qu’il vouloit tenir tousjours son esprit dans l’indifference de mourir ou de vivre, selon qu’il plairoit à Dieu d’en ordonner, desirant neantmoins plustost le premier que le dernier, comme il montroit repetant souvent ces mots : Taedet animam meam vitae meae, ou s’il desiroit de vivre, il y ajoutoit incontinent que ce n’estoit que pour faire penitence au monde, y faire regner de plus en plus la pieté et la justice, et y procurer surtout une paix glorieuse à son estat, laquelle si Dieu ne lui permettoit pas de pouvoir faire tandis qu’il seroit sur la terre, son ame se prosterneroit incessamment devant Dieu pour l’impetrer de sa misericorde.
Mais ce qui ne doit pas estre de peu de consideration, comme il n’est pas un petit exemple à ceux qui gouvernent, Sa Majesté n’a jamais cessé durant toute sa maladie de donner ordre aux affaires de son Estat, dont elle entretenoit tous les jours la Reine, monseigneur le duc [p. 403] d’Orléans son frere, le prince de Condé, le cardinal Mazarin, son chancelier, le surintendant de ses finances et le sieur de Chavigni, avec une singuliere confiance.
Elle avoit le 5 de ce mois donné la coadjutorerie de l’archevesché d’Arles à l’evesque de aint. Pol, premier suffragant dudit archevesché, et l’evesché de Saint Pol à l’abbé de Grignan, frere dudit evesque de Saint Pol, et avant ce temps là et depuis receut humainement tous les princes, princesses, seigneurs et dames qui le venoyent visiter et compatir à son mal, tous lesquels comme il me seroit malaisé de vous nommer, ainsi ne vous puis je taire, sans oublier les principaux traits de l’esprit de Sa Majesté, les entretiens qu’Elle eut avec quelques uns de ceux qui sont venus à ma connoissance. Elle tesmoigna au duc de Vendosme un grand contentement de le voir de retour, comme Elle avoit receu un sensible deplaisir à son absence, ce qu’Elle lui feroit connoistre par tous les effets possibles et le regret qu’Elle avoit du passé. Elle en dist autant à la duchesse de Guise. Le duc d’Engoulesme s’estant approché de son lit, le Roy lui montra son estomac amaigri par la longueur de sa maladie, lui faisant remarquer comme la qualité de roy n’exemptoit aucun des infirmitez attachées à la condition humaire. Et montrant au sieur de Liencour ses bras decharnez, lui dist cette belle sentence : Memento homo quia cinis et et in cinerem reverteris. Aussi possédoit il tellement tous les passages sacrez qu’on ne lui avoit pas plustost [p. 404] commancé le verset d’un pseaume qu’il l’achevoit. Il estoit si bien instruit en tous les points de l’escriture qu’au lieu que les autres entendent les choses par les mots, il entendoit les mots par les choses mesmes, dont l’usage lui avoit rendu la langue latine aussi familiere que la nostre. Le sieur de Ventadour l’aisné, ecclesiastique, estant venu coucher en son antichambre le huitieme de ce mois pour l’entretenir de discours de devotion quand il ne faisoit plus lire dans les livres sacrez, il se plaignit souvent à lui de son mal, non pour autre raison, disoit-il, sinon qu’il l’empeschoit de prier Dieu aussi librement comme il le desiroit. Il ne pouvoit ouir parler d’aucune matiere de devotion qu’il n’y respondist de parole ou de geste. Et quand la force de son mal eut abatu celle de son corps, voire estant mesme proche de sa fin et un peu devant sa mort, à chaque mention qu’il entendoit faire de Dieu et des choses saintes, il levoit incontinent les yeux au Ciel, tendoit les bras et remuoit les levres, tesmoignant par là les saints mouvemens de son ame.
Mais pourquoi viens je si tost à cette mort et à cette fin ? Pleust à Dieu que quelqu’autre de cœur plus dur et qui seroit moins touché du sentiment de la perte d’un si bon prince vous pust achever le reste. C’est ici où les plus scavans trouveront à apprendre, les gens de bien à se consoler, et les meschans à craindre. Hommes, voici cette catastrophe de la comedie que nous jouons tous, et ce masque levé où il n’y a plus moyen de se deguiser, mais où il faut paroistre tels que nous sommes.
C’est là où nostre second saint Louis, apres le flux [p. 405] et reflux des agitations diverses que le monde lui a données trouve le port de son salut tant desiré.
Chacun avoit encore la mémoire toute recente de sa confession, de sa communion et des autres actes d’un roy veritablement tres chretien : il n’y a que lui qui en trouve la repetition necessaire. Ayant donc demandé instamment la communion le douziesme dudit mois et lui ayant esté accordée, Sa Majesté, qui s’estoit confessée tous les jours de la derniere semaine de sa maladie, se reconcilia encor le matin de ce jour là, et le pere Dinet, jesuite, son confesseur, lui ayant donné l’absolution, il communia par les mains de l’evesque de Meaux, son premier aumosnier, avec son zele ordinaire. La Reine s’approchant du chevet du Roy, Sa Majesté prit sa main et celle de monseigneur le duc d’Orleans, son frere unique, et les joignit ensemble, leur faisant derechef promettre entre ses mains une bonne union et concorde, et qu’ils auroyent soin des enfans de Leurs Majestez. En mesme temps, le Roy appella l’evesque de Lizieux d’entre les autres prelats, lui communiqua durant quatre ou cinq heures tout ce qui regardoit sa conscience, et lui marqua l’endroit où sont les prieres pour les agonizans, afin qu’on les lui dist lorsqu’il seroit en cet estat.
Le 13, à la premiere mention que lui fit son confesseur de se preparer à bien mourir, il l’embrassa, recitant le Te Deum, pour la joye que lui donnoit l’esperance d’estre bientost joint à son createur, et fit appeler l’evesque de Meaux pour reciter les prieres de la recommandation de l’ame, ce qui donna sujet au bruit de sa mort qui courut ensuite, [p. 406] mais lui estant arrivé quelque petit soulagement, ces prieres furent differées jusqu’au lendemain 14.
Auquel jour, ledit evesque de Meaux disant la messe dans la chapelle du chasteau neuf sur les 7 à 8 heures du matin, le Roy le manda derechef pour faire lesdites prieres. A cette fin, il entra dans la chambre du Roy revestu de son rochet, camail et estole violette, où il trouva l’evesque de Lisieux que Sa Majesté avoit envoyé querir, et où estoit aussi l’evesque de Beauvais et son confesseur avec le pere Vincent, superieur de la Mission, ledit sieur de Ventadour et les aumosniers de Sa Majesté, qui firent ladite recommandation de l’ame, le Roy leur respondant avec son zele accoustumé, comme faisoyent aussi la Reine, les princes, princesses, ducs et pairs, mareschaux de France et autres seigneurs et dames là presens. Et apres que ledit evesque de Lizieux, auquel Sa Majesté avoit donné charge de ne l’abandonner point, lui eut fait former des actes de foy, d’esperance, de charité et de contrition qui lui estoyent fort familiers, Elle l’embrassa et le baisa, l’apelant son père. La parole lui manqua à une heure et demie apres midi, depuis lequel temps les evesques de Lizieux et de Meaux lui continuans des admonitions chrestiennes, que le Roy tesmoignoit par signes bien entendre un quart d’heure durant. Il demeura encor demie heure avant que d’expirer, comme il fit fort doucement entre les bas desdits evesques de Lizieux et de Meaux, de son pere confesseur et du pere Vincent, tres saintement et comme il appartenoit au fils aisné de l’Eglise, ayant contenté ces deux prelats et ces ecclesiastiques sur tous les sujets qui regardoyent sa conscience, et ayant rendu la Reine, tant en [p. 407] sa presence qu’en son absence, tous les tesmoignages d’une sainte amitié conjugale, apres avoir accompagné leur dernier adieu de larmes reciproques. Ainsi expira ce bon prince sur les deux heures et un quart apres midi du 14 jour de may, l’an 43 de ce siecle et 42 de son age non encor revolu, apres avoir regne justement 33 ans, et, ce qui ne se peut concevoir sans merveille, le mesme jour du mesme mois, la mesme apres disnee et environ la mesme heure que mourut Henry le Grand, son pere, tous deux d’eternelle memoire. Jour que cette double perte nous feroit appeler malheureux si nostre Sauveur ne l’avoit choisi cette année pour son ascension, et pour celle de cette ame bien heureuse qui loge maintenant dans le Ciel. L’evesque de Meaux ayant dit ensuite les prieres de l’absoute des morts, l’evesque de Lizieux et lui fermerent les yeux du Roy et l’evesque de Meaux, lui ayant baisé la main et fait une grande reverence, donna les ordres necessaires pour accompagner le corps d’ecclesiastiques.
Nostre grande Reine ne s’est jamais montrée plus grande qu’en ce rencontre, où Sa Majesté a fait douter laquelle de toutes ses perfections s’est trouvée en un plus haut degré, ou son assiduité autour de la personne du Roy defunt, qu’elle n’a jamais abandonné durant les longueurs de cette fascheuse maladie, ou sa pieté, qui a servi d’exemple à tout le monde pour extorquer du Ciel la santé de ce cher espoux s’il eust esté possible, ou sa présence d’esprit qui a desjà paru dans les conseils et qui se fait admirer dans la conduite des affaires, ou sa constance qui lui fait si dignement conjoindre les interests de vefve à ceux de mere [p. 408] d’un grand Roy et regente d’un grand royaume, ou cette bonté sans pareille qui lui gaigne les cœurs de tout le monde et l’eust faite reine d’election quand elle ne l’eust point esté de naissance.
Si tost que le Roy fut decedé, la Reine regente, accompagnée de monseigneur le duc d’Orleans, du prince de Condé et des autres princes, princesses, ministres, ducs et pairs, mareschaux de France et autres officiers de la Couronne en grand nombre, fut conduite du chasteau neuf de Saint Germain dans le vieil, en passant par la chapelle où elle et toute la cour, fondans en larmes, firent leurs prieres pour le repos de l’ame du defunt, et se rendit en son ancien appartement où se trouva le Roy à present regnant, entre les mains duquel, la Reine regente sa mere presente, le prince de Condé presta le serment de grand maistre de France, qui fut leu par le sieur de Guenegaud, secretaire d’Estat ayant le departement de la Maison du Roy, avec ordre audit grand maistre d’ordonner de tout ce qui concernera la pompe funebre du Roy defunt, dont vous aurez le recit au premier jour. Et enfin, nos larmes essuyées par le contentement que nous promettent cette heureuse regence et l’estroite union de tous les seigneurs de son conseil, que la mémoire de nostre prince mourant va rendre eternelle, persuaderont aisement à nos ennemis de faire la paix avec une Couronne qui abreuve ses chevaux en mesme temps dans le Po, dans le Rhin et dans l’Ebre, chez qui les accidens communs à tous les hommes ne rebatent rien de la valeur propre à sa nation, qui leur fera tousjours voir que le Roy n’est pas mort.
A Paris, du bureau d’adresse, le 16 may 1643. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 3 février 1670
Quand on est obligé à écrire des nouvelles sur le récit d’autrui, c’est souvent contre la vérité ; il en a été de même de la relation que je fis vendredi au soir à Votre Altesse royale de la retraite de Monsieur de la Cour et de la prison de M. le chevalier de Lorraine pour beaucoup de circonstances, quoique j’eusse su ce que je lui en mandai sur le récit qu’en avait fait M. le comte de Charost et madame la comtesse du Plessis dans le propre logis de Monsieur, au Palais Royal. Voici, Monseigneur, la pure vérité écrite par [p. 389] madame de Montespan à M. le duc de Mortemart, son père, que j’ai sue de madame de Tambonneau, son intime et bien aimée amie. Mais je supplie Votre Altesse royale que personne ne sache que je lui ai nommé toutes ces personnes.
L’abbé de La Rivière, évêque de Langres, avait deux abbayes, de l’apanage de Monsieur. Comme il était vieux et valétudinaire, il y a longtemps qu’il attendait sa mort pour les donner au chevalier de Lorraine ; il le dit au Roi à Chambord, qui lui répondit que ledit chevalier n’étant pas ecclésiastique, sa conscience ne lui permettait pas d’y consentir, qu’outre cela il faisait une vie trop libertine pour posséder des bénéfices. Monsieur l’ayant prié instamment de l’agréer, Sa Majesté lui repartit encore qu’il était impossible, mais qu’à la considération de ce qu’il aimait, quoiqu’il eut peu d’estime pour ledit chevalier, qu’il lui donnerait 40000 livres de pension quand lesdites abbayes viendraient à vaquer. Monsieur ayant rapport tout ceci au chevalier de Lorraine, [p. 390] ils firent cent railleries sur la conscience du Roi à cause des dames, et qu’il a sues. Le Roi accuse aussi le chevalier de Lorraine de l’infâme crime de sodomie avec le comte de Guiche et même des hommes qui ont été brûlés pour cela en Grève.
L’évêque de Langres étant mort jeudi matin, Monsieur dit au Roi qu’il avait donné les abbayes au chevalier de Lorraine ; il lui répliqua qu’il ne le voulait pas. Monsieur lui répondit que c’était une affaire faite ; Sa Majesté lui dit encore qu’il l’empêcherait. Ils s’échauffèrent tous les deux, les assistants s’en aperçurent et qu’il y avait de la mésintelligence, sans en savoir la cause. Le Roi, au sortir de la chapelle, monta en carrosse et alla à Versailles. Monsieur se retira chez lui, fort atterré, s’enferma dans un cabinet avec le chevalier de Lorraine, lui dit ce qui s’était passé et que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il voulait à l’heure se retirer de la Cour. Il le pria de n’en rien faire, que cette action nuirait à tous les deux. Monsieur fit appeler M. Le Tellier, lui parla fort atterré, se plaignit du Roi, lui dit que l’on lui avait inspiré les mauvais traitements qu’il lui faisait [p. 391] et s’emporta beaucoup. M. Le Tellier tâcha de le ramener et, voyant qu’il continuait toujours du même ton, il lui demanda qu’il voulait qu’il écrivit au Roi tout ce qu’il venait de lui dire ; Monsieur lui ayant dit qu’il lui ferait plaisir, le ministre alla l’écrire au Roi qui, recevant sa lettre, n’en témoigna rien. M. Colbert étant arrivé à Saint Germain, Monsieur le fit aussi appeler et lui parla avec le même feu qu’il l’avait fait à M. Le Tellier.
A l’entrée de la nuit, le Roi arriva de Versailles et alla à droiture chez madame de La Vallière. Madame la duchesse d’Orléans lui envoya un gentilhomme lui dire qu’elle ne pouvait sortir du château neuf, qu’elle le suppliait de vouloir aller pour chose qui lui importait beaucoup. Sa Majesté s’y rendit à l’abord. Madame le pria de vouloir que le chevalier de Lorraine eût les abbayes ; il lui dit qu’il ne se pouvait ; elle le lui demanda en grâce, il persista dans son refus, lui représentant qu’elle avait oublié tous les mauvais traitements qu’on lui avait faits. Elle lui témoigna qu’elle préférait la satisfaction de Monsieur à ses intérêts, que le chevalier de Lorraine était un [p. 392] jeune homme, qu’il changerait de conduite, le supplia de lui pardonner et, voyant qu’elle ne pouvait rien gagner, elle se jeta aux genoux du Roi, la larme à l’œil, lui témoignant que le plus grand déplaisir qu’elle avait était de se séparer de sa personne mais qu’elle était obligée de suivre Monsieur qui s’en voulait aller.
Le Roi se retira en disant que, puisque son frère se séparer de lui pour cela, qu’il saurait châtier ceux qui en étaient cause et fomentaient leur désunion. Il donna d’abord les ordres pour fortifier la garde de monsieur le Dauphin, qui loge dans le château neuf, et de prendre toutes les avenues. M. le comte de Vaillac s’en étant aperçu, qui est capitaine des gardes de Monsieur, lui en donna avis ; il lui en répliqua qu’il en savait la cause, néanmoins il témoigna quelques peines. M. Le Tellier entra ensuite dans sa chambre et lui dit de la part du Roi que, la nécessité de son service l’obligeant de s’assurer de la personne du chevalier de Lorraine, qu’il serait fâché d’être forcé de le faire arrêter dans son appartement et en sa présence ; il lui répliqua [p. 393] que, puisque le Roi en usait de la sorte, qu’il allait partir pour Villers Cotterets ; ce ministre lui représenta qu’il ne le devrait pas faire mais seulement aller à Saint Cloud, qu’il était aisé de sortir de la Cour de cette sorte mais qu’on ne savait pas quand on y pourrait revenir. Monsieur lui dit fortement qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues du Roi, qu’il y irait et qu’il ne reviendrait jamais auprès de lui qu’avec le chevalier de Lorraine ; puis, se tournant au chevalier, il l’embrassa, l’assura de la continuation de son amitié et lui dit de suivre M. Le Tellier. Ils sortirent ensemble ; le chevalier lui demanda ce qu’il avait à faire, qu’il était prêt à obéir aux ordres du Roi. M. Le Tellier lui répondit qu’il n’avait rien à lui commander de sa part.
Comme ils furent dans la cour du château vieux, le comte d’Ayen l’arrêta et le chevalier de La Ilhière ; ils lui demandèrent son épée, puis le sortirent de là. Il demanda au comte d’Ayen où il le menait ; il lui répondit : « Dans ma chambre », où, étant arrivé, [p. 394] il souhaita de voir M. le Grand et le comte de Marsan, ses frères ; on lui dit qu’il ne pouvait mais qu’il pouvait écrire à qui il voudrait. Il fit quatre lettres : une à Monsieur, au comte de Marsan, à mademoiselle de Fiennes et à l’intendant de sa maison ; il voulut les montrer au comte d’Ayen, il dit qu’il n’avait pas ordre de les voir ; on croit néanmoins que le Roi les a lues. Il priait Monsieur de lui continuer l’honneur de sa bienveillance et que, s’il avait encore quelque amitié pour lui, il le suppliait de protéger et d’assister mademoiselle de Fiennes. Monsieur lui a fait réponse qu’à sa considération il aurait soin de la demoiselle, qu’il se consolât, parce qu’il courrait toujours la même fortune que lui. Ledit chevalier coucha à Saint Germain, il n’a pas été à la Bastille, on lui demanda combien il voulait de domestiques, qu’il pouvait prendre ceux qu’il voudrait : il choisit deux de ses gentilshommes et deux valets de chambre. Il partit le vendredi dans son carrosse, où il y a un lieutenant des gardes du corps avec une [p. 395] forte escorte ; il doit aller à Pierre Encise, des autres disent à la citadelle de Montpellier et peut être à Collioure sur les frontières de Catalogne.
Monsieur partit samedi d’ici pour Villers Cotterets avec Madame, suivi de douze carrosses à six chevaux ; ils ont laissé ici Mademoiselle et la maréchale du Plessis auprès d’elle ; la maréchale de Clérembault, qui a été nommé par le Roi pour la gouvernante, se trouvant en Poitou, Monsieur lui a dépêché un courrier pour qu’elle ne vienne pas ; il dépêcha un courrier en Angleterre, et, à ce que l’on dit par Paris, un autre en Piémont, ce que je ne crois pas. Le maréchal du Plessis, comme officier de la Couronne et peut être pour voir s’il trouverait jour à quelque accommodement, demanda au Roi congé de suivre son maître, qui lui répliqua : « Eh quoi ! Monsieur partir ? » Le maréchal répliqua que oui. Sa Majesté lui répondit : « Qu’il aille, et vous le pouvez suivre ».
Quoiqu’en apparence l’affaire des abbayes soit la cause de cette querelle ci aussi bien que la fermeté et résolution de Monsieur, on dit que le roi d’Angleterre avait prié Sa Majesté Très Chrétienne [p. 396] d’ôter d’auprès de Monsieur le chevalier de Lorraine, qu’il était cause des mauvais traitements que recevait sa sœur, à moins de quoi il serait obligé de la retirer à Londres.
Le Roi a paru fort chagrin et triste depuis cette affaire, quoiqu’il affecte le contraire, puisqu’il continue à faire des loteries et que demain on dansera le ballet ; néanmoins, il appréhende des brouilleries et qu’il ne se forme quelque parti en faveur de Monsieur, car, dans le fond, si la chose ne s’accommode bientôt, Monsieur s’ennuiera à Villers Cotterets, son dépit et sa rage augmenteront, et il se trouvera forcé à accepter des partis qu’on ne manquera pas de lui offrir du dehors. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 31 janvier 1670
Bien que j’aie su dès le point du jour et même avant que de commencer cette lettre que M. le chevalier de Lorraine avait été hier soir arrêté prisonnier à Saint Germain et que Monsieur en était parti à l’heure, très mal satisfait, néanmoins je n’ai pas cru le devoir faire savoir à Votre Altesse royale que je n’en susse au vrai toutes les circonstances et les causes, ce que j’ai eu de la peine à débrouiller parce qu’on en parle bien différemment à Paris, mais à la fin j’ai su ce [p. 384] qu’Elle verra dans le mémoire ci-joint de ma main, que je n’ai pas le temps de faire copier parce qu’il est fort tard.
Relation de ce qui s’est passé à Saint Germain la nuit du 30 janvier 1670
Le Roi fit donner une petite revue à ses gardes du corps pour avoir prétexte de les assembler et donner ordre à M. le comte d’Ayen, fils de M. le duc de Noailles, capitaine de quartier, et à M. le comte de Lauzun, marquis de Péguilin, d’en prendre quatre cents à l’entrée de la nuit et de se rendre maîtres de toutes les avenues du château neuf, ce qui ne se put faire sans que Monsieur, qui y avait son logement, n’en fût averti, dont il fut fort surpris et en peine. M. Le Tellier entra d’abord dans sa chambre et lui dit que le Roi était fâché d’être forcé, pour le bien de ses affaires, de s’assurer de M. le chevalier de Lorraine, qu’il croyait qu’il y donnerait les mains de bonne grâce puisque Sa Majesté lui avait donné l’ordre de l’assurer de la continuation de son amitié et de son estime. Monsieur lui répartit que, quels traitements que le Roi fît à ce chevalier, [p. 385] qu’il l’aimerait toujours parfaitement et qu’il lui donnerait toute sa confiance mais que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il allait partir à l’heure même pour se retirer à Villers Cotterets. M. Le Tellier lui voulut représenter qu’il ne fallait pas aller si loin, que ce serait assez de se retirer à Saint Cloud ; Monsieur lui répliqua qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues de La Cour pour s’y aller consoler.
M. Le Tellier, voyant entrer le comte d’Ayen dans la chambre, passa en l’appartement de madame la duchesse d’Orléans ; ce comte dit à Monsieur qu’il avait un extrême regret d’être obligé d’exécuter les ordres qu’il avait en sa présence ; il lui répliqua qu’il entendait assez ce qu’il lui voulait dire, il se tourna au chevalier de Lorraine, l’embrassa et se retira dans son cabinet, la larme aux yeux. Le comte d’Ayen fit prisonnier le chevalier de Lorraine avec toute la civilité possible, sans lui ôter son épée, le conduisit dehors de l’appartement de Monsieur, le remit au comte de Lauzun, qui l’amena sur l’heure à la Bastille, dont il est parti aujourd’hui pour être enfermé dans le château de Pierre Encise à Lyon.
[p. 386] M. Le Tellier, qui était passé chez Madame, lui fit le récit de toute la chose et lui demanda ce qu’elle ferait ; elle lui répartit hardiment : ce que Monsieur lui ordonnerait. Ils partirent sur le champ et arrivèrent à Paris environ minuit. Monsieur fit appelée l’ambassadeur d’Angleterre et l’abbé Montaigu, il demeura enfermé avec eux jusques à quatre heures ; on dit qu’il pressa fort ledit ambassadeur d’aller à Saint Germain, qui s’en excusa, et à son refus l’abbé de Montaigu a fait ce voyage là ce matin.
On parle diversement par Paris du sujet de cette détention. On dit que l’évêque de Langres étant mort, qui était cet abbé de La Rivière qui avait tant eu de crédit auprès de feu M. le duc d’Orléans, a laissé vacantes deux abbayes valant de revenu 40000 livres, qu’elles sont dans l’apanage de Monsieur et par conséquent de sa nomination ; que, les ayant données au chevalier de Lorraine et en ayant demandé l’agrément au Roi, il lui répondit [p. 387] que, n’étant pas prêtre, il en avait du scrupule et qu’alors il se passa entre eux quelques paroles d’aigreur. Mais ceux qui savent l’état des choses et qui en jugent sainement croient que le roi d’Angleterre a voulu la prison de ce chevalier, lui imputant les mauvais traitements que reçoit Madame, ceux que l’on a faits à madame de Saint Chaumont et à M. l’évêque de Valence, ses créateurs. En effet, bien que Madame suive Monsieur, elle a de la joie du malheur du chevalier de Lorraine et d’avoir l’avantage de s’être vengée du crédit du roi, son frère, que l’on ne veut pas maintenant fâcher ici.
On dit que Monsieur persiste dans la résolution de partir de Rueil pour Villers Cotterets, quoique MM. Le Tellier et de Lauzun soient venus aujourd’hui de Saint Germain pour lui parler. Il pourrait bien avoir le loisir de s’en repentir : s’il est bien conseillé, il se soumettra aux volontés du Roi ; il ne sera suivi que par ceux de sa maison et s’y divertira mal. Il n’est plus le temps d’autrefois que, quand un Fils de France se retirait de la Cour mal satisfait et était une fois à trois lieues de Paris, l’on croyait le royaume bouleversé et [p. 388] en péril ; chacun armait pour son parti et les mécontents levaient le masque ; présentement personne ne bougera, tout le monde est soumis dans le devoir et dans la crainte, le Roi dans la souveraine puissance, fort en argent et en troupes, maître des parlements, des places et de tout ce qui es dans son royaume. »

Lettre d’Henri IV demandant le transfert de ses enfants au Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, pour permettre aux ouvriers de travailler au Château-Neuf

« Madame de Monglat,
Je vous fay ce mot pour vous dyre qu’estant resolu d’aller l’un de ces jours à Saynt Germayn an Laye et loger dans le petyt chateau, vous remenyès yncontynant mon fyls et mes autres enfans dans le vyel chateau, et que vous permetyès aus ouvryers que l’on ranvoye pour y travayller, quoyqu’yls vyennent de cete vylle, d’y travayller comme je leur ay commandé, afyn que je trouve l’ouvrage qu’ylz font parachevée. Bonyour, madame de Monglat. Ce IIme aut, à Parys.
Henry »

Henri IV

Lettre d’Henri IV concernant une visite de la marquise de Verneuil à Saint-Germain-en-Laye

« Madame de Montglat,
Pour responce à celle que vous m’avés escripte touchant ce que vous a mandé madame de Verneuil du desir qu’elle a que vous faciés baptiser ma fille, je luy ay escript mon intention. De quoy je vous ay bien voulu advertir, affin que vous le faciés faire comme elle vouldra. Et pour ce que vous mandés à Lomenie touchant mon fils de Verneuil, je desire que vous le faciés mener au chasteau neuf avec mes aultres enfans, et si madame de Verneuil va à Saint Germain et desire le voir, que vous le luy envoyés au vieil chasteau, où j’entends qu’elle loge pour assister ma fille.
Et ceste cy n’estant à autre fin, Dieu vous ayt, madame de Montglat, en sa saincte garde. Ce VIe novembre, à Fontainebleau.
Henry »

Henri IV

Lettre de Philippe d’Orléans concernant l’arrestation du chevalier de Lorraine dans son appartement au Château-Neuf

« Monsieur, à M. Colbert
Villers Coterets, le 2 fevrier 1670
Monsieur Colbert,
Comme depuis quelque temps je vous crois de mes amis, et que vous etes le seul de ceux qui ont l’honneur d’approcher le Roi qui m’en ayez donné des marques dans l’epouvantable malheur qui me vient d’arriver, je crois que vous ne serez pas faché que je vous prie ici de dire au Roi que je suis venu ici avec la derniere douleur de me voir obligé de m’eloigner de lui, ou de demeurer avec honte à sa Cour. Que je le prie de considerer ce qu’on diroit dans le monde si l’on me voyoit gai et tranquille dans les plaisirs de Saint Germain et du carnaval, pendant qu’un prince innocent, le meilleur ami que j’aie sur la terre, et attaché à moi, languit pour l’amour de moi dans une miserable prison ; de plus, la manière dont on l’a pris a eté pour moi le plus sensible affront que je pusse recevoir, ayant eté longtemps incertain si c’etoit à ma personne que l’on en vouloit, ma chambre ayant eté assez longtemps environnée de toutes parts de gardes, tant [p. 462] aux portes qu’aux fenetres, et tous mes domestiques, epouvantés, me vinrent dire qu’ils ne savoient si c’etoit à moi qu’on en vouloit. De plus, le Roi fit demander à ma femme quel parti elle vouloit prendre ; cela marquoit dont qu’il avoit envie d’autoriser qu’elle ne fit pas son devoir à mon egard en me fuyant. Malgré toutes ces raisons, si je m’etois cru utile au service du Roi, je ne l’aurois pas quitté ; mais la manière dont il m’a traité toute sa vie me fait bien croire le contraire. Je sais que dans l’humeur où je suis, je ne pourrois lui etre que desagreable, et qu’il auroit de la peine meme à avoir à tous momens devant ses yeux un frere qu’il a mis dans le derniere desespoir, que cela seroit tres ennuyeux pour lui, et fort honteux pour moi, que je n’ai aucun dessein que de lui cacher ma sensible douleur, jusques à tant qu’il veuille me redonner de la joie. Que si j’osois je prierois le Roi de se mettre à ma place et de songer à ce qu’il feroit dans une pareille occasion, de me donner conseil lui meme, un conseil tel qu’il le croiroit honnete pour moi, et que tout le monde vit qu’il l’a donné à un frere, qui n’a songé toute sa vie qu’à lui etre agreable et à lui plaire. Cependant j’aime mieux vous ouvrir mon cœur qu’à tout autre, parce que je sais que vous etes sincere et de bonne foi, que vous n’avez d’autres interets que ceux du Roi, et que vous savez mieux que personne que mon malheur m’est arrivé dans un temps où je meritois un autre traitement assurement par toutes les choses que je sacrifiois tous les [p. 463] jours au Roi ; que si M. le chevalier de Lorraine etoit coupable, j’aurois eté le premier à l’eloigner d’aupres de moi, mais qu’il n’a jamais songé qu’à pouvoir meriter ses bonnes graces et son estime ; que j’en pouvois repondre, connoissant mieux que personne le fond de son cœur ; qu’enfin je ferois voir, à la honte de mes ennemis, que j’aimois le Roi plus que moi meme, mais qu’il me donnat les moyens d’accorder ma tendresse avec mon honneur, et qu’en cela je le conjurois de songer que j’etois son frere.
Apres cela, je n’ai rien à vous dire, que de vous assurer que je serai toute ma vie, M. Colbert, votre bien bon ami.
Philippe »

Philippe, duc d'Orléans

Résultats 41 à 50 sur 180