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Louis XIV Saint-Germain-en-Laye Français
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Acte de baptême de Louis d’Auneau du Vizé dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Ce dix neufviesme decembre mil six cent soixante et dix neuf, ont esté supplées les ceremonies du baptesme en la chapelle du chasteau vieil de ce lieu par Son Altesse eminentissime monseigneur Emmanuel Theodoze de La Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon, grand aumonier de France, à Louis, né le quatrieme fevrier de l’année [vide] et ondoyé par monsieur le curé de Saint Germain l’Auxerrois de Paris avec la permission de monseigneur l’archevesque du quinzieme du mesme mois et de la mesme année, filz de messire Gaspard d’Oneau du Vizée, si devant lieutenant des gardes du Roy et presentement premier maistre d’hotel de la Reyne, et de dame dame Marie Madelaine du Vizée, ses pere et mere, le parain tres hault, tres excellent et tres puissant prince Louis quatorzieme, par la grace de Dieu roy tres chrestien de France et de Navarre, la mareine tres haulte, tres excellente, tres puissante princesse Marie Thereze d’Austriche, reyne de France, en presence de moy curé soubsigné revestu de surplis et estole, et ont signé.
Louis
Marie Terese
Cagnyé »

Acte de baptême de Louis de Beauvais dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Ce jourd’huy septieme may mil six cens quatre vingts, ont esté supplées les ceremonies du bapteme en la chapelle du chasteau vieil par monseigneur Benigne Bossuet, ancien evesque de Condon, precepteur de monseigneur le Dauphin et premier aumonier de madame la Dauphine, Louis, né le dixieme avril dernier passé, environ l’heure de midy, et ondoyé par monsieur le curé de Saint Paul de Paris avec la permission de monseigneur l’archevesque en datte du onzieme dud. mois d’avril, fils de messire Louis de Beauvais, chevalier, baron et seigneur de Geantilly, et de dame Anne Berthelin, ses pere et mere, le parain tres hault, tres puissant, tres excellent prince Louis quatorzieme, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, la mareine tres haulte, tres puissante et tres excellente princesse Marie Thereze d’Austriche, reyne de France, lesquels ont signé en presence de moy curé soubsigné revestu de surpelis et estole.
Louis
Marie Terese
J. Benigne, a. e. de Condom
Cagnyé »

Acte de baptême de Louise Picaud dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Ce jourd’huy dix huitieme janvier mil six cens quatre vingts deux, ont esté supplées les ceremonies du baptesme en la chapelle du chasteau vieil par monseigneur Pierre du Cambou de Coelin, evesque d’Orleans, premier aumonier de tres hault, tres puissant et tres excellent prince Louis quatorze, par la grace de Dieu roy de France, à Louise, née le douzieme fevrier de l’année mil six cens quatre vingts un et ondoyé le treizieme dud. mois de fevrier avec la permission de monseigneur l’archevesque de Paris, fille de Pierre Picaud, sieur de la Verdenie, valet de garde robe du Roy, et de Françoise Lefebvre, ses pere et mere, le parain tres hault, tres puissant, tres excellent prince Louis quatorze, par la grace de Dieu roy de France, la mareine tres haulte et tres puissante princesse Charlotte Elisabeth, duchesse d’Orleans, lesquels ont signé en presence de moy curé soubsigné.
Louis
Elisabeth Charlotte
P. du Cambout de Coislin, e. d’Orleans
Cagnyé »

Acte de baptême de Louise Marie d’Angleterre dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, Louis XIV étant son parrain

« Ce jourd’hui vingt troisieme d’aoust mil six cent quattre vingt douze, ont estez suppleez les ceremonies du baptesme dans la chapelle du chasteau vieil de Saint Germain en Laye à Louise Marie, princesse d’Angleterre, fille de tres haut et tres puissant et tres excellent prince Jacques second, par la grace de Dieu roy de la Grande Bretagne, et de tres hautte, tres puissante et tres excellente princesse Marie Eleonor d’Est, princesse de Modene, son espouze, née audit chasteau de Saint Germain en Laye le vingt huitieme juin de la presente année, aiant estée ondoyé en la chambre de laditte reine par un de ses aumoniers, et lesdittes ceremonies du baptesme lui ont estez suppleez par monseigneur l’eminentissime cardinal de Bouillon, grand aumonier de France, en presence de messire François Converset, prestre, docteur de Sorbonne, abbé de Nostre Dame de Sully, prieur et curé dudit Saint Germain, lequel a porté les saintes huilles revestu de surplis et d’estolle, le parrain tres haut, tres puissant et tres excellent prince Louis quatorze, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, la marainne tres haute et tres puissante princesse Elizabeth Charlotte, princesse palatine du Rhin, duchesse de Baviere, espouse de tres haut et tres puissant prince Philippes de France, frere unique du Roy, duc d’Orleans, de Valois, de Chartres et de Nemours, lesquels ont signé.
Louis, Jacques R., Maria R.
Elisabeth Charlotte
Le card. de Bouillon, l’abbé Converset »

Description par Johann Jacob Volkmann des châteaux de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 485] St. Germain-en-Laye liegt auf einer Anhöhe an der Seine, ohngefähr eine Stunde von Marly. Es ist ein altes bekanntes königliches Lustschloß, welches von dem Walde, ehemals Ledia oder Laya genannt, den Beynamen behalten hat. Die kleine darzu gehörige Stadt ist artig, und gut gepflastert. Die lage des Schlosses ist vortreflich, und die just wegen ihrer Reinigkeit sehr gesund. Ludwig XIV hätte bey diesen Vortheilen hier mit halben Kosten etwas weit vortreslicheres ausführen können, wenn ihn sein Eigensinn nicht bewogen hätte, den [p. 486] platten sumpfigen Boden von Versailles vorzuziehen. Dazu kam, daß man von hier den Thurm von St. Denys sieht, und der große Ludwig wollte den Ort der königl. Begräbnisse nicht immer vor Augen haben, der ihn an seine Sterblichkeit erinnern mußte.
Man trifft hier zwey Schlösser an, das alte und das neue. Das alte ward schon von Ludwig VI als eine Fortresse angelegt, in den folgenden Zeiten aber von den Englandern zerstört. Franz I stellte es wieder her, und Ludwig XIV vergrößerte es mit fünf großen Pavillons. Das neue Schloß liegt etliche hundert Schritte davon, und ward von Heinrich IV aufgeführt. König Jacob II von England wohnte nach seiner Verjagung viele Jahre auf dem alten Schlosse, und beschloß hier auch 1718 sein leben. Von dem neuen sieht man nicht viel mehr, weil der Graf von Artois, dem es gehört, es abtragen, und ein schönes Gebäude aufführen laßt. Die Kapelle des alten Schlosses ist wegen ihrer guten Gemälde merkwürdig. Das heil Abendmahl auf dem Hauptaltare rührt von Poussin her, und in der Sakristey sieht man zwey vom Kardinal hieher geschenkte Stücke, nemlich eine betrübte Maria, von Hannibal Caracci, und Maria, welche dem Kinde die Brust reicht, von Corregio. Neben der Maria bläst ein Kind Kohlen an, darauf ein Suppentopf steht.
Der Garten ist ein Bild der Vergänglichkeit ; die Terrassen, welche nach der Seine hinab gehen, sind gewölbt, fallen aber nach und nach ein. Bey dem alten Schlosse ist ein großes Rasenstück, welches noch von der Henriette d Angleterre, Gemalinn des Bruders von Ludwig XIV herrührt, und der erste Boulingrin ist, welcher als Nachahmung des Englischen Geschmacks in Frankreich angelegt worden. [p. 487] Was aber allein eine Reise nach St. Germain verdient, ist die berühmte Terrasse, vielleicht die größte, und wegen der herrlichen ausgebreiteten Aussicht eine der schönsten in der Welt. Sie ist 1200 Klaftern lang und 15 breit. Auf der einen Seite läuft der Wald von St. Germain hin, welcher 5700 Acker enthält, und dem Könige häusig zur Jagd dient, und auf der andern verfolgt man durch eine unabsehliche Ebene den Laus der Seine, und übersteht eine Menge Schlösser, Landhäuser, Dörfer und Städte in der sruchtbarsten Gegend. Was für Vortheile bot hier die Natur dar, wenn unvernünftige Schmeichler Ludwig XlV nicht beredet hätten, er könne sie zwingen, und die wilde Gegend von Versailles in einen Feen Aufenthalt verwandeln ! »

Volkmann, Johann Jacob

Récit par la Grande Mademoiselle de séjours de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 11] Vers la fin de l’hiver [décembre 1637], la Reine devint grosse ; elle desira que j’allasse demeurer à Saint Germain. Durant sa grossesse, dont l’on fit beaucoup de mystere, le cardinal de Richelieu, qui n’aimoit point Monsieur, n’etoit pas bien aise que personne qui lui appartient fut auprès de Leurs Majestés ; et quoiqu’il m’eut tenue sur les fonts de bapteme avec la Reine, quoiqu’il me dit, toutes les fois qu’il me voyoit, que cette alliance spirituelle l’obligeoit à prendre soin de moi et qu’il me marieroit, discours qu’il me tenoit ainsi qu’aux enfans, à qui on redit incessamment la meme chose, quoiqu’il temoignat avoir beaucoup d’amitié pour moi, l’on eut néanmoins bien de la peine à lever tous les scrupules que sa mefiance lui faisoit avoir. Quand il eut consenti à mon voyage, j’allai à Saint Germain avec une joie infinie : j’etois si innocente que j’en avois de voir la Reine dans cet etat, et que je ne faisois pas la moindre reflexion sur le prejudice que cela faisoit à Monsieur, qui avoit une amitié si cordiale pour elle et pour le Roi qu’il ne laissa pas d’en etre aise et de le temoigner. L’assiduité que j’avois auprès de la Reine m’en faisoit recevoir beaucoup de marques de bonté et elle me disoit toujours : « Vous serez ma belle fille », mais je n’ecoutois de tout ce que l’on me disoit que ce qui etoit de la portée de mon age.
La cour etoit fort agreable alors : les amours du Roi pour madame de Hautefort, qu’il tachoit de divertir tous les jours, y contribuoient beaucoup. La chasse etoit un des plus grands plaisirs du Roi ; nous y allions souvent avec lui : madame de Beaufort, Chemeraut et Saint Louis, filles de la Reine, d’Escars, sœur de madame de Hautefort, et Beaumont, venoient avec moi. Nous etions toutes vetues de couleur, sur de belles haquenées richement caparaçonnées, et pour se garantir du soleil, chacune avoit un chapeau garni de quantité de plumes. L’on disposoit toujours la chasse du coté de quelques belles maisons, où l’on trouvoit de grandes collations, et au retour le Roi se mettoit dans mon carrosse entre madame de Hautefort et moi. Quand il etoit de belle humeur, il nous entretenoir fort agreablement de toutes choses. Il souffroit dans ce temps là qu’on lui parlat avec assez de liberté du cardinal de Richelieu, et une marque que cela ne lui deplaisoit pas, c’est qu’il en parloit lui meme ainsi. Sitot que l’on etoit revenu, on alloit chez la Reine ; je prenois plaisir à la servir à son souper, et ses filles portoient les plats. L’on avoit, reglement trois fois la semaine, le divertissement de la musique, que celle de la chambre du Roi venoit donner, et la plupart des airs qu’on y chantoit etoient de sa composition ; il en faisoit meme les paroles, et le sujet n’etoit jamais que madame de Hautefort. Le Roi etoit quelquefois dans une si galante humeur qu’aux collations qu’il nous donnoit à la campagne, il ne se mettoit point à table, et nous servoit presque toutes, quoique sa civilité n’eut qu’un seul objet. Il mangeoit après nous et sembloit n’affecter pas plus de complaisances pour madame de Hautefort que pour les autres, tant il avoit peur que quelqu’une s’aperçut de sa galanterie. S’il arrivoit quelque brouillerie entre eux, tous les divertissemens etoient sursis ; et si le Roi venoit dans ce temps là chez la Reine, il ne parloit à personne et personne aussi n’osoit lui parler ; il s’asseyoit dans un coin, où le plus souvent il bailloit et s’endormoit. C’etoit une melancolie qui refroidissoit tout le monde, et pendant ce chagrin il passoit la plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avoit dit à madame de Hautefort et ce qu’elle lui avoit répondu : chose si veritable qu’après sa mort l’on a trouvé dans sa cassette de grands procès verbaux de tous les demelés qu’il avoit eus avec ses maitresses, à la louange desquelles l’on peut dire, aussi bien qu’à la sienne, qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses.
[1638] Sur la fin de la grossesse de la Reine, madame la Princesse et madame de Vendôme vinrent à Saint Germain et y amenerent mesdemoiselles leurs filles. Ce me fut une compagnie nouvelle : elles venoient se promener avec moi, et le Roi s’en trouva fort embarrassé ; il perdoit contenance quand il voyoit quelqu’un à qui il n’etoit pas accoutumé, comme un simple gentilhomme qui seroit venu de la campagne à la cour. C’est une assez mauvaise qualité pour un grand roi, et particulièrement en France, où il se doit souvent faire voir à ses sujets, dont l’affection se concilie plutot par le bon accueil et la familiarité, que par l’austere gravité dont ceux de la maison d’Autriche ne sortent jamais. Monsieur vint aussi à la cour, et peu après la Reine accoucha d’un fils. La naissance de monseigneur le Dauphin me donna une occupation nouvelle : je l’allois voir tous les jours [p. 12] et je l’appelois mon petit mari ; le Roi s’en divertissoit et trouvoit bon tout ce que je faisois. Le cardinal de Richelieu, qui ne vouloit pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumat à moi, me fit ordonner de retourner à Paris. La Reine et madame de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le Roi et la Reine ; Leurs Majestés me temoignerent beaucoup de sentimens d’amitié, et surtout la Reine, qui me fit connoitre une tendresse particuliere en cette occasion. Après ce deplaisir, il m’en fallut essuyer encore un autre. L’on me fit passer par Ruel pour voir le cardinal, qui y faisoit sa demeure ordinaire quand le Roi etoit à Saint Germain.
[…]
[p. 14] Le Roi partit de Paris pour le voyage de Roussillon au mois de fevrier de l’année 1642 ; il laissa la Reine et ses deux enfans à Saint Germain en Laye, après avoir donné tous les ordres et pris toutes les precautions possibles pour leur sureté. Ces deux princes etoient sous la charge de madame de Lansac, en qualité de leur gouvernante ; et pour leur garde ils n’eurent qu’une compagnie du regiment des gardes françoises, dont le bonhomme Montigny etoit capitaine, le plus ancien de tout le regiment. Ces deux personnes là eurent chacun un ordre particulier : celui qu’eut madame de Lansac etoit qu’en cas que Monsieur, qui demeuroit à Paris le premier après le Roi, vint voir la Reine, de dire aux officiers de la compagnie de demeurer auprès de monseigneur le Dauphin et de ne pas laisser entrer Monsieur, s’il venoit, accompagner de plus de trois personnes. Quant à Montigny, le Roi lui donna une moitié d’ecu d’or, dont il garda l’autre, avec commandement exprès de ne point abandonner la personne des deux princes qu’il gardoit ; et s’il arrivoit qu’il reçut ordre de les transferer ou de les remettre en les mains de quelque autre, il lui défendit d’y obeir, quand meme il le verroit ecrit de la main de Sa Majesté, si ce n’etoit que celui qui le lui rendroit lui presentat en meme temps l’autre moitié de l’ecu d’or qu’il retenoit.
[…]
[p. 19] Peu après que l’on eut mis madame la comtesse de Fiesque auprès de moi, le Roi tomba malade de la maladie qu’il avoit eue devant le voyage de Perpignon. Cela m’obligeoit à lui rendre mes devoirs, et j’allois souvent [à] Saint Germain. Le Roi prenoit plaisir à mes visites, et me faisoit toujours fort bonne mine ; aussi n’en revenois je jamais que vivement touché de son mal, dont chacun auguroit que la suite seroit funeste. En effet, au commencement du mois d’avril suivant, peu après la disgrâce du sieur des Noyers dont j’ay parlé, il commença à empirer, et ne fit que languir et souffrir jusqu’au [p. 20] quatorzième jour de mai, qui fut celui de son décès. Si le pitoyable état où la maladie avoit réduit son corps donnoit de la compassion, les pieux et généreux sentimens de son ame donnoient de l’edification : il s’entretenoit de la mort avec une résolution toute chretienne ; il s’y etoit si bien preparé, qu’à la vue de Saint Denis par les fenetres de la chambre du chateau neuf de Saint Germain, où il s’etoit mis pour etre en plus bel air qu’au vieux, il montroit le chemin de Saint Denis, par lequel on meneroit son corps ; il faisoit remarquer un endroit où il y avoit un mauvais pas, qu’il recommandoit qu’on evitat, de peur que le chariot ne s’embourbat. J’ai meme ouï dire que durant sa maladie il avoit mis en musique le De profundis qui fut chanté dans sa chambre incontinent après sa mort, comme c’est la coutume de faire aussitot que les rois sont decedés. Il ordonna avec la meme tranquilité d’esprit ce qui seroit à faire pour le bien de l’administration de son royaume quand il seroit mort.
[…]
[p. 47] Peu après, Leurs Majestés sortirent de Paris sous pretexte de faire nettoyer le Palais Royal, et allerent à Ruel. Le chateau de Saint Germain etoit occupé par la reine d’Angleterre, dont le fils, M. le prince de Galles, etoit allé en Hollande. […]
Pendant que la cour etoit à Ruel, le parlement s’assembloit tous les jours pour le meme sujet qu’il avoit commencé : c’etoit pour la révocation de la paulette, et il continuoit à fronder M. le cardinal ; ce qui avoit plus contribué à faire aller la cour à Ruel que le nettoiement du Palais Royal. L’absence du Roi augmenta beaucoup la licence et la liberté avec laquelle l’on parloit dans Paris et le parlement. Ce corps fit meme quelques demarches qui deplurent à la cour ; de sorte qu’elle fut obligée d’aller à Saint Germain, d’où la reine d’Angleterre delogea et vint à Paris. Monsieur, qui couchoit quelquefois à Ruel, y etoit pendant ce temps là et manda à Madame de quitter Paris et d’emmener avec elle ses deux filles, qui etoient très petites, ma sœur d’Orleans et ma sœur d’Alençon. Madame la Princesse manda M. le duc d’Enghien, son petit fils ; et je me trouvai assez embarrassée d’etre la seule de la maison royale à Paris à laquelle on ne mandoit rien. Comme l’on ne doit jamais balancer à faire son devoir, quoique notre inclination ne nous y porte pas, je m’en allai à Ruel, et j’arrivai comme la Reine alloit partir pour Saint Germain. Elle me demanda d’où je venois : je lui dis que je venois de Paris et que, sur le bruit de son départ, je m’etois rendue auprès d’elle pour avoir l’honneur de l’accompagner, et que, quoiqu’elle ne m’eut pas fait l’honneur de me le commander, il m’avoir semblé que je ne pouvois manquer à faire ce à quoi j’etois obligée, et que j’esperois qu’elle auroit assez de bonté pour l’avoir agreable. Elle me repondit par un sourire que ce que j’avois fait ne lui deplaisoit pas, et que c’etoit beaucoup pour moi, après la maniere dont on m’avoit traitée, de voir que l’on me souffroit. Quoique mon procedé meritat bien qu’ils en eussent un obligeant pour moi pour reparer le passé, je temoignai à Monsieur et à l’abbé de La Rivière que je n’etois pas contente que l’on eut envoyé querir jusques aux petits enfans, et qu’à moi l’on ne m’eut dit mot. La reponse ne fut que de gens fort embarrassés. Quand l’on manque envers des personnes qui ne manquent jamais, leur conduite nous coute beaucoup de confusion, et pour l’ordinaire, dans cet etat, l’on tient des discours meilleurs à etre oubliés qu’à etre retenus. Pendant ce voyage, je ne fis ma cour que par la nécessité qui m’y obligeoit. J’etois logée dans la meme maison que la Reine : je ne pouvois manquer de la voir tous les jours ; ce n’etoit pas avec le meme soin et la meme assiduité que j’avois fait depuis la regence : aussi n’y avois-je pas les memes agremens. […]
[p. 48] Pendant que la cour etoit à Saint Germain, on fit force allées et venues pour s’accommoder avec le parlement. Ils envoyerent des deputés qui confererent avec M. le cardinal, en vertu d’une declaration que le Roi donna. Elle est si celebre que, quand il n’y auroit que les registres du parlement qui en feroient mention, ce seroit assez pour m’en dispenser d’en dire davantage. L’on disoit alors (et je l’ai encore oui dire depuis) qu’elle auroit eté fort utile pour le bien de l’Etat et le repos public, si elle fut demeurée en son entier. Il est à croire qu’elle n’est pas tout à fait conforme à l’autorité du Roi, puisqu’il [p. 49] sembloit qu’elle avoit eté obtenue quasi par force, et donnée à dessein d’apaiser les troubles dont l’on etoit menacé si on l’eut refusée. Les connoisseurs et les politiques jugeront mieux que je ne pourrois faire si on a eu raison de l’enfreindre.
Madame accoucha, pendant le séjour de Saint Germain, d’une fille que l’on appela mademoiselle de Valois ; comme elle est délicate, elle ne put venir à Paris avec la Cour, qui partit la veille de la Toussaint pour s’y rendre.
[…]
[p. 49] Pendant que la Cour fut à Paris, elle n’y eut pas tout le contentement qu’elle pouvoit desirer ; cela obligea M. le cardinal de conseiller d’en sortir : ce qui etoit un dessein un peu hardi lorsqu’on consideroit l’incertitude de l’evenement. Comme Monsieur et M. le Prince etoient les gens les plus interessés au bien de l’Etat, il voyoit que selon toute vraisemblance ils en devoient etre les maîtres, et que ce qui pourroit arriver de ce conseil tomberoit plutôt sur eux que sur lui. La suite a fait voir que l’on eut pu se passer de ce voyage, qui a eté cause de tous les facheux troubles qui ont suivi, et de l’absence de M. le Prince, qui est à compter pour beaucoup. Monsieur et M. le Prince disoient que le cardinal eut beaucoup de peine à les faire consentir à ce dessein ; ils y consentirent enfin, et ils disent aussi s’en etre bien repentis depuis : ils l’ont dû faire, ils en ont bien pati tous deux. Monsieur avoir la goutte depuis quelque temps, et deux jours avant le départ la Reine alla tenir conseil chez lui ; ce fut là que la dernière résolution de ce voyage se prit. L’on trouva que la nuit du jour des Rois etoit propre pour ce dessein, pendant que tout le monde seroit en débauche, afin d’etre à Saint Germain avant que personne s’en aperçût. J’avois soupé ce jour là chez Madame, et toute la soirée j’avois eté dans la chambre de Monsieur, où quelqu’un de [p. 50] ses gens me vint dire en grand secret que l’on partoit le lendemain, ce que je ne pouvois croire à cause de l’etat où Monsieur etoit. Je lui allai debiter cette nouvelle par raillerie ; le silence qu’il garda là dessus me donna lieu de soupçonner la verité du voyage. Il me donna le bonsoir un moment après, sans avoir rien répondu. Je m’en allai dans la chambre de Madame ; nous parlames longtemps là dessus : elle etoit de la meme opinion que moi, que le silence de Monsieur marquoit la verité de ce voyage. Je m’en allai à mon logis assez tard.
Entre trois et quatre heures du matin, j’entendis heurter fortement à la porte de ma chambre ; je me doutai bien de ce que c’etoit : j’éveillai mes femmes et envoyai ouvrir ma porte. Je vis entrer M. de Comminges ; je lui demandai : « Ne faut il pas s’en aller ? » Il me repondit : « Oui, Mademoiselle ; le Roi, la Reine et Monsieur vous attendent dans le Cours, et voilà une lettre de Monsieur ». Je la pris, la mis sous mon chevet et lui dis : « Aux ordres du Roi et de la Reine, il n’est pas necessaire d’en joindre de Monsieur pour me faire obeir ». Il me pressa de la lire ; elle contenoit seulement que j’obeisse avec diligence. La Reine avoit désiré que Monsieur me donnat cet ordre, dans l’opinion que je n’obeirois pas au sien et que j’aurois été ravie de demeurer à Paris pour me mettre d’un parti contre elle ; car contre le Roi, je ne vis jamais personne qui avouat d’en avoit eté, c’est toujours contre quelque autre personnage que le Roi. Si elle ne s’etoit pas plus trompée en tout ce qu’elle auroit pu prevoir qu’en cette crainte, elle auroit eté plus heureuse et auroit eu moins de chagrin. Jamais rien ne fut si vrai que ce que j’ai pensé cent fois depuis.
Au moment que M. de Comminges me parla, j’etois toute troublée de joie de voir qu’ils alloient faire une faute, et d’etre spectatrice des miseres qu’elle leur causeroit : cela me vengeoit un peu des persécutions que j’avois souffertes. Je ne prevoyois pas alors que je me trouverois dans un parti considerable, où je pourrois faire mon devoir et me venger en meme temps : cependant, en exerçant ces sortes de vengeances, l’on se venge bien contre soi-meme. Je me levai avec toute la diligence possible, et je m’en allai dans le carrosse de Comminges ; le mien n’etoit pas pret, ni celui de la comtesse de Fiesque. La lune finissoit, et le jour ne paroissoit pas encore ; je recommandai à la comtesse de Fiesque de m’amener au plus tot mon équipage. Lorsque je montai dans le carrosse de la Reine, je dis : « Je veux etre au devant ou au derriere du carrosse, je n’aime pas le froid et je veux etre à mon aise ». C’etoit en intention d’en faire ôter madame la Princesse, qui avoit accoutumé d’etre en l’une des deux places. La Reine me répondit : « Le Roi mon fils et moi nous y sommes, et madame la Princesse la mere ». Je repondis : « Il l’y faut laisser, les jeunes gens doivent les bonnes places aux vieux ». Je demeurai à la portiere avec M. le prince de Conti ; à l’autre etoit madame la Princesse la fille et madame de Seneçay. La Reine me demanda si je n’avois pas eté bien surprise ; je lui dis que non, et que Monsieur me l’avoit dit, quoiqu’il n’en fut rien. Elle me pensa surprendre en cette menterie, parce qu’elle me demanda : « Comment vous etes vous couchée ? » Je lui repondis : « J’ai eté bien aise de faire provision de sommeil, dans l’incertitude si j’aurois mon lit cette nuit ». Jamais je n’ai vu une creature si gaie qu’elle etoit ; quand elle auroit gagné une bataille, pris Paris, et fait pendre tous ceux qui lui auroient deplu, elle ne l’auroit pas plus eté, et cependant elle etoit bien eloignée de tout cela.
Comme l’on fut arrivé à Saint Germain (c’etoit le jour des Rois), l’on descendit droit à la chapelle pour entendre la messe, et tout le reste de la journée se passa à questionner tous ceux qui arrivoient, sur ce que l’on disoit et faisoit à Paris. Chacun en parloit à sa mode, et tout le monde etoit d’accord que personne ne temoignoit de deplaisir du depart du Roi. L’on battoit le tambour par toute la ville, et chacun prit les armes. J’etois en grande inquiétude de mon equipage ; je connoissois madame la comtesse de Fiesque d’une humeur timide mal à propos, et dont je craignois de patir, comme je fis : elle ne voulut point sortir de Paris dans la rumeur, ni faire passer mon équipage : ce qui m’etoit le plus necessaire ; quant à elle, je m’en serois bien passée. Elle m’envoya un carrosse, qui passa parmi les plus mutins sans qu’on lui dit rien ; le reste auroit passé de meme. Ceux qui etoient dedans reçurent toutes sortes de civilités, quoique ce fut de la part de gens qui n’en font guère ; et cela me fut rapporté. Elle m’envoya dans ce carrosse un matelas et un peu de linge. Comme je me vis en si mauvais équipage, je m’en allai chercher secours au chateau neuf, où logeoient Monsieur et Madame, qui me preta deux de ses femmes de chambre : comme elle n’avoit pas toutes ses hardes non plus que moi, le tout alla plaisamment. Je me couchai dans une fort belle chambre en galetas, bien peinte, bien dorée et grande, avec peu de feu, et point de [p. 51] vitres ni de fenetres, ce qui n’est pas agreable au mois de janvier. Mes matelas etoient par terre, et ma sœur, qui n’avoit point de lit, coucha avec moi. Il falloit chanter pour l’endormir, et son somme ne duroit pas longtemps ; elle troubla fort le mien ; elle se tournoit, me sentoit auprès d’elle, se reveilloit et crioit qu’elle voyoit la bete ; de sorte que l’on chantoit de nouveau pour l’endormir, et la nuit se passa ainsi. Jugez si j’etois agréablement pour un personne qui avoit peu dormi l’autre nuit, et qui avoit eté malade tout l’hiver de maux de gorge et d’un rhume violent ! Cependant toute cette fatigue me guerit. Heureusement pour moi les lits de Monsieur et de Madame vinrent : Monsieur eut la bonté de me donner sa chambre, il avoit couché dans un lit que M. le Prince lui avoit prêté. Comme j’etois dans la chambre de Monsieur, où l’on ne savoit point que je logeasse, je me reveillai par le bruit que j’entendis ; j’ouvris mon rideau : je fus fort étonnée de voir ma chambre toute pleine de gens à grands collets de buffle, qui furent fort étonné de me voir, et que je connoissois aussi peu qu’ils me connoissoient. Je n’avois point de linge à changer, et l’on blanchissoit ma chemise de nuit pendant le jour, et ma chemise de jour pendant la nuit ; je n’avois point mes femmes pour me coiffer et habiller, ce qui est très incommode ; je mangeois avec Monsieur, qui fait très mauvaise chère. Je ne laissois pas pour cela d’etre gaie, et Monsieur admiroit que je ne me plaignois de rien. Pour Madame, elle n’etoit pas de meme : aussi suis je une créature qui ne m’incommode de rien, et fort au dessus des bagatelles. Je demeurai ainsi dix jours chez Madame, au bout desquels mon equipage arriva, et je fus fort aise d’avoir toute mes commodités. Je m’en allai loger au chateau vieux, où etoit la Reine ; j’etois resolue, si mon equipage ne fut venu, d’envoyer à Rouen me faire faire des hardes et un lit : et pour cela je demandai de l’argent au tresorier de Monsieur, et l’on m’en pouvoit bien donner, puisque l’on jouissoit de mon bien ; si l’on m’en eut refusé, je n’aurois pas laissé de trouver qui m’en eut preté. […]
Les occasions de combat ne furent pas frequentes pendant cette guerre : elle dura peu, et l’on fut longtemps à Saint Germain sans que les troupes qui devoient assiéger Paris fussent venues. L’on n’eut jamais dessein de l’assieger dans les formes ; la circonvallation eut été un peu trop grande, et l’armée trop petite. L’on se contenta de la separer en deux quartiers, l’un à Saint Cloud et l’autre à Saint Denis : c’etoit celui de Monsieur, et l’autre de M. le Prince. L’on prenoit quelquefois des charrettes de pain de Gonesse et quelques bœufs, et l’on venoit le dire en grande hate à Saint Germain : l’on faisoit des prisonniers, et c’etoient gens peu considerables. La grande occasion fut à Charenton, que l’on prit en deux heures ; Monsieur et M. le Prince y etoient en personne : ils y assistèrent tous deux à leur ordinaire, et celui qui le defendoit s’appeloit Clanleu. Il avoit eté à Monsieur, et l’avoit quitté : il ne vouloit point de quartier. M. de Châtillon y fut blessé, et mourut le lendemain au bois de Vincennes, [p. 52] et M. de Saligny, tous deux de la maison de Coligny. Il arriva une aventure assez remarquable, et qui paroît plutôt un roman qu’une vérité. Le marquis de Cugniac, petit fils du vieux marechal de La Force, qui etoit dedans, voulut se sauver et se jeter sur un bateau ; la riviere etoit gelée et un glaçon le porta de l’autre côté de l’eau, et meme plusieurs ont dit qu’il le porta jusqu’à Paris.
Après cet exploit, les deux armées furent assez longtemps en bataille entre le bois de Vincennes et Piquepus, et personne ne se battit. L’on eut une grande joie à Saint Germain de cette expedition : il n’y eut que madame de Châtillon qui fut affligée. Son affliction fut moderée par l’amitié que son mari avoit pour mademoiselle de Guerchy, et meme dans le combat il y avoit une de ses jarretieres nouée à son bras : comme elle etoit bleue, cela la fait remarquer, et en ce temps là l’on n’avoit pas encore vu d’écharpe de cette couleur. La magnificence n’etoit pas grande à Saint Germain : personne n’avoit tout son équipage ; ceux qui avoient des lits n’avoient point de tapisseries, et ceux qui avoient des tapisseries n’avoient point d’habits, et l’on y etoit très pauvrement. Le Roi et la Reine furent longtemps à n’avoir que des meubles de M. le cardinal. Dans la crainte que l’on avoit à Paris de laisser sortir les effets du cardinal sous pretexte que ce fussent ceux du Roi et de la Reine, ils ne vouloient rien laisser sortir, tant l’aversion etoit grande. Cela n’est pas sans exemple que les peuples soient capables de haïr et d’aimer les memes gens en peu de temps, et surtout les François. Le Roi et la Reine manquoient de tout, et moi j’avois tout ce qu’il me plaisoit, et ne manquois de rien. Pour tout ce que j’envoyois quérir à Paris, l’on donnoit des passeports, on l’escortoit ; rien n’etoit égal aux civilités que l’on me faisoit.
La Reine me pria d’envoyer un chariot pour emmener de ses hardes ; je l’envoyai avec joie, et l’on en a assez d’etre en état de rendre service à de telles gens, et de voir que l’on est en quelque consideration. Parmi les hardes que la Reine fit venir, il y avoit un coffre de gants d’Espagne ; comme on les visitoit, les bourgeois commis pour cette visite, qui n’etoient pas accoutumés à de si fortes senteurs, eternuerent beaucoup, à ce que rapporta le page que j’avois envoyé, et qui etoit mon ambassadeur ordinaire. La Reine, Monsieur et M. le cardinal rirent fort à l’endroit de cette relation, qui etoit sur les honneurs qu’il avoit reçus à Paris. Il etoit entré au parlement à la grand’chambre, où il avoit dit que je l’envoyois pour apporter des hardes que j’avois laissées à Paris ; on lui dit que je n’avois qu’à témoigner tout ce que je desirerois, que je trouverois la compagnie toujours pleine de tout le respect qu’elle me devoit, et enfin ils lui firent mille honnetetés pour moi. Mon page disoit aussi qu’en son particulier on lui en avoit beaucoup fait. Il ne fut point etonné de parler devant la Reine et M. le cardinal ; pour Monsieur, il l’avoit vu souvent, et lui alloit parler de ma part. Il eut une longue audience, il fut fort questionné : il avoit vu tout ce qui se passoit à Paris, où je ne doute pas qu’on ne l’eût aussi beaucoup questionné ; et pour un garçon de quatorze ou quinze ans, il se demela fort bien de cette commission. Depuis, Monsieur et toute la cour ne l’appeloient plus que l’ambassadeur ; et quand je fus à Paris, il alloit voir tous ces messieurs, et etoit si connu dans le parlement qu’il y recommandoit avec succès les affaires de ses amis. […]
[p. 53] La Reine alloit tous les jours aux litanies à la chapelle, et elle se mettoit dans un petit oratoire au bout de la tribune où les autres demeuroient ; et comme la Reine demeuroit longtemps après qu’elles etoient dites, celles qui n’avoient pas tant de dévotion s’amusoient à causer, et l’on observa que M. de Saint Mesgrin parloit à madame la Princesse. Pour moi, je n’en voyois rien : j’etois dans l’oratoire avec la Reine, où le plus souvent je m’endormois, parce que je n’etois pas une demoiselle à si longues prières ni à méditations. […]
Quand l’on parla de paix, je m’en souciois peu : je ne songeois en ce temps là qu’à mes divertissemens. Je me plaisois fort à Saint Germain, et j’aurois souhaité y pouvoir passer toute ma vie. Le bien public n’etoit pas alors trop connu de moi non plus que celui de l’Etat, quoique par ma naissance on y ait assez d’intérêt ; mais quand on est fort jeune et fort inapliquée, on a pour but que le plaisir de son âge. Il y eut plusieurs conferences à Ruel avec M. le Prince et le cardinal Mazarin : comme le detail en est su de tout le monde, je ne m’embarquerai ici en aucune affaire, parce que je n’en ai pas une parfaite connoissance ; et pour ne m’en pas donner la peine, je dirai seulement que je ne crois pas qu’elle fut fort avantageuse au Roi. Je fus des premieres qui allai à Paris dès que la paix fut faite ; je demandai congé à la Reine et à Monsieur d’y aller ; madame de Carignan y vint avec moi. Comme je n’y avois aucune affaire, je n’aurois pas demandé congé si je n’avois eu un beau prétexte, savoir de visiter la reine d’Angleterre sur la mort du roi, son mari, auquel le parlement d’Angleterre avoit fait couper la cour il n’y avoit que deux mois. L’on n’en porta point le deuil à la Cour, c’est à dire comme on l’auroit dû ; il n’y eut que les personnes et point les équipages, faute d’argent : la raison est bien [p. 54] pauvre. Quand j’ai parlé ci devant de la miserable situation où l’on etoit, j’avois oublié de dire que nous etions à Saint Germain en l’etat où nous voulions mettre Paris : l’intention etoit de l’affamer, et néanmoins les habitans y avoient tout en abondance, et à Saint Germain l’on manquoit souvent de vivres ; les troupes qui etoient aux environs prenoient tout ce qu’on y apportoit. Ainsi l’on etoit quasi affamé : ce qui faisoit souvent dire que M. le cardinal ne prenoit pas bien ses mesures, et que c’etoit ce qui empêchoit les affaires de bien réussir.
[…]
[p. 60] Le roi d’Angleterre, qui ne devoit etre que quinze jours en France, y fut trois mois. Comme la cour etoit à Paris, et lui avec la reine, sa mere, à Saint Germain, on les voyoit peu. Lorsque je suis qu’il etoit sur son départ, j’allai rendre mes devoirs à la reine, sa mere, et prendre congé de lui. La reine d’Angleterre me dit : « Il faut se réjouir avec vous de la mort de l’imperatrice : il y a apparence que si cette affaire a manqué autrefois, elle ne manquera pas celle ci ». Je lui répondis que c’etoit à quoi je ne songeois pas. Elle poursuivit ce discours, et me dit : « Voici un homme qui est persuadé qu’un roi de dix huit ans vaut mieux qu’un empereur qui en a cinquante, et quatre enfans ». Cela dura longtemps en manière de picoterie, et elle disoit : « Mon fils est trop gueux et trop miserable pour vous ». Puis elle se radoucit et me montra une dame angloise dont son fils etoit amoureux, et me dit : « Il apprehende tout à fait que vous ne le sachiez, voyez la honte qu’il a de la voir où vous etes, dans la crainte que je ne vous le dise ». Il s’en alla. Ensuite, la reine me dit : « Venez dans mon cabinet ». Comme nous y fumes, elle ferma la porte et me dit : « Le roi, mon fils m’a priée de vous demander pardon si la proposition que l’on vous a faite à Compiègne vous a deplu : il en est au desespoir, c’est une pensée qu’il a toujours et de laquelle il ne peut se defaire ; pour moi, je ne voulois pas me charger de cette commission ; il m’en a priée si instamment que je n’ai jamais pu m’en défendre. Je suis de votre avis : vous auriez été miserable avec lui, et je vous aime trop pour l’avoir pu souhaiter, quoique ce fut son bien que vous aussiez été compagne de sa mauvaise fortune. Tout ce que je puis souhaiter, est que son voyage soit heureux, et qu’après vous veuillez bien de lui ». Je lui fis là dessus mes complimens le miex qu’il me fut possible. »
[…]
[p. 375] [1662] Le Roi se promenoit souvent pendant l’hiver avec la Reine : il avoit eté avec elle deux ou trois fois à Saint Germain, et l’on disoit qu’il avoit regardé La Motte Houdancourt, une des filles de la Reine, et que La Valliere en etoit jalouse.
[…]
[p. 392] [1665] La Cour alla à Saint Germain et faisoit souvent des voyages à Versailles. Madame s’y blessa et y accoucha d’une fille qui etoit morte il y avoit dejà dix ou douze jours ; elle etoit quasi pourrie ; ce fut une femme de Saint Cloud qui la servir : l’on n’eut pas le temps d’aller à Paris en chercher une. On eveilla le Roi et l’on fit chercher le curé de Versailles, pour voir si cette fille etoit en état d’etre baptisée. Madame de Thianges lui dit de prendre garde à ce qu’il feroit : qu’on ne refusoit jamais le bapteme aux enfans de cette qualité. Monsieur, à la persuasion de l’eveque de Valence, vouloit qu’on l’enterrat à Saint Denis. J’etois à Paris ; j’allai droit à Versailles pour rendre ma visite à Madame. Dès le meme soir, Monsieur alla coucher à Saint Germain, où je trouvai la Reine affligée de ce que cette fille n’avoit pas eté baptisée, et blamoit Madame d’en etre cause par toutes les courses qu’elle avoit faites sans songer qu’elle etoit grosse. Madame disoit qu’elle ne s’etoit blessée que de l’inquietude qu’elle avoit eue que le duc d’York n’eut été tué, parce qu’on lui avoit parlé d’une bataille qu’il venoit de donner sur mer, sans lui dire s’il en etoit revenu.
On laissa Madame dès le meme jour de ses couches, parce que la reine mère d’Angleterre arrivoit et qu’on vouloit lui laisser le logement de Versailles : elle venoit de voir son fils. Le Roi alla au devant d’elle jusqu’à Pontoise dans l’abbaye de Saint Martin, dont Edme de Montaigu etoit abbé. La reine mère d’Angleterre, arrivée comme je le viens de dire, ne paroissoit pas satisfaite de la beauté de sa belle fille ; elle etoit charmée de sa pieté et disoit qu’elle n’avoit jamais tant vu prier Dieu ni de si bonne foi qu’elle le faisoit.
Je ne fus pas longtemps à la cour, parce que la saison de prendre les eaux de Forges venoit. Je m’y en allai ; j’avois dejà commencé à boire qu’il vint un courrier m’avertir que la Reine mere se mouroit. Je partis en relais de carrosse, j’arrivais à dix heures du roi à Pontoise, où l’assemblée du clergé se tenoit. J’y trouvai M. l’archeveque de Paris, qui l’etoit en ce temps là de Rouen, qui me dit que la Reine mère se portoit mieux. Je m’en allai coucher aux Carmelites : le lendemain, j’allais diner à Saint Germain, où le Roi, la Reine et la Reine mere me temoignèrent mille amitiés sur l’empressement avec lequel j’etois venue. Je vis que la maladie n’etoit plus dangeureuse : je m’en retournai continuer de prendre les eaux.
[…]
[p. 394] [20 janvier 1666] J’entendis sonner la grosse clocher de Notre-Dame : comme on ne le fait jamais que dans de grandes occasions, je dis : « L’on croit la Reine morte ». Un moment après Monsieur fit un grand cri ; le medecin entra, le Roi lui dit : « Elle est donc [p. 395] morte ! » Il lui dit : « Oui, Sire ». Il me dit à pleurer comme un homme penetré de douleur. Madame de Fleix porta ses clefs au Roi ; l’on alla dans son cabinet chercher son testament, qui fut lu devant toute la parenté, à la reserve de Monsieur, qui ne voulut pas y demeurer. Après que M. Le Tellier eut achevé la lecture, le Roi monta en carrosse pour s’en aller, et je m’en allai chez moi me coucher.
Le lendemain et les deux jours suivans, je fus extremement visité de toutes les dames qui alloient à Saint Germain avec leurs mantes : elles vinrent chez moi avec le meme habit. J’allai conduire le chœur au Val de Grâce. […] Le lendemain, j’allai diner à Saint Germain, pour recevoir les ordres du Roi pour conduire le corps à Saint-Denis. Il etoit au conseil, où j’allai lui parler devant les ministres.
[…]
[p. 398] [1666] Le Roi fit tendre ses tentes dans la garenne de Saint Germain ; elles etoient très belles : il y avoit des appartemens complets comme dans une maison. Le Roi y donna une grande fete ; madame de Montausier y tint une petite table, où j’envoyai Châtillon et Créqui, et je n’en gardai qu’une pour etre à celle de la Reine. Madame de Montausier avoit la sienne dans le meme lieu ; toutes les personnes qu’elle y fit mettre etoient ou devoient etre de celles qui peuvent manger avec la Reine.
[…]
[p. 402] [1668] Le Roi s’en alla au mois de janvier à Saint Germain pour y mener la Reine et M. le Dauphin, d’où il partit pour s’en aller en Franche Comté. M. le Prince y etoit, avec des troupes qu’il avoit feint de tenir auprès de lui pour y tenir les Etats.
[…]
[p. 407] [1669] Après avoir appris toutes ces nouvelles, je m’en allai à Saint Germain, où je passai l’hiver sans faire de voyages à Paris comme j’avois acccoutumé de faire ; c’est à dire qu’avant cela j’y demeurois quinze jours et cinq ou six jours à la Cour. Cet hiver, sans savoir quasi pourquoi, je ne pouvois souffrir Paris ni sortir de Saint Germain. Lorsque j’y etois, une de mes filles eut la petite verole ; cet accident m’empecha d’aller à la Cour pendant quatre ou cinq jours ; je les passai à Paris avec beaucoup de langueur ; je me souviens que je fus très aise lorsqu’on me fit savoir que je pouvois retourner à la Cour. Je voyois M. de Lauzun chez la Reine, avec qui je prenois un très grand plaisir de causer ; je lui trouvois sous les jours plus d’esprit et plus d’agrement à ce qu’il disoit qu’à toute autre personne du monde. Il se tenoit toujours réservé dans les termes de soumission et de respect que les autres gens ne peuvent imiter.
[…]
[p. 408] M. le chevalier de Lorraine fut arreté au chateau neuf, lorsqu’il etoit dans une chambre renfermé avec Monsieur. Le comte d’Ayen le fit demander pour lui parler ; il vint et M. d’Ayen l’arreta. Le chevalier de La Hillière, qui etoit avec lui, dit à M. le comte d’Ayen de lui faire rendre son épée : ce qu’il fit ; et après ils le menerent dans la chambre du capitaine des gardes du corps dans le Louvre et ensuite coucher dans une maison dans le bourg. Il fut conduit à Lyon.
[…]
[p. 409] Monsieur et Madame revinrent de Villers Cotterets ; elle avoit un grand appartement de plain pied à celui du Roi ; et quoiqu’elle logeat avec Monsieur au chateau neuf, lorsqu’elle en etoit sortie le matin, elle passoit les après dinées au vieux chateau, où le Roi lui parloit plus aisement des affaires qu’elle negocioit avec le roi d’Angleterre, son frere. Depuis la disgrâce du chevalier de Lorraine, elle s’etoit accoutumée à me parler.
[…]
[p. 411] [1670] Il vint un bruit que le Roi rendoit la Lorraine, et qu’on me devoit marier au prince Charles ; je crus que c’etoit une heureuse occasion pour mettre M. de Lauzun en etat et aux termes de pressentir la situation où je me trouvois, et de me parler du sien. Je l’envoyai prier de me venir trouver à ma chambre, qui n’etoit pas bien loin de la sienne ; il me falloit meme passer devant sa porte lorsque j’allois chez la Reine. L’on me vint dire qu’il n’etoit pas dans sa chambre. Il etoit grand ami de Guitry, et il etoit souvent avec lui dans un appartement extraordinaire qu’il s’etoit fait accommoder : je me servis du prétexte de ma curiosité à le vouloir voir ; je ne doutai pas que je n’y trouvasse M. de Lauzun avec lui ; je m’etois trompée. Lorsque je descendis chez la Reine, je le vis qui parloit à la comtesse de Guiche.
[…]
[p. 422] [1670] Lorsque j’arrivai à Saint-Germain, je trouvai qu’on avoit mis les maçons dans ma chambre, qui ne pouvoient avoir fini leur travail de huit jours. Malgré ma repugnance et mon degout d’etre à Paris, il me fallut de necessité y aller. Je m’y serois ennuyée à la mort, sans que le Roi alla passer quelques jours à Versailles ; j’y courus avec beaucoup de diligence. »

Anne-Marie-Louise d’Orléans

Mentions de Saint-Germain-en-Laye dans les mémoires de madame de Motteville

« [p. 32] Apres toutes les persecutions qui furent faites à plusieurs particuliers, le Roi, suivant son naturel, s’abandonna tout entier au pouvoir de son favori. Il se vit reduit à la vie la plus melancolique et la plus miserable du monde, sans suite, sans Cour, sans pouvoir, et par consequent sans plaisir et sans honneur. Ainsi se sont passées quelques années de sa vie à Saint Germain, où il vivoit comme un particulier, et pendant que ses armées prenoient des villes et gagnoient des batailles, il s’amusoit à prendre des oiseaux. Ce prince etoit malheureux de toutes les manieres, car il n’aimoit point la Reine et avoit pour elle de la froideur, et il etoit le martyr de madame de Hautefort, qu’il aimoit malgré lui et qu’il ne pouvoit se resoudre de chasser de la Cour, l’accusant de se moquer de lui avec la Reine. […] Enfin, lassé de tant souffrir, il chassa, comme je l’ai déjà dit, mademoiselle de Hautefort, et son inclination se tourna vers un objet nouveau dont la beauté brune n’etoit pas si eclatante, mais qui, avec de beaux traits de visage et beaucoup d’agremens, avoit aussi de la douceur et de la fermeté dans l’esprit. La Fayette, fille d’honneur de la Reine, aimable et fiere tout ensemble, fut celle qu’il aima. […] [p. 33] Madame de Hautefort ne fut pas fachée de sa retraite : elle n’avoit pas de honte qu’on la crut sa rivale ; et il n’y avoit point de prude qui n’aspirat à la gloire d’etre aimée du Roi comme l’etoit La Fayette, tout le monde etant persuadé que la passion qu’elle avoit pour lui n’etoit point incompatible avec sa vertu. Quand elle se separa de lui, elle lui parla longtemps devant tout le monde chez la Reine, où elle monta aussitot apres avoir eu son congé. Il ne parut aucune alteration sur son visage : elle eut la force de ne pas donner une de ses larmes à celles que ce prince repandit publiquement. Apres l’avoir quitté, elle prit congé de la Reine, qui ne la pouvoit aimer ; ce qu’elle fit avec cette douceur et cette satisfaction que doit avoir une chretienne qui cherche Dieu, et qui ne veut plus aimer que lui sur la terre, et ne desire que l’eternité. Elle ne fit pas neanmoins toutes ces choses sans beaucoup souffrir. J’ai su depuis de la comtesse de Flex, fille de la marquise de Senecé, et par consequent parente de La Fayette, qu’au sortir de la chambre du Roi, où elle avoit dit adieu à ce prince, elle descendit dans son appartement dont les fenetres donnoient sur la cour du chateau, et que cette aimable et vertueuse fille ayant entendu le carrosse du Roi, qu’il avoit fait venir pour dissiper le chagrin où il etoit, pressée de la tendresse qu’elle avoit pour lui, elle courut le voir au travers des vitres. Quand il fut entré, et qu’elle l’eut vu partir, elle se trouva vers la comtesse de Flex, qui etoit encore fille, et lui dit, touchée de douleur : « Helas ! je ne le verrai plus ».
[…]
[p. 45] [1643] Le lendemain de la mort du roi Louis XIII, le roi Louis XIV, la Reine, Monsieur, duc d’Anjou, le duc d’Orleans et le prince de Condé partirent de Saint Germain pour venir à Paris, et le corps du feu Roi demeura seul à Saint Germain, sans autre presse que celle du peuple, qui courut le voir par curiosité plutot que par tendresse. Le duc de Vendome y resta pour faire les honneurs, et le marquis de Souvré, gentilhomme de la chambre en année, pour y faire sa charge. De tant de gens de qualité qui lui avoient faire la cour la veille, personne ne demeura pour rendre ses devoirs à sa memoire : tous coururent à la regente.
Pendant les derniers jours de la maladie du feu Roi, le duc d’Orleans et le prince de Condé se regarderent avec defiance l’un de l’autre. On vit beaucoup de visages nouveaux, et chacun avoit plus de suite qu’à l’ordinaire. La Reine ne manqua pas de faire doubler ses gardes, et de prendre ses precautions contre les princes du sang, quoique ses soupçons fussent mal fondés.
[…]
[p. 84] [1644] La reine d’Angleterre vint à Paris à peu pres dans ce meme temps. Il y avoit trois ou quatre mois qu’elle etoit à Bourbon. La Reine la fut recevoir avec le Roi et le duc d’Anjou, le veritable Monsieur, jusque hors de la ville. Ces deux grandes princesses s’embrasserent avec tendresse et amitié, et se firent mille compliments qui ne tenoient rien du compliment. On la mena loger au Louvre, qui pour lors etoit abandonné, et pour maison de campagne on lui donna Saint Germain. Comme les affaires du Roi etoient en bon etat, et que la guerre n’avoit point encore ruiné les finances royales, on lui donna ensuite une pension de dix ou douze mille ecus par mois, et en toutes choses elle eut grand sujet de se louer de la Reine.
[…]
[p. 162] [1648] Le 3 juin, la Reine alla visiter la reine d’Angleterre, qui, de Saint Germain, etoit venue à Paris passer quinze jours en intention de gagner le jubilé.
[…]
[p. 200] Le 12 de septembre, […] la Reine dit tout haut qu’elle vouloit aller faire un petit voyage à Ruel, seulement pour faire nettoyer le Palais Royal, qui avoit besoin d’etre purifié. Le peuple avoit montré tant d’aversion à laisser sortir le Roi de Paris qu’on avoit cru cette apparente promenade trop difficile à faire pour oser la publier beaucoup de temps avant l’execution. Le cardinal, contre qui le peuple avoit vomi tant d’imprecations, etoit reduit à cette extremité de ne pouvoir sortir de la maison du Roi. Il craignoit toujours les suites de la rebellion, qui lui pouvoient estre pernicieuses. La Reine ne laissoit pas de sortir, mais la mauvaise disposition des esprits lui donnoit lieu de craindre toutes choses. Ainsi l’air de la campagne, qui semble annoncer la liberté et l’innocence, etoit un preservatif necessaire contre la corruption des ames, comme il le devoit aussi etre des corps. La saleté du Palais Royal fut donc un pretexte plausible pour mettre fin à certains desseins qui etoient enfermés dans le cœur du ministre, et qui etoient assez de consequence pour l’obliger à prendre toutes les precautions necessaires pour les bien executer.
Le lendemain 13 de septembre, sans en faire plus de bruit que le discours que la Reine avoit fait de ce voyage le jour precedent, le Roi, accompagné du cardinal Mazarin, de peu de personnes et de peu de gardes, partit à six heures du matin ; et, par cette promptitude, il ota au [p. 201] parlement et aux bourgeois le moyen de s’opposer à son dessein. La Reine seule demeura comme la plus vaillante pour favoriser cette retraite ; et comme son confesseur etoit malade, elle voulut aller le trouver aux Cordeliers pour se confesser, et dire adieu à ces bonnes filles du Val de Grace, qu’elle honoroit d’une tres particuliere amitié. […]
[p. 207] Les affaires etant en l’etat où elles etoient, la Reine se resolut de tirer Monsieur de Paris, où il etoit resté malade de sa petite verole ; mais pour attraper les Parisiens, qui etoient tous ravis d’avoir ce precieux gage entre leurs mains, elle donna ordre à Beringhen, premier ecuyer, d’aller modestement faire cette conquete sur eux. Il part de Ruel et vient à Paris, comme tous ceux de la Cour y venoient tous les jours. Etant arrivé, il prend un carrosse à deux chevaux, et va au Palais Royal faire visite à ce petit prince. Il le prit entre ses bras, le cacha dans le derriere de son carrosse, et le mena jusqu’à Longchamp. Il le mit ensuite dans un bateau pour le passer à l’autre bord de la riviere, où un carrosse du Roi l’attendoit, qui le mena à Boisenval, proche de Ruel. La Reine alla le voir le lendemain, et le ramena avec elle aupres du Roi, avec intention de changer bientôt de demeure, et d’aller à Saint Germain où la Cour se trouveroit separée de Paris par trois bras de riviere, et dans une assez raisonnable distance pour pouvoir travailler plus commodement qu’à Fontainebleau aux affaires que le parlement lui suscitoit tous les jours. On fit garder le pont de Neuilly jusqu’au depart du Roi, parce que l’on craignoit quelque inondation du peuple de Paris, et quelques mauvais effets de sa rage. […]
[p. 208] Le 29, les deputés allerent à Saint Germain, où la Reine etoit arrivée le 24. Ils y furent remplis de presomption et d’orgueil, et firent leur conference chez le duc d’Orleans, dont le ministre fut exclus à leur priere. […] [p. 209] En cette conference, les deux partis furent à demi satisfaits les uns des autres, et les deputés demeurerent d’accord de revenir à Saint Germain une seconde fois. […]
Un Espagnol nommé Galarette, passant alors de Flandre, où il avoit servi de secretaire d’Etat, pour aller en Espagne, demeura quelques jours à Saint Germain, où il eut de grandes conferences avec le cardinal sur tous les articles de la paix. Le ministre l’auroit peut etre alors desirée tout de bon, afin d’avoir des troupes toutes libres [p. 210] et de l’argent, pour chatier ceux qui le vouloient attaquer. Comme la haine des peuples n’avoit pas de plus legitime pretexte de murmurer contre lui que celui de le soupçonner de n’avoir pas voulu la paix, la Reine fit remarquer avec soin au public cet entretien particulier, disant souvent qu’elle et le cardinal Mazarin ne desiroient rien si fortement que ce bonheur, et que si le Roi son frere y vouloit consentir, elle se feroit assurement.
On fit voir le Roi à cet Espagnol, se promenant dans le parc. Il le trouva bien fait et fort aimable. La Reine ne le vit point, par une gravité qui lui fut inspirée par le ministre, quoiqu’elle l’eut connu autrefois aupres du marquis de Mirabel, dernier ambassadeur d’Espagne en France. […]
Le 1er du mois d’octobre ayant eté pris pour recommencer la conference à Saint Germain, les deputés y arriverent chargés de nouvelles propositions et de vingt cinq articles qui furent proposés par eux ; tous furent octroyés, hormis les deux que j’ai dejà marqués touchant la liberté des prisonniers et le privilege que le parlement demandoit d’en pouvoir prendre connoissance vingt quatre heures apres qu’ils seroient arretés. Il fut meme conclu qu’ils reviendroient dans deux jours pour achever entierement cette negociation. Le cardinal Mazarin n’assistoit à aucune de ces conferences, et le chancelier en avoit eté exclus par ordre de la Reine, pour tenir compagnie au ministre. Il fut neanmoins renvoyé à celle ci, comme necessaire au service du Roi, pour y maintenir ses interets et les faire voir aux princes qui ne pouvoient pas entendre les chicanes du parlement. […]
Le 3 du mois, les deputés retournerent à Saint Germain, selon la resolution qui en avoit eté prise. D’abord, les princes leur firent de grands reproches de leur arret donné contre le service du Roi, à la veille d’un accommodement. Ils leur dirent que ce procedé marquoit visiblement leurs mauvaises intentions, et qu’ils n’avoient pas de veritables desirs pour la paix. Ils repondirent, pour leur justification, que cet impot [p. 211] jusqu’alors n’avoit point eté levé, que les buchers s’etoient toujours defendus vigoureusement, que les partisans qui en avoient traité avec le Roi confessoient eux-mêmes n’en avoir rien reçu, et que, cela etant, ils avoient cru, sans prejudice du service du Roi, le pouvoir defendre et donner ce contentement au peuple. […]
Enfin, la conference ayant duré jusques au soir fort tard, les affaires ne purent se decider, à cause que les deputés vouloient absolument ce que la Reine ne vouloit point du tout leur accorder. Les princes les quitterent et vinrent prendre le cardinal dans son appartement. Ils allerent tous ensemble trouver la Reine dans le parc, où elle etoit allée faire un tour de promenade, attendant le succes de leur longue negociation. Le conseil fut tenu dans le propre carrosse de la Reine, sur ce qu’ils avoient à faire. Le chancelier exposa le fait, et l’obstination des deputés à vouloir la sureté des prisonniers, les retirant de la puissance des rois pour les faire juger juridiquement et hors de la domination des favoris, qu’ils disoient etre quelquefois injustes. La Reine, entendant parler de l’opiniatreté de ceux du parlement, interrompit le chancelier pour dire que son avis etoit de leur refuser constamment ce qu’ils demandoienrt, et de les chatier de leur entreprise sans plus ecouter aucune proposition de paix. […]
[p. 212] La Reine, les princes et le ministre se quitterent tous dans la grande place qui separe les deux chateaux. Les princes retournerent trouver les deputés, qui les attendoient au chateau neuf où logeoit le duc d’Orleans, et le cardinal s’en retourna dans son appartement. Il fut suivi à l’ordinaire d’un grand nombre de courtisans, qui, tout maltraité qu’il etoit des peuples et du parlement, ne l’abandonnoient pas, parce qu’il etoit toujours le maitre de leur fortune.
Les princes dirent aux deputés que, pour ce jour, ils n’avoient rien pu gagner sur l’esprit de la Reine ; mais ils leur promirent de faire encore de nouveaux efforts pour vaincre sa fermeté. […]
La Reine, etant de retour de la promenade, où sans doute elle s’etoit mal divertie, elle vint s’asseoir à son cercle, où je vis dans son visage et dans ses yeux que les affaires n’alloient pas selon son goût. Peu après, les princes arriverent, qui la firent quitter cette place pour aller au Conseil. Avant que d’y entrer, elle tira le marechal de Villeroy contre une fenetre, pour lui faire part de ses peines. Elle ne se plaignoit pas du cardinal, quoiqu’il fut d’avis contraire au sien ; elle comprenoit bien qu’il ne pouvoit pas faire autrement, et qu’il falloit qu’il fit semblant de vouloir la paix, pour ne point attirer la haine du parlement qu’il n’avoit dejà que trop. […] Je ne sais ce que le gouverneur du Roi lui repondit mais, apres cette conversation, elle entra dans son cabinet où se devoit tenir le Conseil. Avant qu’il fut commencé et que nous en fussions sortis, je remarquai que M. le Prince s’approcha de la Reine pour lui parler en faveur du parlement. […]
[p. 213] Enfin, les portes du cabinet s’ouvrirent avant le temps. Le cardinal Mazarin, qui avoit accoutumé de demeurer après la fin du Conseil avec la Reine, sortit le premier, et à l’air de son visage il sembloit qu’il etoit en mauvaise humeur. Le prince de Condé le suivit, et le duc d’Orleans demeura avec la Reine, pour tacher d’adoucir son ressentiment et sa peine. L’abbé de La Riviere alors fut appelé par son maitre pour faire le tiers dans cette conversation où la Reine seule avoit le cœur rempli d’amertume et de douleur. Une demi heure apres, le duc d’Orleans s’en retourna chez lui tout pensif.
M. le Prince vint un moment après trouver la Reine : il fit officieusement deux voyages vers elle, pour lui faire voir l’innocence du cardinal et pour le mettre bien dans son esprit. Nous vimes aussitôt, parmi toutes ces choses, qu’il y avoit quelque inquietude nouvelle dans le cabinet, et que les affaires n’alloient pas bien. En mon particulier, je ne fus pas longtemps dans cette inquietude, car la Reine, peu apres, etant demeuré seule, comme elle voulut entrer dans son oratoire pour prier Dieu, je lui demandai la cause de ce que je voyois ; et, la plaignant de toutes ses souffrances, je la suppliai de m’apprendre ce que M. le cardinal disoit sur tout cela. […]
[p. 214] Le soir de ce jour, avant qu’elle s’endormit, le secretaire du cardinal, nommé de Lyonne, vint la trouver deux fois, et eut d’assez longues conferences avec elle de la part de son maitre ; puis le lendemain, au sortir de la messe, Le Tellier, secretaire d’Etat, y vint aussi, qui acheva de la resoudre d’accorder aux deputés ce qu’ils desiroient, à condition qu’au lieu de trois mois qu’ils demandoient en faveur des prisonniers pour etre renvoyés à leurs juges naturels, elle en demanda six avant que le Roi fut obligé de les rendre. […]
Ensuite de cette resolution, les deputés, arrivant à Saint Germain, trouverent leurs affaires faites, et n’eurent rien de plus difficile à executer qu’à remercier la Reine et les princes.
[…]
[p. 216] Le 15 d’octobre, les gens du Roi arriverent à Saint Germain, qui venoient demander à la Reine les deux millions, et protester de leur innocence et bonnes intentions. Ils trouverent la Reine prete à partir pour aller visiter les carmelites de Pontoise, à cause qu’il etoit le jour de Sainte Therese. Son voyage fut cause qu’ils differerent leur deputation jusques à son retour au soir. La Reine, revenue de son petit voyage, s’enferma au Conseil, où dejà les princes et le cardinal, attendant son retour, avoient commencé à traiter de quelques affaires. Ils avoient resolu d’accorder les deux millions.
[…]
[p. 217] Le 24, le premier president apporta à la Reine la declaration de la part de sa compagnie, qui avoit eté dressée par eux memes, où toutes leurs demandes etoient pleinement expliquées, et où il etoit facile de remarquer qu’ils avoient eté trop insatiables pour de sages senateurs qui sont destinés à moderer les exces des autres. On tint Conseil là dessus, et comme il falloit en ce jour recevoir la paix pour tacher d’eviter la guerre, les differens sentimens causerent beaucooup de disputes et de raisonnemens dans le cabinet.
[…]
[p. 218] Le 28 au matin, le marechal d’Estrées et le marquis de Seneterre vont trouver l’abbé de La Riviere pour lui annoncer de la part de la Reine et du ministre que M. le Prince demande le chapeau de cardinal pour le prince de Conti son frere, et que la nomination dejà faite en faveur de cet abbé soit revoquée, afin qu’elle puisse etre donnée à ce prince. […] [p. 219] Au sortir de la messe de la Reine, le duc d’Orleans la vint trouver. Il lui demanda une audience, où il ne voulut point d’autre temoin qu’elle seule. La Reine aussitôt nous commanda de sortir de son cabinet ; et, faisant fermer les portes, elle livra ses oreilles à toutes les plaintes que ce prince lui voulut faire. […]
La ville de la fete de tous les saints, la Reine partit de Saint Germain pour revenir à Paris jouir du repos qu’il sembloit que cette derniere declaration lui devoit faire esperer. Avant que de quitter ce lieu, elle alla visiter madame la duchesse d’Orleans, qui etoit en couche. Cette princesse haissoit le favori de Monsieur ; mais, pour plusieurs raisons, elle avoit voulu prendre hautement son parti : si bien que la Reine venant la voir, elle lui temoigna prendre beaucoup de part à l’offense que Monsieur croyoit lui avoir eté faite. […] [p. 220] Ainsi la visite de la Reine se passa froidement, et finit sans que le duc d’Orleans, qui vint dans la meme chambre, s’approcha d’elle, ce qui fut desapprouvé des personnes les plus interessées ; car les hommes, en general, ne sauroient jamais trop rendre de civilités aux dames, et ce prince en devoit beaucoup en son particulier à la Reine qui, en grandeur, n’avoit point d’egale en toute la terre. Monsieur, etant dans la chambre de Madame en presence de la Reine, parla toujours à Mademoiselle, sa fille, qui par mille autres raisons etoit, aussi bien que Madame, sa belle mere, dans une joie extreme de la colere de ce prince. […]
Le cardinal Mazarin alla aussi prendre congé de Madame, que sa couche devoit retenir encore quelque temps à Saint Germain ; et de son appartement passant à celui de M. le duc d’Orleans, il fut reçu de ce prince froidement. Il lui dit, parlant de l’affaire presente, qu’il n’etoit pas en volonté de souffrir cet affront. Ce fut le meme terme dont il se servit pour exprimer son ressentiment ; et cela fut cause que le ministre ne put pas retourner à Paris jouir de la paix qu’il avait achetée si cherement, sans craindre de nouvelles inquietudes. Ce même jour, le Roi et la Reine, le prince de Condé et toute la Cour se rendirent dans cette celebre ville, où, selon la legereté ordinaire des peuples, la Reine fut reçue avec des temoignages extremes d’une grande joie.
[…]
[p. 221] Le 4 du mois de novembre, le duc d’Orleans alla voir Madame à Saint Germain ; et ce meme jour, il y eut comedie au Palais Royal, pour montrer à ce prince que son mecontentement et son absence ne donnoient pas de grandes inquietudes à la Reine. Il n’y eut que ceux de la cabale du prince de Condé et les courtisans ordinaires qui prirent leur part de ce plaisir. Les autres, voulant montrer cette partialité au duc d’Orleans, n’y parurent point. Il revint le lendemain, et fut au Conseil avec un visage rempli de chagrin.
[…]
[p. 229] [1649] Le prince de Condé s’etoit attiré la haine du parlement par la reponse ferme et severe qu’il avoit faite depuis peu à Viole dans la grand’chambre : il avoit d’ailleurs pris une liaison assez forte avec le duc d’Orleans par son favori pour esperer, par l’appat du chapeau, d’en disposer à son gré. Il avoit des desirs dereglés, ou du moins ambitieux : de grands princes tels que lui n’en manquent pas. Il crut par cette voie reussir dans ses desseins, sans y trouver l’opposition qu’il devoit toujours craindre du coté de ce prince, qui lui etoit superieur. Il voulut aussi s’acquerir envers la Reine et son ministre du mepris que ses sujets faisoient de son autorité. Pour cet effet, il s’offre à la Reine, il l’assure de sa fidelité pour le dessein qu’elle avoit dans le cœur ; il fait plus : il la persuade de la facilité de l’entreprise, et lui dit qu’avec lui et les bons soldats qui sont dans ses armées, elle ne peut qu’elle ne voie dans peu de temps les Parisiens et le parlement à ses pieds. la Reine goute cette douce harangue avec joie : elle veut tout hasarder pour retablir la puissance royale qui paroissoit mourante, et dont le mauvais etat demandoit les extremes remedes. Avec un protecteur tel que M. le Prince, le ministre ose tout entreprendre, et conseille la Reine de l’ecouter. Cette princesse, se voyant secourue et consolée, bien contente de pouvoir esperer une fin à sa peine, fait un complot entre elle, le prince de Condé et son ministre, de sortir de Paris secretement, pour le chatier par les voies les plus fortes, et se determine de ne plus parler à ses peuples que par la bouche de ses canons. M. le Prince, qui pretendoit etre le maitre dans sa famill, offrant à la Reine sa personne, ses services et son gouvernement de Bourgogne, l’assure aussi de celui de Normandie, dont le duc de Longueville, son beau frere, etoit gouverneur. Selon ces suretés, la Reine fit dessein, sortant de Paris, d’aller etablir le camp de l’armée à Saint Germain, d’où elle pouvoit faire la guerre aux rebelles, et recevoir de Normandie tout le secours dont elle pourroit avoir besoin. Elle crut aussi qu’elle pourroit en faire un lieu de retraite, au cas qu’elle ne put pas, aussi facilement qu’elle l’esperoit, reduire Paris et ce qui etoit dans ses murailles dans une entiere obeissance.
Pour la perfection de ce dessin, il falloit gagner le duc d’Orleans, et l’obliger à se mettre de la partie. Il etoit difficile de l’esperer, car n’etant point l’auteur de cette pensée, il ne pouvoit y donner son approbation. […] La Reine l’allant voir au Luxembourg, comme il avoit encore un peu la goutte, lui temoigna un grand desir de le voir prendre part à sa destinée. Elle l’en prie, l’en presse et l’en conjure, par cette amitié qui avoit toujours tenu quelque place dans le cœur de l’un et de l’autre. Ensuite de ses prieres, elle lui temoigna hardiment que quand meme il seroit capable de l’abandonner en cette occasion, elle ne laissera pas d’achever son entreprise, et lui dit qu’elle etoit resolue de se confier à M. le Prince plutôt que de demeurer plus longtemps [p. 230] en un lieu où l’autorité royale n’etoit plus considerée, où sa personne etoit tous les jours offensée, et où celle de son ministre etoit menacée des derniers outrages. Elle lui dit qu’elle croyoit le devoir soutenir, pour ne pas accoutumer les parlemens et les peuples à vouloir se meler du gouvernement ; et qu’il savoit bien que lui-même lui avoit toujours conseillé de le faire. Elle l’assura de plus que s’il desiroit pour sa satisfaction qu’elle allat à Orleans pour se mettre entre ses mains, elle le feroit volontiers, ne pouvant manquer de confiance pour une personne qui jusques alors ne lui avoit donné aucun veritable sujet de se plaindre de lui. Le duc d’Orleans, qui etoit naturellement bon, et qui avoit un favori qui avoit interet de le voir toujours content et à la Cour, se voyant pressé par la Reine d’une maniere si obligeante, ne la put refuser ; et la resolution fut prise entre la Reine, lui, le prince de Condé et le ministre d’executer cette grande action avec toutes les precautions qui en devoient etre les suites necessaires. Les ordres furent donnés et le jour arreté pour sortir de Paris ; et ceux qui avoient en depot le secret royal furent entierement fideles à le garder. Le duc d’Orleans ne le dit point à Madame ni à Mademoiselle ; et M. le Prince le cacha soigneusement à madame la Princesse sa mere, et à madame de Longueville, cette illustre sœur avec qui il croyoit etre si bien.
Malgré ce secret, un certain bruit se repandt par Paris que la Reine avoit quelque dessein. Le parlement avoit peur ; tout le monde parloit de ce qu’il ne savoit point, chacun se demandoit l’un à l’autre ce que c’etoit : nul ne le pouvoit dire. Mais, par un pressentiment ecrit dans la nature, la verité, quoique cachée, ne laissoit pas d’etre sue. Toute la Cour etoit en alarme ; et tous ceux qui ont accoutumé de raisonner sur les affaires d’Etat, et qui veulent etre ministres malgré les rois, avoient de grandes occupations.
Le 5 janvier, la veille des Rois, ce jour si celebre, et dont on parlera sans doute dans les siecles à venir, j’allai le soir chez la Reine, où j’avois accoutumé de passer la plus grande partie de ma vie. […] La Reine nous avoua depuis, par l’execution de cette grande aventure, qu’elle eut alors de la peine à s’empecher de rire ; et qu’ensuite elle eut quelque bonté pour nous, et quelque compassion de nous laisser dans une ville qu’elle quittoit [p. 231] avec dessein de l’assieger. Mais nous lui avons toujours maintenu qu’elle ne fut point alors susceptible d’aucun sentiment de pitié, et que la vengeance et la joie occuperent entierement son cœur. […]
Aussitôt que nous fumes parties, les portes du Palais Royal se fermerent, avec commandement de ne les plus ouvrir. La Reine se releva pour penser à ses affaires, et ne fit part de son secret qu’à sa premiere femme de chambre, qui couchoit aupres d’elle. On donna les ordres necessaires aux capitaines des gardes que nous avions laissés dans la chambre de la Reine pas plus savans que nous. Le marechal de Villeroy, à qui on donna la connoissance de cette resolution quand il fut necessaire qu’il la sut, laissa dormir le Roi jusqu’à trois heures du matin, puis le fit lever, lui et Monsieur, pour les faire monter dans le carrosse qui les attendoit à la porte du jardin du Palais Royal. La Reine se joignit au Roi et à Monsieur. Ces trois personnes royales furent suivies du marechal de Villeroy, de Villequier et de Guitaut, capitaines des gardes de Leurs Majestés, de Comminges, lieutenant des gardes de la Reine, et de madame de Beauvais, sa premiere femme de chambre. Ils descendirent par un petit escalier derobé qui de l’appartement de la Reine alloit dans le petit jardin, et sortant par une petite porte qui est par dela le rondeau, monterent dans les carrosses qui les attendoient. La Reine etant au Cours, qui etoit le lieu du rendez vous, s’y arreta pour attendre que le duc d’Orleans, M. le Prince et toute la Maison royale fut venue la joindre.
Apres le soupé et le jeu, qui finit chez le maréchal de Gramont plus tot qu’à l’ordinaire, le duc d’Orléans et M. le prince de Condé s’en allerent chacun chez eux pour donner ordre à leurs affaires domestiques, et faire sortir de Paris leurs familles. Le ministre demeura où il etoit, s’amusant à jouer pendant que ses confidens firent emporter ce qu’il avoit de plus precieux, et sortir ses nieces, qui etoient encore aupres de madame de Seneçay. L’heure du rendez vous le pressant de partir, il se mit dans un carrosse avec quelques uns de ses amis, qu’il avertit alors de ce qui se passit, et s’en alla trouver la Reine qui l’attendoit dejà dans le Cours. Là se trouverent les personnes les plus considerables de la Cour, qui ne furent averties qu’à l’instant de sa sortie, dont furent sa dame d’honneur, ses filles et beaucoup d’autres. Chacun allant chercher son ami l’emmenoit avec lui pour se sauver ensemble et quitter cette ville qui alloit etre l’objet de la colere de son Roi ; et tous ceux qui purent prendre la fuite le firent avec empressement. Les domestiques du ministre, qui voyoient que leur maitre avoit une grande part au succes de ce voyage, furent les plus diligens à faire leur retraite ; et jamais nuit sans assaut et sans guerre ne fut remplie de tant d’horreur et de trouble.
[p. 232] Je fus avertie, comme les autres, à l’heure que la Reine partit ; et un de mes amis, domestique du cardinal Mazarin, vint heurter à ma porte avec un carrosse à six chevaux, pour me convier à suivre la Reine ; mais je ne le voulus pas faire pour plusieurs raisons, qui toutes regardoient ma commodité et mon repos. Le duc d’Orleans, etant arrivé au Luxembourg, fit eveiller Madame, qui se leva toute troublée de cette nouvelle : il fit aussi lever mesdemoiselles ses filles, et toutes ensemble s’en allerent où la Reine les attendoit. Mademoiselle, fille ainée du duc d’Orleans, avoit eté avertie par la Reine meme, qui lui avoit envoyé Comminges aussitôt apres que nous l’eumes quittée ; et cette princesse, avec la meme surprise que les autres, alla se joindre, selon l’ordre qu’elle en avoit reçu, avec la famille royal. Le prince de Condé en fit autant dans sa maison. Madame la Princesse sa mere, qui pretendoit que M. le Prince ne devoit point avoir de secret pour elle, fut surprise de voir qu’il lui en avoit cachée un si grand. Elle en fut touchée, mais comme il n’etoit pas temps de gronder, elle prit madame la Princesse sa belle fille, et le petit duc d’Enghien son petit fils encore au maillot, et vint de meme grossir la troupe du Cours.
Madame de Longueville, qui etoit demeurée à coucher à l’hotel de Condé à cause du jour des Rois, fut avertie et sollicitée par madame la Princesse sa mere de sortir avec elle ; mais cette princesse, qui avoit l’esprit rempli de beaucoup de grands desseins, s’excusa sur ce qu’elle etoit grosse. […] Le prince de Conti fut de la partie. Et toute la Maison royale etant assemblée, elle prit le chemin de Saint Germain en Laye. Le Roi, la Reine et toute la Cour se trouverent en ce lieu sans lit, sans officiers, sans meubles, sans linge, et sans rien de tout ce qui etoit necessaire au service des personnes royales et de toutes les autres qui les avoient suivies. La Reine, etant arrivée, coucha dans un petit lit que le cardinal Mazarin avoit fait sortir de Paris quelques jours auparavant, à cette intention. Il avoit de meme pourvu à la necessité du Roi, et il se trouva aussi deux autres lits de camp, dont l’un servit à Monsieur, et l’autre demeura pour lui. Madame la duchesse d’Orleans coucha une nuit sur la paille, et Mademoiselle aussi. Tous ceux qui avoient suivi la Cour eurent la meme destinée ; et en peu d’heures la paille devint si chere à Saint Germain, qu’on ne pouvoit pas en trouver pour de l’argent.
Lorsqu’on sut dans Paris le depart du Roi, de la Reine et de toute la Cour, le desespoir s’empara de tous les esprits, et la confusion commença avec le jour des les cinq à six heures du matin. Les cris furent grands dans les rues, et l’emotion s’y rendit universelle. Les premiers qui apprirent cette nouvelle l’envoyoient dire à leurs amis, et beaucoup de personnes de qualité se sauverent à Saint Germain, pour s’attacher à leur devoir. […]
[p. 236] Ne pouvant plus vivre en repos chez moi, je fus supplier la reine d’Angleterre de me recevoir sous sa protection au Louvre, ce qu’elle fit quelques jours apres avec beaucoup de bonté, me faisant donner deux belles chambres meublées des meubles de la Couronne, dont elle et toute sa Cour se servoit. […]
[p. 237] Madame de Longueville, apres avoir fait son plan, et connu qu’il etoit temps de se declarer contre la Cour, manda au prince de Conti son frere, qui etoit à Saint Gremain, et au duc de Longueville son mari, qu’il falloit quitter la Cour, et que l’ambition les appeloit ailleurs. Ces deux princes, persuadés par differents motifs, suivant aveuglement les avis d’une princesse qui ne marchoit que dans les tenebres, se derobent de Saint Germain la nuit du 10 de janvier, et paroissent à la porte de Paris avant le retour du soleil. […] La Reine m’a depuis fait l’honneur de me conter que le soir precedent de leur fuite à Saint Germain, le prince de Conti avoit fait la meilleure mine du monde, qu’il n’avoit de sa vie paru plus gai, et qu’il etoit de tous qui menaçoit le plus hardiment les Parisiens ; que le duc de Longueville n’avoit pas eté de meme, et qu’elle l’avoit trouvé si sombre et si visiblement interdit, qu’elle et son ministre s’en etoient aperçus, et sans en deviner la cause en avoient eu de l’etonnement. […]
[p. 238] Pendant que nous souffrions dans Paris, l’armée du Roi bloqua la ville, et se saisit de tous les passages des vivres. […] Beaucoup de personnes de qualité, pour se retirer de ce desordre, se voulurent sauver deguisées, et particulierement des femmes ; mais elles eurent quasi toutes de mauvaises aventures à conter à Saint Germain quand elles y arriverent, et il eut mieux valu pour elles qu’elles fussent demeurées exposées à la famine et à la guerre que de se trouver le sujet de la gaieté des honnetes bouffons de la Cour, qui faisoient de facheuses histoires, devant le Roi et la Reine, des accidens survenus aux dames qui sortoient de Paris.
Parmi cette raillerie, la misere des habitans de Saint Germain tenoit sa place. Ils n’avoient point d’argent, ni de meubles que ceux que les soldats leur vendoient à bon marché, quand ils avoient pillé ces beaux villages qui environnent Paris. […] La Reine ne rioit pas toujours : ses affaires alloient mal, et le parti contraire s’augmentoit. […] Quoique l’armée du Roi ne fut pas grande, les troupes de Paris ne lui auroient pas fait peur, sans qu’on jugea à Saint Germain que tant de braves gens en feroient assez pour les faire subsister longtemps, de sorte que cette entreprise parut à la Cour en mauvais etat. M. le Prince etoit au desespoiur de l’outrage qu’il croyoit avoir reçu par le prince de Conti son frere, et par madame de Longueville sa sœur, et ce qui d’abord n’etoit en lui qu’un desir d’obliger la Reine devint un veritable desir de se venger de sa famille, qui s’etoit separée de lui. […]
[p. 241] [21 janvier] Les inutiles, qui s’amusoient à crier, s’opposoient à la sortie de ceux qui vouloient aller à Saint Germain ou dans leurs maisons de campagne, et leur faisoient mille outrages. Les propres meubles du Roi et de la Reine, ses habits et son linge qu’elle avoit voulu ravoir, avoient eté pillés, et le nom du Roi devint si odieux à ses sujets que ses pages et valets de pied etoient courus dans les rues comme des criminels et des ennemis. […]
[p. 243] Pendant que les calamités augmentent à Paris, les conseils redoublent à Saint Germain, où l’inquietude etoit proportionnée au mauvais etat des affaires du Roi. Des deux cotés on souffroit.
[…]
[p. 253] [20 février] Ma sœur et moi, accompagnées de notre petit domestique, partimes de Paris, escortées d’une troupe de cavalerie du regiment du prince de Conti que commandoit Barriere, ce gentilhomme dont j’ai parlé ailleurs, qui etoit attaché à ce prince et qui par consequent avoit le malheur d’etre compté au nombre des ennemis de la Reine, apres avoir eté un de ses plus fideles serviteurs. Nous fumes reçues à Saint Denis par le comte du Plessis, qui commandoit à la place du marechal du Plessis son pere. Il nous donna un bon repas et de bons lits, et le lendemain nous arrivames heureusement à Saint Germain. Il nous fallut prendre un grand detour, et nous passames par plusieurs villages, où nous remarquames une desolation effroyable. Ils etoient abandonnés de leurs habitans : les maisons etoient brulées et abattues, les eglises pillées, et l’image des horreurs de la guerre y etoit depeinte au naturel. Je trouvai la Reine dans son cabinet, accompagné du duc d’Orleans, du prince de Condé, de la princesse de Carignan et d’une grande presse. La Cour etoit alors fort grosse, parce que tous ceux qui n’etoient point de la Fronde s’etoient rendus aupres du Roi. L’appartement de la Reine, outre les personnes de la premiere qualité qui composoient la Cour, etoit rempli d’une grande quantité de gens de guerre, et je ne vis jamais tant de visages inconnus.
La Reine etoit au milieu de ce grand monde, qui paroissoit gaie et tranquille ; elle ne paroissoit point apprehender les malheurs dont elle etoit menacée par les gens de bon sens, et qui jugeoient de l’avenir par les choses passées et presentes. Il ne falloit pas mettre de ce nombre les mauvaises propheties de ceux qui vouloient decrier sa conduite, et qui pretendoient, en l’intimidant, l’obliger de chasser son ministre ; ils ne meritoient pas d’etre ecoutés, et l’apparente gaieté de la Reine avoit pour but de les faire taire. On ne peut pas en douter, car, en l’etat où elle se voyoit, il etoit difficile qu’ayant autant de sagesse et de raison qu’elle en avoit, elle put avoir un gaieté veritable.
Quand je partis de Paris, j’avois le cœur rempli de tout ce que l’on m’avoit dit dans cette ville. Je croyois que la Reine etoit menacée de perdre sa couronne, ou tout au moins la regence ; mais, etant à Saint Germain, je fus surprise quand j’entendis les railleries qui se faisoient contre les Parisiens et les frondeurs, et contre ceux qui lamentoient sur les miseres publiques. Je ne trouvai point qu’on eut peur de ce grand parti qui paroissoit si redoutable à toute l’Europe ; et, pour n’etre pas moquée, il me fallut faire bonne figure avec ceux qui traduisoient en ridicule les choses les plus serieuses, et qui, se moquant des deux partis, n’avoient aucun dessein que de profiter de ces desordres.
Le soir, apres que la Reine fut retirée, elle me commanda de lui dire tout ce que je savois de l’etat de Paris et de celui des esprits. […] [p. 254] Je la trouvai un peu etonnée de cet envoyé de l’archiduc, dont elle ne savoit point encore la fausseté, et, assez touchée de la mort du roi d’Angleterre, elle me dit elle-même que c’etoit un coup qui devoit faire trembler les rois, mais à son égard, etant persuadée qu’elle faisoit ce qu’elle devoit et ce qu’elle n’avoit pu eviter de faire, son esprit demeuroit tranquille au milieu de tant d’orages. En effet, son humeur toujours egale, fortifiée d’une ame qui ne se laissoit pas troubler aisement, la faisoit paroitre à Saint Germain, environnée de ses armées, avec le meme repos que parmi les dames qui formoient son cercle à Paris.
Le 22 ou 23 février, le nonce et l’ambassadeur de Venise vinrent trouver la Reine, l’un de la part du pape, et l’autre de sa république. Dans leur audience, ils l’exhorterent fort à la paix, et toucherent à son avis, un peu trop fortement à ce qui paroissoit etre le sujet de la guerre. Elle s’en facha, et, les interrompant, elle leur dit qu’elle trouvoit bien des gens qui lui disoient qu’il falloit faire la paix et qu’il falloit pardonner, mais que personne ne lui parloit de retablir l’autorité du Roi son fils, qui s’en alloit detruite, si elle ne travailloit à la reveler en chatiant les rebelles, et les forçant à se remettre à leur devoir. […]
Le 25 fevrier, les deputés de Paris arriverent, et le premier president, qui suivit l’exemple du nonce, fut traité de meme maniere.
[…]
[p. 259] Ces memes jours, on arreté à Saint Germain le marechal de Rantzau. Il fut soupçonné de favoriser le parti parisien ; et comme il etoit gouverneur de Gravelines, le ministre crut qu’il ne pouvoit prendre trop de precautions pour se garantir des maux qui pouvoient arriver de la mauvaise volonté de ce marechal.
[…]
Le deuxieme jour du mois de mars, les gens du Roi vinrent à Saint Germain trouver la Reine pour lui dire la deputation ordonnée par le parlement. Ils lui demanderent des passeports, et la supplierent d’ordonner du lieu de leur conference. Ils firent aussi quelques instances de la part des ducs de Beaufort et de Bouillon pour y etre admis, mais ayant eté bien reçus à leur egard, ils furent refusés sur l’article des autres. On choisit pour le lieu de la conference le chateau de Ruel, comme etant à moitié chemin de Paris et de Saint Germain ; et les generaux, qui en particulier redoublerent leurs instances, n’y furent point admis.
[…]
[p. 260] Le 6, le cardinal vint faire un petit voyage à Saint Germain pour instruire la Reine de tout ce qui se passoit. Le soir, apres qu’il l’eut quittée, comme ceux qui l’environnoient etoient curieux d’apprendre des nouvelles, la Reine nous dit, à M. le Premier et à moi, qu’il n’y avoit encore rien d’avancé, ni aucune solide esperance d’obtenir ce qu’on desiroit, qui etoit que le parlement s’humiliat ; puis nous dit qu’à la fin pourtant elle croyoit que tout iroit bien.
[…]
[p. 265] Les deputés des generaux viennent à Saint Germain : ils font leur remontrance à la Reine, qui fut humble et courte, mais les difficultés qu’ils faisoient sur les principaux articles de la paix dejà signée montroient assez qu’elle etoit reculée. Les generaux s’etoient rendus les maires de Paris, et ils se trouverent en etat de pouvoir contraindre les plus sages à ne rien faire de tout ce que leur devoir leur imposait. Comme ils n’avoient pas de confiance à la deputation du parlement, ils firent supplier la Reine et le ministre qu’il leur fut permis d’envoyer des deputés de leur part. Cela leur ayant eté accordé, ils nommerent le duc de Brissac, Barriere et Creci pour venir traiter de leurs demandes et pretentions. Ils arriverent à Saint Germain le 18 mars, et par leurs cahiers ils demandoient toute la France.
[…]
[p. 267] Les conferences qui se faisoient à Saint Germain sur leurs pretentions furent interrompues par l’entrée de l’archiduc en France. […] Les generaux, voyant que l’approche de l’armée des Espagnols etoit plus capable, en l’etat des choses, de leur faire perdre le peu de credit qui leur restoit que de l’augmenter, pour tirer du ministre ce qu’ils pourroient, fire donner un arret par lequel on ordonna que la vente de ses meubles seroit continuée. Cela lui fit beaucoup de peine, car il aimoit ce qui etoit à lui, et particulierement ce qu’il avoit fait venir des pays etrangers avec tant de soin. Sa maison etoit magnifiquement meublée : il y avoit de belles tapisseries, des statues, des tableaux. Cette perte fut cause que ses ennemis gagnerent beaucoup avec lui, qu’il leur accorda la paix avec la plus grande partie de toutes leurs demandes, et que les conferences redoublerent matin et soir chez le chancelier à Saint Germain.
[…]
[p. 269] Le 20 au matin, comme je sortois de la messe de la Reine, un de mes amis vint me dire à l’oreille que tout etoit rompu ; puis le soir, au sortir de la conference, la meme personne me dit que toutes les contestations etoient accomodées. Les deputés du parlement de Normandie, qui etoient venus à Saint Germain au nombre de quinze conseillers et d’un president, obtinrent aussi en ce jour là la revocation du semestre que le feu Roi, ou plutot le cardinal de Richelieu, leur avoit créé malgré eux. […] Les generaux entrerent en de grandes defiances les uns des autres, et à leurs insatiables desirs se joignit la jalousie. Ils avoient chacun dans Saint Germain des deputés à basses notes, qui traitoient pour eux, et qui tyrannisoient celui qui souhaitoit de les tyranniser à son tour.
[…]
[p. 270] Les deputés du parlement arriverent à Paris remplis de joie des honorables conditions qu’ils rapportoient de Saint Germain ; car, comme je l’ai remarqué, ils avoient obtenu de la Reine, par leur habileté et par les differentes causes qui faisoient agir les principaux acteurs, d’etre dechargés des articles qu’on leur avoit imposés au premier traité. On se relacha de l’obligation qu’ils avoient de venir à Saint Germain, où etoit le Roi pour tenir son lit de justice, on leur permit encore de s’assembler quand bon leur sembleroit, et ils reçurent encore quelques autres gratifications touchant les finances, toutes en faveur du peuple. Ils firent assembler le parlement pour rendre compte de leur heureux voyage. Le prince de Conti ne s’y trouva point : il parut malade, expres pour donner ce reste de temps aux negociateurs d’achever leur accommodement à la Cour. Mais enfin le mercredi saint, la Reine etant aux tenebres dans la chapelle du chateau [p. 271] de Saint Germain, il arriva un courrier de Paris, que Le Tellier amena, qui apporta la paix entierement reçue par le parlement, les generaux et le peuple, tous montrant d’en etre fort contens. […]
Les devotions de la semaine sainte se passerent dans la chapelle de Saint Germain, où la veritable pieté de la Reine et d’une petite nombre de bonnes ames fut melée avec la galanterie et l’indevotion de toutes les autres personnes qui composent la Cour, et qui font gloire pour l’ordinaire de n’estimer que la vanité, l’ambition, l’interet et la volupté.
La fete de Pâques estant passée, les deputés du parlement de Paris et de Normandie vinrent remercier la Reine de la paix qu’elle leur avoit donnée. Le clergé y vint, toutes les autres compagnies de la ville, les corps des marchands et des metiers, chacun selon leur ordre, tous avec des visages contens, et tous demandant avec ardeur le retour du Roi dans sa bonne ville de Paris. la Reine n’avoit pas sujet de l’estimer si bonne qu’elle eut un grand desir d’y retourner. Elle savoit que le peuple parloit encore avec insolence, qu’il disoit publiquement qu’il ne falloit rien payer au Roi s’il ne revenoit bientoit, et qu’il y avoit de la canaille assez hardie pour dire tout haut dans les rues qu’ils ne vouloient point de Mazarin. Ces esprits farouches etoient si accoutumés à la rebellion et au desordre qu’il etoit difficile, sans quelque chatiment exemplaire, qu’ils pussent reprendre la coutume de respecter la puissance legitime.
La Reine, pour donner le temps aux Parisiens d’eteindre ce reste de feu qui allumoit encore quelquesfois leurs esprits, et laisser evaporer la chaleur et la fumée qui en restoit, se resolut de n’y pas retourner sitot : elle forma le dessein, apres qu’elle auroit vu tous ses ennemis reconciliés, d’aller passer quelque temps à Compiegne.
[…]
[p. 272] Le prince de Conti fut le premier qui sortit de Paris pour venir saluer la Reine. Il fut presenté par M. le Prince, et reçu en presence de ceux du Conseil. Apres les complimens ordinaires, M. le Prince lui fit embrasser le cardinal Mazarin, et rechauffa leur conversation autant qu’il lui fut possible. Le prince de Conti ne l’alla point voir chez lui pour cette premiere fois, afin de garder quelque mesure entre la guerre et l’accommodement, et M. le Prince le fit trouver bon à la Reine.
Monsieur, oncle du Roi, presenta le duc d’Elbeuf. Et le prince de Conti, apres avoir satisfait pour lui, fut celui qui presenta les autres à son tour, qui furent le duc de Bouillon, le prince de Marsillac, le comte de Maure et beaucoup d’autres. La Reine les reçut assez froidement. Le ministre, tout au contraire, ne manqua pas de jouer son personnage ordinaire de temperance et de douceur, leur disant lui-même qu’il croyoit avoir eu tort envers eux, et qu’ils etoient excusables d’en avoir eu du ressentiment.
Ce meme jour arriva à Paris madame de Chevreuse. […] Cette princesse, etant donc arrivée de Bruxelles à Paris, envoya aussitôt negocier avec le ministre, qui à son ordinaire ne la rebuta point : il voulut seulement par quelque delai la mortifier un peu. La Reine, par son avis, refusa le duc de Chevreuse, qui vint à Saint Germain lui demander pour sa femme la permission de demeurer à Paris.
[…]
[p. 273] Le coadjuteur se tint dans sa forteresse, et ne voulut point venir à Saint Germain comme les autres ; mais trouvant à propos de paroitre de loin, il pria le duc de Liancourt de faire ses complimens à la Reine, l’assurer qu’en son particulier il etoit son tres fidele serviteur, et qu’il la reconnoitroit toujours pour a bienfaitrice et sa maitresse. Mais la Reine les reçut avec mepris, et ordonna à son ambassadeur de lui dire qu’elle ne le considereroit jamais pour tel que premierement il ne fut ami du cardinal Mazarin ; qu’il etoit son ministre, qu’elle vouloit que ceux qui lui avoient de l’obligation comme lui suivissent en cela ses memes sentimens. Cependant le coadjuteur, comme j’ai deja dit, traitoit avec le ministre, dont il avoit reçu beaucoup de graces pour ses amis et des promesses à son egard qui dans le temps eurent leur effet.
Le duc de Longueville arriva de Normandie avec une grande suite. Il vint saluer la Reine, qui le reçut gravement. Je remarquai que ce prince en parut interdit, et qu’il ne put jamais lui dire une parole de bon sens. C’etoit un homme de grande consideration : il voyoit qu’il lui etoit honteux d’avoir fait cette faute contre le service du Roi et de la Reine, dont il n’avoit nul sujet de se plaindre, et qu’il etoit tombé dans ce malheur plutôt par legereté que par raison. Quand il arriva, chacun se pressa autour de cette princesse pour entendre ce qu’il lui diroit, car il est difficile de bien defendre une mauvaise cause ; mais il n’eut jamais la hardiesse de parler : il palit, puis il devint rouge, et ce fut toute sa harangue. Apres cet eloquent repentir, il salua le cardinal Mazarin, et un moment apres ils se retirerent aupres d’une fenetre, se parlent longtemps, et ensuite se visiterent reciproquement et demeurerent amis en apparence.
Le comte d’Harcourt vint à la Cour comme les autres. Il fut reçu differemment selon les apparences et les caresses, mais differemment aussi pour les recompenses : car elles ne furent pas si grandes pour lui que pour ceux qui avoient eté contre le service du Roi. Il avoit manqué de conduite pour se saisir de la ville de Rouen, mais il avoit bien servi, ayant toujours occupé un poste en Normandie qui servoit de barriere contre [p. 274] les attaques des ennemis, et mettoit le Roi en sureté contre ce que le duc de Longueville auroit pu faire avec peu de troupes et moins d’argent. Il avoit enfin donné le moyen au Roi de demeurer en sureté à Saint Germain, ce qui n’etoit pas un petit service. On lui donna ensuite le gouvernement d’Alsace, et une abbaye pour un de ses enfans.
Ce meme jour, le duc d’Yorck vint aussi à la Cour. Il n’avoit point encore vu le Roi ni la Reine, à cause qu’il etoit arrivé à Paris pendant le siege de cette ville, où les visites n’etoient guere de saison. Il etoit demeuré aupres de la Reine sa mere pendant cette mauvaise constellation contre les rois, qui l’avoit privé d’un pere et avoit donné beaucoup d’affaires au notre. La Reine lui fit de grands honneurs, et lui donna une chaire à bras, de meme que le duc d’Orleans en avoit obteni une de la reine d’Angleterre sa sœur. Cette belle foule fut augmentée par la venue de madame de Longueville et de mademoiselle de Longueville sa belle fille, qui aussi bien que les autres avoit eté une grande frondeuse. Elle avoit de la vertu et beaucoup d’esprit, et il lui etoit pardonnable d’avoir suivi les sentimens de son pere. Quand ces princesses arriverent, la Reine etoit au lit pour se reposer de toutes ses fatigues. J’avois l’honneur d’etre seule aupres d’elle, et dans cet instant elle me faisoit l’honneur de me parler de l’embarras qu’avoit eu le duc de Longueville en la saluant. Comme je sus que madame de Longueville alloit venir, je me levai, car j’etois à genoux devant son lit, et me mis aupres de la Reine, resolue de n’en point sortir et d’ecouter de pres si cette princesse si spirituelle seroit plus eloquente que le prince son mari. Comme elle etoit naturellement timide et sujette à rougir, toute sa capacité ne la sauva pas de l’embarras qu’elle avoit eu en abordant la Reine. Je me penchai assez bas entre ces deux illustres personnes pour savoir ce qu’elles diroient, mais je n’entendis rien que : « Madame », et quelques mots qu’elle prononça si bas que la Reine, qui ecoutoit avec application ce qu’elle lui diroit, ne put jamais y rien comprendre. Mademoiselle de Longueville, apres la reverence de sa belle mere, se contenta de baiser le drap de la Reine sans ouvrir la bouche ; puis, se mettant toutes deux sur les sieges qu’on leur apporta, elles furent fort heureuses de ce que je commençai la conversation, en demandant à madame de Longueville à quelle heure elle etoit partie de Paris, parce qu’il n’etoit pas deux heures apres midi ; et, pour les soulager de la confusion qu’elles avoient qui les incommodoient beaucoup, j’exagerai leur diligence.
[…]
[p. 275] Je finirai les aventures de Saint Germain par l’arrivée du marquis de Vitri, du marquis de Noirmoutiers et de Laigues. Le premier avoit du merite et de la qualité. Sur quelques degouts que j’ignore, il etoit entré dans ce parti, etant actuellement attaché au service de la Reine, en quoi sa faute etoit plus grande et moins pardonnable. Pour les deux autres, l’un avoit beaucoup de naissance, tous deux etoient honnetes gens, et tous deux avoient eté grands frondeurs, et avoient, comme je l’ai deja dit, traité publiquement avec le roi d’Espagne. Ils vinrent donc sous la foi publique saluer la Reine avec la meme hardiesse que s’ils eussent travaillé à sauver l’Etat ; et, comme les autres, ils en furent quittes pour un peu de froideur et de mauvais visages. Ils etoient de ma connoissance, et, dans le moment que je fus aperçue d’eux, ils vinrent me temoigner beaucoup de joie de me rencontrer. Je leur dis tout bas que j’etois fort aise de les voir, mais qu’en cette occasion je les priois de ne m’aimer pas tant, vu que l’amitié de telles gens n’etoit nullement de bon augure dans la chambre de la Reine. Comme je raillois avec eux, Monsieur passa, qui leur fit mille caresses. En me retirant, je lui dis que je croyois avoir merité la corde par la bonté que j’avois eue de les souffrir, et que j’en avois du scrupule. Je les laissai, et lui dis encore que pour lui qui etoit le maitre et qui n’avoit rien à craindre, il pouvoit leur faire grace et les bien traiter, mais que, pour moi, je croyois en devoir user autrement. Monsieur me repondit que j’etois bien sage, et que, pour m’empecher d’aller à la Greve, il alloit les emmener. Il les prit en effet, et, les poussant dans une fenetre, il demeura quelque temps à les entretenir.
[…]
En ce meme temps [le 13 mars], la Reine partit pour aller à Compiegne.
[…]
[p. 284] Le roi d’Angleterre alors vint en France, apres avoir eté reconnu roi par elle. Il revenoit de Hollande pour voir la Reine sa mere, qu’il n’avoit point vu depuis leur malheur. Il logea à Saint Germain, que la Reine lui avoit envoyé offrir à Peronne par le duc de Vendome, pour y demeurer tant qu’il lui plairoit d’etre en France. Il l’accepta volontiers, car dans l’etat où il etoit, chargé d’un deuil aussi doublement funeste qu’etoit le sien, il devoit desirer de n’etre pas à Paris.
Quand il arriva, le duc de Vendome lui mena les carrosses du Roi. Il s’arreta à Compiegne, où il vit le Roi qui alla au devant de lui à une [p. 285] demi lieue, et fut reçu de lui et de la Reine avec toutes les marques d’affection que Leurs Majestés devoient à un si grand prince. Le Roi lui donna un diner veritablement royal, mais ce fut plutôt par les personnes royales qui s’y trouverent que par l’appareil et la magnificence. […]
Cette Cour anglaise demeura quelque temps à Saint Germain, où elle fut peu frequentée de nos Français ; quasi personne n’alloit visiter ni la reine d’Angleterre ni le roi son fils. Il y avoit de grands seigneurs anglais qui avoient suivi la destinée de leur prince et qui composoient cette Cour. Il ne faut pas s’etonner de leur solitude : le malheur etoit de la partie ; ils n’avoient pas de grace à faire : ils avoient des couronnes sans puissance, qui ne leur donnoient point les moyens d’elever les hommes et de leur faire du bien. Leur suite avoit eté grande, quand les richesses, la grandeur et les dignités etoient en leur possessions, car ils avoient de la foule autour de leurs personnes. Cette reine malheureuse avoit eu de la joie, et j’ai oui dire à madame de Chevreuse, et à beaucoup d’autres qui l’avoient vue dans sa splendeur, que la Cour de France n’avoit pas alors la beauté de la sienne ; mais sa joie n’etoit plus que le sujet de son desespoir, et ses richesses passées lui faisoient sentir davantage sa pauvreté presente.
[…]
[p. 291] Les fatigues des premiers jours s’etant passés, la Reine alla visiter la reine d’Angleterre à Saint Germain. Elle y trouva le roi d’Angleterre son fils, qui attendoit aupres de la reine sa mere quelque favorable occasion pour retourner en son pays faire la guerre à ses rebelles sujets. Ces deux princesses ne s’etoient point vues depuis la deplorable mort du roi d’Angleterre, que toutes les deux devoient pleurer, l’une comme sa femme bien aimée, l’autre comme son amie ; mais la Reine evita de parler à la reine d’Angleterre de son malheur, pour ne pas renouveler ses larmes ; et, apres les premieres paroles de douleur que l’occasion les força de dire l’une à l’autre, la civilité ordinaire et les discours communs firent leur entretien.
[…]
[p. 292] Le roi d’Angleterre sut alors que quelques troupes, qui tenoient encore pour lui en Angleterre, avoient eté defaites, ce qui l’affligea beaucoup, et, voyant toutes ses esperances presque detruites, il se resolut d’aller aux iles de Jersey et de Guernesey, dont milord Germain, attaché au service de la Reine sa mere, etoit gouverneur. Il voulut aller en Irlande voir si la fortune lui ouvriroit quelque voie pour rentrer dans son royaume. Ce lord lui ayant conseillé de ne se pas hater d’y aller dans le temps de cette deroute, il lui repondit qu’il falloit donc y aller pour mourir, puisqu’il etoit honteux à un prince comme lui de vivre ailleurs.
[…]
[p. 374] [1651] Le cardinal etant donc resolu à partir, il vint chez la Reine le soir de ce jour 6 fevrier ; elle lui parla longtemps devant tout le monde, dans [p. 375] la creance que vraisemblablement ce seroit la derniere fois qu’elle le verroit. […] Quand il fut dans son appartement, il se vetit d’une casaque rouge, prit un chapeau avec des plumes, et sortit à pied du Palais Royaln suivi de deux de ses gentilshommes : il alla par la porte de Richelieu, où il trouva des gens qui l’attendoient avec des chevaux ; de là, il alla passer la nuit à Saint Germain. Son premier dessein fut de sortir par la porte de la Conference, mais il eut avos qu’on avoit voulu tuer de ses domestiques devant le logis de Mademoiselle, qui logeoit aux Tuileries, et cette rumeur l’obligea à fuir par le plus court chemin. […] [p. 376] Quand on sut dans Paris que le ministre etoit parti, qu’il etoit à Saint Germain, et qu’il pouvoit aller au Havre où etoient les princes, l’inquietude fut grande dans tous les partis.
[…]
[p. 432] [1652] On donna avis à Paris à M. le Prince que Miossens et le marquis de Saint Mesgrin, lieutenans generaux, marchoient de Saint Germain à Saint Cloud avec deux canons, à dessein de [p. 433] chasser cent hommes du regiment de Condé qui s’etoient retranchés sur le pont et qui en avoient rompu une arche. […]
M. le Prince consentit à laisser aller à Saint Germain, où etoit la Cour, le duc de Rohan, Chavigny et Goulas, tous trois chargés des interets du duc d’Orleans et des siens.
[…]
[p. 527] [1662] Le cœur du Roi etoit rempli de ces miseres humaines qui font dans la jeunesse le faux bonheur de tous les honnetes gens. Il se laissoit conduire doucement à ses passions, et vouloit les satisfaire. Il etoit alors à Saint Germain, et avoit pris la coutume d’aller à l’appartement des filles de la Reine. Comme l’entrée de leur chambre lui etoit defendue par la severité de la dame d’honneur, il entretenoit souvent mademoiselle de La Motte Houdencourt par un trou qui etoit à une cloison d’ais de sapin, qui pouvoit lui en donner le moyen. Jusque là neanmoins ce grand prince, agissant comme s’il eut eté un particulier, avoit souffert tous ces obstacles sans faire des coups de maitre ; mais sa passion devenant plus forte, elle avoit aussi augmenté les inquietudes de la duchesse de Navailles, qui, avec les seules forces des lois de l’honneur et de la vertu, avoit osé lui resister. Elle suivit un jour la Reine mere, qui, de Saint Germain, vint au Val de Grace faire ses devotions, et fit ce voyage à dessein de consulter un des plus celebres docteurs qui fut alors dans Paris, sur ce qui se passoit à l’appartement des filles de la Reine. Elle comprenoit qu’il falloit deplaire au Roi, et sacrifier entierement sa fortune à sa conscience, ou la trahir pour conserver les biens et les dignités qu’elle et son mari possedoient : et comme elle n’etoit pas insensible aux avantages qu’ils possedoient à la Cour, elle sentoit sur cela tout ce que la nature lui pouvoit faire sentir. J’etois alors à Paris, et j’allais au Val de Grace rendre mes devoirs à la Reine. J’y vis mon amie, et j’y vis son inquietude. Elle me dit l’etat où la mettoit le Roi par les empressemens qu’il avoit pour cette fille, et m’apprit qu’elle venoit de consulter sur ce sujet un homme pieux et savant, dont la reponse avoit eté decisive. Il lui avoit dit qu’elle etoit obligée de perdre tous ses etablissemens, plutot que de manquer à son [p. 528] devoir par aucune complaisance criminelle. Elle me parut resolue de suivre ce conseil, mais ce ne fut pas sans jeter une grande abondance de larmes, et sans ressentir la douleur où la mettoient ces deux grandes extremités, où necessairement il falloit prendre son parti sur les deux volontés de l’homme, toujours si contraires l’une à l’autre, c’est à dire ce qui le porte, selon la qualité de chretien, à desirer les richesses eternelles, ou, selon la nature, à vouloir celles dont on jouit dans le temps. […]
A son retour à Saint Germain, elle sut par ses espions que des hommes de bonne mine avoient eté vus sur les gouttieres, et dans des cheminées qui, du toit, pouvoient conduire les aventuriers dans la chambre des filles de la Reine. Le zele de la duchesse de Navailles fut alors si grand que, sans se retenir ni chercher les moyens d’empecher avec moins de bruit ce qu’elle craignoit, elle fit aussitôt fermer ces passages par de petites grilles de fer qu’elle y fit mettre, et par cette action elle prefera son devoir à sa fortune, et la crainte d’offenser Dieu l’emporta sur le plaisir d’etre agreable au Roi, qui sans doute, à l’egard des gens du grand monde, se doit mettre au rang des plaisirs les plus sensibles que l’on puisse gouter à la Cour, quand on le peut faire innocemment. […]
Pendant que le Roi se laissoit aller où ses désirs [p. 529] le menoient, la Reine souffroit beaucoup. Elle ne savoit rien de ce qui se passoit ; on lui cachoit, par ordre de la Reine mere, toutes les galanteries du Roi. Sa dame d’honneur, qui etoit fidele au Roi et à elle, se contentoit de faire son devoir de tous cotés, et ne lui disoit rien qui la put affliger ; mais le cœur, qui ne se trompe point et que la verité instruit, lui faisoit tellement connoitre, sans le savoir precisement, que mademoiselle de La Valliere, que le Roi aimoit alors uniquement, etoit la cause de sa souffrance, qu’il etoit impossible de lui cacher son malheur.
A mon retour d’un petit voyage que je fis en ce temps là en Normandie, je trouvai la Reine en couche de madame Anne Elisabeth de France. Un soir, comme j’avois l’honneur d’etre aupres d’elle à la ruelle de son lit, elle me fit un signe de l’œil ; et m’ayant montré mademoiselle de La Valliere qui passoit par sa chambre pour aller souper chez la comtesse de Soissons, avec qui elle avoit repris quelque liaiso

Motteville, Françoise (de)

Récit par son confesseur des derniers jours de Louis XIII à Saint-Germain-en-Laye

« [f. 1] Au Roy
Sire,
Les royaumes ne sont jamais plus heureux, ny les Estats plus florissans, que lorsqu’ils sont pour appuy la pieté et la justice, comme deux fortes et [f. 1v] fermes colonnes, pour les soutenir contre les attaques qui secouvent, et mesmes ebranlent souvent les empires. Le pieté, Sire, fait rendre à Dieu ce qui luy est deu, et la justice fait rendre aux hommes ce qui leur appartient, et lorsqu’on s’acquitte de ces deux obligations, que Dieu etend egalement à tout le monde, on accomplit tous les devoirs de le pieté et de la justice chrestienne. Il est vray, Sire, que ces deux vertus sont comme hereditaires [f. 2] dans la maison et dans la famille royale. Mais si c’est une grande gloire aux enfans de ressembler à leurs peres, je puis dire que Votre Majesté fait bien paraitre par les genereuses actions de sa vie, et par les louables inclinations de son naturel, qu’elle n’herite pas moins de la pieté et de la justice, que du sceptre et de la couronne du glorieux saint Louis son ayeul, qui a merité des autels, et de Louis le Juste son pere, de triomphante mémoire, de qui je presente [f. 2v] à Votre Majesté le fin heureuse, sous le titre de l’Idée d’une belle mort, qui a esté comme le fruit des merites d’une vie parfaite et innocente qu’il a passée dans l’exercice continuel des actes, de ces deux illustres vertus. Ces vertus, Sire, l’ont fait triompher durant sa vie, soit des rebelles ennemis de sa religion, soit des autres ennemis jaloux de la grandeur de son Estat, et apres sa mort, le bruit commun porte qu’elles luy ont fait visiblement donner courage [f. 3] à vos legions qui combattoient dans les plains de Rocroy pour la defense de vostre Couronne et gaigner une victoire dont les fruits ont esté si doux que nous les avons goutez longtemps, par les merveilleux avantages que vos armes victorieuses ont remporté sur vos ennemis. Ce seront aussi les mesmes vertus qui maintiendront, Sire, tousjours vostre Estat en cette haute reputation où nous le voyons aujourd’huy, et dans [f. 3v] ce grand eclat de gloire, où vos alliez l’admirent et vos ennemis le redoutent. C’est enfin, Sire, le motif des vœux de celuy qui est autant par inclination que par devoir,
De Votre Majesté,
Le tres humble, tres fidelle et tres obeyssant serviteur et sujet,
Antoine Girard, de la compagnie de Jesus
[f. 4] Avis au lecteur
Vous devez scavoir, mon cher lecteur, que ce recit de la fin heureuse de Louis XIII et des grands actes de vertu qu’il a prattiquez avant son heureux trepas est tiré d’un œuvre posthume, ou de quelques memoires du feu pere Jacques Dinet, qui est d’autant plus croyable en toutes les circonstances qu’il en rapporte, qu’alors il estoit present à tout, comme celuy qui avoit l’honneur d’estre confesseur de Sa Majesté et qui, apres M. l’evesque de Meaux, son premier aumonier, a beaucoup servy à la gloire et à l’heureux succes d’une action si importante. C’est pourquoy il parle luy mesme en tout ce recit, mais il ne parle que de plusieurs bons sentimens que ce grand Roy eut en sa derniere maladie et à sa mort, sans toucher aux autres belles actions de sa vie, ny à tant de rares vertus qu’il a tousjours si heureusement pratiquées, comme lorsqu’avec une particuliere confiance en Dieu et une merveilleuse fermeté d’esprit, il fit mander à la feue Reyne sa mere, durant la grande maladie qu’il eut à Lion et dont il ne releva que par miracle, qu’elle pouvoit venir voir son fils, qui estoit malade à la mort, et neantmoins qui n’avoit point peu de la mort. Comme encore lorsque, par une pieté et une devotion extraordinaire envers [f. 4v] le saint sacrement de l’autel, il dit une parole digne d’un Roy Tres Chrestien ; car, suivant un jour à pied le dais sous lequel estoit le saint sacrement, dans une procession qu’on faisoit à Chartres durant les plus grandes chaleurs de l’esté, et M. de Chartres priant ce grand prince de se mettre à l’ombre sous le dais, où il luy montroit de la place, il fit refus de s’y mettre et en donna la raison, disant que Dieu n’avoit point de compagnon. Comme aussi lorsque par un grand zele de justice, il fit response à quelques personnes des plus considerables de la cour qui le sollicitoient puissamment de quelque faveur et de quelque grace qui sembloit choquer cette divine vertu, dont il portoit le nom de juste, et leur dit qu’on luy pouvoit bien oster son sceptre et sa couronne, mais qu’on ne luy osteroit jamais le merite ny le nom de juste, qu’il preferoit à toutes choses. Comme enfin lorsque, par une entiere victoire qu’il avoit acquise sur ses passions, il s’estoit rendu comme insensible en mille occasions d’appas et de charmes, où la pluspart du monde se perd. Voilà quelques traicts de sa vie et de ses vertus, qui luy ont fait meriter une mort si douce et si heureuse, qui est rapportée en cette histoire, où j’avoue que je contribue seulement me plume et un peu d’ordre, la Reyne mesme m’ayant fait l’honneur de me temoigner qu’elle desiroit de moy ce service et qu’il y a dejà longtemps que cela devoit estre fait. C’est donc ce que je me suis efforcé de faire pour obeir à Sa Majesté, mettant un peu plus au net [f. 5] les pensées du pere qui en est l’autheur, et ses reflexions qui ont esté si puissantes sur l’esprit de quelques personnes que, les lisant, elles n’ont pu tenir les larmes, à la veue de tant de douleurs qu’a souffertes et de tant de vertus qu’a pratiquées ce pieux monarque. C’est de quoy j’ay bien voulu, mon cher lecteur, vous donner avis, afin de vous exciter à faire de bon cœur lecture de ce recit, qui n’est pas trop long pour vous ennuyer, et neantmoins qui sera capable de produire en vous un grand fruit, si vous la faites avec quelques uns des bons sentimens qu’avoit en mourant ce bon prince.
[p. 1] L’idée d’une belle mort, ou d’une mort chrestienne, dans le recit de la fin heureuse de Louis XIII, surnommé le Juste, roy de France et de Navarre
Tout homme qui ne considere cette vie que comme une voye tendante à la gloire de la bienheureuse eternité, s’il en use bien et s’il luy donne un si bon employ qu’il s’efforce, avec son industrie aidée de la grace, d’en eviter tous les mauvais pas, d’en avoir mesme en desir la fin, de la demander tous les jours heureuse à Dieu [p. 2] et de l’attendre sans inquietude, ayant toujours son sauveur en veue, et à la vie et à la mort, merite sans doute, au jugement de tous les plus sages, la louange de scavoir l’art de bien mourir, apres avoir sceu l’art de bien vivre.
C’est justement ce que Louis le Juste, de triomphe mémoire, a fait durant le cours de sa vie, et ce qu’il a pratiqué encore avec plus de montre et avec plus d’eclat sur la fin.
Il est vray que je m’estoit promis de la plume de ses historiographes que, lorsqu’ils seroient venus à ce poinct, qui est l’un des plus importans de toute sa vie, où ils verroient une idée parfaite d’une belle mort, ils auroient dessein de nous la representer avec ses louables circonstances comme un beau tableau avec ses vives couleurs, tant pour honorer la mémoire de ce grand prince que pour servir d’exemple et de modele à toute la posterité.
Mais voyant que ceux qui ont publié ce qu’ils en ont pu apprendre par la relation d’autruy n’en ont escrit que comme en passant, j’estime que je feray plaisir aux autres, qui ne se sont point tant hatez d’escrire, de les aider de mes reflexions sur certains choses plus considerables que je luy ay veu faire et ouy dire, deux mois au plus avant son trepas, [p. 3] et dont la Reyne, pour sa consolation, a voulu voir le recit que j’en ay tracé, avec tout le soin et toute la fidelité possible.
La maladie qui donna les premieres attaques au Roy devant Perpignan l’avoit reduit à ce poinct de debilité et de langueur qu’il ne regaigna qu’à toute peine le doux air de Fontainebleau et de S. Germain, et là mesme il eprouva une si grande varieté dans les changemens d’une santé incertaine, pendant les mois d’aoust, de septembre, d’octobre, de novembre, de decembre et jusques à la my fevrier de l’année 1643, que, quelque bonne opinion qu’en put avoir toute sa Cour, luy, qui sentoit fort bien son mal, en fit tousjours un tres mauvais jugement, de sorte qu’apres avoir pris la resolution de se tenir prest et de se conformer à tous les desseins de la Providence souveraine, il resolut en mesme temps de mettre ordre aux affaires de sa conscience, et de commencer par une confession generale de toute sa vie.
Mais, parce que son confesseur, qui estoit alors le R. pere Jacques Sirmond, avoit un peu de peine à ouyr et à parler, à raison de son grande age de plus de quatre vingts ans, il me fit l’honneur de m’envoyer dire qu’il me substituoit en sa place, pour le service en cette occasion, avec ordre de me preparer pour me rendre [f. 4] aupres de Sa Majesté à Saint Germain, le mercredy de la semaine suivante.
Je partis donc de Paris au jour assigné, et trouvay au vieux chasteau le Roy, qui estoit debout en sa chambre, et en meilleure disposition de sa personne qu’il n’avoit esté depuis trois semaines. Il s’occupoit alors à considerer un fort grand nombre de reliques qui luy estoient venues par droit de succession de la feue Reyne sa mere et dont il choisit celles qui luy aggreerent davantage et qu’il luy pleut de retenir en son cabinet, laissant les autres à la Reyne son espouse, qui en a tousjours esté aussi desireuse, et leur a esté aussi devote que le Roy.
Il me fit donc apporter les siennes de son cabinet et me les montra une à une, estant toutes richement et precieusement enchassées, pour estre mises à son oratoire, puis il me dit que de tous les saincts dont il avoit quelque ossement ou quelque plus notable relique, il avoit fait acheter la Vie ou l’Office, et tous les deux ensemble s’il avoit esté en son pouvoir de les recouvrer, et que depuis longtemps il les invoquoit tous les jours, soir et matin, sans y manquer, demandant à Dieu par leur entremise la grace de faire une bonne fin et de mourir en bon estat.
On luy apporta aussi alors plusieurs exemplaires [p. 5] des petits Offices, que luy mesme a composez et mis par ordre, avec un soin qui n’est pas croyable, quoyqu’il ait esté secondé dans ce penible travail de l’industrie de ses confesseurs et de quelques autres scavans et habiles hommes. Car non seulement il y en a pour toutes les principales festes de l’année, soit de commandement ou de devotion, mais il s’y en trouve encore pour les principaux saincts de la France, pour le precieux sang de Jesus Christ, pour toutes les necessitez de la vie humaine, pour l’impetration de la paix et de la victoire contre les ennemis particuliers de nostre salut, comme sont la chair, l’avarice et la superbe, les pechez de la langue, les pensées mauvaises, les mauvaises œuvres et le troubler interieur de l’ame ; enfin, il s’y en trouve un pour obtenir la vraye penitence, un autre pour consoler les malades, et un troisiesme pour les disposer à bien mourir.
Et ce qui est bien considerable en celui cy, c’est que par des passages tirez de divers pseaumes de David, à la faveur du livre des Concordances qu’il manioit heureusement, par des hymnes devots et affectueux, et par des prieres ardentes, il demandoit tous les jours à Dieu la grace de recevoir avant son trepas tous ses sacremens, et de luy accorder la liberté de la parole, le jugement sain et entier jusqu’au dernier [p. 6] soupir de sa vie, une contrition cordiale, une foy ferme, une esperance divine et une parfaite charité.
Or de ces livres qu’il avoit achevé de composer des l’année 1640 et qui sortoient tout fraischement de son imprimerie royale, en petit et en grand volume, le grand pour le cabinet et le petit pour la campagne, il m’en donna un de sa main et desira qu’en sa presence je fisse lecture du premier pseaume de Matines, dans l’office des Apostres, qui est un sermon selon son idée et tel qu’il les souhaittoit, puis dans l’office des Mysteres de Nostre Seigneur, le pseaume de None, où l’histoire de la Passion est artificieusement enfermée.
Mais, pour revenir à l’estat où d’abord je le trouvay, nonobstant cette meilleure disposition qui luy dura jusqu’au seiziesme du mois de fevrier, comme il se sentit attaqué d’un flux hepatique, il se condamna luy mesme à mourir en peu de temps, à moins que Dieu fit miracle pour le remettre en santé, et il en parla en ces termes au sieur Bouvart, son premier medecin, qui luy avoua que le peril où il le voyoit l’attristoit au dernier poinct, mais il luy voulut ainsi parler franchement afin de voir si l’apprehension de la mort seroit capable de le porter à se resoudre à l’usage de certains [f. 7] remedes, dont il avoit tousjours tesmoigné une grande horreur.
Le Roy, prevoyant assez son dessein, demanda quel effet auroient en luy ces remedes ; et comme il apprit qu’avec un peu de soulagement qu’il en recevroit, sa mort n’en seroit retardée que de quelques mois, il repondit qu’il ne croyoit pas estre obligé en conscience de lutter tousjours contre une antipathie naturelle, pour l’amour d’une vie de peu de durée, et encore fort douteuse, et pour un soulagement incertain, qui pourroit estre suppléé aisement par autre voye. De sorte qu’il fut necessaire de convenir avec luy de la prise de quelques uns qui luy estoient moins desagreables.
Ces premiers entretiens estans finis, il me parla de se confesser et s’informa de la methode qui me sembloit la meilleure, me donnant toutefois à entendre qu’il n’eut jamais fait autre confession generale qu’une que le pere Suffren tira de luy à la hate en sa maladie de Lion. Il s’estoit tousjours acquitté tres exactement des ordinaires. C’est pourquoy nous arrestames que, le lendemain dix neufiesme du mois de mars, jour de saint Joseph, pour qui il avoit beaucoup de veneration, nous travaillerions à cette bonne œuvre.
Avant toutes choses, il resolut, en presence [f. 8] de monsieur le cardinal Mazarin et du sieur de Noyers, secretaire d’Estat, de s’eclaircir avec moy de certains cas de conscience appartenans à l’action que nous allions faire. Puis, ces deux seigneurs s’estans retirez, et toutes les portes de sa chambre fermées par dedans, il s’accusa de ses offenses, non sans une peine extraordinaire, tant estoit grande la secheresse du deplaisir et de la confusion qu’elles luy causoient, et mesme les moindres qui, dans sa plus grande jeunesse, n’avoient eu, à son jugement, que je ne scay quoy de moins seant à Sa Majesté ; d’où ensuite, lorsqu’il passoit à quelque poinct plus notable et où je jugeois, non qu’il eut failly, mais qu’il eut mieux fait d’y proceder par autre voye, il n’est pas croyable avec combien de regret et d’amertume il en demandoit pardon à Dieu : Non ! mon Dieu, s’ecrioit il pitoyablement, non ! jamais plus, non ! pour chose du monde, plustost mourir que d’y retourner ; c’estoient les termes dont il se servoit ; de là vint qu’il fut obligé d’interrompre sa confession une ou deux fois pour humecter sa langue seche et alterée, avec un peu d’eau qu’il avoit aupres de luy, et ainsi enfin il acheva cette action saincte. Mais, pour la communion, il luy pleut de la differer jusqu’à l’Annonciation prochaine.
[p. 9] Dieu voulut au reste que, durant ce peu de jours, la satisfaction interieure qu’il tira de cette decharge de conscience s’estant repandue sur tout le corps, elle y opera un changement si merveilleux que, comme on croit sans peine ce que l’on desire avec passion, il n’y eut aucun de nous qui ne creut qu’il estoit guery, et cette creance nous dura jusques à la feste.
Voicy donc que le jour de l’Annonciation de Nostre Dame, ou de l’Incarnation du Verbe divin, estant arrivé, il se reconcilia devotement, ouyt la messe en sa chapelle, la teste nue et à deux genoux, et receut en cette position son Createur, avec sa ferveur ordinaire, des mains de M. l’evesque de Meaux, son premier aumosnier. Et j’eus ensuite permission de luy de me retirer à Paris jusques à son retour de Versailles, où il pretendoit se faire porter en chaire et en retourner pour le Jeudy sainct. La nuit toutefois luy fut si facheuse, l’air si contraire, et son indisposition si pressant, qu’il se contenta de passer du vieux chasteau de Saint Germain au chasteau neuf, y voulant estre logé dans la chambre de la Reyne, et mesme pour se fortifier allant et venant, comme pour prendre un peu d’exercice. Il s’habilloit chaque jour, puis, ayant fait ses prieres, il faisoit un tour de galerie, soutenu de deux des [p. 9] siens, avec une chaire à sa suite pour se reposer de temps en temps, ne pouvant se soutenir ny marcher plus de vingt pas sans avoir besoin de repos.
Voilà l’estat où, à mon retour, je le trouvay le Mercredy saint, dans la volonté de faire le jour d’apres sa communion de Pasques. Car pour la ceremonie du lavement des pieds et du service des pauvres, se souvenant de l’action de Henry le Grand, qui s’en estoit autrefois deschargé sur luy, par un exemple singulier digne d’estre mis en nostre histoire, il en donna la commission à monseigneur le Dauphin et le substitua à sa place pour faire cette action de pieté et d’humilité chrestienne.
Mais, la nuit du mercredy au jeudy, l’ardeur de la fievre l’altera si fort que, ne pouvant ny passer la nuit sans se rafraichir la bouche, ny se resoudre à communier apres un simple gargarisme, tant il craignoit d’avoir avallé par megarde quelque goute d’eau, il s’en abstint par reverence et par respect.
C’est pourquoy nous attendimes les jours suivans quelque meilleure disposition de sa personne, dans l’esperance que cette ardeur se modereroit avant que la quinzaine fut expirée, comme en effet il arriva le jeudy de Pasques, où, se portant un peu mieux, il satisfit au precepte de l’Eglise et, quoyque fort abbatu, [p. 11] il se leva neantmoins, mais pour la dernier fois, n’ayant pas esté en son pouvoir de le faire depuis le Samedy saint, où il commença par force à quitter sa petite et languissante promenade.
Alors toutefois, il fit un effort et, sans autre habit que sa robe de chambre, il vint avec une majesté et une modestie angelique recevoir le tres saint sacrement à un autel qu’on avoit coutume de luy dresser au fonds de sa chambre lorsqu’il desiroit ouyr la messe, à quoy jamais il ne manqua durant le cours mesme de sa maladie, non plus qu’aux vespres du dimanche et des festes commandées, ny à l’office de la semaine sainte, qui se disoit en sa chapelle. Sur quoy il est à propos de remarquer que le Roy, aimant beaucoup la priere, c’estoit par elle que, sain et malade, il commençoit tousjours sa journée, et cette priere estoit en partie l’exercice du matin, en partie aussi un de ses petits offices, apres quoy il se laissoit voir et gouverner à ses medecins, puis il entendoit la messe, où tous les prelats et tous les seigneurs qui se rencontroient à la Cour estoient les tres bienvenus, mais ses aumoniers y assistoient par devoir, avec sa Chapelle de musique, qui recevoit ordinairement son ordre sur ce qu’il desiroit qu’on chantat, qui fut presque tousjours l’antienne du [p. 12] Magnificat des premieres vespres de la feste de tous les saints, Angeli, Archangeli, et ce qui suit, où l’Eglise fait le denombrement des neuf chœurs des anges et de toute la cour celeste. Luy, cependant, les rideaux ouverts, la teste nue, ses Heures en main, les yeux arrestez ou au ciel ou sur l’autel ou sur les prieres de son livre, nous estoit à tous un parfait modele et un beau miroir de devotion.
Sa messe estant achevée, il recevoit les placets des pretendans aux benefices, les visites des Grands et les propositions de ses officiers et de ses ministres d’Estat. Sinon, il s’entretenoit des choses divines, tantost en son ame et luy seul, tantost avec son confesseur. Puis, à l’instance de ses medecins, il prenoit quelque peu de nourriture, dont il avoit autant d’aversion que de remedes.
Apres son repas, on l’entretenoit de choses divertissantes et moins serieuses, comme des nouvelles qui venoient des autres pays, quoyque sur la fin il n’en vouloit plus ouyr que ce qui touchoit les troubles de la Grand Bretagne et l’histoire des catholiques qu’on y faisoit alors endurer pour la religion, disant qu’il portoit une saincte envie à leur courage et à leur bonheur, et qu’il eut voulu pour beaucoup se voir en leur place. Et, pour la mesme raison, il fit paraitre beaucoup de joye lorsqu’il [p. 13] receut de moy des reliques de deux des nostres brulez au Japon pour la foy, et un veritable recit de leur vie et de leur martyre.
Ensuite, l’heure du Conseil venue, on le tenoit aupres de luy, en grand ou en petit nombre, selon l’exigence des affaires qu’on y devoit traitter, et il ne se passoit aucun jour qu’il ne rendit, ou le soir ou le matin, ce service à son Estat.
Le Conseil finy, il s’entretenoit avec Dieu fort doucement et fort devotement en luy mesme, sans estre jamais plus de trois heures qu’il ne pratiquat ce saint exercice. Apres lequel, il voyoit les survenans, puis il prenoit un tel quel souper, accompagné d’un entretien de choses communes et indifferentes que l’on appelle du petit coucher, suivy de l’oraison du soir, où l’assistoit ordinairement le sieur Lucas, secretaire de son cabinet ; et pour finir sa journée, l mesme sieur Lucas, ou quelque autre qui en recevoit le commandement, luy faisoit quelque lecture de la vie des saints, selon les jours qui se rencontroient, en quoy une bonne partie de la nuit estoit employée, car à peine pouvoit il prendre un peu de sommeil qui ne se trouvat grandement interrompu, et sans la consideration de ses officiers, dont il ne vouloit pas ruiner la santé, il les eut retenus de bon cœur jusques au jour.
[p. 14] Voilà comme vivoit reglement, ou plustost comme alloit peu à peu mourant ce grand prince, lorsque, dans l’opinion commune qu’il n’estoit pas pour mourir si tost, je luy demanday permission de me retirer à Paris pour quatre ou cinq jours. A quoy il condescendit fort doucement, me donnant neantmoins à entendre qu’il seroit bien aise que, dans les termes où il se voyoit, j ne m’eloignasse pas beaucoup de luy.
Et parce que quelque eveschez estoient vacans, et qu’il n’avoit dessein d’en pourvoir que des hommes qui en fussent dignes, il me chargea d’y penser et d’en communiquer avec des personnes intelligentes et zelées pour les interests de Dieu, jesuites et autres, et particulieremnt avec le R. pere Vincent de Paul, general de la Mission, et de luy en fournir une liste où ils seroient mis selon l’ordre de leur suffisance et de leur merite.
Mais comme j’apperceu à mon retour qu’il minutoit quelque forme de testament, je jugeay qu’il estoit temps de luy donner advis de trois choses que je meditois en mon esprit, à quoy luy mesme me convia, me demandant par prevention, comme il avoit dejà fait quelqu’autre fois, si j’estoit content de luy ?
Je luy repondis qu’apres y avoir pensé serieusement, j’estois d’avis qu’il agiroit en Roy [p. 15] Tres Chrestien si, pour l’edification et la satisfaction publique, premierement il declaroit à tout le monde, ou de bouche ou par escrit, qu’il mouroit avec une extreme desplaisir de ses omissions envers la feue Reyne sa mere, dans les peines qu’il avoit eues d’ajuster ensemble les devoirs de fils et les obligations de Roy, surtout pour le temps où, n’estant plus sur les terres de l’Espagnol ny secourue de ses deniers ny partie agissante dans les mouvements de l’Estat, elle n’avoit pas laissé de souffrir en ses alimens et de recevoir un traittement moins convenable à sa qualité.
En second lieu, s’il donnoit ordre que les officiers et les serviteurs de la defunte, qui n’airoient aucun crime ny autre pesché que le malheur de leur maistresse, fussent payez de leurs gages et de leurs services, comme elle l’avoit ordonné.
En troisiesme lieu, s’il arrestoit les plaintes formées à l’occasion de plusieurs de ses sujets, dont les uns tenoient prison, les autres estoient exilez et hors du royaume, et les autres releguez en divers endroits hors de leurs maisons ; et parce qu’il y en avoit parmy eux qui passoient pour tres innocens, et comme on parloit pour martyrs d’Estat, qu’il luy pleut de leur assigner des juges afin de connoitre de leurs griefs et de leur rendre justice, comme [p. 16] ils en supplioient tres humblement Sa Majesté.
A ces trois chefs, sa reponse fut que pour le premier, qui regardoit la Reyne sa mere, il estoit de mesme sentiment que moy et qu’en ce poinct il n’avoit jamais esté sans quelque scrupule d’avoir manqué à son devoir, dont il demandoit avant toutes choses tres humblement pardon à Dieu, pardon aussi à elle mesme, et que de plus il entendoit que le sieur de Chavigny, secretaire d’Estat, qui l’aidoit à mettre par escrit ses derniers volontez, exprimat en son testament, avec les termes qu’il me laissoit libres, la douleur qu’il en ressentoit, et qu’il vouloit que toute la France et toute l’Europe en fut informée. Touchant l’autre chef, il repondit qu’il se souviendroit d’en commander l’execution, et pour le troisiesme qu’il y alloit pourvoir tout presentement.
Quant à la paix, il ne fut pas beaucoup necessaire de l’y exhorter, tant je scavois qu’il la desiroit avec passion, jusques là que, considerant un jour les souffrances de son pauvre peuple, « Je luy ay bien fait, me dit il, du mal, à raison des grandes et importantes affaires que je me suis veues sur les bras, et je n’en ay pas tousjours eu toute la pitié que je devois et telle que je l’ay depuis deux ans, ayant esté partout en personne et veu de mes yeux toutes les miseres. Mais si Dieu [p. 17] veut que je vive encore, ce que je n’ay pas grand sujet de croire et beaucoup moins de souhaitter, la vie n’ayant rien que me semble aimable, j’espere qu’en deux autres années je le pourray mettre à son aise, car l’année prochaine il aura la paix. » C’estoit le dessein de ce bon Roy, qui travailloit fort à l’avancement du traité. « Et l’année suivante, je licentieray, disoit il, mes troupes, qui est une affaire où de grands deniers s’epargneront. »
Un autre jour, prenant ses mesures pour cet heureux temps de la paix dans une fievre intermittante, comme j’estois seul à sa ruelle : « Je remedieray, dit il, Dieu aydant, au libertinage, je supprimeray les duels, j’estoufferay l’injustice, et communieray tous les huit jours. Et sitost que je verray mon Dauphin à cheval et en age de majorité, je le mettray en ma place pour me retirer à Versailles, avec quatre de vos peres, où je m’entretiendray avec eux des choses divines, ne penseray plus du tout qu’aux affaires de mon ame et de mon salut, à la reserve du divertissement de la chasse, que je desire toujours prendre, mais avec plus de moderation qu’à l’ordinaire. »
Alors, il demanda au sieur de Chavigny, present, s’il n’estoit pas vray qu’il l’avoit ainsi resolu et s’en estoit decouvert à luy depuis fort longtemps, et moy la dessus, touché de compassion pour les malheurs qui pendoient alors sur la teste du roy de la Grand Bretagne, je [p. 18] m’avançay de lui demander s’il ne l’assisteroit pas auparavant contre ses rebelles : « Ouy, dit il, à condition que de sa part il fasse aussi pour les catholiques ». Une autre fois, s’informant de moy de la difference que nous mettons entre l’attrition et la contrition, sur ce que je luy repondis que l’attrition avoit pour motif la crainte de Dieu et nostre interet, au lieu que la contrition n’a que l’amour et que l’interet de Dieu : « Je n’ay, me dit il, jamais envisagé en ma repentance que l’interet et l’amour de Dieu ; vous voyez pourtant que j’ay eu l’honneur de n’avoir esté des mieux instruits en ce point ; mais si Dieu me donne la vie et la santé, j’y mettrait bon ordre et vous me catechiserez ». Ce qu’il ajouta dans la veue de la retraite qu’il avoit dessein de faire à Versailles.
Au reste, la fievre, l’inedie et l’insomnie, et une toux seche le minant tousjours peu à peu, il redouta nommement deux choses, l’une de mourir inopinement et par surprise, l’autre de languir ou, comme on dit, de trainer longtemps. Mais, pour s’armer avec cette double appréhension, il conjura d’un costé monsieur de Meaux et son confesseur de se souvenir de luy donner par avance tous ses sacremens, dont ils s’excuserent pour l’heure, l’asseurant que chose du monde ne pressoit, que selon le devoir de leur conscience et de leur charge ils [p. 19] le feroient quand il seroit temps ; d’ailleurs il pria Dieu tres instamment de luy vouloir abbreger le cours et la durée de sa maladie, et on remarqua qu’il fit sa priere avec grande ardeur.
La nuit du 18 au 19 d’avril fut si mauvaise et si facheuse pour luy qu’il ne pensa presqu’à autre chose, qu’à l’eglise de Sainct Denys en France, où reposent les corps de nos Roys ; dont le lendemain il prit sujet de s’entretenir toujours de la mort avec ceux qui s’approchoient de luy et, l’apres disnée, s’estant fait mettre dans sa grande chaire où, de temps en temps, il se soulageoit de la lassitude du lit, il commanda qu’on luy ouvrit les fenestres de sa chambre, qui regardoient du costé de Sainct Denys, disant à ceux qui le servoient qu’il vouloit voir son dernier logis.
Puis le soir, tout tard, chacun s’estant retiré, à la reserve des sieurs Lucas, du Bois et peu d’autres, il desira qu’on luy leut le 17 chapitre de l’evangile de saint Jean, où sont couchées les dernieres paroles que le Sauveur du monde dit à ses apostres un peu avant sa Passion, ; et l’oraison qu’il fit à son pere pour luy recommander ses chers disciples, mais en termes si affectueux qu’ils seroient capables de toucher les cœurs les plus dures et les ames les plus insensibles.
[p. 20] Il se fit lire aussi quelque endroit de l’introduction à la vie devote du B. François de Sales, et nommément le chapitre du mepris du monde, et, dans le livre de l’Imitation de Jesus Christ, celuy de la mort, que le sieur Lucas ne pouvoit assez tost trouver, le Roy prit luy mesme le livre et, y rencontrant à l’ouverture ce qu’il cherchoit : « Lisez, dit il, cela », et cette lecture fut continuée jusqu’à minuit.
Le jour suivant 20 du mois, s’assemblerent en sa chambre par ses ordres, autour de Sa Majesté, la Reyne son espouse, monsieur le duc d’Orleans, monsieur le prince de Condé, ses ministres d’Estat et tout ce qu’il y avoit de Grands à la Cour, puis, les rideaux de son lit levez, s’estant entretenu quelque temps avec la Reyne, monsieur son frere et monsieur le Prince, il fit à toute l’assistance, à haute voix, un discours declaratif de ses dernieres volontez, à la fin duquel il commanda au sieur de La Vrilliere, secretaire d’Estat, qui estoit en mois, de lire tout haut la regence à la Reyne, seante alors au pied du lit. Et quoy que tout le monde fondit en larmes, il avoit luy seul le visage gay et tesmoignoit estre fort content.
Cette piece ayant esté leue, il en fit signer l’original et en jurer l’execution à la Reyne et à monsieur son frere, leur disant plusieurs autres [p. 21] choses sur ce sujet, comme aussi à monsieur le Prince.
Ensuitte, le parlement vint, representé par son premier president, les presidens au mortier, deux conseillers de chaque chambre, et les gens du Roy, qu’il informa de ses intentions ; apres quoy il enjoignit à monsieur le duc d’Orleans, à monsieur le prince de Condé et à monsieur le chancelier d’estre le jour d’apres à Paris pour faire enregistrer sa declaration au parlement. Et ce fut chose fort merveilleuse de voir le plus grand monarque du monde disposer ainsi de son royaume, quitter la Reyne son espouse en la fleur de son age, des enfans mineurs beaux comme le jour, et sa propre vie, avec aussi peu d’emotion que s’il n’eut laissé qu’une de ses maisons de campagne.
Mais ce qui donna encore un grand eclat à la gloire de cette action, c’est qu’il parut alors à veue d’œil que Dieu luy avoit donné, comme à dessein plus de santé et plus de force qu’à l’ordinaire. Car, tout le monde estant sorty de la chambre, luy, le cœur serré de regret et la face baignée de larmes, retint seulement monsieur de Meaux et son confesseur, employant ce qui restoit de la journée à s’entretenir avec eux de Dieu et des choses divines.
La nuit, il eut de grandes evacuations, lesquelles jointes aux precedentes l’abbatirent [p. 22] et l’extenuerent tellement que son corps ne sembloit plus qu’un squelette, de sorte qu’au point du jour, regardant par occasion ses bras et ses cuisses, il demeura un peu etonné de l’estat où il se voyoit, puis, s’elevant les yeux au ciel selon sa louable coutume : « Helas, dit il avec le Prophete, Quid est homo ? » Qu’est-ce que l’homme ? Paroles qu’il repeta depuis fort souvent lorsqu’il parloit à quelques seigneurs qu’il aimoit beaucoup, entr’autres monsieur de Liancour, ajoutant encore celle cy : « Je ne suis plus desormais que terre ! »
Le mesme jour, sur les cinq heures du soir, apres le Conseil tenu, on fit la ceremonie du baptesme de monseigneur le Dauphin en sa chapelle du vieux chateau, la Reyne presente, où son parrain fut monsieur le cardinal Mazarin, et sa marraine madame la princesse de Condé, qui luy donna le nom de Louys, que ce petite prince desiroit avoir ; et apres la ceremonie, qui fut bientôt achevée, il alla remercier de fort bonne grace monsieur de Meaux en la sacristie. Le Roy, ayant appris le succes de toute l’action, en loua Dieu, les yeux elevez au ciel, où il les tint assez longtemps.
Or ses mauvaises nuits l’abbatant de plus en plus, et ses medecins ouys la dessus, il fut ordonné qu’on luy administreroit le viatique de la tres saincte eucharistie, dont j’eus avis [p. 23] de luy porter la parole, non seulement qui ne le surprit ny ne l’inquieta pas, mais plutost qui luy fut si agrable qu’il m’embrassa tendrement, et en dit mesme en action de graces un Te Deum, avec plus de joye qu’il n’en avoit jamais tesmoigné ny pour la prise d’une ville, ny pour le gain d’une bataille. Puis, se tournant vers l’assistance, « Que j’aime, dit il, ce bon pere, qui m’apporte une si bonne et si agreable nouvelle ! »
On informe cependant la Reyne de ce qui se passe, tandis que le Roy se confesse et se prepare à la communion, lors qu’à la fin de la messe cette princesse arrive, fondant toute en larmes, et, ayant laissé un peu en arriere messeigneurs le Dauphin et le dc d’Anjou entre les mainsde leur gouvernante, elle se presente au chevet du Roy et là, prosternée à genoux, elle le voit communier pour la derniere fois, monsieur le duc d’Orleans et monsieur le prince de Condé luy tenans les deux premiers coins de la nape, et deux aumoniers les deux autres.
Apres son action de graces, faite à loisir et en grand repos, il s’entretint en particulier avec la Reyne assez longtemps, et à la fin, pour clorre toute cette pitoyable ceremonie, ayant demandé messeigneurs ses enfans, la Reyne les alla prendre elle mesme par la main et les luy amena tous deux, puis tous trois [p. 24] mirent avec grand respect les genoux en terre et receurent sa benediction.
Il est vray qu’en mesme temps, il eut bien voulu recevoir l’extreme onction, mais ce ne fut ny l’opinion de monsieur de Meaux, ny mon sentiment, tant nous decouvrimes de vigueur et de force en luy.
En effet, il accueillit favorablement, ce jour là encore, quelques grands seigneurs qui, pour la pluspart, avoient encouru son indignation, s’estans malheureusement engagez dans les divisions de la Cour et de la Maison royale.
Et ayant sceu que les mareschaux de Chatillon et de La Force desiroient luy tesmoigner leur zele pour le service de Sa Majesté et l’extreme regret qu’ils avoient de la perte d’un tel maitre, quoyqu’il ne prit pas plaisir de voir aucun huguenot en cet accessoire où il ne vouloit point souffrir d’imagination contraire à la foy, son humeur estant de ne hair pas moins les pensées que les complaisances ou les œuvres, quand elles estoient de quelque sujet qui n’estoit point agreable à Dieu, il les fit toutefois entrer puis, les ayans remerciez de la tendresse de leur affection, il les exhorta fortement à se retirer de leur pretendue religion, leur intimant qu’estant sur le poinct de rendre compte de toute sa vie à son createur, il ne se pouvoit tenir de leur dire qu’à son avis [p. 25] Dieu les avoit gratifiez de ce grand age où ils estoient tous deux arrivez pour leur donner loisir de penser à eux et qu’il les en conjuroit autant qu’il pouvoit, qu’au reste il reconnoissoit que selon le monde ils estoient veritablement sages, vaillans et braves seigneurs, mais que ce n’estoit pas tout, qu’il n’y avoit pas plus d’une voye pour aller au ciel, que hors de l’Eglise catholique, apostolique et romaine il n’y avoit point de salut, et choses semblables qu’il leur dit en de si beaux termes et avec tant de cordialité qu’il leur tira les larmes des yeux ; mais ce fut tout le fruit de cette belle et cordiale remontrance.
Ainsi se passa la journée, et la nuit s’avançoit fort quand Dieu permit, pour les raisons qui luy sont connues, qu’apres nous estre un peu trop hatez de luy donner le viatique, nous nous hatames encore un peu trop de luy donner l’extreme onction, à l’occasion des medecins qui estoient lors de garde aux pieds de son lit, et particulierement du sieur Seguin le jeune, premier medecin de la Reyne ; car, ne luy trouvant comme point de pouls, ils en donnerent bientôt avis à monsieur de Meaux, et luy à moy, nous asseurant qu’il s’en alloit et qu’à peine verroit il le jour, et qu’il estoit absolument necessaire de luy donner les sainctes [p. 26] huiles, à moins que d’estre blamez de tout le monde si nous laissions mourir sans ce sacrement un prince si sage et si vertueux qui s’en reposoit sur nous, que de leur part ils se sentoient obligez de nous donner cet avis pour leur decharge.
On peut aisement juger si je me trouvay surpris à cette parole, veu que le matin, Sa Majesté ayant demandé au sieur Bouvart, selon sa coutume, des nouvelles de sa mort en nostre presence, et si ce seroit pour la nuit prochaine, il luy avoit repond que ce n’estoit pas son opinion, s’il n’arrivoit quelque accident qui n’estoit point encore previsible ; neantmoins, me voyant pressé de me prevaloir de cet avis, je n’en voulus pas allarmer l’esprit du Roy, qui prenoit un peu de repos, mais sans plus longue deliberation je pris le carrosse de monsieur de Meaux et allay en diligence au vieux chateau en communiquer avec monsieur le cardinal Mazarin et le sieur de Chavigny qui, non moins estonnez que moy, viennent en sa chambre, où, les medecins luy ayans taté de nouveau le pouls, nous asseurerent que pour foible et bas qu’il fut, il nous dureroit encore du moins jusques au midy.
Sur quoy on conclut que le matin je me mettrois en devoir de le disposer à ce sacrement, comme je fis de le point du jour 23 d’avril, [p. 27] luy representant que la nuit passée il nous avoit mis en grande frayeur jusques là que les medecins qui le veilloient avoient douté s’il verroit le jour, que graces à Dieu il estoit mieux sans comparaison, mais neantmoins qu’il y avoit quelque peril puisque tous les soirs il sembloit mourir et tous les matins ressusciter et, partant, que dans l’apprehension de quelque surprise ou de quelque mort inopinée, s’il luy plaisit qu’on luy donnat les sainctes huiles sans plus attendre, il auroit toutes les aydes et toutes les armes spirituelles de l’Eglise, se tirant par ce moyen de peril et nous de peine, qu’au reste l’extreme onction ne s’appelloit pas tant extreme parce qu’elle ne devoit estre conferée qu’à l’extremité qu’à cause qu’elle estoit, pour ainsi dire, la derniere de toutes les onctions ecclesiastiques que Jesus Christ avoit instituée comme un sacrement pour fortifier de corps et d’esprit ceux qui sont grandement malades et mesme, s’il est à propos, pour rendre la santé en qualité de remede surnaturel, ainsi que l’apostre saint Jacques nous asseure en sa canonique, et qu’en un mot elle donne beaucoup de force à un malade pour supporter doucement son mal.
Il n’en fallut pas davantage à un prince qui avoit, comme on dit, la mort en desir et la [p. 28] vie en patience et qui esperoit tous les jours passer à une meilleure. Neantmoins, il voulut ouyr auparavant de la bouche mesme de ses medecins, qui l’avoient tousjours entretenu de quelque foible esperance de retour, si à leur jugement sa maladie estoit sans remede.
A quoy le sieur Bouvart repartit : Sire, Dieu est tout puissant ! Et alors Sa Majesté, d’un visage gay, d’un front serain et d’un œil riant, s’ecria encore avec le prophete : Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus ! Je suis ravy de la nouvelle qu’on me vient dire que nous irons en la maison du roy des roys et du seigneur des seigneurs !
Et, dans l’opinion qu’il mourroit le lendemain, jour de vendredy, il ajouta incontinent : O, la desirable, ô l’agreable nouvelle ! ô l’heureuse journée pour moy, et veritablement heureux vendredy ! Aussi n’est ce pas d’aujourd’huy que les vendredys me sont favorables, un vendredy m’a elevé à la royauté, je gagnay à pareil jour au Pont de Cé la premiere de mes victoires, la premiere ville que j’ay assiegée a esté Sainct Jean d’Angely, dont la reddition se fit à tel jour, la defaite de Soubize en l’isle de Ré arriva aussi un vendredy comme j’y estoit en personne, et un autre vendredy me fit scavoir que les troupes qui estoient allées par mes ordres en la mesme isle contre les Anglois les avoient battus et [p. 29] forcez de rentrer dans leurs vaisseaux, et ainsi de quantité d’autres. Mais ce vendredy me sera le plus heureux de toute ma vie, puisqu’il me mettra dans le ciel pour y regner eternellement avec mon Dieu, et il vaut mieux mille et mille fois estre roy au ciel que sur terre ; non que je me promette d’y aller tout droit et sans obstacle au sortir du corps, car eu egard à mes offences, cent ans, ouy cent ans de purgatoire ne seront pas trop pour moy, mais j’en auray au moins, Dieu aydant, tousjours l’expectative certaine !
Apres ce discours, je le confessay, on luy dit la messe, puis monsieur de Meaux, s’approchant avec le livre et les saintes huiles, la Reyne arriva là dessus et, comme je me mis en devoir de luy quitter par honneur ma place, elle m’y retint avec sa bonté ordinaire. Les pseaumes, les litanies, les oraisons furent recitées, et les onctions visitées se firent.
Ce religieux monarque repondit à tout, aussi peu emeu que s’il n’eut esté que spectateur de cette action, qui fut faite, si je ne me trompe, sur les neuf heures et demie du mesme jour.
Nous fondions tous en larmes, quelque grand effort que nous fissions pour les retenir, mais la ceremonie ne fut pas plustot achevée qu’il joignit enfin les siennes aux nostres, et nous dit en essuyant ses yeux : Je ne trouve point [p. 30] mauvais que vous me pleuriez, c’est une demonstration de vostre amitié, et c’est ce qui m’attendrit le cœur ; hors de là, Dieu m’est temoin si la vie m’a jamais pleu et si je ne suis pas ravy d’aller à luy en peu d’heures, et choses semblables sur lesquelles il s’etendit avec tant de fermeté d’esprit et de ferveur que, depuis, il m’avoua qu’il en avoit senty quelque mouvement de vanité. Et comme je luy remontrois que cette disposition d’esprit estoit un effet du sacrement qu’il avoit receu, et un don de Dieu qui demandoit sa reconnoissance, disant à Dieu : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ! O Seigneur, ce n’est point à nous, non, ce n’est point à nous que la gloire est deue, mais à vostre nom, à vostre grace et à vous mesmes ! Il repartit aussitôt qu’il avoit tousjours dit ces paroles.
Or, comme la foule de ceux qui avoient remply sa chambre estoit si prodigieuse que, luy ostant la belle veue et le libre usage de l’air qui entroit pas ses fenestres, et neantmoins ne voulant faire sortir personne en particulier, tant il avoit de douceur et d’humanité pour tout le monde, il fit signe de la main qu’on se rangeat et dit un peu haut : Hé Messieurs, donnez moy la vie !
A cette parole, tous ceux qui estoient alors inutiles se retirerent, mais il m’arresta, me commandant [p. 31] de demeurer et de luy dire à qoy il pourroit s’occuper ?
Je lui fis reponse qu’il me paroissoit si robuste et si vigoureux que je ne pouvois desesperer de l’estat de sa convalescence et que, ne scachant à quoy rapporter un si merveilleux changement, je presumois avec assez d’apparence que c’estoit un effet de l’extreme onction et que le Grand Medecin operoit extraordinairement en sa personne, luy donnant tant de consolation et de force : Je le sens bien, dit il ; puis j’ajoutay qu’apres tout, s’il n’estoit pas pour guerir de sa maladie, cette force et cette consolation qu’il ressentoit ne luy estoit donnée de Dieu que pour en digerer la longue durée avec moins de peine, de sorte que je le priay de ne se point negliger luy mesme, mais de se souvenir de l’avis du Sage qui dit : Fili, in tua infirmitate ne despicias te ! Mon fils, quand vous estes malade, souvenez vous de ne vous point negliger vous mesmes, mais de suivre Dieu et d’adorer l’ordre de sa divine providence, de sa volonté et de sa conduite. Je conclus enfin qu’il seroit bon de partager sa journée comme de coutume, tantot prenant ce qu’il pourroit de remedes et de nourriture, avec quelque honneste divertissement apres le repas, tantot entendant parler des choses divines, mais en peu de mots, [p. 32] de peur de luy causer de l’ennuy, estant certain qu’à la longue on s’ennuye de tout et qu’on doit donner aux malades la nourriture spirituelle comme la corporelle, peu et souvent ; neantmoins que, par intervalles et de fois à autres, il pourroit penser de loin aux œuvres pries qu’il vouloit faire, mais que de ma part je me chargeois de l’avertir fidellement et à point nommé du jour et, s’il estoit possible, de l’heure de son passage, autant que je pourrois en estre asseuré de ses medecins.
Cet avis luy parut assez plausible et ce discours assez agreable et, des lors, il s’en prevalut si heureusement que, les forces s’augmentant peu à peu en luy, il vint mesme jusques à ce point de s’etonner d’avoir esté si tost reduit à l’extreme onction, et en toucha un mot à ses medecins, qui luy repondirent que si sa santé estoit bonne, ils prioient Dieu de la luy rendre encore meilleure.
Le lendemain matin 24 d’avril, ils luy presenterent une prise de rheubarbe, mais il ne fut pas au pouvoir de leur eloquence ny au credit de toute la Cour de l’y resoudre et, nonobstant ce refus, apres son disner, il eut tant de force, par une espece de miracle, et se trouva en si bonne humeur, qu’il fit chanter sur le luth le pseaume Lauda anima mea Dominum par son premier valet de garderobe. [p. 33] Ensuite de quoy on luy chanta en partie plusieurs autres, traduits de nouveau en vers françois sur des airs de son invention, et il en chanta luy mesme la basse avec le duc de Schomberg. De sorte que, la Reyne l’estant venue visiter à l’heure qu’elle prenoit tous les jours pour cette action, ne fut jamais plus estonnée ny tout ensemble plus rejouye, et la nouvelle d’un prodige si nouveau volant aussitost partout Sainct Germain, il n’y eut aucun de ceux qui avoient l’honneur de l’approcher qui ne creut qu’il estoit guery et ne luy en vint faire des conjouyssances.
Mais ce bon prince, ne scachant qu’en dire, protesta tout haut que, si c’estoit le plaisir de Dieu qu’il revint, il accepteroit la vie seulement pour luy obeir, à condition qu’il luy pleut en mesme temps donner la paix à toute l’Europe.
Cependant, nostre esperance ne nous flatta qu’environ huit jours. Car, des l’entrée du mois de may, ses langueurs ordinaires recommencerent et ses lassitudes parurent plus grandes qu’elles n’avoient encore esté. Il luy tardoit qu’on ne luy donnat la bonne nouvelle qu’il fallut partir, aussi ne le dissimuloit il pas à ses medecins lorsqu’ils l’invitoient à prendre un peu de gelée fondue qu’on luy presentoit dans une phiole de verre afin de luy epargner [p. 34] la peine de lever la teste pour la prendre, sa reponse ordinaire estant qu’on le laissat mourir en paix, et il me dit un jour pitoyablement à moy mesme qu’il s’ennuyoit fort de la vie, avec ces paroles qu’a dit autrefois le saint homme Joc : Taedet animam meam vitae meae ! O mon Dieu, que cette vie mortelle me dure, et qu’elle me cause d’ennuy !
Alors, pour le consoler, je me mis à luy porter compassion, avouant que dans l’estat où je le considerois apres tant de vicissitudes, de douleurs, de soulagemens, de convalescences et de recheutes, il me sembloit que je voyois une barque dont le pilote combatu des ventes et de la tempeste estoit à toute heure tantot elevé à la hauteur des nues, tantot englouty au fonds des abysmes, mais qu’implorant avec confiance de cœur ou de bouche le secours divin, il en sentiroit quelque bon effet qui seroit capable de le conduire en asseurance au port de salut ; davantage, que tout ce qu’endurent les esleuz en cette vie leur est compté en deduction des peines de l’autre, pourveu qu’ils soient en estat de grace et qu’ils endurent avec patience. Et comme il gouta cette pensée, il me la fit repeter, s’informant de moy si la chose estoit veritable ; alors, je luy apportay un passage de saint Augustin, sur le pseaume 50, où il dit ces paroles : In hac vita purges me, [p.35] et talem me reddas cui iam emendatorio igne opus non sit ! O Seigneur, je vous conjure de me purger en cette vie et de me rendre tel, je veux dire si pur et si net que le feu ardent du purgatoire ne soit point necessaire apres ma mort.
A quoy j’adjoutay encore que, dans la doctrine des saints peres, les longues et les facheuses maladies, prises, comme il faut, de la main de Dieu, sont un espece de martyre, et que le mesme sainct Augustin l’asseure en ces termes : Multi ducunt martyrium in lecto, prorsus multi ! Il y en a plusieurs, et plus peut estre qu’on ne s’imagine, qui, estant allitez de quelque longue maladie, endurent dans leur lit le martyre ; et, par consequent, plus la maladie est longue, plus on approche de la perfection des saincts martyrs, dont le martyre a quelquefois duré longtemps, comme nous lisons de celuy de sainct Clement, surnommé d’Ancyre, à qui je scavoir bien que le Roy estoit grandement devot.
Je luy dis enfin que, l’ayant veu fort souvent dans le desir de mourir pour Dieu, je trouvois qu’il estoit ouy de Dieu et que la bonté divine luy accordoit l’accomplissement de son desir, puisqu’estre sujet à tant de facheuses alternatives comme de se voir aujourd’huy malade jusques au mourir et demain [p. 36] vivant au jugement des medecins, et se soumettre en tout aux ordres de la providence souveraine, c’estoit mourir à soy mesme autant de fois et endurer autant de martyres.
Mais neantmoins, en ce mesme temps, je me sentis inspiré de luy conseiller l’usage de la confession journaliere pour ce qui luy restoit de vie, quand mesme il n’auroit autre matiere que quelques pechez de ses autres confessions, quoyqu’ils fussent desjà pardonnez, afin de croitre tousjours en grace et en force, en vertu du sacrement de penitence.
A quoy il dit qu’il estoit prest, et qu’il en useroit ainsi de bon cœur, comme il fit avec un succes si heureux que, peu de temps apres, le faisant ressouvenir de sainct Martin, qui disoit à Dieu que, s’il estoit utile ou necessaire à son peuple, il ne faisoit point refus de vivre ny de travailler plus longtemps ! Voilà justement, dit il, ce qui m’est propre ; puis, par un mouvement heroique et par un genereux effort, il adjouta incontinent : Qu’il estoit pret, si Dieu l’ordonnoit, de languir dans le triste estat où il se voyoit alors reduit autant d’années qu’en peut vivre naturellement un homme qui se porte bien.
Au reste, ses douleurs, accompagnées de cette langueur continuelle et cette langueur du degout, de l’insomnie et de l’importunité du bassin, dont il craignoit plus la mauvaise odeur [p. 37] pour les assistans que pour luy mesme, n’estoient pas si petites, surtout au redoublement de sa fievre, qu’il ne fut contraint de faire quelquefois ouvrir les fenestres de sa chambre et d’etendre souvent ses bras à l’air, quoyqu’en une saison assez froide, contre l’ordinaire, de la fin d’avril, et mesme d’avoir sur ses reins et sous la teste des oreillers de paille d’avoine pour moderer la violence du feu interieur qui le devoroit.
Cependant, je puis asseurer que, si quelquefois il s’est plaint dans la grandeur du mal qu’il souffroit, ce ne fut jamais à moy ny en ma presence, au contraire il en fit si bien son profit que je ne puis icy m’empecher de dire une chose qui semblera d’abord moins croyable mais qui est pourtant tres veritable.
Car ce grand prince, qui a domté l’heresie, qui a pris tant de villes, conquis tant de provinces et donné tant de batailles, qui a triomphé de tant de puissans ennemis et fait tant d’actions illustres à le veue de toute la France et avec l’etonnement de toute l’Europe, l’espace de quarante deux ans qu’il a vescu, me dit un jour qu’il preferoit cette derniere maladie avec ses souffrances à la partie la plus belle et la plus eclatante de sa vie, d’où l’on peut aisement conjecturer combien d’actes de vertu il pratiquoit en cet estat, combien il [p. 38] domtoit ses passions et combien il en remportoit de victoires.
Je ne nie pas neantmoins que je ne l’aye veu, une ou deux fois, en colere, et qu’il n’eyt eu peut estre contre quelques uns de l’indignation qui ne sera pas venue à ma connoissance, mais je puis dire ou qu’il avoit raison de le faire, ou qu’il s’appaisoit incontinent. Et lorsqu’il avoit donné sujet de deplaisir à qui que ce fut, present ou absent, il y remedioit en diligence, ou par luy mesme, ou par un autre, et le jour mesme il s’en accusoit.
Il en usa ainsi une fois vers son premier medecin le sieur Bouvart, et une autre fois envers moy mesme, à qui un soir, bien tard, il envoya monsieur de Chavigny pour une occasion de cette nature, et comme on l’avertit que le duc de Chevreuse apprehendoit qu’il n’eut en son cœur quelque aversion ou quelque froideur contre luy, il pria monsieur le prince de Condé de l’asseurer du contraire.
Or depuis ce dure combat contre l’ennuy et le degout de la vie, dont par forme de digression je me suis un peu detourné, il en eut deux autres à soutenir, mais à beaucoup pres plus legers, contre deux inquietudes qui l’attaquerent : l’une de n’avoir pu donner avant son trepas la paix à la chrestienté, quelque veritable desir qu’il en eut, et il surmonta celle cy de [p. 39] luy mesme, par la resolution qu’il prit de se conformer à l’ordre de la providence de Dieu et de la luy demander par ses prieres quand il auroit le bonheur de le voir au ciel ; l’autre estoit fondée en l’affection naturelle qu’il avoit pour son royaume, car il l’aimoit par preference à toute autre chose apres Dieu et son salut, et je l’ay veu quelquefois disputer jusques au scrupule s’il ne pechoit point en l’aimant avec un peu trop d’exces, qui luy jetta de fort grandes apprehensions en l’ame que nous n’eussions beaucoup à souffrir apres sa mort.
Mais contre cette anxieté interieure, je luy representay devant les yeux qu’il ne se devoit point mettre en peine des choses futures, apres y avoir pourveu de sa part en la maniere qu’il avoit jugée la meilleure, que la sagesse de la Providence divine, à qui seule il appartient de disposer souverainement du bonheur et du malheur des Estats en ordonneroit à sa volonté, qui ne peut jamais cesser d’estre bonne, et qu’apres tout, quand il luy plairoit de donner quelque contrepoids à l’elevation de la France et l’humilier à son tour, ainsi que l’avoient esté tous nos ennemis sous son regne tousjours heureux, tousjours triomphant, nous serions tenus de faire de necessité vertu [p. 40] et de nous resoudre à l’exercice de la patience, nous soumettant avec humilité et avec respect aux ordres d’en haut, qui sont toujours saincts et adorables.
Cette pensée luy sembla si juste que, non content d’y acquiescer à l’heure mesme, il la mit encore depuis en pratique à l’occasion de quelques uns de ses serviteurs qui avoient eu la mesme crainte et la mesme apprehension que luy.
Or comme je m’apperceus que ses forces alloient diminuant à veue d’œil, je me sentis obligé de redoubler mes soins pour le service et le salut de sa personne, et quoyqu’il y eut longtemps que j’estois passé du vieux chateau au chateau neuf, neantmoins je jugeay à propos de mettre ma paillasse dans son cabinet, joignant la porte de sa chambre, pour estre à luy au premier signe, c’est à dire presqu’à tous les momens de la nuit.
Mais à moins que d’ouyr ce signe ou d’estre appellé, je m’abstenoir de me montrer trop souvent à luy, de peur d’interrompre son entretien avec Dieu, qui estoit l’unique ou le plus grand contentement qu’il eut au monde, m’avouant luy mesme un jour qu’il n’avoit point de plaisir egal à celuy de la priere.
Plusieurs aussi l’on veu dans son lit battre [p. 41] sa poitrine, les yeux à demy fermez, pour mieux cacher se devotion. Mais des lors qu’il m’apercevoit, il quittoit tout pour ouyr ce que j’avois à luy dire, quoyque d’ordinaire il ne valut pas ce qu’il ruminoit en son ame. D’ailleurs, je craignois encore de luy charger ou de luy occuper trop l’esprit, qui n’avoit rien ordinairement plus à cœur que de penser aux moyens de mettre fin aux desordres de la guerre, de conclure son traité de paix, de nommer aux benefices à mesure qu’ils venoient à vacquer, et de recevoir les adieux de la noblesse qui alloit combattre en son armée de Picardie sous monsieur le duc d’Anguien, qu’il avoit luy mesme choisy pour en avoir le commandement et la conduite.
De plus, il avoit à disposer de quelques eveschez vacans, où il cherchoit encore des hommes capables, et de quelques abbayes reservées pour un dessein qui n’eut point d’effet, à regler ses gratifications, à ordonner de ses legs pieux et du lieu de sa sepulture apres sa mort, articles qui luy couterent trois apres disnées qu’il y employa en presence de monsieur le cardinal Mazarin, du sieur de Chavigny, qui tenoit la plume, et de son confesseur, tous trois enfermez dans sa chambre.
Et à ne point dissimuler la verité, je puis dire que les eveschez furent donnez saintement [p. 42] et les abbayes charitablement, que ny ses gratifications ny ses legs pieux ne furent point à charge à personne par un pur desir d’epargner son peuple, qu’il n’oublia aucun de ses domestiques, non pas mesme le boulanger du pain de ses chiens, connoissant par nom tous ceux qui estoient sur l’estat de sa Maison et en ayant fait faire une liste, qu’il fit deux fondations considerables à Saint Denys, tant pour le repos de son ame que pour le repos de celles du feu roy son père et de la feue reyne sa mere, qu’il en fit encore une à Chantilly et une autre à Versailles, dont l’eglise ayant besoin de reparation, il en chargea le sieur de Noyers pour luy tesmoigner qu’encore qu’avec sa permission il se fut retiré de la Cour, il ne laissoit pas d’avoir bonne opinion de sa probité et de faire estime de sa personne ; qu’il envoya sur la frontiere beaucoup d’aumones secrettes pour estre distribuées à grand nombre de villages par des peres de la Mission, et quantité d’autres aux environs de Paris par les soins de monsieur de Meaux qui luy avoit desja rendu quelqu’autre fois ce bon service lorsqu’il estoit en pleine santé ; qu’une partie considerable fut assignée au mesme prelat pour en faire l’application à l’ornement de la chasse de sainct Fiacre, le tout pris sur un fonds qui estoit entré fort à propos dans les [p. 43] coffres du tresorier de ses Menus Plaisirs, et ce qui en demeura de reste apres toutes ces pieuses applications, qui ne montoient pas à une somme legere, fut laissé à la disposition des trois personnes par luy commises pour l’execution de ces bonnes œuvres.
Enfin, pour le regard de son corps, il declara qu’il entendoit qu’il fut inhumé à Saint Denys au tombeau de ses predecesseurs, sans ceremonie toutefois, pour la decharge de l’Estat qu’il plaignoit fort et qu’il s’efforça de soulager en tout de tout son pouvoir.
Il est vray qu’il avoit souhaitté, par principe de pudeur, si je ne me trompe, et par motif d’honnesteté, que l’ouverture n’en fut point faite selon la coutume, mais, luy representant qu’il falloit necessairement le garder l’espace de quelques jours et l’exposer en public à la royale, et qu’à moins d’estre embaumé il seroit comme impossible dans la saison, qui estoit chaude, qu’on n’en ressentit quelque sorte de mauvaise odeur, il condescendit à ma remontrance.
Puis, voulant aussi que j’eusse part à son testament, il me regarda d’un œil capable de tirer les larmes des yeux avec ces paroles : C’est mon cœur, dit il, que je vous donne, vous le voulez bien ! A ce trait de bonté incomparable, je ne fis reponse qu’avec une profonde reverence, asseurant [p. 44] Sa Majesté que ce jour là Elle nous fairoit le plus riche don qu’Elle pouvoit faire, et à l’heure mesme je luy en rendis tres humbles graces au nom de toute nostre compagnie.
Il est vray que ce cœur royal, qui a tousjours esté en la main de Dieu, nous fut delivré apres sa mort, mais il faut avouer que cette mort arriva trop tost de plusieurs années pour Saint Louis, dont Sa Majesté a fondé et baty l’eglise, où la Reyne regente a fait mettre ce depot sacré, enchassé en or, et l’a honoré d’une depense digne de sa magnificence royale et de son amour conjugal.
Or apres avoir terminé toutes ces affaires, son passage de la terre au ciel s’avançant tousjours, monsieur de Lisieux se presenta pour l’ayder en cet accessoire et se joindre à monsieur de Meaux, qui s’en acquittoit parfaitement. Monsieur le duc de Vantadour, chanoine de Nostre Dame de Paris, y parut encore et fut veu de Sa Majesté de fort bon œil ; le pere Vincent y vint aussi par deux fois, selon le desir de la Reyne, qui le proposa au Roy, mais ce grand prince n’y consentit qu’à la charge que son confesseur n’y eut point de difficulté, tant il avoit l’esprit present à toutes les choses qui se passoient autour de luy, et il y eut assez de bonté en cette excellente princesse pour se vouloir donner la peine, toutes les deux fois, de m’en [p. 45] parler, ce qui me ravit en admiration et m’obligea non seulement de luy en rendre mes actions de grace, mais de l’en supplier tres humblement.
Ainsi ce secours nous estant venu, et le Roy ne me parlant gueres sans me demander : Quand sera ce qu’il faudra partir ? c’est-à-dire combien ses medecins luy donnoient encore d’heures ou de jours à vivres ! Enfin, le douzieme de may, qui fut l’avant-veille de son trepas, nous resolumes, monsieur de Meaux et moy, de luy dire qu’il seroit bien de s’y preparer par une derniere communion, qu’il recevroit de nouveau en forme de viatique, ne le pouvant faire autrement.
Joint que, si nous eussions remis cette actions au jour d’apres, avec l’incertitude s’il vivroit vingt quatre heures, nous avions encore sujet de craindre que, la fievre luy ayant desjà entierement desseché la bouche et la langue, il n’eut pas la force d’avaller la sainte hostie.
C’est pourquoy on me deputa pour luy en faire l’ouverture, et d’abord il en eut une telle joye qu’il en chanta le Te Deum, puis, s’estant reconcilié environ les sept heures du soir, il communia des mains de monsieur de Meaux ; apres quoy, prenant la main de la Reyne et celle de monseigneur le duc d’Orleans, il leur fit encore promettre de vivre en union [p. 46] et en concorde, et leur recommanda les petits princes ses enfans.
Alors, si nous eumes beaucoup de tendresse et de grands sentimens de compassion pour luy, nous n’en sentimes pas moins pour cette bonne princesse, laquelle, ayant delogé du vieux chateau pour estre plus pres du Roy, ne laissoit pas de s’y rendre tous les jours pour se prosterner au pied des autels devant Jesus Christ exposé au Saint sacrement, afin d’implorer le secours du ciel pour son cher espoux, et de faire

Dinet, Jacques

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le fort Saint-Sébastien près de Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 5 juillet 1669
Mercredi, j’allai au lever du Roi. Messieurs de Turenne, le maréchal du Plessis et le Grand Prieur [p. 319] me dirent que le lendemain il y avait revue générale des troupes de la Maison du Roi, que je ferais plaisir à Sa Majesté d’y aller et d’y mener avec moi M. le marquis de Saint Damien. Comme nous nous préparions hier matin pour y aller, je reçus un billet du maréchal de Bellefonds, qui m’écrivait la même chose, que le Roi dînerait au fort et que si nous nous y trouvions à bonne heure, que nous mangerions avec Sa Majesté. Nous passâmes à Saint Germain, fûmes au lever du Roi et puis nous acheminâmes au camp.
Le Roi, qui va avec sa diligence ordinaire, nous passa en chemin. Il était seul dans sa calèche et, nous rencontrant, nous salua fort civilement. Mettant pied à terre devant ses tentes, nous y trouvâmes le maréchal de Bellefonds. Je lui témoignai que Votre Altesse royale aurait reconnaissance de l’honneur qu’il procurait au marquis de Saint Damien. Il me fit connaître que c’était lui qui l’avait proposé à Sa Majesté, sur ce qu’Elle avait [p. 320] souhaité que l’ambassadeur d’Angleterre et mois dinassions là avec Elle. Quand j’entrai dans la tente où était le Roi, il m’aborda et me dit que nous y aurions chaud ; je lui répondis que l’on le considérait peu quand on avait l’honneur d’être auprès de lui, que je savais combien ses tentes étaient commodes et pompeuses depuis l’avantage que j’avais eu de le suivre en Flandre où, par ses fatigues et ses travaux, il nous avait fait voir qu’il ne fallait pas avoir égard au temps et à ses incommodités quand il s’agissait de la gloire. Il se mit à tire et me dit tout haut que, comme j’étais de ses amis, je le faisais plus brave qu’il n’était. Il me fit l’honneur de m’entretenir le long de tout son appartement de choses indifférentes du fort et que je savais comme il était fait, que j’y avais déjà été dîner avec M. de Chaulnes.
Monsieur arriva, et avec lui l’ambassadeur d’Angleterre. Il demanda d’abord sa viande. Quand on eut servi, je considérai que M. le duc de Guise [p. 321] se tenait fort proche de la personne du Roi. Je voulus observer le parti que prendrait l’ambassadeur d’Angleterre pour se placer, afin que j’en pusse faire de même. Le bon ambassadeur, qui veut disputer le pas à monsieur le Prince, laissa prendre la seconde place audit duc de Guise, qui était à la gauche du Roi, Monsieur à la droite, auprès duquel ledit ambassadeur se mit. Je jugeai qu’il ne me fallait pas mettre auprès de lui. Je me plaçai entre les ducs de Bouillon et de Luxembourg. Ils se retirèrent pour me faire place et M. de Bellefonds me dit de me mettre auprès de M. de Montaigu. Je n’y voulus pas aller et dis tout haut qu’il n’y avait pas de rang à la table de Sa Majesté et que l’on dînerait bien dans tous les endroits. Nous avions tous le chapeau sur la tête, sauf le Roi et Monsieur. Il but la santé du roi de la Grande Bretagne qu’il porta à M. de Montaigu, puis celle de Votre Altesse royale, qu’il me porta ; nous étions vingt à table, tous la burent chapeau bas.
Il monta à cheval une heure après midi et nous allâmes voir ses troupes, qui étaient en bataille sur une ligne. Il y avait plus de deux mille cinq [p. 322] cents chevaux et près de neuf mille hommes de pied en seize escadrons et quatorze bataillons ; l’artillerie était en tête de l’infanterie ; nous vîmes et revîmes les troupes par une chaleur et poussière des plus incommodes. Le Roi parla souvent à M. le marquis de Saint Damien, comme aussi Monsieur, messieurs de Turenne et de Louvois et tous les grands de la Cour.
Comme nous étions dans une halte en attendant la Reine, nous vîmes venir à nous un carrosse en diligence qui s’arrêta à trois cents pas, d’om sortit M. le marquis de Berny. Le Roi ne le reconnaissant pas et demandant qui c’était, je le lui dis. Il alla à lui tout seul au galop. Je m’entretenais pour lors avec l’ambassadeur d’Angleterre. Je lui dis à l’oreille : « Voilà des nouvelles de l’élection d’un roi en Pologne ». Monsieur m’ayant demandé ce que je disais, je lui en fis la répétition. Sa Majesté revint à nous avec un visage assez froid et qui marquait peu de satisfaction, et nous dit que les Polonais avaient élu un de leur pays pour roi, nommé Wisniowiecki et qu’ils l’avaient [p. 323] déjà couronnés. Chacun en raisonne à sa fantaisie avec assez de liberté. On m’en demanda mon sentiment ; je dis que j’aurais fort souhaité que les Polonais eussent choisi monsieur le Prince et que Sa Majesté l’eût nommé en tête de ses troupes ; que ces peuples là, quoiqu’ils eussent agi en cette rencontre contre leurs constitutions, que néanmoins ils avaient considéré de ne désobliger pas les prétendants étrangers et leurs partisans et qu’en cela ils avaient témoigné d’avoir de l’esprit aussi bien qu’à retarder l’élection, puisqu’ils avaient eu le temps de recevoir tout l’argent qu’on leur avait porté de tant d’endroits. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 31 janvier 1670
Bien que j’aie su dès le point du jour et même avant que de commencer cette lettre que M. le chevalier de Lorraine avait été hier soir arrêté prisonnier à Saint Germain et que Monsieur en était parti à l’heure, très mal satisfait, néanmoins je n’ai pas cru le devoir faire savoir à Votre Altesse royale que je n’en susse au vrai toutes les circonstances et les causes, ce que j’ai eu de la peine à débrouiller parce qu’on en parle bien différemment à Paris, mais à la fin j’ai su ce [p. 384] qu’Elle verra dans le mémoire ci-joint de ma main, que je n’ai pas le temps de faire copier parce qu’il est fort tard.
Relation de ce qui s’est passé à Saint Germain la nuit du 30 janvier 1670
Le Roi fit donner une petite revue à ses gardes du corps pour avoir prétexte de les assembler et donner ordre à M. le comte d’Ayen, fils de M. le duc de Noailles, capitaine de quartier, et à M. le comte de Lauzun, marquis de Péguilin, d’en prendre quatre cents à l’entrée de la nuit et de se rendre maîtres de toutes les avenues du château neuf, ce qui ne se put faire sans que Monsieur, qui y avait son logement, n’en fût averti, dont il fut fort surpris et en peine. M. Le Tellier entra d’abord dans sa chambre et lui dit que le Roi était fâché d’être forcé, pour le bien de ses affaires, de s’assurer de M. le chevalier de Lorraine, qu’il croyait qu’il y donnerait les mains de bonne grâce puisque Sa Majesté lui avait donné l’ordre de l’assurer de la continuation de son amitié et de son estime. Monsieur lui répartit que, quels traitements que le Roi fît à ce chevalier, [p. 385] qu’il l’aimerait toujours parfaitement et qu’il lui donnerait toute sa confiance mais que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il allait partir à l’heure même pour se retirer à Villers Cotterets. M. Le Tellier lui voulut représenter qu’il ne fallait pas aller si loin, que ce serait assez de se retirer à Saint Cloud ; Monsieur lui répliqua qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues de La Cour pour s’y aller consoler.
M. Le Tellier, voyant entrer le comte d’Ayen dans la chambre, passa en l’appartement de madame la duchesse d’Orléans ; ce comte dit à Monsieur qu’il avait un extrême regret d’être obligé d’exécuter les ordres qu’il avait en sa présence ; il lui répliqua qu’il entendait assez ce qu’il lui voulait dire, il se tourna au chevalier de Lorraine, l’embrassa et se retira dans son cabinet, la larme aux yeux. Le comte d’Ayen fit prisonnier le chevalier de Lorraine avec toute la civilité possible, sans lui ôter son épée, le conduisit dehors de l’appartement de Monsieur, le remit au comte de Lauzun, qui l’amena sur l’heure à la Bastille, dont il est parti aujourd’hui pour être enfermé dans le château de Pierre Encise à Lyon.
[p. 386] M. Le Tellier, qui était passé chez Madame, lui fit le récit de toute la chose et lui demanda ce qu’elle ferait ; elle lui répartit hardiment : ce que Monsieur lui ordonnerait. Ils partirent sur le champ et arrivèrent à Paris environ minuit. Monsieur fit appelée l’ambassadeur d’Angleterre et l’abbé Montaigu, il demeura enfermé avec eux jusques à quatre heures ; on dit qu’il pressa fort ledit ambassadeur d’aller à Saint Germain, qui s’en excusa, et à son refus l’abbé de Montaigu a fait ce voyage là ce matin.
On parle diversement par Paris du sujet de cette détention. On dit que l’évêque de Langres étant mort, qui était cet abbé de La Rivière qui avait tant eu de crédit auprès de feu M. le duc d’Orléans, a laissé vacantes deux abbayes valant de revenu 40000 livres, qu’elles sont dans l’apanage de Monsieur et par conséquent de sa nomination ; que, les ayant données au chevalier de Lorraine et en ayant demandé l’agrément au Roi, il lui répondit [p. 387] que, n’étant pas prêtre, il en avait du scrupule et qu’alors il se passa entre eux quelques paroles d’aigreur. Mais ceux qui savent l’état des choses et qui en jugent sainement croient que le roi d’Angleterre a voulu la prison de ce chevalier, lui imputant les mauvais traitements que reçoit Madame, ceux que l’on a faits à madame de Saint Chaumont et à M. l’évêque de Valence, ses créateurs. En effet, bien que Madame suive Monsieur, elle a de la joie du malheur du chevalier de Lorraine et d’avoir l’avantage de s’être vengée du crédit du roi, son frère, que l’on ne veut pas maintenant fâcher ici.
On dit que Monsieur persiste dans la résolution de partir de Rueil pour Villers Cotterets, quoique MM. Le Tellier et de Lauzun soient venus aujourd’hui de Saint Germain pour lui parler. Il pourrait bien avoir le loisir de s’en repentir : s’il est bien conseillé, il se soumettra aux volontés du Roi ; il ne sera suivi que par ceux de sa maison et s’y divertira mal. Il n’est plus le temps d’autrefois que, quand un Fils de France se retirait de la Cour mal satisfait et était une fois à trois lieues de Paris, l’on croyait le royaume bouleversé et [p. 388] en péril ; chacun armait pour son parti et les mécontents levaient le masque ; présentement personne ne bougera, tout le monde est soumis dans le devoir et dans la crainte, le Roi dans la souveraine puissance, fort en argent et en troupes, maître des parlements, des places et de tout ce qui es dans son royaume. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 15 janvier 1672
La pensée de Votre Altesse royale sur le malheur du comte de Lauzun est très judicieuse et ce ne peut être autre chose. Il en voulait à madame de Montespan, parce qu’elle ne lui était pas favorable. Outre qu’il en a dit du mal, on croit toujours qu’il voulait donner moyen à son mari de l’enlever. Elle a encore peur de l’être et de quelque insulte, car elle ne marche jamais sans gardes, pas même pour aller de sa chambre à la chapelle [à] Saint Germain, bien qu’elle en soit tout contre.
[p. 223] Elle est toujours mieux que jamais. On avait dit que le Roi regardait avec un œil passionné la duchesse de Ventadour et que madame de Richelieu travaillait à la lui rendre facile, mais je n’en crois rien, car outre que le Roi aime toujours beaucoup madame de Montespan, c’est qu’elle est amie de la duchesse de Richelieu et lui a fait avoir la charge de dame d’honneur de la Reine. Il y a bien des gens qui croient que le Roi ne marchera qu’après les couches de la Reine pour ne pas s’éloigner des dames qu’il mènera puis à la suite de la Reine. Si cela était, on ne bougerait d’ici qu’au mois de juillet. C’est à quoi je veille, afin de tenir Votre Altesse royale instruite de ce qu’il fera. »

Rapport du marquis d’Antin concernant l’état des châteaux de Saint-Germain-en-Laye

« [f. 17] Sire,
Je fus visiter mercredy dernier une partie des pépinières de Morlet […]
[f. 17v] J’ay été à Saint Germain, lequel est en bon état en tout ce qui dépent du sieur de Ruzé et autres officiers. J’ai veu une chose qui m’a fort scandalizé : c’est la chambre dans laquelle est née Votre Majesté. Il n’est pas permis qu’elle soit abandonnée comme elle est. J’ay osé, Sire, pour la seule fois de ma vie, ordonner sans votre participation qu’elle fût rétablie incessamment et décorée comme il convient. Tous vos sujets, Sire, doivent respecter un lieu comme celuy là ; jugez de ce que je panse à mon particulier.
[Annotation du roi :] Bon
M. de Ruzé a vendu à Ober, charpentier, le vieux manège du roy d’Angleterre la somme de 3000 l. [f. 18] C’est en vérité moitié plus qu’il ne vaut, mais il m’a assuré qu’il avoit ancore été paié plus grassement quand il avoit été construit.
[Annotation du roi :] Bon
J’ay été au Val, que j’ai trouvé très bien soigné, les espalliers et les vergers en très bon état. Il n’y a quasi point de fruit cette année. Il y a quelque petite réparations à faire aux parquets, qui ne méritent pas de vous en importuner.
[Annotation du roi :] Bon
[…]
[f. 19] A Versailles, le 6 de juillet 1708 »

Maison du Roi (Ancien Régime)

Récit du décès de Jacques II à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 369] Vous attendez, sans doute, un détail de la maladie, de la mort et du convoy de Jacques II, roy d’Angleterre ; il faut vous satisfaire sur tout cela.
Depuis un anthrax que ce prince eut il y a deux ans, qui suppura fort peu, et quelques légers mouvemens de goutte, sa santé parut fort ébranlée ; mais [p. 370] cela devint beaucoup plus sensible après une attaque d’apoplexie imparfaite, qui fut suivie de la foiblesse de tout un côté, et de la paralysie de quelques doigts, arrivée au Carême dernier. Ses forces estoient fort diminuées, il maigrissoit de jour en jour, et contre son ordinaire il paroissoit plus pesant et plus assoupi. A tous ces accidens, il estoit survenu, il y a quatre mois, un crachement de sang, fort léger dans son commencement et qui devient par la suite plus sensible.
S. M. B. estoit dans cet estat le vendredy 2 de septembre qu’il luy prit une grande foiblesse, dont Elle revint par le secours des cordiaux. Dans ce moment, la fièvre s’éveilla avec l’assoupissement [p. 371] qui a conduit ce prince jusqu’au tombeau.
Le dimanche, troisième jour de son mal, une seconde foiblesse le mit dans un estat si pressant que l’on eust d’abord recours aux derniers sacremens. Le pouls luy revint un peu après un vomissement d’un sang retenu depuis quelque temps dans l’estomac, comme il paroissoit à la couleur et à l’odorat. Le pouls néanmoins, qui estoit resté embarassé, se trouva dégagé par une pareille évacuation procurée par le moyen d’un remède que M. Fagon luy fit donner. Ce remède, posé à propos, le fit un peu reposer et donna quelque espérance.
Le lundy, quatrième jour de [p. 372] son mal, et cinquième du mois, un léger purgatif luy fit rendre beaucoup de sang retenu.
Le même jour après midy, le Roy alla le voir. Sa Majesté britannique le supplia de trouver bon qu’Elle fust enterrée dans l’église paroissiale de Saint Germain en Laye. Le Roy en parla à la reine d’Angleterre, et l’on ne jugea pas à propos de répondre à ce qu’une profonde humilité luy faisoit dire. Ce prince recommanda ce jour là au Roy les regimens irlandois qui sont à son service.
Il demeura assez tranquille le mardy.
Le mercredy, apres l’usage de quelques remedes propores à arrester l’hemorragie, cet accident [p. 373] cessa absolument, et la fievre diminua de beaucoup.
Le jeudy se passa dans redoublement. Il survint un flux d’urine, ce qui fit concevoir quelque esperance.
Le vendredy, huitieme jour du mal de ce prince, la fievre augmenta, sa langue devint seche, l’assoupissement ne diminua point, et l’on apperçut que le flux d’urine devenoit involontaire et que la paralysie gagnoit la vessie. Un purgatif qui luy fut donné alors fit connoistre que cet engourdissement se communiquoit aux entrailles. On perdit des ce moment toute esperance, les accidens allerent toujours en augmentant, et les remedes furent sans effet.
[p. 374] Ce prince se trouva si mal la nuit du 12 au 13 qu’on craignit qu’il ne mourust avant qu’elle fust passée. Sa Majesté demanda le viatique pour la seconde fois, et le reçut sur les cinq heures du matin avec une piété exemplaire. On luy avoit donné l’extrême onction trois heures après midy en même temps que le viatique. Le prieur curé de Saint Germain s’acquitta de toutes ces fonctions d’une manière très édifiante.
Le même jour 13, après midy, le Roy alla voir pour la dernière fois ce prince mourant, et déclara proche de son lit, et en présence de la reine et de plusieurs seigneurs des deux Cours, que si Dieu disposoit de Sa Majesté [p. 375] britannique, il reconnoistroit et traiteroit monsieur le prince de Galles comme roy d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande. Sa Majesté britannique, qui estoit dans un grand assoupissement, n’en fut point tirée par les mouvemens que ces paroles causerent dans la chambre, ou peut estre qu’estant toujours en meditation, en attendant le moment de la mort, Elle ne voulut pas interompre, pour les choses de ce monde, le sacrifice qu’Elle faisoit alors de son âme à Dieu. Tous les milords, en fondant en larmes, se jetterent aux genoux du Roy pour le remercier. Ils reconduisirent Sa Majesté en cet état, avec des acclamations qui témoignoient [p. 376] leur reconnoissance et leur affliction, et le mélange de joye et de tristesse qui paroissoit sur leur visage, ayant quelque chose d’aussi vif pour la joye que pour la douleur, on ne scavoit si l’on devoit se réjouir ou s’affliger avec cette Cour, qui pour trop sentir, ne pouvoit bien démeller elle-même ce qu’elle sentoit. La nuit du 13 au 14, on crut que ce prince alloit expirer, les redoublemens estans devenus plus frequens et plus dangereux. On reïtera plusieurs fois la recommendation de l’âme, ce qui fut fait alternativement par les aumôniers de Sa Majesté britannique et par le curé de Saint Germain. Cependant, Sa Majesté conservoit une connoissance parfaite [p. 377] qui continua jusques aux derniers momens ;
Madame la duchesse de Bourgogne alla le voir le 14 à trois heures après midy. Ce prince la remercia avec beaucoup de présence d’esprit et la pria de passer chez la Reine, à cause de la mauvaise odeur qui estoit dans sa chambre.
Monseigneur le duc de Bourgogne l’alla voir le 15, sur les dix heures et demie du matin. Lorsque ce prince y arriva, on disoit pour la cinquième fois les prières des agonisans. Sa Majesté britannique, après l’avoir remercié de sa visite, le pria de trouver bon que l’on continuast les prières. Madame l’alla voir l’après dinée du même jour, à l’issue [p. 378] de son dîner. Il entroit souvent dans une espèce de létargie, et lorsqu’on le reveilloit de son assoupissement, il répondoit juste et reconnoissoit tout le monde. Il avoit commencé le jeudy au soir à prononcer avec peine.
Le même vendredy 16 que ce prince reçut tant de visites et qu’il avoit ouy la messe dans sa chambre, ainsi que les jours précédens, il tomba dans une douce agonie sur les deux heures et demie après midy, et à trois heures et un quart, il expira sans aucun effort, ayant la bouche riante, ce qui continua d’une manière sensible quelques momens après sa mort. On observa, comme une chose digne de remarque, et dont [p. 379] il y a peu d’exemples, qu’en quinze jours que ce prince avoit passez dans le lit de la mort, aussi tourmenté des remèdes qu’on luy donnoit que de sa maladie, il ne luy estoit pas échapé le moindre mouvement d’impatience, de répugnance ny même d’inquiétude, estant dans une méditation presque continuelle et ne parlant qu’autant qu’il estoit absolument nécessaire et que la charité le demandoit. Sa piété n’avoit rien ny d’austère ny de rude. Je n’entre point dans les choses touchantes et plus édifiantes encore qu’il a dites à la reine pendant les quinze jours qu’a duré sa maladie ; elles sont au dessus de toutes sortes d’expression. La manière dont il a parlé à monsieur le [p. 380] prince de Galles n’est pas moins digne d’admiration, et moins difficile à exprimer. Il luy a fait voir par des discours aussi touchans que chrétiens qu’il ne devoit point mettre la couronne en parallèle avec la religion et l’a conjuré de ne le faire jamais. Il a protesté tout haut qu’il pardonnoit sincérement et de tout son cœur à tous ceux qui luy avoient causé tant de mal, et qu’il prioit Dieu qu’il leur pardonnast, en ajoutant qu’il leur avoit de grandes obligations, puisqu’ils estoient peut estre la cause de son salut qu’il esperoit. Il a tenu ces discours plus d’une fois et les a renouvellez en recevant le viatique. Ce n’est point l’état où il se trouvoit, et [p. 381] l’assurance d’une mort certaine qui l’ont fait parler ainsi, puisque depuis le commencement de ses malheurs jusqu’au moment de sa mort les chagrins qu’il ressentoit, peut estre plus pour sa famille que pour luy, n’ont jamais esté cause qu’il luy soit rien échapé contre les auteurs de tous ses maux. Il s’estoit mis pendant tout le cours de sa vie par une fermeté héroïque au dessus de toutes les disgraces qui luy estoient arrivées, et toutes les fois qu’il s’estoit agy de la religion, il avoit fait voir une constance digne des anciens chrétiens. Il estoit d’une valeur intrépide et il en a donné des preuves en plusieurs batailles, tant sur terre que sur mer, mais ce [p. 382] n’est pas icy le lieu de s’étendre sur des choses qui regardent ceux qui travailleront à son histoire.
Lorsque ce prince fut expiré, M. Desgranges, maistre des cérémonies de France, fit exposer son corps à la vue du peuple. Le clergé de la paroisse de Saint Germain, les recolets qui sont dans le même lieu et les augustins des Loges, au nombre de douze qui se relevoient de temps en temps, formerent deux chœurs, qui psalmodierent toute la nuit, et le matin on commença à célébrer des messes sur deux autels dressez dans la même chambre où estoit le corps.
Le samedy 17, sur les quatre heures après midy, on l’ouvrit et on l’embauma. On luy trouva [p. 383] très peu de sang, et presque réduit en eau, tous les visceres, les entrailles et même le cœur fletris et extenuez. A l’ouverture du crane il sortit une tres grande quantité de serositez et les ventricules du cerveau étoient absolument plein d’eau.
Son corps fut porté le soir, avec peu de cérémonie, aux bénédictins anglois du fauxbourg Saint Jacques, où il doit rester en dépost jusqu’à ce qu’on résolve où il sera inhumé. Son cœur a esté porté au couvent de Sainte Marie de Chaliot, où est celuy de la feue reine sa mère. Son convoy n’étoit composé que de trois carosses. Dans le premier, précédé de quatre gardes du corps qui portoient des flambeaux, étoient [p. 384] un aumônier, qui portoit le cœur du Roy, le père Sandun, confesseur de Sa Majesté, son compagnon, un autre aumônier, deux chapelains et le prieur de Saint Germain. Dans le second estoit le corps de ce prince, et M. du Vinet, exempt des gardes du corps de Sa Majesté Très Chrétienne. Vingt six gards du corps marchoient devant et derrière, avec des flambeaux. Le convoy estoit terminé par un troisième carosse, dans lequel estoient M. le duc de Barwik, Mr Porter, vice chambellan de Sa Majesté britannique, milord Hamilton, Mr Desgranges, Mr Hamilton, maistre de la garde robe, et Mr Ploiden, controlleur de la Maison de [p. 284] Sa Majesté. Mr d’Ingleton, aumônier de la semaine, fit un discours en latin en remettant le corps du roy entre les mains du prieur des bénécitins, qui répondit en la même langue, et ces discours furent trouvez fort touchans. Le corps couvert d’un poele fut mis sous un dais dans une chapelle tenue de noir. Le même cortège qui avoit esté aux bénédictins accompagne le cœur jusqu’à Sainte Marie de Challiot. Le même Mr Ingleton fit aussi un très beau discours en remettant le cœur entre les mains de la supérieure, qui y répondit avec beaucoup d’esprit.
Je dois ajouter icy qu’aussitost que le Roy fut expiré, M. [p. 386] le prince de Conty, qui depuis quelques jours n’avoit point quitté Saint Germain, estant parent de la reine, eut l’honneur de saluer le jeune roy. M. le nonce dit à ce nouveau monarque qu’il avoit ordre de Sa Sainteté de le reconnoistre après la mort du roy son père, et M. l’abbé Rizzini, envoyé de Modène, luy fit le même compliment de la part du duc son maistre.
Le 20, le Roy alla à Saint Germain, et il monta d’abord chez le roy d’Angleterre, qui l’attendit au haut du grand escalier en long manteau et conduisit Sa Majesté dans son appartement en prenant la main gauche. Il se trouva deux fauteuils, et le Roy s’assit dans celuy qui estoit [p. 387] à la droite. La visite fut courte. Sa Majesté britannique conduisit le Roy, qui l’empescha d’aller aussi loin qu’il auroit souhaité. Le Roy alla ensuite chez la reine, qui estoit au lit, et demeura près d’une heure avec cette princesse. Madame la duchesse de Bourgogne arriva pendant ce temps là, accompagnée de madame la Princesse, de madame la Duchesse, de mademoiselle d'Angu’en et des dames du palais de madame la duchesse de Bourgogne. Elles estoient toutes sans mantes, parce que la visite n’estoit pas de cérémonie. Madame la duchesse de Bourgogne alla d’abord chez Sa Majesté britannique, qui la reçut à la porte de sa chambre. Elle y resta peu de temps, et ne [p. 388] s’assit point. Cette princesse alla ensuite chez la reine, où elle trouva le Roy, qu’elle y laissa. Après cette courte visite, cette princesse alla chez madame la princesse d’Angleterre, où elle resta debout. Monseigneur le Dauphin et madame la princesse de Conty douairière y arrivèrent de Meudon une demi heure après. Le Roy, avant que de partir, alla chez madame la princesse d’Angleterre, messeigneurs les ducs de Bourgogne et de Berry, monsieur le duc et madame la duchesse d’Orléans, monsieur le Prince, monsieur le Duc et madame la Duchesse, madame la princesse de Conty et généralement tout ce qu’il y a de personnes de distinction [p. 289] à la Cour ont esté faire des complimens au roy, à la reine et à madame la princesse d’Angleterre.
Le 21, Sa Majesté britannique rendit visite au Roy à Versailles et à madame la duchesse de Bourgogne. Cette princesse étant alors à la messe, Sa Majesté l’attendit dans son appartement. Monseigneur le Dauphin et messeigneurs les ducs de Bourgogne et de Berry estoient partis pour Fontainebleau.
Je ne dois pas finir cet article sans vous dire que tous ceux qui ont vu ce jeune roy en sont charmez. Son air, ses manières et son esprit frapent d’abord également tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher. Tout est en [p. 390] ce jeune monarque infiniment au dessus de son âge, et quoy qu’il doive beaucoup au sang dont il est sorti, il ne doit pas moins à son éducation. »

Lettre de madame de Sévigné à sa fille concernant l’installation de la Cour d'Angleterre à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, lundi 10 janvier 1689
[…] L’abbé Tetu est dans une insomnie qui fait tout craindre. Les medecins ne voudroient pas repondre de son esprit ; il sent son etat et c’est une douleur : il ne subsiste que par l’opium ; il tache de se divertir, de se dissiper, il cherche des spectacles. Nous voulons l’envoyer à Saint Germain pour y voir le roi, la reine d’Angleterre et le prince de Galles : peut on voir un evenement plus grand et plus digne de faire de grandes diversions ? Pour la fuite du roi, il paroit que le prince [d’Orange] l’a bien voulu. Le roi fut envoyé à Excester où il avoit dessein d’aller : il etoit fort bien gardé par le devant de sa maison, et toutes les portes de derriere etoient ouvertes. Le prince n’a point songé à faire perir son beau père ; il est dans Londres à la place du roi, sans en prendre le nom, ne voulant que retablir une religion qu’il croit bonne et maintenir les loix du pays sans qu’il en coute une goutte de sang : voilà l’envers tout juste de ce que nous pensons de lui ; ce sont des points de vue bien differents. Cependant, le Roi fait pour ces Majesté angloises des choses toutes divines ; car n’est ce point etre l’image du Tout Puissant que de soutenir un roi chassé, trahi, abandonné ? La belle ame du Roi se plait à jouer ce grand role. Il fut au devant de la reine avec toute sa maison et cent carrosses à six chevaux. Quand il aperçut le carrosse du prince de Galles, il descendit et l’embrassa tendrement, puis il courut au devant de la reine qui etoit descendue, il la salua, lui parla quelque tems, la mit à sa droite dans son carrosse, lui presenta Monseigneur et Monsieur, qui furent aussi dans le carrosse, et la mena à Saint Germain, où elle se trouva toute servie comme la reine, de toutes sortes de hardes, parmi lesquelles etoit une cassette tres riche avec six mille louis d’or. Le lendemain, il fut question de l’arrivee du roi d’Angleterre à Saint Germain, où le Roi l’attendoit : il arriva tard ; Sa Majesté alla au bout de la salle des gardes au devant de lui ; le roi d’Angleterre se baissa fort, comme s’il eut voulu embrasser ses genoux ; le Roi l’en empecha et l’embrassa à trois ou quatre reprises fort cordialement. Ils se parlerent bas un quart d’heure ; le Roi lui presenta Monseigneur, Monsieur, les princes du sang et le cardinal de Bonzi ; il le conduisit à l’appartement de la Reine, qui eut peine à retenir ses larmes. Apres une conversation de quelques instans, Sa Majesté les mena chez le prince de Galles, où ils furent encore quelque tems à causer, et les y laissa, ne voulant point etre reconduit, et disant au roi : « Voici votre maison, quand j’y viendrai vous m’en ferez les honneurs, et je vous les ferai quand vous viendrez à Versailles ». Le lendemain, qui etoit hier, madame la Dauphine y aller, et toute la Cour. Je ne sais comme on aura reglé les chaises de ces princesses, car elles en eurent à la reine d’Espagne, et la reine mere d’Angleterre etoit traitée comme fille de France : je vous manderai ce detail. Le Roy envoya dix mille louis d’or au roi d’Angleterre. Ce dernier paroit vieilli et fatigué, la reine maigre et des yeux qui ont pleuré, mais beaux et noirs, un beau teint un peu pale, la bouche grande, de belles dents, une belle taille et bien de l’esprit ; tout cela compose une personne qui plait fort. Voilà de quoi subsister longtems dans les conversations publiques. »

Acte de baptême de Louis XIV dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« Le mardy vingt et uniesme jour d’avril mil six cents quarente trois, furent supplées les ceremonies du saint sacrement du baptesme dans la chapelle du chasteau viel de Saint Germain en Laye par tres illustre et reverend prelat messire Dominique Seguier, evesque de Meaux, conseiller du Roy en ses conseils et son premier aumosnier, es presences de grande grande quantité de prelats revestus de leurs habits de prelature, princes et seigneurs de la cour, et d’officiers de Sa Majesté, à tres hault et tres illustre prince Louys de Bourbon, nay du cinquiesme jour de septembre mil six cents trente huict, Daulphin de France, fils aisné de tres puissant et victorieux prince Louys de Bourbon, treiziesme du nom, roy de France et de Navarre, absent à cause de sa grande maladie, et de tres illustre et tres vertueuse princesse Anne Morice d’Austriche, sa femme, reyne, assistante et presente ausdictes ceremonies, le parrein eminentissime personnage messire Jules Mazarini, cardinal de la sainte Eglise romaine, conseiller du Roy en ses conseils, et la marreine tres haulte et tres puissante dame madame Charlotte Margueritte de Monmorency, femme de tres hault et tres puisasnt prince Henry de Bourbon, premier prince du sang, laquelle a donné le nom de Louys. »

Mention d’un don fait par le roi pour la construction du clocher de l’église de Saint-Germain-en-Laye

« L’an 1659, par la solicitation et soins de maitre Pierre Cagnyé, prestre, curé de l’eglise de Saint Germain en Laye, et d’honorables hommes Georges Benoist, escuyer de cuisine bouche du Roy, et François Regnault, marchand boucher, marguilliers de lad. eglise, et par les bienfaicts du roy Louys 14e du nom, pour plus grande decoration et ornement d’icelle, fut par l’ordonnance de noble homme maitre Georges Le Grand, prevost juge de la jusice royalle et du consentement des principaux habitants dud. lieu par assemblée d’iceux faicte sur ce sujet abattu et demoly le cloché qui estoyt basty et eslevé entre les autels de la Vierge et de la charité et continué le bastiment de la tour encommencé hors le corps de lad. eglise quarante ou cinquante ans auparavant pour y mettre les cloches. La 1ère pierre de la continuation de lad. tour bastie et eslevée jusques à la 1ère retraicte fut posée au nom desd. sieurs marguilliers le 31e et dernier jour de juillet dernier passé et celle des pillier qu’il a convenu faire proche ledict autel des Vierges pour ayder à porter les voutes qu’il a fallu faire et continuer en la place dud. cloché fut posée aussi au nom dud. sieur curé le 8e jour du present mois d’aoust en lad. année 1659, tous lesquels ouvrages ont esté faicts et conduicts par honeste homme Claude Binet, maitre maçon tailleur de pierre, natif dud. lieu, et a esté donnée par Sa Majesté la somme de cinq mil livres pour en faire les frais. »

Acte de baptême de Louis de Bery dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Ce jourd’huy trante uniesme octobre mil six cents soixante et quatorze, a esté baptisé par monseigneur Jacques Benigne Bossuet, ansien evesque de Condon, Louis, né le vingt neufviesme du present mois, fils de messire Philippes de Berry, chevalier, seigneur des Certeaux d’Oremeau, Drieu, Guer, Arnancour, Vil, Vilcour et autres lieux, et de dame Magdeleine Ansselin, ses pere et mere, le parrein tres haut et tres puissant invincible monarque Louis quatorzieme, roy de France et de Navarre, la mareine tres haute et tres puissante dame Anne de Forst, duchesse de Richelieu et de Fronssac, dame d’honneur de la Reyne, le tout en la chapelle du château vieux de ce lieu, en presence et du consentement de moy curé soubsigné revestu de surply et estolle, lesquels ont signé.
Louis
Anne de Fors, duchesse de Richelieu
J. Benigne, a. e. de Condon
Cagnyé »

Acte de baptême de Louis de Rohan-Soubise dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye, le roi étant son parrain

« Ce jourd’huy dix huittieme novembre mil six cents soixante et quatorze, ont esté suplées par monseigneur Jacques Benigne Bossuet, antien evesque de Condon et precepteur de monseigneur le Daulphin, en la chapelle du chasteau vieil de ce lieu, les ceremonies du baptesme à Louis, fils de François d’Obusson, duc de La Feuillade, colonel du regiment des gardes françois, et de dame Charlotte Goufier, ses pere et mere, le parein tres haut et tres invincible monarque Louys quatorzieme, roy de France et de Navarre, la mareine tres haulte et tres illustre princesse Marie Thereise d’Autriche, reyne de France, en presence et du consentement de moy curé soubsigné, revestu de mon surply et estolle.
Cagnyé »

Lettre de Carlo Vigarani à la duchesse de Modène concernant la réception du grand-duc de Toscane et le petit appartement du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Serenissima Altezza,
Dal letto, ove m’ha confinato alucni giorni sono l’excessiva occupatione havuta per le feste fattesi all’arrivo e dimora qui del Serenissimo Gran Principe di Toscana, subito ricevuti i pregiatissimi commandi de L. A. V. Serenissima, ho’ avisato il signore Pouch, acio con la sua destrezza, e in conformita d’essi commandi, dia qualche lume dell’intentione che hanno cuca il partito le persone, che pensano a la compra de le rendite dell’A. V. Serenissima, siche col prossimo ordinario spero potergliene render conto.
Con l’ultima mia avisai l’arrivo a la corte del Serenissimo Gran Principe, e come S. M. lo havesse ricevuto a la prima visita, come per sorpresa, cise ch’essendo S. M. ne la sua camera con il solo duca di Saint Agnan, ora primo gentilhuoma, e con tre o quattr’altri servitori all’entrar di S. A. mostra d’esser sorpreso, e lasciato il capello su la tavola s’avanzo alcuni passi a riceverlo. E di la lo condusse egli stesse da la Regina. Qualche giorno dopo, il Re havendolo contotto a Versaglia ivi lo regalo di musiche, balli, comedie, collationi, giardini illuminati, e fuochi d’artifizio ; tornando il Re a San Germano, e S. A a Parigi ove sta alloggiato in casa del suo residente benche sia sevito da tutti gli ufficiali, carozze e staffieri del Signore duca di Guisa, il che m’haveva da prima fatto credere che fosse anche allogiato in sua casa.
A San Germano dopoi sele e fatta redere una comedia galante framezzata con balletti, e musciha, e con qualche scena : cosa pero di poca importanza, dopo la quale ogni volta sene ritorna a dormir a Parigi, anzi a cena, essendo ben presso a meza notte quando fnisse l’opera, non essendovi stato convito alcuno per anche, ecredo non vene sara. Tutta la casa di Conde e ritirata credo per la discrepannza de titoli e delle precedenze. Li duchi e Pari non l’honna visitato perche non le ha voluto dar la mano. […]
Ha S. M. fatto fare qui due cabinetti nel suo appartamento tutti ricoperti per tutto di specchi incastrati in cornici di legno indorate e sopradipinte, opera richissima del signore Brun, pittore eccelente : sopra gli spechi son dipinti bellissimi comparti d’ornamenti, che fanno un ammirabil vaghezza, ma la pittura e dietro al cristallo tra esso e l’argento vivo ; maniere e studi nuovi a quale vado applicando con la speranza di ripatriare un giorno per godere l’istessa fortuna del Principe nella sua gloriosa servitu alla serenissima casa, e sotto i clementissimi auspizy de L. A. V. Serenissima, a la quale profadamente inchinandom, mi dedico, de L. A. V. Serenissima,
Umilissimo, devotissimo et obligatissimo servitore.
C. Vigarani
Di S. Germano, li 30 Augusto 1669 »

Récit par le nonce Gualterio de la mort de Jacques II à Saint-Germain-en-Laye

« Su l’avviso che giunse la notte de 12 del corrente dello stato pericolossimo in cui si trovava il Re britannico stimo il nunzio a proposito di traferirsi la matina seguente alla corte de San Germano. Vi trovo S. M.tà con febre, che gli ripligliava per fino a tre volte il giorno con una prostratione totale di forze, e con una sonnolenza gravissima, la quale lo faceva continuamente dormire senza pero impedirgli di riscuotersi ogni volta che volevano dirgli qualche cosa e di rispondere adattatamente con uso di ragione che ha conservato sempre intierissimo per fino all’ultimo. I medici lo facevano fino d’allora disperato, onde il nunzio predetto credette che per edificazione delle due corti e per dimostratione di riconoscenza ad un prencipe ch’era stato coisi fedele alla Chiesa gli corresse debito di assistergli per fino all’ ultimo respiro, si come ha fatto in effetti non abbandonandolo né giorno né notte dal martedi matina perfino al venerdi sera in cui rese l’anima a Dio. Continuo è stato altresi il concorso d’' prencipi della case reale e de gran signori che sono andati a sapere di mano in mano lo stato della sua salute, mà tra gli altri si è distinto con particolari marche d’affetto il sig. prencipe di Conti che per essere cugino germano della Regina ha voluto usare con essa particolari finezze restendo tutti que’ giorni dalla matina per fino alla sera in San Germano. Il Re ha mandato ogni giorno più signori della prima sfera ad informasi dello stato delle cose, et il mercordi dopo desinare vi venne egli stesso in persona. Il nunzio si ritrovava nella stanza della Regina quando fù portato l’avviso della sua venuta. S. M.tà gli disse che non haverebbe voluto che il Re Christianissimo passasse per la stanza dell’infermo, dubitando che si come s’erano sempre teneramente amati cosi potesse seguire una vicendevole commotione in vedersi, e lo incarico di procurare d’indure S. M.tà a passare per un picciolo balcone al di fuori. Il nunzio prego il sig. duca di Lauson [Lauzun] ad insinuarlo a S. M.tà, il quale non fece difficoltà di prendere quella strada mà trovato poi esso nunzio sul medesimo balcone gl’espresse un sommo desiderio di vedere onninamente il Re Britannico, in maniera che si concerto che cio sarebbe seguito appresso la visita della Regina. Entrata S. M.tà nella di lei stanza, fece instanza che si chiamasse il prencipe di Galles. Venuto questi rimasero tutti tre soli, mà si è poi saputo per bocca del Re medesimo che il picciolo prencipe si come era stato un tempo considerabile senza vedere la madre cosi subito che fù entrato nella camera senza riguardo del Re presente gli si getto al collo e ivi con molte lagrime s’abbracciarono cosi teneramente che il Re dice d’havere havuto della pena a distaccarli l’uno dell’alltra. La Regina a cui tratanto il. Re haveva communicato la propria intentione notifico al prencipe la risoluzione presa da S. M.tà di riconoscerlo e trattarlo da Re ogni volte che venisse a mancare il Re suo padre. Il fanciullo che non havea notizia alcuna dell’avvenimento e che non poteva havere ne tampoco sepranza nientedimeno riceve tal avviso come se vi fosse stato preparato, e gettandosi a i piedi del Re gli desse queste precise parole: Io non mi scodero mai che sete voi che mi fate Re, e qualsivolglia cosa che mi succeda impiergaro questa dignità a farvi conoscere la mia riconoscenza. Il Re gli disse che lo faceva volontieri mà sotto conditione che conservasse sempre immutabile le religione cattolica, in cui era stato educato, mentre se fosse stato mai possibile ch’egli l’abandonnasse o volesse anche solamente nasconderla non solo perderebbe affatto la sua amicitia mà sarebbe risguardato con horrore di tutti gl’huomini da bene che sono nel mondo e come l’ultimo e il più vile degl’huomini. A che il prencipe rispose con le proteste della maggiore costanza. Più altre cose furono dette vicendevolmente sopra lo stesso argomento; dopo di che il prencipe si ritirà et essendo uscito dalla camera dirottamente piangendo dette motivo a milord Perth suo governatore di dimandargli che cosa gl’havesse detto il Re di Francia: mà gli rispose che ne haveva promesso il segreto a S. M.tà e che non poteva violarlo. In effetti non vole dirle cosa alcuna. Bensi tornato al suo appartamente si rinchiuse nel gabinetto e si pose a scrivere e domandatogli dal governatore medesimo cio che notasse disse senz’ altro ch’era il discorso tenutogli dal Re Christianissimo, il quale voleva poter rileggere tutti i giorni della sua vita.
S. M.tà fini tratanto la visita della Regina et accostandosi al letto del Re infermo gli fece i più cordiali complimenti. L’altro assopito nella sua sonnolenza habbe sul principio qualche difficoltà a riconoscerlo e l’andava ricercando quasi sospeso con gl’occhi, mà rivoltosi finalmente alla parte ove il Re era, tosto che l’hebbe veduto pose la bocca al riso e dimostro un estremo piacere. La ringratio poi di tutte le finezze le quali qu’usava e singolarmente d’havergli mandato il giorno antecedente il suo primo medico. Dopo varie espressioni d’affetto il Re Christianissimo disse che haverebbe voluto parlare di qualche negozio a S. M.tà Britannica. Ciascheduno volea ritirasi per rispetto mà il Re comando che tutti si fermassero et alzando la voce disse che volea assicurarlo che quando Dio havesse fatto altro di lui, haverebbe presa cura particolare del principe di Galles, e non minore di quella che potesse haverne esso stesso se fosse vivo; che dopo la sua morte lo riconoscerebbe per Re e lo trattarebbe nella medesima forma con cui haveva trattato lui medesimo. Cio che gli rispondesse il Re Britannico non pote udirsi perchè l’Inglesi, de’ quali era piena la camera e che non solamente non s’attendevano ad una tale dichiaratione mà per il contrario haveano probabilità tali da credere tutto l’opposto dettero tutti un’alto grido di Viva il Re di Franci, e gettandosi a i piedi di S.M.tà gli testimoniaronon la loro gratitudine d’une maniera che quanto era più viva et in un certo modo lontana dal rispetto ordinario tanto maggiormente mostrava i sentimenti de loro cuori. Il nunzio dopo haver dato luogo a tal transporto di gioia in quelle genti s’accosto ancor’egli a S. M.tà e gli disse che lo ringratiava a nom di tutta la Chiesa dell’atto eroïco il qual veniva di fare, pregando Dio a volerglielo ricompenzare con altretante fecilità. S. M.tà rispose allora con somma benignità e poi esso nunzio essendo andato servendolo per fino alla carrozza lo richiamo per strada e gli soggiunse ch’egli ben sapeva di quale importanza poteva essere tale risoluzione e conosceva le difficoltà che potevano esservi state mà che il rispetto della religione havea sorpoassato ogni cosa e ve lo haveva unicamente determinato. Si sa poi S. M.tà haver detto in appresso che ben conosceva tutti gli pregiuditii che poteva recargli una cosi fatta determinazione, la quale haverebbe dato pretesto al prencipe d’Oranges d fare de’ strepiti in Inghilterra di suscitargli contro il Parlemento e forse di caggionargli la guerra mà che havea voluto che gl’interessi della religione passassero innazi a tutte le altre cose, lasciando a Dio la cura del resto. In effetti si penetra che la maggior parte del Consiglio fosse di contraria opinione e che l’operato si debbia al solo arbitrio del Re. E’vero che i prencipi della casa reale erano stati di tal desiderio et hanno dimostrato una somma sodisfazione del successo; il duca di Borgogna particolarmente, che se n’espresse ne’ termini più forti che possino imaginarsi.
Ritornando al Re defonto è certo che questa è stata la maggiore consolazione che potesse havere morendo, mentre altro affare temporale non gl’occupava la mente. Ne ha dati altresi gli contrassegni maggiori mentre ordino subito che il prencipe si traferisse a Marli per ringraziarne S. M.tà se bene la Regina non giudico poi d’inviarvelo havendosi mandato in sua vece milord Midleton suo primo ministro. La matina seguente si fece chiamare di bel nuovo esso prencipe e parlandogli del medesimo affare gli ricordo la fedeltà a Dio, l’ubidienza alla madre e la riconoscenza al Re Christianissimo. Né poi ha parlato con alcun prencipe o signore della corte di Francia che non gl’habbia tenuto ragionmento sopra di cio et espressegli le grandi obligazioni che sentiva sù tale soggetto. Queste sono state le sole parole ch’egli habbia impiegate negl’affari del mondo. Tutto il rimanente non ha risguardolo che il Cielo, eccitando di tempo in tempo i preti e i religiosi che l’assistevano a dire delle orazioni, scegliendo esso stesso quelle che maggiormente desiderava e sopra tutto mostrando un sommo desiderio et una somma divozione della messa, recitandosi la quale egli che nel rimanente del tempo soleva essere addormentato si è sempre tenuto con gl’occhi aperti e facendo con la testa tutti que’ segni di venerazione che la sua positione e la sua debolezza potevano permettergli all’elevazione. Fino agl’ultimi respiri è stato udito recitare delle preghiere et allorché gli manco la voce fù veduto movere a tal ogetto le labra. Oltre di cio ha dimostrata una tranquilità d’animo infinita et una rassegnatione eroica al divino volere: consolandro egli stesso la Regina del dolore che dimostrava per la sua perdita. Ha finalmente dell’infermità et havendo sempre riposto che stava bene. Ha habuto una esatta ubidienza alle ordinationi de’ medici et ha preso senza replica tutto quello che hanno voluto dargli benche vi havesse per altro ripugnanza. Finalmente ha havuto sempre il giuditio sanissimo e la mente etiandio più pronta e più libera di quella che l’havesse per molti mesi antecedenti. Gli è durato de lunedi fino al venerdi sempre in una specie d’agonia patendo varii accidenti che di tanto in tanto facevano crederlo vicino a morire e risorgendo un momento appresso. Gl’ultimi singulti della morte furono brevi e non durarono lo spatio d’un hora e mezza ancor’essi assai miti e cher per quanto pote osservarsi non gl’erano un gran tormento. Spiro venerdi alle tre e mezza della sera pianto con caldissime lagrime da suoi tanto cattolici che protestanti, i quali l’hanno tutti per tanti giorni servito con un’amore et attenzione indicibile. La Regina non ha fatto un tutto questo tempo che piangere mà senza pero abandonare la cura degl’affari correnti. Morto il Re le più grandi angoscie mà persuasa alla fine di lasciarsi mettere in carrozza si è trasferta ad un convento delle monache della Visitatione posto in un villaggio vicino a Parigi per nome Challiot ove si tratterrà fino lunedi sera. Il Re s’era offerto di accompagnarvela in persona mà non ha voluto permetterglielo. Si ritroverà bene a S. Germano nel ritorno che S. M.tà vi farà per riporla nel suo appartamento, et allora si crede che visitarà la prima volta il successore in qualità di Re.
Il nunzio credette di non dover frapporre indulgio alcuno a far questa parte per dare un’esempio autentico agl’ altri ministri e per dimostrare tant maggiormente al nuovo Re la benevolenza della Sede Apolostica, onde passo subito a complimentarlo nel sup appartamento, dicendogli che nel gravissimo dolore che la Chiesa sentiva per la perdita d’un membro cosi principale qual era il Re defunto non poteva invenire maggiore consolazione di quella che gli proveniva dal riconoscerne S. M.tà per successore, non dubitendo che dovesse essere herede ugualmente delle virtù che delle corone del Padre e particolarmnte in cio che risguarda la costanza nella religionez per cui quel principe era stato cotanto glorioso. Rispose che S. S.tà poteva essere certa di haverlo sempre altretanto ubidiente quanto sia stato suo padre. Le disposizioni venture di quella corte non sono per ancora mote mà si avviseranno in appresso. In quanto alle ossequie S. M.tà Christianissima voleva fargliela fare reali a sue spese mà il Re defonto raccommando d’essere sepolto senze pompa e la Regina ha poi talmente insisito sopra la medesima istanza che si à rimasto di far transportare il cadavere senza pompa alle benedittine inglesi per tenervelo in deposito per fino a tanto che piaccia a Dio di disporre le cose in maniera da poterlo riportare nel sepolcro de suoi maggiori in Inghilterra. Ha bensi S. M.tà fatto fare un cuore d’argento dorato coronato alla reale per rinchiudervi quello del del defonto già trasferito segretamente a Challiot per essere risposto vicino a quello della Regina sua madre che si conserva nel medesimo luogo. Pensa inoltre a tutto cio che possa essere di sollievo, di conforto e di commodità alla Regina e procura d’usargli tutte le finezze possibili per consolarla. Il che si rende più necessario quanto l’afflittione dell’animo reca alla medesima pregiudizio anche nel corpo, trovandosi hoggi travagliata da mali di stomaco e da una straordinaria debolezza benche speri che le cose non siano per passare più oltre. »

Gualterio, Filippo Antonio

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 7 octobre 1667
Je reçus dimanche l’honneur de la lettre de Votre Altesse royale du 24 septembre dernier et le lundi j’allai à Saint Germain ; j’avais été averti par les introducteurs que Sa Majesté me donnerait une audience. J’y arrivai à neuf heures du matin, quoique l’on ne m’eût averti que pour dix. Le Roi [p. 145] était déjà au Conseil ; il me fit appeler, je lui parlai seul à seul dans son cabinet et lui dis mot à mot le compliment que Votre Altesse royale m’avait chargé de lui faire. Le Roi avait le visage assez riant, il me répondit qu’il était déjà très persuadé de l’amitié qu’Elle a pour lui, que je pouvais assurer Votre Altesse royale de la sienne et que dans les occasions de son service elle en recevrait des véritables marques.
Je lui présentai ensuite le placet et l’arrêt pour les gentilshommes et magistrats, secrétaires d’Etat et contrôleurs des guerres de Savoie qui ont du bien en Bresse et en Dauphiné.
A même temps, je lui présentai aussi la lettre que Votre Altesse royale lui a écrite en faveur de M. Marquisio, avec le placet et le mémoire des services de celui ci et qu’il m’avait remis ; je l’accompagnai de tous les bons offices possibles. Le Roi me répondit qu’il verrait le tout, puis je me congédiai et, comme j’étais déjà à quatre pas de lui, il m’appela en venant à moi et me dit fort obligeamment : « Monsieur, je vous prie de vous ressouvenir d’écrire à monsieur de Savoie ce que je vous ai dit touchant notre amitié, et que ce sont [p. 146] des mouvements du cœur ». Je l’en remerciai et l’assurai des partialités que Votre Altesse royale a pour sa personne et un zèle passionné pour son service.
Il est certain que l’on ne s’est pressé de déclarer monsieur le Prince que pour faire connaître à M. de Turenne que l’on avait d’autres capitaines en France ; il veut tout faire à sa mode et indépendamment de tout le monde ; il est à Enghien, où il ne fait que ruiner le pays.
J’ai reçu la lettre pour madame de Villequier et les ordres pour faire les compliments à messieurs Le Tellier et de Louvois : je croyais, lundi que je fus à Saint Germain, de les exécuter ; comme je vis le Roi et après dîner M. de Lionne qui m’avait donné heure, je croyais après cela de voir ces messieurs, père et fils, mais ils sortirent d’abord qu’ils eurent dîné dans un carrosse à six chevaux ; mais à Saint Germain, la nouvelle était publique des honneurs et des caresses que Votre Altesse royale a faits M. l’abbé Le Tellier ; M. son [p. 147] père, ses frères et ses parents, s’en sont loués hautement et M. le marquis de Villequier, qui est présentement de quartier, m’en parla à la messe du Roi avec des termes d’une reconnaissance très respectueuse. Je lui dis que j’étais en partie là pour visiter messieurs Le Tellier et de Louvois et pour les remercier des témoignages et assurances que cet abbé avait donnés à Votre Altesse royale de leur amitié.
Quand j’arrivai ici, quoiqu’il fût fort tard, j’envoyai chez M. Le Tellier pour savoir s’il était en cette ville ; il se trouva qu’au partir de Saint Germain, il était allé à une maison qu’il a à trois lieues de là. Le lendemain au matin j’eus un page de madame de Villequier, qui vint savoir à quelle heure elle me pourrait trouver et soudain après le [p. 148] dîner elle fut céans ; elle déploya toute sa rhétorique et, l’accompagnant de tous ses charmes, elle me témoigna les obligations qu’elle avait à Vos Altesses royales pour les honneurs que vous avez faits à son frère. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 26 février 1670
Je fis savoir par le dernier courrier à Votre Altesse royale que l’on conjecturait le retour de Monsieur à la Cour sur les négociations que la princesse palatine était allée faire à Villers Cotterets. On ne s’était pas trompé car soudain qu’elle fut revenue vendredi au soir, elle fit une dépêche à Saint Germain qui obligea le Roi d’envoyer samedi M. Colbert à Monsieur lui dire qu’il souhaitait le voir, à quoi il se soumit d’abord. Lui et Madame vinrent ici lundi et, le même jour, ils allèrent voir le Roi, qui les reçut très bien et qui les a fait loger dans son grand appartement, parce qu’ils avaient fait démeubler le [p. 402] leur au château neuf. On assure qu’on a envoyé les ordres pour la liberté du chevalier de Lorraine, moyennant qu’il aille faire séjour pour quelque temps à Rome ou à Malte. Le Roi lui donnera dix mille écus de pension, et les abbayes qui avaient fait la cause de son malheur à l’abbé d’Harcourt, son frère. Ainsi voilà une affaire accommodée selon la volonté de Sa Majesté, comme il est très juste.
Le Roi et Madame se sont écrit durant qu’elle a été éloignée de lui. Sa Majesté la raillant sur les ennuis qu’elle devait avoir à la campagne, elle lui fit réponse qu’elle étudiait l’italien, mais qu’elle le priait de ne pas la laisser aller jusqu’au latin, et lui demandait des nouvelles des loteries de Saint Germain, ce qui donna lieu au Roi de lui envoyer quatre cassettes fort riches, feignant que c’étaient des lots qui lui étaient échus par hasard, dans lesquelles il y avait quatre billets de cinq cents louis chacun, quantité de bijoux enrichis de pierreries et entre autres une paire de souliers de campagne propres à se promener par le parc de Villers Cotterets, dont les boucles valent mille louis. On fait monter ce présent à [p. 403] 200000 livres ; on m’a dit néanmoins qu’il en faut rabattre une partie.
Le Roi se trouva hier matin mal des vapeurs, il fut nécessité de se mettre au lit et à prendre des pilules. C’est un effet du dégel. J’y ai envoyé un de mes fils pour en savoir des nouvelles, n’ayant pu y aller pour avoir un peu de fluxion sur un œil. Je ne sais si les fréquentes attaques d’un mal si fâcheux ne feront point changer sa Majesté la résolution qu’Elle avait formée de partir le quatorzième du mois d’avril pour la Flandre, les ordres ayant été donnés pour cela, et les magasins qui faits pour les fourrages nécessaires aux troupes doivent l’escorter, que l’on fait monter à 10000 chevaux. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 12 février 1672
[…]
[p. 210] Je vis à Saint Germain M. le marquis de Louvois. Je le remerciai, de la part de Votre Altesse royale, de la manière obligeante dont il en avait agi pour ses intérêts et envers moi durant qu’il a eu la direction des affaires étrangères. […]
[p. 245] Un homme qui peut savoir des nouvelles m’assura hier que le Roi a commandé de nouveau au marquis de Villars de faire expliquer la reine d’Espagne, que néanmoins il veut passer le Rhin, [p. 246] qu’il fait faire son équipage, qu’il partira au mois d’avril et que les ministres suivront.
Il n’a pas encore nommé de chancelier ni de garde des sceaux. On croit qu’il n’en fera pas. Il tint lui-même les sceaux samedi et lundi dernier, ce qui dura plus de huit heures en ces deux jours. Il y a dans la chambre, préparée exprès, une longue table ; il est assis au dessus dans un fauteuil, six conseillers d’Etat aux deux côtés, assis sur des pliants et couverts, et qui ôtent leurs chapeaux quand ils rapportent des grâces ou des lettres. Il y a les audienciers et officiers des sceaux. Le Roi opine plus juste qu’aucun des officiers de justice qui sont présents. Il fait apporter de son cabinet par son premier valet de chambre le coffre où sont les sceaux et tire la clef de sa poche pour l’ouvrir. Il a résolu de tenir lesdits sceaux toutes les semaines, il veut connaître les abus qui s’y peuvent commettre pour y remédier, avant que de les remettre à un homme particulier. Bien des gens de qualité y assistèrent ; la Reine même y alla, la grâce du sieur de La Rochecourbon [p. 247] en main ; le Roi dit que la suppliante était d’assez bonne maison pour la lui accorder.
Il retirera auprès de M. le Dauphin les jeunes princes de Conti. Ils mangeront avec lui et n’auront pour gouverneur et précepteurs que ceux de M. le Dauphin. Il a pris le deuil de la princesse de Conti et toute la Cour. Nous avons suivi cet exemple pour nos personnes, mais ce sera pour peu de temps.
L’ambassadeur de Hollande continue ici son séjour. Il voudrait donner des jalousies aux alliés et leur faire croire qu’il traite ici d’accommodement, mais on s’en moque. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le départ du roi de Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 27 avril 1672
Je viens d’arriver de Saint Germain. Comme le Roi avait résolu de partir seulement demain, j’y avais conduit M. le comte Cagnol pour faire un peu de cour et nous attentions dans la cour du vieux château l’heure que Sa Majesté dut aller à la messe pour nous faire voir à Elle. Tout d’un coup, on a dit qu’Elle allait partir, sans que personne l’eût pénétré, car Elle n’en avait rien dit à son lever. Elle est soudain descendue à la chapelle pour entendre la messe, puis est montée seule dans une calèche à six chevaux, M. de Duras une autre, accompagnée de dix à douze gardes, et est partie à onze heures pour aller coucher [p. 279] à Nanteuil chez M. le duc d’Estrées et ira demain à Villers Cotterets, où Monsieur et tout ce qui ira joindre le Roi se rendra. Il n’a dit adieu qu’à la Reine et à monsieur le Dauphin ; ceux qui étaient les plus proches de lui lui ont fait la révérence, mais fort à la hâte. Jamais il n’y a eu de pareille surprise à la Cour ; personne n’en a jamais pu pénétrer la véritable cause. On disait bien que ç’a été pour éviter les tendresses qu’il aurait pu avoir en l’adieu des dames. Je ne le crois pas ; en tout cas, si Votre Altesse royale se le persuade, il sera bien de n’en pas parler. Madame de Montespan était sortie de bon matin de Saint Germain, je l’ai rencontrée dans la garenne dans une calèche à six chevaux. Je ne l’ai pas vue, car les rideaux étaient tirés, mais je me suis figuré que c’était elle, à voir derrière son carrosse les gardes qui ont accoutumé de la suivre, et quand j’ai été à Saint Germain, j’ai su que c’était bien elle, et qu’assurément elle était venue en cette ville, bien que je me figurasse qu’elle allait attendre le Roi à Nanteuil. »

Récit de la célébration de la Toussaint par la famille royale à Saint-Germain-en-Laye

« De S. Germain en Laye, le 2 novembre 1674
Hier, feste de tous les saints, Leurs Majestez, avec lesquelles estoit monseigneur le Dauphin, entendirent en la chapelle de ce chasteau la grande messe, celebrée par l’evesque de Cisteron, et chantée par la Musique. L’apres dinée, Elles entendirent au mesme lieu une docte et eloquente predication de l’abbé de Clermont, puis les vespres aussi chantées par la Musique. Ensuite, la Reyne alla continuer l’exercice de sa devotion, en l’eglise de la parroisse. »

Récit de l’installation du roi et de la reine d’Angleterre à Saint-Germain-en-Laye

« [p. 280] Le 21 au matin, jour de S. Thomas, le bastiment qui portoit la reine d’Angleterre arriva à Calais, après [p. 281] avoir couru risque de faire naufrage au port, puisqu’il s’en fallut peu qu'il ne touchait un banc qui en estoit à dix pas ; mais le maistre du paquetbot qui se trouva là fort à propos luy servit de guide, et empefcha par là ce malheur. Après que la reine fut debarquée, le capitaine du yacht dit qu'il sçavoit bien qu'il menoit cette princesse et le pince de Galles, et qu'il l'avoit toujours reconnu. Elle ne voulut point que M. le duc de Charost luy fist rendre aucuns [p. 282] honneurs à Calais. […] [p. 283] Comme la reine [p. 284] devoit faire quelque sejour à Bouligne jusqu’à ce qu’on eust receu des nouvelles de la Cour, elle demanda d’estre logée au convent des Ursulines mais, M. le duc d‘Aumont ayant fait preparer l’appartement de madame la duchesse sa femme, elle ne put le refuser. […] [p. 284] Cependant, le Roi ayant sceu que cette princesse estoit arrivé en [p. 288] France, ce monarque qui a toujours esté l’appuy des malheureux et l’azil des opprimez en ressentit une joye proportionnée au triste etat ou il scavoit qu’elle se trouvoit. […] [p. 321] La nouvelle de l’arrivée du roy d’Angleterre à Ambleteuse ayant esté receue à Versailles, M. le marquis de Beringhen l’apprit à Beaumont par un courrier que le [p. 322] Roy lui depescha. […] [p. 328] M. le Premier, après s’etre acquité de sa commission auprès de la reyne d’Angleterre, qu’il auroit conduite jusqu’à Saint Germain sans les nouveaux ordres qu’il receut, ne songea plus qu’à partir la nuit mesme pour aller au devant de Sa Majesté britannique. […]
[p. 329] Le 6, cette princesse partit de Beaumont pour se rendre à Saint Germain en Laye, dont le Roy avoit fait meubler le chasteau pour la loger. Il avoit d’abord fait preparer celuy de Vincennes, [p. 330] mais Sa Majesté croyant l’air de Saint Germain meilleur pour la santé du jeune prince, et ce chasteau plus commode pour voir la reyne plus souvent, avoit changé de dessein.
Le Roy partit le mesme jour de Versailles pour aller au devant de cette princesse. Il estoit accompagné de monseigneur le Dauphin, de Monsieur et des princes et principaux seigneurs de la Cour. Il s’avança jusques auprès de Chatou, et les gardes du corps, les gendarmes, [p. 331] les chevaux legers et les deux compagnies de mousquetaires s’etendoient dans la plaine depuis le pont du Pec jusqu’à ce village. Quoyque leurs habits ordinaires soient assez riches et que le tout ensemble produise un effet fort éclatant, chacun s’estoit efforcé ce jour là de se mettre proprement et l’on peut dire que tous les officiers estoient magnifiquement vestus. Le carosse de Sa Majesté et celuy où estoit la reyne d’Angleterre ayant paru, chacun descendit du [p. 332] sien, dans le mesme temps, et le Roy et cette reyne se saluerent. Le Roy luy presenta monseigneur le Dauphin et Monsieur, et la remit ensuite dans le mesme carosse, où estant aussitost monté il se plaça à sa gauche, et monseigneur le Dauphin et Monsieur se mirent sur le devant. Lorsqu’on fut arrivé à Saint Germain, le Roy conduisit la reyne dans l’apartement qui luy avoit esté preparé. Il demeura quelque temps en public avec elle, et luy presenta monsieur le [p. 333] Prince, monsieur le Duc et monsieur le prince de Conty. Le Roy, en prenant congé de cette princesse, luy dit « qu’il alloit voir le prince de Galles pour apprendre s’il n’estoit point fatigué du voyage ». La reyne voulut l’y accompagner et lui dit « qu’elle avoit esté ravie qu’il ne fust pas en age de connoistre ses malheurs, mais qu’à present elle estoit bien fachée qu’il ne fust pas en etat de reconnoistre l’obligation qu’il luy avoit ». Le Roy revint ensuite à Versailles et laissa cette princesse dans [p. 334] l’admiration de ses manieres toutes engageantes et qui, avec le brillant de la majesté, laissent paroistre un air tout affable qu’il seroit difficile d’exprimer. Ce monarque de son costé trouva beaucoup d’esprit et de grandeur d’ame dans cette princesse. Elle a l’air noble ; toute penetrée qu’elle est de sa douleur, elle n’en paroist point embarassée. Elle sent bien ce qu’elle est et quoy qu’elle soit fort honneste, elle scait placer ses honnestez selon les gens et est tout à fait maitresse d’elle mesme.
[…]
[p. 359] Le roy d’Angleterre […] monta à Clermont dans le carosse du Roy que M. le Premier avoit [p. 360] au voyage en allant au devant de la reine et qu’on y avoit fait venir de Beauvais toute la nuit. M. le Premier et M. le duc de Bervick entrerent dans ce carosse avec Sa Majesté, qui alla ainsi jusqu’à Saint Germain en Laye, avec des attelages du Roy qu’on avoit mis en relais. Tout Saint Denis estoit remply du peuple de Paris, qui marqua sa joye par ses acclamations lorsqu’il vit arriver Sa Majesté britannique, ce qui acheva de faire connoiste qu’il n’y a point de peuple au monde si fidelle [p. 361] et si zelé que celuy de France, ny qui se plaise davantage à entrer dans tous les sentimens de son Roy. Tout se trouva remply de peuple, de carosses pleins de personnes de qualité et de cavaliers depuis Paris jusqu’à Saint Denis, et ce prince n’entendit que des acclamations, et ne vit que de la joye sur tous les visages.
Sa Majesté receut ce monarque au milieu de la salle des gardes de Saint Germain. La joye qu’ils eurent de se voir parut dans leurs embrassades, qui furent reiterées [p. 362] plusieurs fois. Leurs complimens estant finis, le Roy mena Sa Majesté britannique dans la chambre de la reine son epouse, qui estoit au lit, et apres y avoir demeuré quelque temps et l’avoir aussi mené chez le prince de Galles, il s’en retourna à Versailles.
Le 8, le roy d’Angleterre vint l’apres dinée à Versailles rendre visite à Sa Majesté, ayant dans son carosse M. le duc de Bervick, M. le Premier et M. de Lausun. Le Roy le receut à la porte de [p. 363] la salle des gardes et le conduisit dans son petit salon, puis dans son cabinet, où ils demeurerent seuls pendant plus d’une heure et demie. Sa Majesté le conduisit ensuite par la grande galerie à l’appartement de madame la Dauphine, qui l’attendoit dans sa chambre avec un fort grand nombre de dames. Cette princesse estant avertie qu’il venoit par la galerie, s’approcha environ à trois pas de la porte. Le roy d’Angleterre entra, accompagné du [p. 364] Roy, de monseigneur le Dauphin et d’une très grande quantité de seigneurs de la Cour. Il baisa madame la Dauphine des deux costez et ensuite Madame qui s’y trouva. Il baisa après monseigneur le duc de Bourgogne, monseigneur le duc d’Anjou et monseigneur le duc de Berry qui accompagnoient tous trois madame la Dauphine. On ne fut point assis. Madame la Dauphine estoit du costé de la balustrade et, le Roy donnant toujours la droite au roy d’Angleterre, [p. 365] estoit avec Monseigneur du costé des fenestres. La conversation dura un quart d’heure. Ce monarque prit congé pour aller chez Monseigneur, qui un moment auparavant estoit sorty de chez madame la Dauphine, pour l’aller attendre dans son appartement. Le Roy accompagna ce monarque en sortant jusqu’au haut du grand degré. Monseigneur le receut à la porte de la salle de ses gardes, et le roy fit tomber la conversation sur la campagne de ce jeune prince, [p. 366] à qui il donna les louanges qui luy sont dues, mais il luy dit ensuite « qu’il s’estoit trop exposé et qu’à l’avenir il devoit se menager davantage ». Monseigneur lui repondit, avec beaucoup de presence d’esprit, « qu’estant duc d’York il ne s’estoit pas moins exposé lorsqu’il combattoit dans les troupes de France ». Le roy repliqua « qu’il n’estoit alors qu’un malheureux aventurier mais que comme il seroit presentement le plus ancien lieutenant general s’il avoit continué, il croyoit que le Roy le [p. 367] feroit marechal de France ». Monseigneur le reconduisit jusqu’au mesme lieu où il avoit esté le recevoir. Il alla ensuite chez Monsieur, qui estant veritablement indisposé, gardoit le lit ce jour là. Comme il estoit assez naturel de parler du prince d’Orange, ce qu’on en dit fit tourner la conversation sur la bataille de Cassel et Monsieur fut loué d’avoir battu un pince si fier et qui ne manquoit ny de hardisse ny de courage. Ce prince repondit là dessus [p. 368] « qu’il voudroit qu’une semblable occasion se presentast encore et qu’il exposeroit volontiers sa vie pour le service du roy d’Angleterre ». Ce monarque alla après cela rendre visite à Madame et s’en retourna à Saint Germain. M. le Premier l’y accompagne et luy dit le soir en prenant congé de luy que la Maison du Roy qu’il avoit menée au devant de la reine avoit ordre de demeurer auprès de Leurs Majestez pour les servir.
Le 9, monseigneur le Dauphin se rendit à Saint [p. 369] Germain et visita Leurs Majestez britanniques.
Le 10, Madame et mademoiselle y allerent aussi, et le 12 les princesses du sang.
Le 13, Monsieur les visita pareillement et sur les deux heures les princes du sang firent les mesmes visites. Le mesme jour, sur les quatre heures du soir, la reine d’Angleterre vint à Versailles. Le Roy, monseigneur le Dauphin et Monsieur la receurent au plus haut du grand escalier. Elle parut se defendre la droite [p. 370] de Sa Majesté. On luy avoit preparé un fauteuil qui estoit à droite de celuy du Roy et elle s’y mit. La conservation dura un quart d’heure et l’esprit de cette princesse se montra aussi brillant qu’il avoit dejà fait. Le Roy luy dit « qu’il estoit surpris de l’entendre si bien parler françois et de de qu’on ne luy remarquoit aucun accent etranger ». Elle repondit « qu’elle s’estoit toujours senti de l’inclination pour la France et que c’estoit de là que venoit la facilité qu’elle avoit eue à apprendre le françois ». [p. 371] Leur conservation étant finie, le Roy la conduisit chez madame la Dauphine, qui l’attendoit dans sa chambre avec un tres grand nombre de dames, qui estoient fort parées. Quand cette princesse fut avertie que la reine venoit par la galerie, elle s’avança jusque dans la porte. La reine la baisa d’un costé et madame la Dauphine, luy donnant la droite, la mena dans son grand cabinet. On y avoit preparé six fauteuils, scavoir pour la reine, madame [p. 372] la Dauphine, les trois jeunes princes et Madame. Celuy de la reine estoit au milieud e la chambre et les autres estoient tournez un peu du costé du fauteuil de cette princesse. Toutes les duchesses furent assises. Madame la duchesse de Powis, gouvernante du prince de Galles, et madame la comtesse de Montecuculi, une des dames d’honneur de la reine, comme estoient icy les dames du Palais, puisqu’elles sont plusieurs et qu’elles servent par semaine, eurent [p. 373] les tabourets. On s’etonnera que je donne icy le nom de duchesse à madame de Powis apres l’avoir apellée plusieurs fois marquise ; la raison de ce changement est que le roy d’Angleterre, depuis son arrivée à Saint Germain, a recompensé le zele de M. de Powis, son marquis, en le faisant duc. La conversation dura une demy heure. On se leva et madame la Dauphine conduisit la reine jusqu’à la porte de son cabinet. Cette princesse alla ensuite chez Monseigneur, qui la receut [p. 375] à la porte de la salle de ses gardes et la reconduisit jusqu’au mesme endroit. Elle alla après chez Monsieur et chez Madame, qui luy firent tous les honneurs dus à une reine. »

Mention du baptême de la fille de Jacques II dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye

« [p. 304] Le Roy et madame ont tenu la princesse d’Angleterre sur les fonts. La ceremonie s’est faite dans la chapelle du vieux chasteau de Saint Germain en Laye, par M. le cardinal de Bouillon, grand aumonier de France. La princesse a esté nommée Louise Marie Elizabeth, qui sont les noms du Roy, de la reine d’Angleterre et de Madame. Sa Majesté vouloit que le nom de Marie fut le premier, parce que c’est ordinairement celuy qui demeure, mais la reine [p. 305] d’Angleterre a fait de si pressantes instances pour engager le Roy à faire que le nom de Louise precedast les deux autres noms, qu’il n’a pu se deffendre d’accorder aux prieres de cette princesse ce qu’elle souhaittoit avec tant d’ardeur. »

Récit de la naissance de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye

« L’heureuse naissance de monseigneur le Dauphin, à present le roy Louis XIV, fils du feu roy Louis XIII et d’Anne d’Austriche, regente en France, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, le dimanche 5 septembre mil six cens trente huict, sur les unze heures du matin
[…]
[p. 211] Si le dernier siecle a attribué à la sage conduite de fernel, premier medecin de Henry II, ce que Catherine de Medicis eut des enfans apres avoir esté dix ans sterile, on ne peut en ce rencontre obmettre la benediction que Dieu a voulu estendre sur les soins des medecins de Leurs Majestez, qui ont porté leur santé jusqu’au poinct de rendre la France si heureuse par cette tant illustre et desirée naissance, et d’autant plus merveilleuse qu’aucune des autres n’est arrivée apres une patience de tant d’années, comme si Dieu eust reservé à ce siecle un concours de tous ces precedés miracles.
Cette heureuse grossesse a esté miraculeusement predite à la Reyne peu auparavant qu’elle avint, et elle avoit esté tellement exempte des fascheux symptomes qui accompagnent les autres en cet estat que l’on avoit par là matiere d’en douter jusques au mouvement, et depuis iceluy Sa Majesté et son fruict se porterent si bien que, decouvrans l’imposture de ceux qui se pensoient signaler par la prediction du jour de cette delivrance, et verifians au contraire ce que dit Hippocrate des plus vigoureux enfans, cettuy cy entra bien avant en son dixiesme mois. Ainsi l’antiquité figuroit les heros, ou demy dieux, toujours plus longtemps que les autres dans le ventre de leur mere. Donc de Dauphin, à present Roy, en est finalement sorty, et la Reyne, apres un travail de quelques heures, accoucha le cinquiesme septembre, peu avant midy, dans le chasteau neuf de Sainct Germain en Laye, d’un prince que sa beauté et proportion accomplie de toutes les parties de son corps rendit des lors par moins aymable que cette masle vigueur [p. 212] qui luisoit desjà au travers de ses membres enfantins, promettoit de trophées. Ce celebre accouchement se fit en presence des princesses et dames de la cour, accourues en foule pour avoir part à cette extreme joye, que quatre dauphins argentez d’un grand obelisque planté devant le vieil chasteau de Sainct Germain ayderent à epandre dans le peuple avec le vin qu’ils verserent tout le soir, et continuerent le reste de la nuict en grande abondance.
A l’instant toute la ville de Paris s’appresta à en temoigner sa joye par des actions de graces solennelles à Doeu dans ses eglises, par un concours des peuples qui y fourmillent et s’entr’annonçoient cette bonne nouvelle, par des feux de joye allumez dans les rues, accompagnez des cris de Vive le Roy, la Reyne et monseigneur le Dauphin, et par une agreable bigarure de lumieres des fenestres innombrables de ce petit monde, le bruit redoublé de quarante canons et de trois cents boettes de l’arsenal ayant devancé cette magnificence et annoncé à l’univers cette naissance.
Particularitez de la susdite naissance de monseigneur le Dauphin et de ce qui se passa ensuite à Sainct Germain et à Paris
Ce n’est pas assez d’avoit dit en gros et avec peu de circonstances que la Reyne est accouchée d’un Dauphin, une des meilleures et plus agreables nouvelles qui se puissent gueres donner au public, mais encore qu’une familiere narration des circonstances de ce qui s’y est passé de plus remarquable doive sembler à quelques uns indigne de la majesté de ce benefice inenarrable du ciel, il faut mieux le rendre intelligible par un discours accommodé au vulgaire que par une reverence injurieuse au public, le laisser ensevely dans l’oubly du temps qui n’enveloppe souvent pas moins la verité qu’il la decouvre. Doncque pour y satisfaire, une année auparavant un religieux avoit adverty la Reyne qu’elle devoit accoucher d’un fils, asseurant en avoir eu la revelation ; et pour ce que les souhaits de toute la France ne tendoient que là, les premiers signes qui ont coustume d’accompagner la grossesse des femmes ne parurent pas plustost en la Reyne qu’un chacun le crut aisement : ce ne furent plus des lors que neufvaines, voyages et vœux, particulierement à la Vierge et à Saincte Anne, par l’intercession desquelles on a cru cette grossesse avoir esté impetrée du Ciel. On vit ensuite toute la France humiliée devant Dieu pour luy demander par ses pieres de quarante heures et autres devotions sans nombre la conservation de ce fruict royal : cependant qu’il estoit au ventre maternel, tous, ou par le desir qu’ils en avoient, ou par les signes naturels, ou autrement, ont tousjours predit que ce seroit un fils ; mais peu de personnes se sont rencontrées de mesme advis touchant le terme de l’accouchement, aucuns ayant asseuré que ce seroit au vingt deuxieme, autres au vingt cinqieme aoust, jour de sainct Louys. On tient que celuy qui en approcha le plus estoit un certain vacher nommé [p. 213] Pierre Roger, du village de Saincte Geneviesve des Bois proche Paris, lequel, tesmoignant d’ailleurs une simplicité et une ignorance fort grossiere, avoit dit que la Reyne accoucheroit le samedy quatriesme de septembre, et ce fut le dimanche cinquiesme. Ce qui donna lieu aux uns d’approuver son progonostic, soustenans que les predictions qui viennent de Dieu ne sont pas si precises que celles des mathematiciens qui designent les oppositions et autres aspects des corps celestres mille ans avant le mesme poinct auquel elles arrivent, et les autres que la difference des choses miraculeuses d’avec les naturelles se reconnoist principalement en ce que les premieres sont parfaites et exactes, les autres non, le seul poinct et moment prefix auquel arrive la chose predite estans celuy qui peut faire distinguer la prophetie de l’imposture, auquel point mesme le hazard peut faire arriver, comme un mauvais archer peut donne une fois dans le blanc. De quoy on laisse la decision à d’autres, pour dire que ce dimanche cinquiesme dudit mois de septembre, sur les deux à trois heures du matin, la Reyne commença de sentir les vrais signes du travail d’enfant, ce qu’elle en avoit eu sur les unze heures du soir precedent s’estant aussitost passé. Elle voulut que l’evesque de Lisieux dit la messe dans sa chambre sur les quatre heures du matin, et comme par son commandement le sieur Seguier, evesque de Meaux, premier aumosnier du Roy, se disposoit à en dire une autre, les douleurs s’augmentans, on alla avertir le Roy, lequel la vint voir. Mais, prenant le soin de la santé du Roy, qu’elle scavoit avoir lors besoin d’aller prendre son repas, l’en pressa tant que Sa Majesté s’y en alla. Enfin, c’estoit sur les unze heures du matin, le Roy ne venoit que de se mettre à table, n’y ayant pas un quart d’heure qu’il avoit quitté la Reyne, lorsqu’on luy vint dire qu’elle accouchoit. Il y court. Des l’entrée, la marquise de Senecey, dame d’honneur de la Reine, dit à Sa Majesté que la Reyne estoit accouchée d’un Dauphin, et la dame Peronne, sage femme qui l’avoit assistée à son travail, par le conseil des medecins et chirurgiens de Leurs Majestez, et plus experimentez en telles affaires, le fit voir au Roy, et luy fit remarquer sa beauté et grandeur extraordinaire. A l’instant chacun cria : C’est un Daufin, c’est un Daufin, et cette parole se porta aussi viste qu’un esclair par toute la cour et par tout Sainct Germain, d’où mille messagers, avec charge et sans charge, l’espandirent si promptement au loing que, bien que cette heureuse naissance ne fut arrivée, comme a esté dit, que sur les unze heures et un quart avant midy du cinquiesme de ce mois de septembre 1638, un courrier arrivé à Paris le septiesme ensuivant asseura en avoir appris la nouvelle à soixante lieues au loing.
Le Roy, voulant aussitost rapporter toutes ces faveurs et benedictions au ciel, mit les genoux en terre et remercia Dieu de cette cy. Les eglises de Saint Germain et des peres recollets estoient encor remplies de seigneurs et dames qui estoient allées, la pluspart avant le jour, communier et faire leurs autres devotions pour les mesme sujet, lorsqu’ils y apprirent l’agreable nouvelle de cet heureux accouchement, [p. 214] qui se fit en presence de Monsieur, frere unique du Roy, duc d’Orleans, lequel temoigna à l’instant à Sa Majesté le contentement qu’il en recevoit, comme Sa Majesté luy confirma aussi de sa part toutes les asseurances d’une affection cordiale. Mesdames les princesses de Condé, comtesse de Soissons, duchesse de Vendosme, connestable de Montmorency, duchesse de Bouillon La Mark et autres de grande condition y estoient aussi presentes, outre les dames de Senecey, de La Flotte et autres de la Maison de la Reyne, dans la chambre et à la veue de laquelle ce tant souhaité Dauphin fut ondoyé par ledit sieur Seguier, son premier aumosnier, et fut fait participant de toutes les ceremonies et magnificences qui s’observent à l’imposition du nom. Où assisterent le Roy, Monsieur son frere, le chancelier de France arrivé peu apres l’accouchement, plusieurs autres seigneurs et dames qui y accouroient en foule, comme à la veue d’un miracle, le Roy ayant fait entrer dans la chambre de la Reyne tous ceux qui estoient dans l’antichambre pour les rendre participans de cette joye, laquelle fit allumer des feux en plusieurs endroits de Sainct Germain. Les daufins de la fontaine de vin y continuoient cependant à le jetter depuis le matin, avec tel abord de peuple que quelque desordre y estant survenu obligea d’y mettre des gardes ; laquelle magnificence plusieurs partiucliers imiterent depuis à Paris, tel en ayant fait pleuvoir de son toict.
A une heure apres midy, le Roy alla faire chanter le Te Deum dans la chapelle du vieil chasteau, accompagné des Cent Suisses de sa garde, et suivy de Monsieur, du chancelier de France, des ducs de Montbazon et d’Uzez, des sieurs de Liencour, de Mortemar, de Souvré et du comte de Tresmes, et en un mot de toute la cour, qui estoit si grosse toute cette semaine qu’il estoit mal aisé de trouver giste à Saint Germain, encor qu’il y eust des gardes aux principales avenues qui n’en permettoient l’abord qu’aux personnes qui ne venoient point de lieu suspect de maladie. Le mesme evesque de Meaux y officia, vestu pontificalement, en presence de l’archevesque de Bourges l’ancien, des evesques de Lisieux, de Beauvais, de Dardanie et de Chaalons, ayant chacun le rochet et le camail, et de toute la chapelle du Roy, laquelle y fit merveille. Puis monseigneur le Daufnin, ayant esté alaité par la damoiselle de La Giraudiere, sa nourrice, les gardes en haye, fut porté en son appartement meublé de damas blanc, et mis entre les mains de la marquise douairiere de Lansac, sa gouvernante. Sa Majesté en ayant aussi envoyé donner avis à la ville de Paris par le sieur de Perrey Bailleul, maistre d’hostel ordinaire de sa Maison, le corps de ville en fit faire des le jour mesme un feu de joye à la Greve, et le lendemain un autre, des plus beaux qui s’y soit gueres veu. Le sieur de Laffemas, lors lieutenant civil, donna les ordres que les bourgeois en temoignassent aussi leur ressentiment par les feux de joye allumez dans les rues et par des lumieres aux fenestres, à quoy les Parisiens se porterent avec tant d’ardeur qu’au lieu d’un jour ils en continuerent trois ou quatre tout de suite. Le sieur [p. 215] du Tremblay, gouverneur de la Bastille, et le sieur de Sainctoust, commandant dans l’Arsenal en l’absence du grand maistre de l’Artillerie de France, y tinrent hautement leur partie, par un concert de boetes et canons qui firent part à tout le pais d’autour cette agreable nouvelle.
Il n’y eut maison religieuse qui n’ornast ses murailles de chandelles. Les jesuites, outre pres de mille flambeaux dont ils tapisserent leurs murs les 5 et 6, firent le septiesme dudit mois de septembre un ingenieux feu d’artifice dans leur cour, qu’un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumieres qui eclairoient un balet, et comedie sur le mesme sujet, representez par leurs escoliers. Les feuillans de la reue Neuve Saint Honoré firent le septiesme une aumosne generale de pain et de vin, emplissant les vaisseaux de tous les pauvres qui se presentrent, et apres une procession par eux faite chacun le cierge à la main, furent brusler un chasteau d’artifices, chantans le Te Deum au son des trompettes entremeslées du carillon de leurs cloches. Les bourgeois de la place Dauphine, ayant à leur teste des hautsboits et musettes conduits par Destouches, l’un d’eux, firent des resjouissances dignes du nom de leur place. Le Te Deum en fut aussi solemnellement chanté le sixiesme dans l’eglise Nostre Dame, et tous les religieux avec les parroisses firent lors des processions, où l’archevesque de Paris assista avec tout son clergé, accompagné des prevost des marchands et eschevins. Le parlement, chambre des comptes et autres cours allerent ensuite rendre leurs complimens au Roy et à monseigneur le Dauphin. Le huictiesme du mesme mois, l’evesque de Metz fit faire la procession generale dans le fauxbourg Saint Germain, dont il est abbé, et dont toutes les rues estoient tapissées. Bref, tout conspira unanimement à rendre graces à Dieu pour un si grand bien. Aussi, la maxime estant veritable que les choses se conservent par les moyens qui les ont produites : puisque ce Dauphin avoit esté obtenu par les vœux et prieres de tous les bons françois, c’estoit pas les mesmes prieres qu’il leur devoit estre conservé. »

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