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Louis XIV
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Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Rueil, le 20 juin 1670
Nous étions mardi à la Cour pour faire compliment à Leurs Majestés sur leur voyage et heureux retour, monsieur le nonce et moi d’ambassadeurs, les envoyés et résidents de Portugal, Suède, palatin et de Mantoue. Nous ne pûmes voir le Roi contre la coutume que l’après dîner, car, encore qu’il se porte bien, néanmoins il se baigne le matin dans la chambre par précaution. Je lui fis le compliment sur la bonne santé qui l’a accompagné dans son voyage, où je l’assurai que Votre Altesse royale l’avait suivi de ses vœux et de ses souhaits, ce que j’accompagnai d’expressions de vénération et de partialité. Il me répondit qu’il avait trouvé les choses en bon état en Flandres et mieux que quand nous y avions été ensemble, qu’il était très satisfait de son voyage. […]
[p. 444] Il me demanda ensuite avec amitié des nouvelles de la santé de Vos Altesses royales et de celle de monseigneur le prince et me témoigna de la joie quand je l’assurai qu’elles étaient parfaites, et je sortis d’auprès de lui très satisfait comme toutes les autres fois que j’ai eu l’honneur d’en [p. 445] approcher. Je vis ensuite la Reine et puis le Dauphin, dont je reçus aussi des grandes marques de bonté pour Vos Altesses royales et de ce prince, qui est toujours plus spirituel, pour monseigneur le prince de Piémont.
Madame arriva avant hier au soir à Saint Germain, fort satisfaite des honneurs, des caresses et des présents que le roi et la reine d’Angleterre lui ont faits, entre autres d’un poinçon et d‘une paire de boucles d’oreilles de grand prix. Leurs Majestés la reçurent avec des grands témoignages de bienveillance. Hier matin, avant le dîner, elle alla chez le Roi et l’après dîner le Roi alla chez elle. Ils s’entretinrent longtemps seuls et ont paru très satisfaits de leurs conférences. On dit qu’elle a fait tout ce qu’elle a voulu à l’avantage de la France, que messieurs de Colbert et de Ruvigny ont fort négocié avec Sa Majesté britannique et signé des traités de commerce pour l’Amérique, ce qui portera du préjudice [p. 446] aux Espagnols et Hollandais. M. le maréchal du Plessis y a aussi beaucoup agi et on a assuré que Madame a parole du roi, son frère, qu’il abandonnera la ligue du Nord quand Sa Majesté Très Chrétienne le voudra. On publie par Paris qu’il veut répudier la reine, sa femme, et épouser mademoiselle de Montpensier, que le Roi Très Chrétien achète tous les biens de cette princesse pour le prix de quinze millions. Je ne croirais pas néanmoins à ces deux dernières nouvelles que je n’en aie des assurances solides, car je vois bien des difficultés pour les exécuter.
Madame hait toujours mortellement madame la comtesse de Soissons, ce qui fait qu’on appréhende qu’elle ne lui fasse pièce. Elle est néanmoins à Saint Germain et jusques à présent elle espère d’aller avec la Cour à Versailles, qui part aujourd’hui de Saint Germain pour y aller faire quelque séjour. Les dames de la faveur sont aussi bien et aussi belles que jamais et toutes choses marchent de leur train ordinaire. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le retour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Rueil, le 11 juin 1670
Madame n’est pas encore de retour d’Angleterre. On croit qu’elle passera demain la mer pour en [p. 438] revenir […].
Le Roi arriva samedi au soir à Saint Germain. J’y fus lundi à son lever ; il me salua, d’abord qu’il me vit, avec empressement. J’y répondis le plus respectueusement que je pus, mais tout s’aboutit là : il ne me parla pas, ni moi à lui. Nous irons bientôt à l’audience pour le féliciter de son heureux retour. Nous en avons grand sujet, car jamais il ne s’est mieux porté. La Reine et monsieur le Dauphin jouissent aussi d’une parfaite santé ; ils ont été l’admiration des Flamands. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le départ du roi de Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 2 mai 1670
Le Roi partit lundi dernier de Saint Germain pour le voyage de Flandre, avec une des plus belles et des plus pompeuses suites que l’on puisse voir. Ils étaient huit dans son carrosse, lui, la Reine, Monsieur, madame la duchesse d’Orléans, mademoiselle de Montpensier, la duchesse de La Vallière, la comtesse de Béthune et la marquise de Montespan. Le temps était mauvais aussi bien que les chemins, son carrosse demeura embourbé en plusieurs endroits et une partie des bagages de [p. 423] la Cour, qui ne peut arriver la première nuit à Senlis. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 14 mars 1670
La pauvre madame d’Heudicourt a enfin été forcée de quitter la Cour. […]
[p. 406] Je viens de savoir d’un de mes amis qui est venu exprès de Saint Germain pour me le dire que le Roi veut que madame la duchesse d’Orléans aille en Angleterre pour gagner le roi de la Grande Bretagne en sa faveur, que Monsieur n’a été [p. 407] rappelé qu’à ce sujet, mais qu’il s’oppose tout à fait à ce voyage et qu’il couche tous les jours avec Madame depuis qu’il a su cette affaire afin qu’elle puisse devenir grosse, ce qui l’empêcherait de s’exposer, étant enceinte, à un voyage si long et si périlleux.
La duchesse de La Vallière est assurément grosse ; toute son adresse et du Roi est de le cacher à madame de Montespan jusqu’à ce qu’elle ait accouché, de crainte que cette nouvelle, la fâchant, ne lui cause quelques maux. Le confesseur du Roi, se lassant de cette vie, a voulu entièrement se retirer ; Sa Majesté y a consenti en prenant de sa main un autre confesseur jésuite nommé le père Ferrier, de crainte que l’on ne s’aperçût du sujet de la retraite du premier, qui cause beaucoup de scandale. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 7 mars 1670
L’on a différé le voyage de Flandre au mois de mai ; on attend que les dames soient en état de le faire. Il n’est pas vrai, comme je l’avais écrit, [p. 404] que la dame ait accouché ; le froid l’avait retenue dans sa chambre et, comme on ne la voyait pas, on avait cru, à Saint Germain même, qu’elle eût fait un enfant. Elle est néanmoins dans son neuvième mois et on ne croit pas que l’on aille dehors qu’elle ne soit relevée de ses couches, car on s’ennuierait aux Pays Bas si elle n’y était pas.
Monsieur est autant soumis qu’il était fier à son départ, et Madame triomphe de le voir ainsi réduit. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 26 février 1670
Je fis savoir par le dernier courrier à Votre Altesse royale que l’on conjecturait le retour de Monsieur à la Cour sur les négociations que la princesse palatine était allée faire à Villers Cotterets. On ne s’était pas trompé car soudain qu’elle fut revenue vendredi au soir, elle fit une dépêche à Saint Germain qui obligea le Roi d’envoyer samedi M. Colbert à Monsieur lui dire qu’il souhaitait le voir, à quoi il se soumit d’abord. Lui et Madame vinrent ici lundi et, le même jour, ils allèrent voir le Roi, qui les reçut très bien et qui les a fait loger dans son grand appartement, parce qu’ils avaient fait démeubler le [p. 402] leur au château neuf. On assure qu’on a envoyé les ordres pour la liberté du chevalier de Lorraine, moyennant qu’il aille faire séjour pour quelque temps à Rome ou à Malte. Le Roi lui donnera dix mille écus de pension, et les abbayes qui avaient fait la cause de son malheur à l’abbé d’Harcourt, son frère. Ainsi voilà une affaire accommodée selon la volonté de Sa Majesté, comme il est très juste.
Le Roi et Madame se sont écrit durant qu’elle a été éloignée de lui. Sa Majesté la raillant sur les ennuis qu’elle devait avoir à la campagne, elle lui fit réponse qu’elle étudiait l’italien, mais qu’elle le priait de ne pas la laisser aller jusqu’au latin, et lui demandait des nouvelles des loteries de Saint Germain, ce qui donna lieu au Roi de lui envoyer quatre cassettes fort riches, feignant que c’étaient des lots qui lui étaient échus par hasard, dans lesquelles il y avait quatre billets de cinq cents louis chacun, quantité de bijoux enrichis de pierreries et entre autres une paire de souliers de campagne propres à se promener par le parc de Villers Cotterets, dont les boucles valent mille louis. On fait monter ce présent à [p. 403] 200000 livres ; on m’a dit néanmoins qu’il en faut rabattre une partie.
Le Roi se trouva hier matin mal des vapeurs, il fut nécessité de se mettre au lit et à prendre des pilules. C’est un effet du dégel. J’y ai envoyé un de mes fils pour en savoir des nouvelles, n’ayant pu y aller pour avoir un peu de fluxion sur un œil. Je ne sais si les fréquentes attaques d’un mal si fâcheux ne feront point changer sa Majesté la résolution qu’Elle avait formée de partir le quatorzième du mois d’avril pour la Flandre, les ordres ayant été donnés pour cela, et les magasins qui faits pour les fourrages nécessaires aux troupes doivent l’escorter, que l’on fait monter à 10000 chevaux. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 21 février 1670
Ces dames se divertiront à Saint Germain à leur ordinaire et à des loteries durant le carême. Le Roi se porte assez bien, il a de l’embonpoint, mais je croirais plutôt qu’il est bouffi. Il fait exercice et, quand il fait beau, il chasse trois fois [p. 400] la semaine le lièvre avec la meute des mousquetaires. Il dit toujours qu’il veut faire le voyage de Flandre, on croit qu’il sera de peu de durée ; le nonce et l’ambassadeur de Venise n’y iront pas, mais bien celui d’Angleterre, à ce qu’il m’a dit, et veut que nous soyons toujours ensemble. Je ne résoudrai rien néanmoins pour ce voyage que je n’en aie de nouveaux ordres ; que si Votre Altesse royale veut absolument que je le fasse, Elle me fera savoir au plus tôt, et comme Elle a la générosité de me vouloir faire une gratification pour cela, je la supplie d’y donner ordre. J’en suis dans la confusion puisque je n’ai pas pu mériter ses grâces par aucuns services ; il sera néanmoins fâcheux, si le Roi va avec précipitation, on pourra peu le voir ; et il faudra un équipage quasi comme pour l’armée, autant pour la réputation que pour se garantir d’incommodité. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 3 février 1670
Quand on est obligé à écrire des nouvelles sur le récit d’autrui, c’est souvent contre la vérité ; il en a été de même de la relation que je fis vendredi au soir à Votre Altesse royale de la retraite de Monsieur de la Cour et de la prison de M. le chevalier de Lorraine pour beaucoup de circonstances, quoique j’eusse su ce que je lui en mandai sur le récit qu’en avait fait M. le comte de Charost et madame la comtesse du Plessis dans le propre logis de Monsieur, au Palais Royal. Voici, Monseigneur, la pure vérité écrite par [p. 389] madame de Montespan à M. le duc de Mortemart, son père, que j’ai sue de madame de Tambonneau, son intime et bien aimée amie. Mais je supplie Votre Altesse royale que personne ne sache que je lui ai nommé toutes ces personnes.
L’abbé de La Rivière, évêque de Langres, avait deux abbayes, de l’apanage de Monsieur. Comme il était vieux et valétudinaire, il y a longtemps qu’il attendait sa mort pour les donner au chevalier de Lorraine ; il le dit au Roi à Chambord, qui lui répondit que ledit chevalier n’étant pas ecclésiastique, sa conscience ne lui permettait pas d’y consentir, qu’outre cela il faisait une vie trop libertine pour posséder des bénéfices. Monsieur l’ayant prié instamment de l’agréer, Sa Majesté lui repartit encore qu’il était impossible, mais qu’à la considération de ce qu’il aimait, quoiqu’il eut peu d’estime pour ledit chevalier, qu’il lui donnerait 40000 livres de pension quand lesdites abbayes viendraient à vaquer. Monsieur ayant rapport tout ceci au chevalier de Lorraine, [p. 390] ils firent cent railleries sur la conscience du Roi à cause des dames, et qu’il a sues. Le Roi accuse aussi le chevalier de Lorraine de l’infâme crime de sodomie avec le comte de Guiche et même des hommes qui ont été brûlés pour cela en Grève.
L’évêque de Langres étant mort jeudi matin, Monsieur dit au Roi qu’il avait donné les abbayes au chevalier de Lorraine ; il lui répliqua qu’il ne le voulait pas. Monsieur lui répondit que c’était une affaire faite ; Sa Majesté lui dit encore qu’il l’empêcherait. Ils s’échauffèrent tous les deux, les assistants s’en aperçurent et qu’il y avait de la mésintelligence, sans en savoir la cause. Le Roi, au sortir de la chapelle, monta en carrosse et alla à Versailles. Monsieur se retira chez lui, fort atterré, s’enferma dans un cabinet avec le chevalier de Lorraine, lui dit ce qui s’était passé et que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il voulait à l’heure se retirer de la Cour. Il le pria de n’en rien faire, que cette action nuirait à tous les deux. Monsieur fit appeler M. Le Tellier, lui parla fort atterré, se plaignit du Roi, lui dit que l’on lui avait inspiré les mauvais traitements qu’il lui faisait [p. 391] et s’emporta beaucoup. M. Le Tellier tâcha de le ramener et, voyant qu’il continuait toujours du même ton, il lui demanda qu’il voulait qu’il écrivit au Roi tout ce qu’il venait de lui dire ; Monsieur lui ayant dit qu’il lui ferait plaisir, le ministre alla l’écrire au Roi qui, recevant sa lettre, n’en témoigna rien. M. Colbert étant arrivé à Saint Germain, Monsieur le fit aussi appeler et lui parla avec le même feu qu’il l’avait fait à M. Le Tellier.
A l’entrée de la nuit, le Roi arriva de Versailles et alla à droiture chez madame de La Vallière. Madame la duchesse d’Orléans lui envoya un gentilhomme lui dire qu’elle ne pouvait sortir du château neuf, qu’elle le suppliait de vouloir aller pour chose qui lui importait beaucoup. Sa Majesté s’y rendit à l’abord. Madame le pria de vouloir que le chevalier de Lorraine eût les abbayes ; il lui dit qu’il ne se pouvait ; elle le lui demanda en grâce, il persista dans son refus, lui représentant qu’elle avait oublié tous les mauvais traitements qu’on lui avait faits. Elle lui témoigna qu’elle préférait la satisfaction de Monsieur à ses intérêts, que le chevalier de Lorraine était un [p. 392] jeune homme, qu’il changerait de conduite, le supplia de lui pardonner et, voyant qu’elle ne pouvait rien gagner, elle se jeta aux genoux du Roi, la larme à l’œil, lui témoignant que le plus grand déplaisir qu’elle avait était de se séparer de sa personne mais qu’elle était obligée de suivre Monsieur qui s’en voulait aller.
Le Roi se retira en disant que, puisque son frère se séparer de lui pour cela, qu’il saurait châtier ceux qui en étaient cause et fomentaient leur désunion. Il donna d’abord les ordres pour fortifier la garde de monsieur le Dauphin, qui loge dans le château neuf, et de prendre toutes les avenues. M. le comte de Vaillac s’en étant aperçu, qui est capitaine des gardes de Monsieur, lui en donna avis ; il lui en répliqua qu’il en savait la cause, néanmoins il témoigna quelques peines. M. Le Tellier entra ensuite dans sa chambre et lui dit de la part du Roi que, la nécessité de son service l’obligeant de s’assurer de la personne du chevalier de Lorraine, qu’il serait fâché d’être forcé de le faire arrêter dans son appartement et en sa présence ; il lui répliqua [p. 393] que, puisque le Roi en usait de la sorte, qu’il allait partir pour Villers Cotterets ; ce ministre lui représenta qu’il ne le devrait pas faire mais seulement aller à Saint Cloud, qu’il était aisé de sortir de la Cour de cette sorte mais qu’on ne savait pas quand on y pourrait revenir. Monsieur lui dit fortement qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues du Roi, qu’il y irait et qu’il ne reviendrait jamais auprès de lui qu’avec le chevalier de Lorraine ; puis, se tournant au chevalier, il l’embrassa, l’assura de la continuation de son amitié et lui dit de suivre M. Le Tellier. Ils sortirent ensemble ; le chevalier lui demanda ce qu’il avait à faire, qu’il était prêt à obéir aux ordres du Roi. M. Le Tellier lui répondit qu’il n’avait rien à lui commander de sa part.
Comme ils furent dans la cour du château vieux, le comte d’Ayen l’arrêta et le chevalier de La Ilhière ; ils lui demandèrent son épée, puis le sortirent de là. Il demanda au comte d’Ayen où il le menait ; il lui répondit : « Dans ma chambre », où, étant arrivé, [p. 394] il souhaita de voir M. le Grand et le comte de Marsan, ses frères ; on lui dit qu’il ne pouvait mais qu’il pouvait écrire à qui il voudrait. Il fit quatre lettres : une à Monsieur, au comte de Marsan, à mademoiselle de Fiennes et à l’intendant de sa maison ; il voulut les montrer au comte d’Ayen, il dit qu’il n’avait pas ordre de les voir ; on croit néanmoins que le Roi les a lues. Il priait Monsieur de lui continuer l’honneur de sa bienveillance et que, s’il avait encore quelque amitié pour lui, il le suppliait de protéger et d’assister mademoiselle de Fiennes. Monsieur lui a fait réponse qu’à sa considération il aurait soin de la demoiselle, qu’il se consolât, parce qu’il courrait toujours la même fortune que lui. Ledit chevalier coucha à Saint Germain, il n’a pas été à la Bastille, on lui demanda combien il voulait de domestiques, qu’il pouvait prendre ceux qu’il voudrait : il choisit deux de ses gentilshommes et deux valets de chambre. Il partit le vendredi dans son carrosse, où il y a un lieutenant des gardes du corps avec une [p. 395] forte escorte ; il doit aller à Pierre Encise, des autres disent à la citadelle de Montpellier et peut être à Collioure sur les frontières de Catalogne.
Monsieur partit samedi d’ici pour Villers Cotterets avec Madame, suivi de douze carrosses à six chevaux ; ils ont laissé ici Mademoiselle et la maréchale du Plessis auprès d’elle ; la maréchale de Clérembault, qui a été nommé par le Roi pour la gouvernante, se trouvant en Poitou, Monsieur lui a dépêché un courrier pour qu’elle ne vienne pas ; il dépêcha un courrier en Angleterre, et, à ce que l’on dit par Paris, un autre en Piémont, ce que je ne crois pas. Le maréchal du Plessis, comme officier de la Couronne et peut être pour voir s’il trouverait jour à quelque accommodement, demanda au Roi congé de suivre son maître, qui lui répliqua : « Eh quoi ! Monsieur partir ? » Le maréchal répliqua que oui. Sa Majesté lui répondit : « Qu’il aille, et vous le pouvez suivre ».
Quoiqu’en apparence l’affaire des abbayes soit la cause de cette querelle ci aussi bien que la fermeté et résolution de Monsieur, on dit que le roi d’Angleterre avait prié Sa Majesté Très Chrétienne [p. 396] d’ôter d’auprès de Monsieur le chevalier de Lorraine, qu’il était cause des mauvais traitements que recevait sa sœur, à moins de quoi il serait obligé de la retirer à Londres.
Le Roi a paru fort chagrin et triste depuis cette affaire, quoiqu’il affecte le contraire, puisqu’il continue à faire des loteries et que demain on dansera le ballet ; néanmoins, il appréhende des brouilleries et qu’il ne se forme quelque parti en faveur de Monsieur, car, dans le fond, si la chose ne s’accommode bientôt, Monsieur s’ennuiera à Villers Cotterets, son dépit et sa rage augmenteront, et il se trouvera forcé à accepter des partis qu’on ne manquera pas de lui offrir du dehors. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 31 janvier 1670
Bien que j’aie su dès le point du jour et même avant que de commencer cette lettre que M. le chevalier de Lorraine avait été hier soir arrêté prisonnier à Saint Germain et que Monsieur en était parti à l’heure, très mal satisfait, néanmoins je n’ai pas cru le devoir faire savoir à Votre Altesse royale que je n’en susse au vrai toutes les circonstances et les causes, ce que j’ai eu de la peine à débrouiller parce qu’on en parle bien différemment à Paris, mais à la fin j’ai su ce [p. 384] qu’Elle verra dans le mémoire ci-joint de ma main, que je n’ai pas le temps de faire copier parce qu’il est fort tard.
Relation de ce qui s’est passé à Saint Germain la nuit du 30 janvier 1670
Le Roi fit donner une petite revue à ses gardes du corps pour avoir prétexte de les assembler et donner ordre à M. le comte d’Ayen, fils de M. le duc de Noailles, capitaine de quartier, et à M. le comte de Lauzun, marquis de Péguilin, d’en prendre quatre cents à l’entrée de la nuit et de se rendre maîtres de toutes les avenues du château neuf, ce qui ne se put faire sans que Monsieur, qui y avait son logement, n’en fût averti, dont il fut fort surpris et en peine. M. Le Tellier entra d’abord dans sa chambre et lui dit que le Roi était fâché d’être forcé, pour le bien de ses affaires, de s’assurer de M. le chevalier de Lorraine, qu’il croyait qu’il y donnerait les mains de bonne grâce puisque Sa Majesté lui avait donné l’ordre de l’assurer de la continuation de son amitié et de son estime. Monsieur lui répartit que, quels traitements que le Roi fît à ce chevalier, [p. 385] qu’il l’aimerait toujours parfaitement et qu’il lui donnerait toute sa confiance mais que, puisque le Roi le traitait de la sorte, qu’il allait partir à l’heure même pour se retirer à Villers Cotterets. M. Le Tellier lui voulut représenter qu’il ne fallait pas aller si loin, que ce serait assez de se retirer à Saint Cloud ; Monsieur lui répliqua qu’il voudrait avoir une maison à trois cents lieues de La Cour pour s’y aller consoler.
M. Le Tellier, voyant entrer le comte d’Ayen dans la chambre, passa en l’appartement de madame la duchesse d’Orléans ; ce comte dit à Monsieur qu’il avait un extrême regret d’être obligé d’exécuter les ordres qu’il avait en sa présence ; il lui répliqua qu’il entendait assez ce qu’il lui voulait dire, il se tourna au chevalier de Lorraine, l’embrassa et se retira dans son cabinet, la larme aux yeux. Le comte d’Ayen fit prisonnier le chevalier de Lorraine avec toute la civilité possible, sans lui ôter son épée, le conduisit dehors de l’appartement de Monsieur, le remit au comte de Lauzun, qui l’amena sur l’heure à la Bastille, dont il est parti aujourd’hui pour être enfermé dans le château de Pierre Encise à Lyon.
[p. 386] M. Le Tellier, qui était passé chez Madame, lui fit le récit de toute la chose et lui demanda ce qu’elle ferait ; elle lui répartit hardiment : ce que Monsieur lui ordonnerait. Ils partirent sur le champ et arrivèrent à Paris environ minuit. Monsieur fit appelée l’ambassadeur d’Angleterre et l’abbé Montaigu, il demeura enfermé avec eux jusques à quatre heures ; on dit qu’il pressa fort ledit ambassadeur d’aller à Saint Germain, qui s’en excusa, et à son refus l’abbé de Montaigu a fait ce voyage là ce matin.
On parle diversement par Paris du sujet de cette détention. On dit que l’évêque de Langres étant mort, qui était cet abbé de La Rivière qui avait tant eu de crédit auprès de feu M. le duc d’Orléans, a laissé vacantes deux abbayes valant de revenu 40000 livres, qu’elles sont dans l’apanage de Monsieur et par conséquent de sa nomination ; que, les ayant données au chevalier de Lorraine et en ayant demandé l’agrément au Roi, il lui répondit [p. 387] que, n’étant pas prêtre, il en avait du scrupule et qu’alors il se passa entre eux quelques paroles d’aigreur. Mais ceux qui savent l’état des choses et qui en jugent sainement croient que le roi d’Angleterre a voulu la prison de ce chevalier, lui imputant les mauvais traitements que reçoit Madame, ceux que l’on a faits à madame de Saint Chaumont et à M. l’évêque de Valence, ses créateurs. En effet, bien que Madame suive Monsieur, elle a de la joie du malheur du chevalier de Lorraine et d’avoir l’avantage de s’être vengée du crédit du roi, son frère, que l’on ne veut pas maintenant fâcher ici.
On dit que Monsieur persiste dans la résolution de partir de Rueil pour Villers Cotterets, quoique MM. Le Tellier et de Lauzun soient venus aujourd’hui de Saint Germain pour lui parler. Il pourrait bien avoir le loisir de s’en repentir : s’il est bien conseillé, il se soumettra aux volontés du Roi ; il ne sera suivi que par ceux de sa maison et s’y divertira mal. Il n’est plus le temps d’autrefois que, quand un Fils de France se retirait de la Cour mal satisfait et était une fois à trois lieues de Paris, l’on croyait le royaume bouleversé et [p. 388] en péril ; chacun armait pour son parti et les mécontents levaient le masque ; présentement personne ne bougera, tout le monde est soumis dans le devoir et dans la crainte, le Roi dans la souveraine puissance, fort en argent et en troupes, maître des parlements, des places et de tout ce qui es dans son royaume. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 6 décembre 1669
Je crois que les dames de la faveur gagneront leur cause et qu’elles empêcheront la Cour de venir cet hiver à Paris ; tout le monde en enrage, on en fait cent contes. L’autre jour, M. le Grand, voyant sur un balcon mesdames de La Vallière, de Montespan et de Soubise, dit tout haut : « Voilà [p. 371] le temps passé, le présent et le futur ». Chacun en dit librement sa pensée et pas un en bien ; le Roi le sait, il s’en rit, il ne laisse pas de s’en divertir, et j’admire en cela sa modération et sa conduite car s’il en faisait quelque démonstration, elle le rendrait haïssable et tout le monde en murmurerait. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 22 novembre 1669
[…]
[p. 362] Je n’ai pas pu aller cette semaine à Saint Germain à cause des affaires de Madame ; mais j’y irai dimanche ou mardi et porterai le dessin de la Vénerie royale pour le faire voir au Roi. Vendredi dernier que j’y fus, je vis madame la duchesse de La Vallière à la messe, elle était dans les tribunes d’en haut ; dès que j’y jetai les yeux, j’en reçus un grand salut auquel je répondis par des révérences très soumises. J’ai su que le Roi et elles ont été très satisfaits de ma visite. Je ne saurais les lui continuer parce que personne ne va chez elle, mais chez la Reine et partout où je la trouverai je la visiterai et tâcherai de la bien persuader de l’estime qu’a pour elle Votre Altesse royale et des ordres qu’Elle m’a donnés de lui faire ma cour et de lui rendre dans toutes sortes de rencontres mes fidèles et respectueux services.
Le Roi, sans que personne le sache, a fait préparer [p. 363] de beaux appartements à ces dames dans les Tuileries et s’est enfin résolu de venir faire quelque séjour en cette ville car les fermiers des entrées demandent de grands rabais à cause qu’il demeure si longtemps à Saint Germain. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 15 novembre 1669
[…]
[p. 360] Il n’y a pas de nouvelles à la Cour, les choses y vont de leur train ordinaire, les dames y sont belles, propres et de bonne humeur parce qu’elles se divertissent bien et sont riches ; elles sont aussi les seules, tout le reste rampe et, hors de leur appartement, il n’y a ni joie ni contentement à Saint Germain, où Leurs Majestés passeront l’hiver, de quoi il me fâche fort car pour [p. 361] être là à temps pour voir le Roi ou les ministres, il faut en ce temps ci partir une heure avant le jour, outre qu’il en coûte beaucoup dans ces hôtelleries, mais il faut s’y résoudre et n’en pas parler puisque le Roi s’y aime. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une visite à la duchesse de La Vallière à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 12 novembre 1669
Je viens de Saint Germain, où j’étais allé exprès pour voir madame la duchesse de La Vallière, M. de Bonneuil m’ayant dit samedi dernier qu’elle recevrait à grand honneur la visite que je lui voulais faire. M. de Bonneuil m’y a introduit d’abord après dîner et, en montant à son appartement, il m’a dit que je n’y demeurasse pas longtemps parce que le Roi l’attendait pour aller au promenoir. Elle m’a reçu avec sa bonne grâce et civilité ordinaires ; je lui ai fait mot pour mort le compliment que Votre Altesse royale m’avait commandé ; elle m’a répondu qu’elle était bien obligée à Votre Altesse royale de l’honneur qu’Elle lui faisait ; [p. 354] qu’elle le recevait avec respect et qu’elle la remerciait des bontés qu’elle avait pour M. le duc de Vermandois, en attendant qu’il fût en âge de l’en aller remercier lui même. Nous avons fait encore quelques compliments réciproques et très obligeants, puis je me suis retiré. Il y avait dans sa chambre mesdames les marquises de La Vallière et d’Heudicourt ; madame de Montespan n’a pas tardé de les joindre, car, comme j’étais au bas de leurs degrés, elles sont descendues, montées en carrosse et allées attendre le Roi à Versailles, qui les a suivies de bien près.
J’ai été fâché de ce voyage, qui est cause que j’ai pu si peu demeurer auprès de cette dam, où je m’aimerais fort. Je l’ai trouvée toujours mieux faite que l’autre ; elle a ce je ne sais quoi qui sait charmer et, si elle avait de l’embonpoint, elle passerait pour très belle. Son appartement est merveilleux autant pour la propreté que pour la richesse. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une audience du roi à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 25 octobre 1669
Nous fûmes hier, M. le marquis de La Pierre et moi, conduits par les introducteurs dans les [p. 345] carrosses de Leurs Majestés à Saint Germain. Nous eûmes audience du Roi. Tous les ambassadeurs lui firent le compliment de condoléances sur la mort de la reine mère d’Angleterre. Je lui témoignai aussi la sensible doubleur que Votre Majesté royal en a eue. Je lui présentai ensuite M. le marquis de La Pierre, qui s’acquitta dignement de son compliment avec esprit et bonne grâce ; le Roi lui témoigna par un discours fort obligeant combien il sait bon gré à Votre Altesse royale de la part qu’Elle prend en la conservation de monsieur le Dauphin et fit connaître qu’il avait fort agréé le discours dudit marquis, que toute la Cour trouva très bien fait. Je remerciai aussi Sa Majesté des sentiments qu’Elle a eus du mal de Votre Altesse royale et de la bonté qu’elle avait eue de la faire visiter par un gentilhomme. Il m’assura qu’il avait été en des grandes peines de sa maladie puis qu’il lui souhaitait une santé aussi parfaite qu’à soi même ; il me chargea de la prier de vouloir se conserver pour l’amour de lui.
Nous vîmes monsieur le Dauphin, qui nous [p. 346] demanda des nouvelles de la santé de Votre Altesse royale et, avec la gentillesse qui accompagne toutes ses actions, il chargea M. le marquis de La Pierre d’assurer bien de ses services Vos Altesses royales et monseigneur le prince de Piémont.
La Reine s’était habillée de son mante de deuil pour nous recevoir, mais à midi il lui survint un dévoiement qui nous priva de l’honneur de lui faire la révérence ; on nous a remis à dimanche pour cela. Nous ne vîmes pas M. le duc d’Anjou ni Madame, parce qu’ils dormaient. Monsieur et madame la duchesse d’Orléans n’ont pas voulu recevoir nos compliments à Saint Germain, parce qu’ils n’y ont pas des appartements tenus de deuil ; ils seront ici pour cela un jour de la semaine prochaine. On nous donna à dîner à Saint Germain à l’ordinaire quand on y conduit des envoyés. […]
[p. 348] Comme la Cour arriva dimanche à Saint Germain et que M. de Bonneuil se préparait d’y aller, je lui ai fait voir la lettre que Votre Altesse royale m’a commandé de lui montrer ; il me promit de dire au Roi tout ce qu’elle contenait et de savoir adroitement s’il trouverait bon que je visitasse madame de La Vallière. Hier, à Saint Germain, il m’assura qu’il avait fait le récit au Roi de tout ce qu’il avait lu dans la lettre de Votre Altesse royale, qu’il en avait témoigné de la joie et de l’étonnement que Votre Altesse royale m’écrivit de si longues lettres de sa main et d’affaires ; il lui montra aussi la bague que Votre Altesse royale lui a envoyée, qu’il avait effectivement au doigt ; et quand à la visite de madame de La Vallière, le Roi lui dot de savoir d’elle si elle l’agréerait, il me donna parole de m’en rendre réponse aujourd’hui ou demain. Je lui représentai qu’il ne fallait pas qu’il la vît que le Roi ne fût [p. 349] allé au préalable chez elle, afin qu’elle sût ses sentiments puisque assurément il ne manquerait pas de l’en entretenir dès qu’elle l’approcherait. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant sa réception à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, le 6 mai 1667
Monseigneur,
Hier, M. Giraud me vint avertir qu’il me viendrait prendre aujourd’hui dans les carrosses du Roi et de la Reine pour me mener à Saint Germain. Nous sommes partis ce matin à six heures ; tout ce qu’il y avait ici de personnes de qualité de Piémont et de Savoie ont pris la peine d’y venir et tous en habits neufs et très lestes.
Nous sommes arrivés à Saint Germain à neuf heures ; nous avons trouvé à la descente du carrosse M. de Bonneuil, introducteur, qui nous a conduits à la chambre où l’on attend l’heure du Roi ; à dix heures et demie, j’ai été conduit à l’audience et j’ai su par M. de Bonneuil que je pouvais parler d’affaires au Roi, parce qu’il veut se décharger d’embarras, croyant de partir bientôt.
[p. 19] J’ai été conduit dans la chambre du Roi dans la manière accoutumée. Je l’ai trouvé assis dans sa ruelle, le chapeau sur la tête, vêtu d’un justaucorps de velours noir, une demi veste de dorure, et une canne à la main. Il y avait dans le balustre le duc de Bouillon et le comte du Lude, et dehors, à l’entrée, M. de Lionne et M. de Charost, capitaine des gardes, et la chambre était si pleine que j’ai eu peine à passer. J’ai fait une profonde révérence au Roi, il a levé son chapeau, puis l’a remis ; je lui ai fait les compliments de Votre Altesse royale et lui ai remis sa lettre. Il me semble qu’il n’avait point sa fierté accoutumée, mais un visage fort doux ; il m’a dit : « Il y a longtemps que je suis persuadé de l’amitié de M. le duc de Savoie, je voudrais bien pouvoir lui témoigner celle que j’ai pour lui et la passion que j’ai pour son service », puis qu’il avait bien été fâché de la [p. 20] mort de feu M. le comte de La Trinité, mais qu’il avait bien de la joie de me voir. Je lui ai après fait les compliments de Madame Royale ; il y a répondu avec de grandes marques d’estime. Il m’a demandé l’état de santé de Votre Altesse royale et de monseigneur le prince. Après lui avoir répondu qu’elles étaient parfaites, je lui ai expliqué fort au long le sujet pour lequel Votre Altesse royale m’a envoyé à lui et lui ai fait une grande déduction des affaires de Genève ; je n’y ai pas oublié une circonstance et je lui ai dit à peu près les mêmes choses que je dis à M. de Lionne quand je le vis. Le Roi ne m’a [p. 21] jamais interrompu et m’a écouté attentivement plus d’un quart d’heure, puis m’a dit qu’il ferait sur ce sujet tout ce que vous désireriez de lui, mais qu’il lui semblait que vous souhaitiez un aimable. Je lui ai dit que Votre Altesse royale ferait tout ce qu’il vous conseillerait pourvu que votre réputation fût à couvert ; il m’a expliqué qu’il songerait aux moyens pour vous faire donner les satisfactions qui sont dues à Votre Altesse royale et que pour tout ce que j’aurais à lui expliquer de la part de Votre Altesse royale, que je n’avais qu’à parler à M. de Bonneuil pour l’avertir et qu’il m’écouterait toujours volontiers. Je me suis congédié de lui et, en quittant, il m’a chargé de bien assurer Madam Royale de son amitié et de son estime. Je lui ai présenté les gentilshommes qui étaient avec moi, puis je me suis retiré à la chambre où j’avais mis pied à terre. M. le marquis de Cœuvres m’y est [p. 22] venu entretenir, et après lui M. le marquis de Bellefonds. Ce sont deux des hommes les plus accrédités à la cour pour leur sagesse et pour la guerre et tous deux bons et véritables serviteurs de Votre Altesse royale.
Nous avons dîné à la table de M. de Bellefonds, puis j’ai été conduit à l’audience chez la Reine. Je lui ai fait les compliments de Votre Altesse royale, remis sa lettre et celle de Madame Royale. elle les a reçus avec joie, elle m’a témoigné grande estime pour Vos Altesses royales et passion de les servir, et, si je ne me trompe, elle a amitié pour vous deux ; c’est une princesse accueillante et qui est belle.
A cause du prompt voyage de la cour, M. Giraud m’a conseillé de présenter aujourd’hui le tambour, si bien qu’allant à l’audience chez monsieur le Dauphin, où j’y ai trouvé les gardes sous les armes et l’officier des gardes qui les commande à la porte, et lui assis et couvert, il a levé son chapeau. Je lui ai fait la révérence et compliment de la part de Votre Altesse royale ; il s’est puis levé, le chapeau à la main, et madame [p. 23] la maréchale de La Mothe a répondu comme en l’instruisant de ce qu’il devait dire. Je lui ai après présenté le tambour, il en a été ravi, il a fallu le lui pendre au col, lui expliquer tout ; il en est empressé tout à fait et le présent a été trouvé le plus beau, le plus galant, le mieux inventé et le plus riche qui se puisse voir ; chacun court chez monsieur le Dauphin pour le voir ; l’on admire aussi les vers. Monsieur le Dauphin est un beau prince, [p. 24] un esprit vif, parle bien, mais il est opiniâtre et ne craint que le Roi ; il porte les chausses et la perruque.
De là, j’ai été conduit chez la petite Madame ; elle est tout à fait belle et bien nourrie. J’ai adressé ma parole à madame la maréchale de La Mothe et, après les compliments, parlant de sa santé et de sa beauté, je lui ai dit que nous serions bienheureux en Savoie et en Piémont si la petite Madame prenait l’inclination pour ces pays là qu’avaient mesdames Marguerite et Chrétienne, toutes deux Filles de France. Elle m’a répondu [p. 25] qu’elle souhaiterait fort des choses pareilles comme avantageuses à Madame.
Au sortir de là, nous sommes montés en carrosse et arrivés ici à sept heures. Je solliciterai à avoir mes audiences de Monsieur et de Madame d’Orléans, puis de Madame, la douairière.
[…]
[p. 28] Je viens de savoir d’un de mes amis qui vient de Saint Germain qu’après mon départ monsieur le Dauphin, conduit par madame la maréchale de La Mothe, a porté le tambour dans le Conseil, que le Roi et les ministres ont été plus de demi heure à le considérer et qu’ils l’ont admiré. Chacun demeure d’accord que l’on ne peut rien faire de plus mignon à Paris. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une comédie donnée à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 30 août 1669
J’ai commencé cette lettre ce matin à Saint Germain, où j’allai coucher hier au soir pour y voir la comédie. Le Roi m’a donné audience après son dîner. Je lui ai expliqué les ordres que Votre Altesse royale m’a donnés sur la mort de messieurs de Vendôme et en faveur de leurs successeurs, [p. 334] puis je lui ai présenté M. d’Arvey, qui lui a fait son compliment et offert les lettres de Vos Altesses royales parce que M. de Laon a jugé qu’il ferait mieux. […]
Monsieur le Dauphin a encore eu quelques attaques de fièvre, que l’on dit considérables, mais on le cache à cause de la Reine. Néanmoins, j’ai envoyé ce matin mon fils aîné à M. de Montausier pour en savoir des nouvelles ; il l’a introduit [p. 335] dans sa chambre, il a voulu qu’il lui ait fait son compliment, il l’a trouvé assis dans son lit qu’il se jouait et il lui a répondu qu’il m’était bien obligé du soin que je prenais de sa personne et qu’il était mon serviteur.
La petite Madame a été malade. Elle se porte mieux, on l’a ainsi dit à un gentilhomme que j’ai envoyé chez elle pour savoir l’état de sa santé.
J’ai été honoré par le dernier ordinaire de la lettre de la main de Votre Altesse royale du dix sept de ce mois. J’ai témoigné à M. de Péguilin combien elle et Madame Royale preniez de part à son avancement ; il m’a témoigné qu’il en avait grande reconnaissance et m’a assuré qu’elles n’avaient pas ici de plus fidèle serviteur que lui.
Dimanche qu’il y eut à Saint Germain comédie, je le fis prier d’y faire avoir place à messieurs d’Arvey et chevalier d’Aglié. On lui parla un peu tard ; il leur fit donner néanmoins un exempt des gardes pour les faire placer, mais le grand monde et la confusion fut cause qu’ils ne purent pas l’être et ils furent un peu poussés, ce qui les obligea à sortir de la salle et ils ne virent rien. Mon fils ainé fut poussé assez rudement par un lieutenant [p. 336] des gardes qui le voulait faire reculer, mais le marquis de Rochefort, qui le vit et qui est capitaine des gardes du corps, lava bien la tête à cet officier, prit mon fils par la main et le fit asseoir sur un banc le plus approché du Roi et à côté du comte de Sault. Le Roi, ayant su tout ce désordre, s’en est fâché fortement ; le sieur de Bonneuil m’en a parlé de sa part et, pour lui témoigner la reconnaissance que j’en ai, je fus hier à cette comédie ; je fus reçu par ledit sieur de Bonneuil et le chevalier de Forbin, major des gardes ; on me rendit plus d’honneurs qu’à l’ordinaire et à tous mes gentilshommes, qui furent placés dans les premières places. Le chevalier d’Aglié n’y vint pas avec moi ; le Roi veut qu’il y aille ; ce sera demain avec ma fille, car la Reine, sachant qu’elle n’y fut pas bien dimanche, elle veut qu’elle y retourne et prendre elle même le soin de la placer.
J’ai cru devoir faire ce petit détail à Votre [p. 337] Altesse royale sur ce qu’Elle pourrait savoir cette affaire différemment. La comédie est galante, il y a de belles entrées de ballet et bonne musique et concert. M. le prince de Toscane y a assisté toutes les trois fois que l’on l’a jouée ; il n’était pas avantageusement placé car il était sur un banc que, bien qu’il fût proche du Roi, il y avait auprès de lui des gentilshommes qui ne font pas ici la première figure.
Après l’audience que j’ai eue aujourd’hui du Roi, je l’ai voulu remercier du magnifique présent qu’il a fait à ma fille ; il ne m’a pas voulu écouter. Néanmoins je lui ai témoigné mes reconnaissances et que j’avais rendu compte à Votre Altesse royale des générosités qu’il faisait à ceux qui sont à Elle. Toute la Cour a témoigné grande joie de ce bienfait qu’il a fait à l’Angélique et font connaître d’être satisfaite de mes civilités et de celles de ma famille. j’ai fait passer ce poinçon pour valoir mille louis, quoiqu’il ne vaille que deux mille écus au plus. On m’a assuré que le Roi avait commandé à M. de Colbert de l’acheter mille et cinq [p. 338] cents pistoles. Quand M. de Bonneuil lui a dit que j’avais fait mon possible pour le lui faire reprendre, il en a été étonné et lui a dit que Votre Altesse royale faisait de si beaux présents à son ambassadeur et à tous ceux qu’il envoyait à sa Cour.
J’ai fait que ma fille a envoyé un étui de vermeil à la fille de madame de Bonneuil, de trois cens écus. Ils firent quelque difficulté de l’accepter, mais mon écuyer le laissa sur leur table. Ils m’en ont remercié et l’ont dit à la Cour. J’ai prôné partout les générosités du Roi, mais je ne laisse pas d’être en peinte que Votre Altesse royale ne trouve mauvais que j’en aie reçu des effets. Je voudrais avoir perdu trois fois autant que vaut le poinçon et que le Toi n’eût pas songé à me l’envoyer. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant une comédie donnée à Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 28 août 1669
Il y eut dimanche dernier une comédie et ballet à Saint Germain. Quoiqu’on n’y conviât personne, la Reine dit qu’elle voulait que l’ambassadrice et sa fille y allassent. Ma femme, étant au lit croyant de s’être blessée, y envoya sa fille et, croyant qu’il [p. 331] y eût bal, elle l’avait parée et mis ses pierreries. Comme la foule y fut très grande, cette enfant a perdu une boîte de diamants et un poinçon de la valeur d’onze ou douze cents pistoles. La Reine lui voulut parler elle-même et donna des ordres aussi bien que le Roi pour que l’on les cherchât, envoya des officiers des gardes dans la salle parler au concierge et au tapissier, qu’ils menacèrent de peines très rigoureuses. Le lendemain, la boîte se trouva dans la retrousse de la robe d’une des demoiselles de mademoiselle de Montpensier ; on la remit à M. le marquis de Saint Damien, qui était là. Pour le poinçon, qui ne vaut pas deux cents pistoles, il est perdu.
Le Roi, l’ayant su, a envoyé aujourd’hui visiter la marquise de Saint Maurice par M. de Bonneuil sur son infirmité. Après avoir fait son compliment, il a demandé l’Angélique, lui a dit que Sa Majesté ayant appris que son poinçon était égaré, que comme il s’en était trouvé un, qu’il le lui envoyait, et lui en a remis un très beau et de [p. 332] grande valeur. On me l’est venu dire dans ma chambre ; je suis passé dans celle de ma femme, j’ai fait mon possible pour le faire reprendre à M. de Bonneuil, lui représentant que je ne méprisais pas les bienfaits du Roi mais que j’étais dans un emploi à ne pouvoir pas les accepter ; il n’a jamais voulu le reprendre, quoique je l’aie prié de le faire et de le garder jusqu’à ce que j’eusse écrit à Votre Altesse royale pour avoir ses ordres sur ce que j’aurais à faire. Il a dit que le Roi ne prétendait pas de me rien donner, mais qu’il ne voulait pas que ma fille perdît rien chez lui et que l’on ne devait rien trouver de suspect en cette action, qu’il était vrai que l’Angélique était belle mais que son âge pouvait bien faire juger que ce n’était que par un motif d’une simple amitié. Je lui ai répondu que je souhaiterais qu’elle fût belle et en âge de pouvoir servir au plaisir du Roi, que je la lui donnerais avec grande joie.
Jamais homme n’a été embarrassé comme je le suis. Tout le monde me dit que, nonobstant mon caractère, je ne puis pas empêcher le Roi de faire des présents à ma fille. Cependant, Monseigneur, je sais que je fais faute et que Votre Altesse [p. 333] royale doit blâmer ma conduite en acceptant ce poinçon. Je la supplie de m’en envoyer son sentiment avec sa bonté ordinaire, car si je ne peux pas rendre ce poinçon, je frai un présent de sa valeur à madame de Bonneuil. Il est d’un seul diamant très grand ; il a bien quelques petits défauts mais, comme je ne m’y connais pas, je ne sais pas l’estimer et j’ai cru qu’il n’était pas honnête d’avoir empressement d’en savoir le prix. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le fort Saint-Sébastien près de Saint-Germain-en-Laye

« A Paris, le 5 juillet 1669
Mercredi, j’allai au lever du Roi. Messieurs de Turenne, le maréchal du Plessis et le Grand Prieur [p. 319] me dirent que le lendemain il y avait revue générale des troupes de la Maison du Roi, que je ferais plaisir à Sa Majesté d’y aller et d’y mener avec moi M. le marquis de Saint Damien. Comme nous nous préparions hier matin pour y aller, je reçus un billet du maréchal de Bellefonds, qui m’écrivait la même chose, que le Roi dînerait au fort et que si nous nous y trouvions à bonne heure, que nous mangerions avec Sa Majesté. Nous passâmes à Saint Germain, fûmes au lever du Roi et puis nous acheminâmes au camp.
Le Roi, qui va avec sa diligence ordinaire, nous passa en chemin. Il était seul dans sa calèche et, nous rencontrant, nous salua fort civilement. Mettant pied à terre devant ses tentes, nous y trouvâmes le maréchal de Bellefonds. Je lui témoignai que Votre Altesse royale aurait reconnaissance de l’honneur qu’il procurait au marquis de Saint Damien. Il me fit connaître que c’était lui qui l’avait proposé à Sa Majesté, sur ce qu’Elle avait [p. 320] souhaité que l’ambassadeur d’Angleterre et mois dinassions là avec Elle. Quand j’entrai dans la tente où était le Roi, il m’aborda et me dit que nous y aurions chaud ; je lui répondis que l’on le considérait peu quand on avait l’honneur d’être auprès de lui, que je savais combien ses tentes étaient commodes et pompeuses depuis l’avantage que j’avais eu de le suivre en Flandre où, par ses fatigues et ses travaux, il nous avait fait voir qu’il ne fallait pas avoir égard au temps et à ses incommodités quand il s’agissait de la gloire. Il se mit à tire et me dit tout haut que, comme j’étais de ses amis, je le faisais plus brave qu’il n’était. Il me fit l’honneur de m’entretenir le long de tout son appartement de choses indifférentes du fort et que je savais comme il était fait, que j’y avais déjà été dîner avec M. de Chaulnes.
Monsieur arriva, et avec lui l’ambassadeur d’Angleterre. Il demanda d’abord sa viande. Quand on eut servi, je considérai que M. le duc de Guise [p. 321] se tenait fort proche de la personne du Roi. Je voulus observer le parti que prendrait l’ambassadeur d’Angleterre pour se placer, afin que j’en pusse faire de même. Le bon ambassadeur, qui veut disputer le pas à monsieur le Prince, laissa prendre la seconde place audit duc de Guise, qui était à la gauche du Roi, Monsieur à la droite, auprès duquel ledit ambassadeur se mit. Je jugeai qu’il ne me fallait pas mettre auprès de lui. Je me plaçai entre les ducs de Bouillon et de Luxembourg. Ils se retirèrent pour me faire place et M. de Bellefonds me dit de me mettre auprès de M. de Montaigu. Je n’y voulus pas aller et dis tout haut qu’il n’y avait pas de rang à la table de Sa Majesté et que l’on dînerait bien dans tous les endroits. Nous avions tous le chapeau sur la tête, sauf le Roi et Monsieur. Il but la santé du roi de la Grande Bretagne qu’il porta à M. de Montaigu, puis celle de Votre Altesse royale, qu’il me porta ; nous étions vingt à table, tous la burent chapeau bas.
Il monta à cheval une heure après midi et nous allâmes voir ses troupes, qui étaient en bataille sur une ligne. Il y avait plus de deux mille cinq [p. 322] cents chevaux et près de neuf mille hommes de pied en seize escadrons et quatorze bataillons ; l’artillerie était en tête de l’infanterie ; nous vîmes et revîmes les troupes par une chaleur et poussière des plus incommodes. Le Roi parla souvent à M. le marquis de Saint Damien, comme aussi Monsieur, messieurs de Turenne et de Louvois et tous les grands de la Cour.
Comme nous étions dans une halte en attendant la Reine, nous vîmes venir à nous un carrosse en diligence qui s’arrêta à trois cents pas, d’om sortit M. le marquis de Berny. Le Roi ne le reconnaissant pas et demandant qui c’était, je le lui dis. Il alla à lui tout seul au galop. Je m’entretenais pour lors avec l’ambassadeur d’Angleterre. Je lui dis à l’oreille : « Voilà des nouvelles de l’élection d’un roi en Pologne ». Monsieur m’ayant demandé ce que je disais, je lui en fis la répétition. Sa Majesté revint à nous avec un visage assez froid et qui marquait peu de satisfaction, et nous dit que les Polonais avaient élu un de leur pays pour roi, nommé Wisniowiecki et qu’ils l’avaient [p. 323] déjà couronnés. Chacun en raisonne à sa fantaisie avec assez de liberté. On m’en demanda mon sentiment ; je dis que j’aurais fort souhaité que les Polonais eussent choisi monsieur le Prince et que Sa Majesté l’eût nommé en tête de ses troupes ; que ces peuples là, quoiqu’ils eussent agi en cette rencontre contre leurs constitutions, que néanmoins ils avaient considéré de ne désobliger pas les prétendants étrangers et leurs partisans et qu’en cela ils avaient témoigné d’avoir de l’esprit aussi bien qu’à retarder l’élection, puisqu’ils avaient eu le temps de recevoir tout l’argent qu’on leur avait porté de tant d’endroits. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le départ de la cour pour Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 24 avril 1669
La Cour ira lundi à Saint Germain, et pour longtemps. Les dames sont prêtes à voyager après avoir [p. 305] demeuré cinq mois à aller chez la Reine ; elles l’ont vue aux Carmélites et à sa toilette ; ce n’a pas été sans quelques railleries de son côté, mais très modérées et galantes. C’est un petit miracle de voir de l’air qu’elle prend ces sortes de choses. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le retour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« De Suresnes, le 26 octobre 1668
Je reçus dimanche la lettre que Votre Altesse royale m’a fait l’honneur de m’écrire le douzième de ce mois, dans laquelle j’ai vu avec joie qu’elle goûtait les délices de la Vénerie royale en parfaite santé pendant ces beaux commencements d’automne. Le Roi arriva le même jour à Saint Germain de son voyage de Chambord, fort satisfait des beautés de ce lieu là, des chasses qu’il y a faites et encore plus, à son arrivée, de voir le Dauphin, qui a fait un notable changement pendant leur séparation. Il fut à la rencontre de Leurs Majestés à la dînée la plus proche de Saint Germain, il leur fit si bien sa cour et les entretint si galammant qu’elles en furent émerveillées, et lui demeura aussi très content des caresses que lui firent et le Roi et la reine. En sortant de carrosses, il appela M. de Montausier, [p. 238] lui dit avec sa gentillesse ordinaire qu’il était fort satisfait du Roi et qu’il l’avait traité fort honnêtement.
Le Roi, le soir avant son arrivée, coucha à Linas, où il fut surpris avec joie lorsque M. de Turenne lui déclara qu’il voulait faire abjuration de sa créance et se réduire dans le giron de l’Eglise romaine, ce qu’il exécuta mardi matin entre les mains de M. l’archevêque de Paris dans la chapelle de l’archevêché, puis alla se confesser, entendre messe et se communier à Notre Dame, et de là à Saint Germain, où le Roi l’embrassa et lui fit toutes les caresses possibles et où toute la Cour le complimenta. […]
[p. 240] Je fus mercredi à Saint Germain pour y faire ma cour au Roi, à son lever. Il y avait si grand monde que l’on ne pouvait se tourner dans sa chambre. J’eus grande peine à m’en approcher, tellement tout le monde s’empresse de se faire voir à lui. Ses courtisans, en pareille rencontre, ont peu de déférence pour les étrangers. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, donnant des nouvelles de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« Paris, le 27 juillet 1668
L’on attend à Saint Germain l’accouchement de la Reine ; l’on la saigna vendredi dernier pour le rendre heureux et facile. Le Roi n’en bouge pas. Il est chagrin de ce que tout le monde dit qu’il lui doit arriver quelque grand malheur et surprenant, sans que l’on puisse pénétrer d’où procède cette pensée. L’affaire de la femme qui lui dit des injures l’a beaucoup fâché, aussi bien que l’emportement d’un gentilhomme qui en dit beaucoup de mal. »

Lettre du marquis de Saint-Maurice, ambassadeur de Savoie, concernant le séjour de la cour à Saint-Germain-en-Laye

« De Paris, ce 29 avril 1667
Monseigneur,
J’arrivai ici mardi à six heures après midi. Dès le lendemain, je me mis en état de servir Votre Altesse royale et je vis pour cela M. Giraud, pour concerter avec lui la manière de faire savoir au Roi mon arrivée et de me préparer pour avoir audience de lui. Nous résolûmes que j’écrirais et enverrais un gentilhomme à de M. Lionne pour savoir de lui quand je le pourrais (p. 2] voir. Hier, je mandai le sieur Chappuys, mon secrétaire, à Saint Germain ; il présenta ma lettre à ce ministre et lui exposa sa commission. M. de Lionne lui dit qu’il avait beaucoup de joie de mon arrivée, qu’il ne voulait pas que j’allasse à Saint Germain, que le Roi lui permettra de venir samedi ici et qu’il m’attendrait tout le jour chez lui, si bien que demain je tiendrai un laquais à sa porte, et soudain que je saurai son arrivée, j’irai le visiter de la part de Votre Altesse royale, lui présenter sa lettre et l‘entretenir du sujet pour lequel Votre Altesse royale m’a envoyé en ce pays. Cependant, je me mets et mon équipage en état de pouvoir aller et paraître à Saint Germain, où tout ce qui veut faire sa cour fait une résidence actuelle et d’où les ministres ne sortent pas.
J’ai vu mesdames les princesses de Carignan [p. 3] et comtesse de Soissons, qui ont reçu avec des marques de respect les lettres que je leur ai présentées de la part de Votre Altesse royale. Je n’ai pas vu madame la princesse de Bade, elle est à Saint Germain. M. le comte de Soissons a eu aussi les mêmes soumissions et reconnaissances pour la lettre de Votre Altesse royale que je lui ai présentées ; il m’a offert ici ses sollicitations pour le service de Votre Altesse royale et je crois qu’elles ne seraient pas inutiles, car il a du crédit auprès de M. de Lionne.
[…]
[p. 6] Comme je n’ai pas encore été à la cour, je sais peu des nouvelles du cabinet ni des intrigues qu’il y a. L’on assure que la Reine est enceinte, [p. 7] ce qui l’empêchera de suivre le Roi, car assurément il marchera à la moitié du mois prochain ; que si la Reine n’est pas enceinte, elle ira à Compiègne et en ce cas là les dames, et notamment mademoiselle de La Vallière ; sinon elle se retirera aux champs avec quelque dame de qualité pendant l’absence du Roi. L’on dit qu’elle déchoit beaucoup de sa beauté et qu’elle est fort maigre. Il ne va quasi plus personne chez elle ; elle devient d’une humeur fort altière et au camp de Houilles, où elle a été fort souvent à la suite de la cour et où elle a été fort leste, elle a toujours été fâchée contre le Roi de ce qu’il ne l’y a jamais abordée, car Sa Majesté n’y quitta jamais la Reine, et l’on croit que si cette demoiselle continue à être de cette humeur, qu’elle se perdra. »

Lettre de Guy Patin mentionnant l’abandon du fort Saint-Sébastien près de Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi a ordonné la dissolution de son camp. On en prend 15000 hommes que l’on envoie à Saint Quentin en Vermandois, d’où ils seront commandés pour le rendez-vous qu’on tient encore secret. Il y a toute apparence que ce sera contre les Hollandais. Ils sont devenus si glorieux depuis leur commerce des Indes que ceux qui traitent avec eux disent qu’ils sont insupportables. Le Roi s’en est cru méprisé et on croit qu’il en garde son ressentiment jusqu’à l’occasion de les en faire repentir. On a envoyé encore 6000 hommes vers Soissons et d’autres ailleurs. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi se trouve si bien à Saint Germain, et il s’y plait tant qu’il y veut passer l’hiver, et ne revenir à Paris qu’à la fin du careme.
[…]
L’envoyé du Grand Turc n’est plus à Issy, il est aujourd’hui logé dans Paris, derriere la place Royale, à l’hôtel de ville ; il a eté à Saint Germain en ceremonie, mais on ne sait encore rien de particulier de ces affaires. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le départ du roi de Saint-Germain-en-Laye

« Aujourd’hui au matin, ce 16 mai, est mort à Saint Germain M. Guenaut d’une apoplexie ; Dieu n’a pas permis que le vin emetique le sauvat, lui qui en a autrefois tant tué avec ce poisson et avec le laudanum chymisticum.
Le Roi est aujourd’hui parti de Saint Germain et a pris le chemin d’Amiens pour faire un grand voyage. »

Lettre de Guy Patin mentionnant une revue de troupes faite par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi veut faire faire la revue à ses 10000 hommes, quatre ou cinq jours durant, dans la plaine de Houille entre Saint Germain, Sartrouville et Argenteuil, où il fera voir une belle representation de la guerre aux dames de la cour, qui aiment de tels combats, où l’on s’echauffe jusqu’à la sueur meme, mais où l’on ne tue personne. Apres cette revue faite, on dit que les troupes ont ordre de marcher au rendez vous qui leur sera assigné. Mais où sera ce ? Personne ne le sait que ceux qui commandent, et je ne puis encore me persuader que ce soit en Flandre, et plut à Dieu que ce fut plutôt contre le Turc. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Trainel, fils d’un papetier devant le Palais, agé d’environ vingt huit ans, apres avoir eté condamné au Chatelet, a été transferé à la Conciergerie. Enfin, apres environ un mois de temps, son appel a eté jugé à la Tournelle, et la sentence confirmée ; tot apres on a apporté au president de la Tournelle, qui est M. Le Coigneux, une lettre de cachet, par laquelle le Roi veut que l’execution soit sursise. Des le lendemain (ce 25 fevrier), messieurs de La Tournelle ont envoyé des deputés au Roi pour lui faire entendre la justice de leur arret. M. le president Le Coigneux a donc eté à Saint Germain, où il a eté bien reçu du Roi et bien ecouté. M. Renard, conseiller de la grand chambre et rapporteur du proces, y estoit aussi. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un incident lié à une revue de troupes faite par le roi à Saint-Germain-en-Laye

« Quinze soldats de la compagnie dite des royaux ont eté noyés au lac de Conflans, pres de Saint Germain et Andrezy, qui venoient pour la revue que le Roi a fait faire pres de Saint Germain ; dans la plaine de Houille. Le vaisseau, qui etoit trop chargé, s’est entr’ouvert par le milieu ; ils en sont tous morts, et ont eté repechés le lendemain. Le Roi est fort faché de cette perte. »

Lettre de Guy Patin mentionnant le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye

« Le Roi est à Saint Germain, et on croit qu’il y sera encore tout le mois prochain, pour obliger d’autant plus la Reine à garder le lit encore longtemps que pour empecher ainsi l’accouchement avant terme. M. le premier president et le parlement ont revu la pretendue reformation de la chicane ; ils ont pourtant renvoyé le cahier à Saint Germain avec tres [p. 631] humble priere au Roi de vouloir bien revoir quelques observations qu’ils y ont faites. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye après la mort de sa mère

« Aujourd’hui, ce 20 janvier, je vous ecris la mort de la Reine mere, qui est arrivée cette nuit du 20 janvier. Mais je ne sais quel chemin elle peut avoir pris : trouvera t elle en l’autre monde le cardinal Mazarin ? […] Des qu’elle est morte, le Roi est allé à Versailles : c’est pratiquer le precepte du Seigneur, sinite mortuos sepelire mortuos. Il a emmené quant et soi la jeune Reine sa femme, et M. le duc d’Orleans et sa femme s’en sont allés à Saint Cloud. […]
[p. 580] Le Roi et la Reine seront demain à Saint Germain en Laye, et le corps de la Reine mere sera porté sans ceremonie à Saint Denis. »

Lettre de Guy Patin mentionnant un séjour du roi et de la reine mère à Saint-Germain-en-Laye

« La Reine mere a de mauvaises nuits. Elle va neanmoins avec le Roi à Saint Germain. On dit aussi que ses douleurs s’accroissent, et qu’elles sont plus poignantes que de coutumes. […]
[p. 526] La Reine mere fut hier, ce 26 avril, saignée à Saint Germain pour diminuer la douleur et la fluxion de sa mamelle ; elle s’est ennuyée à Saint Cloud, aussi fait elle à Saint Germain ; on dit qu’elle se fera ramener au Bois de Vincennes. […]
[p. 527] Je viens d’apprendre que le Roi et les Reines quittent Saint Germain, et que toute la cour revient au Bois de Vincennes. »

Lettre de Guy Patin mentionnant la volonté du roi de bâtir à Saint-Germain-en-Laye

« Sa Majesté a fait defense que personne n’ait à faire aucun batiment d’ici à dix lieues à la ronde. On dit que c’est pour faire quatre grands ateliers d’ouvriers aux maisons royales qu‘il veut faire rebatir ou achever, telles que sont le Louvre, Saint Germain en Laye, le bois de Vincennes, etc. »

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