Le fonds des plaques de verre, ou "clichés", conservé au MAN constitue le noyau le plus ancien de la collection photographique du musée. Il est cependant difficile d'en retracer la formation, et aujourd'hui, il est devenu très complexe d'identifier le contenu de ces images. La pratique voulait que chaque cliché acheté soit enregistré dans le « Registre du matériel du musée de Saint-Germain », au même titre que sont mentionnés l’achat d’une lampe ou celui d’un broc. Une fois le cliché acquis , le numéro attribué dans ce registre est reporté sur le mémoire remis par le conservateur du musée à la direction des Musées nationaux pour ordonnancement. C’est ainsi que le premier cliché inscrit dans le « Registre du matériel du musée » porte le numéro 292 . Nous relevons ainsi l’acquisition d’environ neuf cents plaques de verre, pour lesquelles la numérotation est, donc, discontinue. La lecture des mémoires et du registre montre cependant que ces documents sont lacunaires et qu’il est impossible de reconstituer l’ensemble du fonds à partir d’eux seuls.
Parallèlement, sont dressés des cahiers d’inventaire. Malheureusement, ils sont sommaires et tout aussi incomplets que les mémoires, et leur tenue s’arrête brutalement en 1944. Néanmoins, sur ces cahiers d’inventaire, le numéro de l’objet reproduit est mentionné, ainsi que le format du négatif sur verre et le numéro de la boîte dans laquelle le cliché est rangé. Les sept volumes du « Musée de Saint-Germain. Photographies. Catalogue des clichés », appelés également « Albums blancs », rassemblent chacun soixante cartons reliés, sur le recto desquels sont contrecollées une ou plusieurs épreuves. Ils correspondent au registre intitulé « Catalogue des clichés de l’atelier ». La numérotation des cartons est continue d’un album à l’autre, de 1 à 420. Le numéro des clichés d’où sont tirées les épreuves, et celui de la boîte dans laquelle ils sont conservés, sont reportés à l’encre noire sous les photographies .
Enfin, chaque nouvelle opération de classement et de conditionnement a donné lieu à l’ouverture de nouveaux cahiers ou fichiers.
Mais dans les années 1960, un "rangement" drastique des plaques de verre a conduit à éliminer les pièces abimées et à redistribuer les pièces conservées dans les boites, en dépit du classement originel, brouillant définitivement les critères d'identification des sujets représentés.
Inutile de chercher les noms des photographes, ils ne sont crédités ni dans les différents registres, ni sur les épreuves, car le sujet représenté prime. Seul le nom des donateurs des photographies est porté sur le livre d’entrée de la bibliothèque, mais nous n’avons pas l’assurance que tous les dons aient été enregistrés.
Malgré des sources insuffisantes, nous avons la certitude que la constitution du fonds photographique est en lien étroit avec la formation des collections d’objets, avec les découvertes archéologiques en France et les recherches menées par le personnel scientifique du musée.
La consultation des mémoires de photographes renseigne sur l’objet des commandes de travaux photographiques destinés à couvrir les besoins d’illustration. Dès 1874, Alexandre Bertrand, Gabriel de Mortillet, puis Salomon Reinach à partir de 1886 ont recours aux services réguliers de prestataires extérieurs dont les ateliers sont situés à proximité du musée. Parmi ceux-ci, citons Alfred Amédée Véber, fils d’un négociant belge, installé à Saint-Germain-en-Laye en 1868. Dans une lettre adressée au ministre des Beaux-Arts le 13 mars 1880, Véber précise qu’il exerce depuis 1868 et réalise des photos depuis 1869 pour le directeur du musée, Alexandre Bertrand, et pour Abel Maître, chef des ateliers . Les factures de ses travaux s’échelonnent du 17 avril 1874 au 1er décembre 1885 et le coût est souvent élevé . Parmi les commandes qui lui sont faites, citons celle de 1882, pour laquelle Véber réalise des épreuves à partir des 265 négatifs sur verre au collodion de Gueuvin de la colonne Trajane . En 1886, Véber cède son atelier à Léon Charles Joseph Bichon, photographe né à Persan, dans le Val-d’Oise, le 23 juillet 1859. L’officine porte l’enseigne Photographie du musée . Ayant épousé en 1888 Blanche Vitry, certaines de ses photos sont créditées « Bichon-Vitry ». S’il poursuit les relations entreprises par son prédécesseur avec le conservateur du musée et ses attachés, seuls quatre mémoires sont conservés dans les archives du musée durant la période du 18 août 1887 à 1889. Alexandre Bertrand ne donne pas l’exclusivité à un seul prestataire, car il confie en 1879 à un autre atelier de la ville, Dumesnil et Mouhé, la reproduction de documents relatifs à l’histoire du château Vieux.
Indépendamment des acquisitions de clichés commandés aux prestataires de la ville, des collections constituées par les photographes dans les départements sont acquises et contribuent à accroître le fonds du MAN. Alexandre Bertrand et Gabriel de Mortillet reçoivent des propositions directes de vente. Les courriers joints aux mémoires précisent les intentions et démarches commerciales. C’est ainsi qu’Émile Mage , membre de la Société française de photographie et dont l’atelier est à Brest, est chargé par le ministre des Beaux-Arts de photographier les monuments historiques de Bretagne. Il confie dans un courrier adressé à Mortillet sa collection en cours de constitution au moment de l’exposition de 1876 : « J’ai l’honneur de vous adresser la collection des monuments celtiques que je possède. Vous n’avez qu’à me retourner les vues qui ne vous plairont pas. Je vais vous dire, Monsieur, que je continuerai cette année cette collection de monuments druidiques du Morbihan. Je serai entièrement à vos ordres pour les renseignements dont vous pourriez avoir besoin. » Il livre quatorze épreuves au musée. De même, Richard , photographe à Saint-Nazaire, facture les prestations réalisées les 12 décembre 1876, 17 février, 22 mars et 23 décembre « pour travaux [photographiques] du bassin [de Saint-Nazaire] ». J. Rebreget, photographe domicilié à Autun, fournit à Alexandre Bertrand, en 1877, une reproduction du dessin de la mosaïque de Bellérophon ; et en 1879, Paul Bourgeois, photographe à Lons-le-Saunier, remet huit clichés et huit épreuves de plaques mérovingiennes conservées au musée. Quant à Deniker, domicilié à Paris, ce sont cinquante et une épreuves photographiques qu’il envoie à Bertrand en 1882.
La question sur la reconnaissance des droits d’auteur intervient assez tôt. C’est ainsi que le photographe Bourgeois discute le droit patrimonial des clichés et justifie le prix du cliché livré avec une épreuve pour la somme élevée de 10 francs l’unité dans ces termes : « Je ne doute pas qu’à Paris ou Saint-Germain les prix soient plus bas qu’ici, mais en province tout est relativement plus cher : nos produits, la vie matérielle, etc. La reproduction de ces objets nécessite en outre plus de soins, donne plus de difficultés qu’une reproduction ordinaire, surtout à cause de leur couleur. Vous me permettrez en outre de discuter le passage de votre lettre où vous dites qu’une commande de photographie entraîne la propriété du cliché. Le cliché reste propriété du photographe quoiqu’il n’ait réellement pas le droit d’en tirer des épreuves et d’en faire ce que bon lui semble : ce sont les clichés qui constituent, en grande partie, la valeur d’un atelier photographique . »
Enfin, il arrive que ce soit des collectionneurs eux-mêmes qui proposent leurs photographies. Le comte Alexandre Mahe de La Bourdonnais, ingénieur civil et explorateur, soumet au directeur du musée ses vues de Birmanie, Inde et Chine, de paysages et éléments d’architecture de sa collection personnelle : « […] ma collection qui ne comprend qu’une vingtaine de sujets divers sont achetés par les différents musées et écoles de Paris, le prix est de 2 francs chaque, grandeur carte album . »
Des commandes de photographies de monuments et d’objets archéologique trouvés hors de France présentent de l’intérêt, à titre d’éléments de comparaison avec les collections nationales. Alexandre Bertrand fait de nombreux voyages en Europe, dans les pays du Nord, en Allemagne, en Autriche, en Italie septentrionale, et participe aux différentes sessions du congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques. Ainsi, des commandes de documents sont passées directement auprès de photographes prestataires, ou par l’intermédiaire de musées étrangers. Antonin Jaroslav Vertatko, du musée national de Prague, remet des épreuves photographiques le 13 novembre 1876 à M. Calve, libraire à Prague, qui, à son tour, les expédie à M. Klincksieck, libraire de l’Académie des sciences à Paris, qui, lui-même, les adresse au musée de Saint-Germain .
György Klösz, photographe germano-hongrois, travaille à Vienne et à Budapest ; il réalise en 1876 la commande de vingt-cinq clichés et vingt-cinq épreuves à partir des collections du musée de Copenhague . Un deuxième mémoire en 1877 concerne l’envoi de soixante-neuf épreuves non collées reproduisant les collections du musée préhistorique de Budapest.
En 1884, Carlo Bertinazzi, photographe à Bologne, exécute pour le MAN les épreuves de quinze planches photographiques des objets du musée civique de Bologne. Dans une lettre à en-tête du musée archéologique de l’Université adressée à Bertrand, Eduardo Brizio, conservateur du musée, précise les droits patrimoniaux attachés aux clichés : « Les 15 photographies que M. Bertinazzi vous a proposées sont les reproductions des objets de l’époque préhistorique du Bolonais (grottes, cabanes, bronzes des tombeaux […]) pour donner une idée complète des différentes antiquités du pays ; mais les clichés en sont propriété de la municipalité qui les a fait exécuter pour envoyer deux albums de photographies des objets du musée civique à l’exposition nationale de Turin. Selon votre ordination, j’ai dit à M. Bertinazzi que vous acceptiez les 15 épreuves au prix indiqué et qu’il peut vous les envoyer. » Peu de temps après, Antonio Nessi, photographe à Côme, facture douze clichés des antiquités des cimetières des environs de Côme. Puis, en 1884, Ludovico Tuminello fournit les prises de vue de la base de la colonne Trajane, par l’intermédiaire de l’École française de Rome . Cette même année, le chevalier Calzoni, domicilié à Bologne, fait état de la vente de « 28 clichés d’œuvres du musée civique de Bologne et 28 épreuves des dits clichés ». Enfin, Charles Deschmann, conservateur du musée de Laibach en Autriche, facture la fourniture de vingt-neuf clichés, avec épreuves collées, d’objets du musée.
Dans un contexte d’exercice de plus en plus réglementé, le besoin d’installer un atelier au musée se fait sentir, ceci afin de limiter la fréquence des interventions de photographes extérieurs et la délivrance ponctuelle d’autorisation de photographier, et de réduire le coût des commandes. Peu après sa nomination en 1886 comme attaché au musée de Saint-Germain, Salomon Reinach décide la création d’un service photographique au musée dont l’activité est confiée au gardien bibliothécaire Justin Faron . Dans un courrier de 1889, Salomon Reinach entreprend de décrire précisément les tenants et aboutissants d’une telle action : « Je me permets d’attirer votre bienveillante attention sur les nombreux travaux de photographies que le gardien bibliothécaire Faron a exercés dans le courant de l’année 1889. Grâce à l’habileté réelle qu’il a acquise, le musée peut maintenant se dispenser de recourir aux coûteux services des photographes de la ville et il lui a été souvent possible d’obtenir des musées provinciaux et étrangers, en échange de photographies qu’il leur fournissait, des documents photographiques et autres qu’il aurait été, sans cela, dans l’obligation de leur payer. J’ai eu l’honneur de vous proposer de faire allouer au gardien bibliothécaire Faron une indemnité de cent cinquante francs, égale à celle qui lui a déjà été attribuée l’an dernier pour des travaux du même genre. Par la même occasion, je crois devoir vous rappeler que l’appareil photographique dont se sert le gardien Faron est ma propriété et que je dois prévoir les circonstances où, obligé d’utiliser cet appareil à Paris pour mes travaux personnels, je devrais le reprendre chez moi. D’autre part, le gardien Faron a commencé à enseigner la photographie à notre attaché libre, M. de Villenoisy et il ne serait fort [désirable] que ce jeune archéologue pût emporter un appareil en voyage, le jour où il me ferait une tournée scientifique dans l’intérêt de nos collections. Enfin l’appareil que je possède acheté par moi pour mes missions en Tunisie, et [est adapté] spécialement au paysage ; il ne donne pas toujours de bons résultats quand il s’agit de photographier des monuments de sculpture à plans multiples. D’après le devis que m’a fourni M. Dujardin, une somme de 450 francs serait suffisante au musée pour prévoir un appareil plus grand, un objectif spécialement disposé pour la photographie d’œuvres d’art et les huit châssis nécessaires pour un voyage archéologique. Mon appareil m’a coûté une somme deux fois plus forte, mais cela tient à certains mécanismes spéciaux dont il avait fallu le pourvoir comme l’utilisation de papier Balagny, moins encombrant que les glaces Adrianis, mais d’une manipulation plus délicate . ». Né en 1846, Faron entre au musée de Saint-Germain comme gardien auxiliaire des Musées nationaux en 1879 et bénéficie d’un logement de fonction au château. Son activité de photographe est très soutenue, comme le montrent les indemnités et gratifications qu’il perçoit à plusieurs reprises en fin d’année et les achats qui lui sont faits par le musée dès 1889 ; et bien qu’en retraite, il continue son activité de photographe pour le musée pendant quelques années encore .