Récit du passage de l’empereur et du roi de Sardaigne et de Piémont à Saint-Germain-en-Laye
- 28
- Pièce
- 26 novembre 1855
Fait partie de Corpus numérique sur l'histoire du château et des jardins de Saint-Germain-en-Laye
« Lundi, et sans qu’on s’y attendit, notre ville a eu la visite de S. M. l’empereur, accompagné de son royal hôtel S. M. Victor-Emmanuel, roi de Sardaigne et de Piémont, le fils et l’héritier du trône du vainqueur de Novarre. Au moment de leur passage, vers dix heures du matin, pour se rendre au rendez-vous de chasse de la Muette, Leurs Majestés ont trouvé déjà un assez grand nombre d’habitants réunis devant le pavillon Henri IV et qu’y avait attirés la présence des relais. L’Empereur et le roi de Sardaigne ont déjeuné au château de la Muette, puis ont chassé à tir dans les garennes réservées de Fromainville, Garenne et Conflans, d’où ils sont revenus, vers trois heures et demie, à Saint-Germain, sans s’arrêter de nouveau à la Muette, comme l’ont dit, par erreur, les journaux de Paris. Le temps qui s’était écoulé entre les deux passages avait été mis à profit par notre municipalité provisoire, dont les ordres ont été si bien exécutés qu’au retour, les grilles du Parterre, les fenêtres des maisons et chacun des arbres de la longue avenue du Boulingrin étaient pavoisés d’une multitude de drapeaux où les couleurs sardes disposées à la hâte se mariaient aux drapeaux de la France, unis dans cette circonstance comme les enfants des deux pays, comme les soldats des deux souverains, pour le maintien du repos de l’Europe et la gloire des armées alliées.
Une foule considérable a longtemps stationné à l’extrémité de la Terrasse pour voir revenir Leurs Majestés, mais, tout d’un coup, à la vue d’un courrier qui arrivait par la grolle des Loges, elle a suivi le mouvement qu’ont dû faire les hommes et les chevaux du relais, les rangs se sont trouvés rompus et confondus, et le public a littéralement envahi la voiture jusque sous les roues, pendant les quelques minutes de sa station. De nombreux cris de : Vive l’Empereur ! et de : Vive le roi de Sardaigne ! se sont fait entendre, et l’on a généralement admiré la figure toute martiale du roi de Sardaigne, assis à la gauche de l’Empereur. Une seule voiture, également attelée en poste et dans laquelle se trouvaient M. le colonel Fleury et, nous a-t-on dit, MM. de Toulongeon, Edgard Ney et plusieurs officiers de la suite du roi de Sardaigne, suivait celle de l’Empereur. La chasse avait, dit-on, été très abondante, et on y avait apprécié la justesse de tir du Roi. C’était, comme de coutume, un détachement des Guides qui avait fourni les rabatteurs. Aucune escorte n’accompagnait les voitures qui, vers 4 heures, reprenaient, par les rampes du Pecq, la route de Paris.
Le matin, lors de leur passage sur le territoire de la commune de Chatou, LL. MM. l’Empereur et le roi de Sardaigne avaient trouvé réunis, près du pont, les autorités, des habitants et la subdivision des sapeurs-pompiers, accourus sur ce point au bruit de leur arrivée dans la commune, dont toutes les maisons se sont trouvées, comme par enchantement, pavoisées de drapeaux aux couleurs française et sarde. Un intéressant épisode de ce passage a été la rencontre sur la route de quatre jeunes soldats, mutilés de Crimée, casernés provisoirement à Rueil, et dont les chaleureuses acclamations ont attiré l’attention de l’Empereur, qui s’est empressé de les faire remarquer au roi de Sardaigne, en donnant des marques visibles d’un affectueux intérêt à ces braves jeunes gens, parmi lesquels nous avons cru reconnaître un des anciens élèves de l’institution Ledieu, de notre ville.
A propos de la visite du roi de Sardaigne à Saint-Germain, nous croyons devoir rappeler un souvenir qui peut-être a contribué à augmenter chez ce souverain le plaisir de jeter, en passant, un coup d’œil sur l’antique berceau de Louis XIV. C’est que son aïeule, la reine douairière de Sardaigne, mère ce de Charles-Albert que, comme François Ier, on a aussi appelé le Roi Chevalier, a passé, il y a deux ans, toute une saison à Saint-Germain, sous le nom de princesse de Montléar. Elle habitait alors un des appartements de l’hôtel de la Terrasse, près duquel était disposé, lundi dernier, le relais qui attendait Leurs Majestés, pour les conduire à La Muette. Plusieurs personnes de notre ville ont conservé précieusement le souvenir des relations qu’elles avaient heureusement eues avec cette auguste personne, dont la signature autographe figure sur l’album consacré aux visiteurs de notre bibliothèque. »