Pièce 15 - Récit par Elie Brackenhoffer de sa visite à Saint-Germain-en-Laye

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Cote

15

Titre

Récit par Elie Brackenhoffer de sa visite à Saint-Germain-en-Laye

Date(s)

  • 13 octobre 1644 (Production)

Niveau de description

Pièce

Étendue matérielle et support

1 document sur support papier

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Nom du producteur

(1618 - 1682)

Notice biographique

Histoire archivistique

Source immédiate d'acquisition ou de transfert

Zone du contenu et de la structure

Portée et contenu

« [p. 11] Le jeudi 13 octobre, en compagnie de M. Offmülner et de son majordome, ainsi que d’un Suisse, j’ai fait une excursion à Saint-Germain-en-Laye. Nous sommes partis en voiture à 7 heures du matin, et à 10 heures nous sommes arrivés. La journée était belle et claire, mais le vent froid. Le chemin était agréable ; nous y avons vu une grande quantité de villages et de bourgs, qui étaient un charme pour les yeux. Devant Saint-Germain, s’étend une grande île, que le grand chemin traverse, sur plus d’une lieue de long ; des deux côtés il y a des ponts à péage. Cette île, assez vaste (comme on l’a dit) est plein de cerfs, de chevreuils, de lièvres et de lapins ; comme il est interdit, sous les peines les plus sévères, de les tuer ou de leur faire du mal, ils sont si familiers, qu’ils n’ont pas peur des voyageurs ou des passants ; au contraire, ils accourent. Cette île est entourée par la Seine ; elle est pleine d’arbres et de bois, et chaque année, à [blanc, pour la Saint-Hubert], les princes et les plus grands personnages de la cour y font une grande chasse, après laquelle on donne un fin banquet en l’honneur de ce saint, patron des chasseurs. Cette année, Mons. Monbason, grand veneur de France, présenta un cerf, [p. 12] en présence des ducs d’Orléans, d’Anguien et d’autres grands personnages assemblés.
Saint-Germain est un peu sur la hauteur (il faut mettre pied à terre deux fois) ; pour ce motif, il y a une plus belle vue sur la campagne et les localités environnantes que dans toutes les autres résidences royales. Elle est à 4 milles de Paris. On la divise en vieux et nouveau château. Le vieux, bâti par Charles V, et restauré pour la première fois par François Ier, est petit, et tout en brique. Son toit est revêtu de carreaux, presque comme à la Bastille, à Paris ; on peut s’y promener et regarder très loin autour de soi. Sur les cheminées de ce château, on voit partout F.F., ce qui signifie que François Ier l’a restauré. Il est très haut ; il y a 63 appartements, mais pas particulièrement magnifiques. La chambre du roi, où il réside parfois en hiver, paraît un peu sombre ; à ce moment elle n’était pas meublée. On nous a aussi montré la salle où se joue la comédie ; au-dessous de la scène, des deux côtés, on a peint un escalier de six ou huit marches environ avec tant d’art, qu’on s’y trompe, et que nous ne pouvions pas croire qu’il fût peint, avant de nous en être approchés et de l’avoir touché de nos mains.
La cour est presque ovale ; elle est de grandeur moyenne ; à droite de l’entrée, se trouve une chapelle, qui est toute dorée, et décorée à profusion de belles peintures et d’autres ornements. L’autel est orné de colonnes de marbre noir et d’ouvrages dorés. L’orgue, également doré, est superbe et d’un grand prix. Ce château est entouré d’un fossé profond, mais sans eau. Aussi, pour entrer, on passe sur un pont, muni d’un pont-levis.
A gauche du château, il y a un beau parterre, sur lequel [p. 13] donne la chambre du roi, et qui a une belle vue. Au bout de ce parterre, commence un beau parc, un bois, long de deux lieues, dans lequel on peut voir un long jeu de mail, muni de pavillons quarrez en maçonnerie, où l’on peut se reposer ou bien où peuvent se mettre les spectateurs, sans être gênés. Devant le château, il y a une grande et large basse-court, dans laquelle sont les écuries et autres communs. De là, on accède à droite dans une très grande et belle cour, divisée en deux par une cloison, par laquelle nous parvînmes tout droit au château neuf.
Il a été bâti par Henri IV ; il est donc encore assez neuf. On y montre : 1° L’antichambre du roi. 2° Chambre où est mort Louis XIII. 3° Cabinet. 4° Galerie du roi, au haut de laquelle on voit cet emblème : Duo protegit unus, ce qui veut dire qu’il possède à lui seul deux royaumes, la France et la Navarre. Au-dessus de la porte, est représenté le château de Fontainebleau ; des deux côtés, sont très joliment peintes à la détrempe, en assez grande dimension, les villes suivantes : Huy, Venize, Prague, Namur, Mantoua, Aden en Arabie, Compaigne, Heureuse, Sion en Suisses, Moly, Tingu, Stafin en Afrique, Teracina, Ormus en Perse, Bellitry, Werderboch en Westphale, Numegen, avec cette inscription : Ville du fondement de l’empire, car Charlemagne a voulu faire de ces villes des villes impériales. Passau, Mastrich, Thessala Tempe, Florence.
5° L’antichambre de la reine. 6° Sa chambre, dans laquelle est né Louis XIV, le roi actuel. 7° Le cabinet de la reine. 8° Sa galerie, ornée de grands panneaux avec des scènes tirées d’Ovide. Ces appartements sont égaux en dimensions et en beauté ; tous en effet, sont ornés de belles dorures et de sculptures ; égaux aussi en vue, car ils ont la même exposition, étant tous dans le corps de bastiment qui donne sur le jardin. Dans les deux appartements, il y a encore [p. 14] quelques autres pièces pour les officiers et les gardes, dont la Française est d’un côté et la Suisse de l’autre.
Sous la galerie et la chambre du roi, on montre encore quelques chambres basses, ou bien plutôt écuries, dans lesquelles se trouvaient les oiseaux et les quadrupèdes suivants : un castor ; des corneilles des Pyrénées, environ de la grosseur d’un pigeon, tout entières d’un noir intense, comme du charbon ; elles ont des becs rouge sang, et des pattes sans plumes ; des outardes, ou oies sauvages ; des petits chevaliers de la mer, petits oiseaux marins ; un aigle ; un perroquet de toutes les couleurs, extraordinairement grand et beau ; un mouton du pays de More, qui est haut, et qui a un cou et des pattes longs et rudes, un museau pointu ; un mouton turc ; un bouquetin femelle ; le mâle a été détruit après la mort de Louis XIII, parce qu’il avait fait beaucoup de mal et endommagé des gens ; on montre encore ses cornes, elles sont extraordinairement grandes et admirables en cela. La femelle est loin d’avoir d’aussi grandes cornes ; elles sont cependant plus grandes, plus larges et plus incurvées que les ordinaires ; son poil est aussi d’autre couleur que les ordinaires, il est épais, gris et a un aspect bien sauge. Un mouton de la Barbarie, qui a une queue, large en haut presque comme deux mains, et qui par le bas se réduit à rien ; elle n’est pas particulièrement longue, mais elle est épaisse et grasse, et en bas elle est toute blanche et molle de graisse ; il se met à beugler quand on lui tire ou lui prend la queue.
Un chat de l’ile du Canada, autrement dit une civette ; il est beaucoup plus grand qu’un chat domestique, mais il en a presque la forme et le poil. Dans une cour, devant, il y avait beaucoup de canards et d’oies des Indes, une grande quantité de poules d’eau des Indes, quelques cygnes, des faisans et autres gallinacés.
De là, nous sommes descendus dans les jardins, [p. 15] pour voir les grottes. Il y avait à vrai dire cinq grottes naguère, savoir une grotte seiche, dans laquelle on prenait le frais en été et on se garantissait de la grande chaleur ; la grotte de Neptune ; des orgues ; de Persée ; et d’Orphée ; mais il ne reste que les deux dernières, les autres s’étant écroulées en 1643, avec de grands dommages et de grosses pertes, après avoir été bâties à grands frais. Ces grottes passaient, disent quelques-uns, pour supérieures à toutes celles de France, d’Allemagne et d’Italie, mais la plupart affirment qu’elles égalaient celles d’Italie, sans toutefois les surpasser.
Avant que nous visitions les grottes, le fontainier exigea de nous une pistole, pour faire jouer les eaux, sous ce prétexte qu’il était obligé d’y employer 50 torches ; et comme il s’obstinait dans sa prétention, il fallut bien en passer par là, car nous ne voulions pas être privés du meilleur morceau de notre excursion. Dans la grotte de Persée, il y avait, tout à l’entrée, un grand bassin, dans lequel se trouvait un grand dragon ; au-dessus de lui était juché Persée ; sur le côté il y avait une montagne, près de laquelle était sculptée Médée, le tout en cuivre. Persée presque de grandeur naturelle se précipitait de la hauteur vers le dragon, il avait en mains un bouclier et une épée, et quand il fut près du dragon, il donna quelques coups ; [p. 16] le dragon, qui était grand, horrible et épouvantable, se dressa avec un grand fracas, battit des ailes en l’air, ouvrit la gueule et grinça des dents, de si terrible manière, qu’en raison de la soudaineté, on en était presque épouvanté. Le dragon laissa retomber ses ailes, calma sa fureur, et à ce moment l’eau du bassin s’épandit plus abondante, submergeant presque le dragon ; il paraissait mort, et avoir été tué par Persée. Et alors Persée revint à sa place. C’est une belle pièce, qui mérite bien d’être vue.
Dans la même grotte, à gauche, il y a une montagne, où se trouvent quantité de forges, de papeteries et de moulins à blé en bois, qui sont tous mis en mouvement par des appareils hydrauliques. De même, quelques chapelles ou églises, dont l’eau faisait sonner les cloches. Tout cela est très gentil et très beau. Devant cette grotte, l’eau joua aussi comme si de tous les bouts et de tous les coins était tombée une pluie chassée par le vent, de sorte que tous ceux qui ne se retirèrent pas de côté furent complètement trempés.
De là, nous nous rendîmes à l’autre grotte. Dans celle-ci était assis Orphée, presque de grandeur naturelle ; il jouait du violon, remuant les mains et frottant l’archet sur le violon, mais à l’intérieur, par un habile jeu des eaux, une position était introduite qui donnait d’elle-même le ton du violon. Autour, se dressaient beaucoup d’arbres, sculptés en bois, qui remuaient et dansaient ; un rossignol était perché sur un arbre et chantait. Des deux côtés, accoururent toute sorte de bêtes sauvages qui écoutèrent Orphée, puis l’une après l’autre rentrèrent. Un coq d’Inde se tenait non loin d’Orphée, se tournait et se trémoussait, et se posait comme s’il dansait. Un singe était assis, qui portait constamment une pomme à sa gueule. Parmi tout cela, coulaient les rigoles, giclaient les tuyaux venus d’un bassin devant lequel était assis Orphée.
Après cela, dans une grande fenêtre ou trou carré, qui s’étendait loin en arrière en perspective, de toutes parts [p. 17] garnie de lumières, un jeu d’eau produisait l’effet suivant : les sept planètes, faites d’une sorte de bronze et peintes, se mirent en mouvement ; une partie, savoir le soleil, la lune et Mercure en haut, les autres par terre, et il est impossible de voir avec quoi ni comment ils sont tirés. Puis, apparaissent aussi les douze figures du Zodiaque, les quatre éléments. Item, le jeune roi s’avance aussi, avec son frère le duc d’Anjou, escortés par les Suisse. On représente encore la mer, avec ses grandes vagues, et des bateaux qui y naviguent. On représenta également l’enfer, plein de feu, et si artistiquement fait qu’on croit voir tout brûler réellement ; et on y voit des figures représentées par une tête, sur laquelle s’acharne la fureur du feu ; les yeux de cette tête sont rouge feu. Devant l’enfer, se tient Acharon, l’infernal nocher ; un autre tient Cerbère enchaîné.
Il y a aussi une représentation analogue du paradis, et beaucoup d’autres choses, qu’à cause de leur multitude je n’ai pas toutes pu retenir et décrire. Dans cette grotte, à droite, Bacchus est assis sur un tonneau ; il a une coupe en main, si pleine qu’elle déborde, et que l’eau en tombe goutte à goutte.
Il y a aussi les quatre vertus cardinales en marbre blanc ; on dit qu’elles se trouvaient naguère à la pyramide des Jésuites, qui était près du palais.
Ces deux grottes sont carrés, bien voûtés, joliment pavées de petits cailloux vernissés, pour le reste, de toutes parts ornées de coquillages et de toute sorte de colimaçons, ainsi que de cristal, de merveilleuses pétrifications, de minéraux et autres ornements. A remarquer qu’on ne voit pas de murailles ni de mortier, ni sur les côtés, ni en haut. Le pavé (formé, comme on l’a dit, de petites pierres et d’ardoises de dimensions égales) représente des roses et d’autres figures, ainsi que des coquillages et des colimaçons, [p. 18] assemblés non sans un art consommé, et formant toute sorte de dessins.
Quant aux jardins, il semble à vrai dire qu’ils ont dû être superbes et charmants, mais maintenant ils sont à l’abandon ; en effet, dans le voisinage de l’eau, on ne voyait pas trace du moindre canal ; à vrai dire, à en juger par le cuivre, il devait y en avoir cinq ou six, mais ils étaient complètement envahis par la végétation. De même, dans le verger voisin, tout était ravagé et en désordre. Il y a cinq jets d’eau, mais l’eau ne jaillissait pas de tous.
De ces jardins, l’un est plus haut que l’autre : on en a une très jolie vue sur l’île voisine, et par les temps clairs, on distingue fort bien de là Paris et beaucoup de petites villes, de bourgs et de villages. Pour la jolie vue, ces jardins surpassent de beaucoup toutes les autres résidences de plaisance royales. »

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Note de publication

Elie Brackenhoffer, Voyage de Paris en Italie, 1644-1646, traduit d’après le manuscrit du Musée historique de Strasbourg par Henry Lehr, Nancy, Paris et Strasbourg, Berger-Levrault, 1927, p. 11-18

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Note

Cet habitant de Strasbourg arriva à Paris le 22 septembre 1644 ; il se rendit à Saint-Germain le 13 octobre suivant.

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